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Des Sœurs très soignées

Des Sœurs très soignées

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Pour ce numéro sur le soin, on a décidé d’aller chercher les lumières d’une des fabuleuses créatures que sont les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Avec Sœur Zora des Pâquerettes, on a parlé de soin communautaire, d’écoute et de prévention VIH/Sida. En sa douce compagnie, on vous laisse découvrir l’action militante des Sœurs auprès de leurs ouailles.

QUI SONT LESURS ?

Bonsoir les chéri-es ! Je suis ravie d’échanger avec vous. Alors moi je suis Sœur Zora des Pâquerettes. J’ai fait mon parcours pour devenir sœur au sein du Couvent de Paname qui s’inscrit dans la tradition des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence.

Les Sœurs, c’est un ordre ou un désordre, international, de Sœurs queers, de créatures qui jouent avec le costume, le langage et les gestes rituels des mouvements monastiques des religieuses catholiques. Elles les détournent, les transforment, que dis-je : les subliment, pour en faire une force d’action sociale et militante au service de nos communautés de marginaux aux sexualités dissidentes, des petits pédés perdus, des jeunes gouines en épanouissement, des vieilles pédales et des autres créatures trans, intersexes, queer, genderfluid, genderfuck et j’en passe et des meilleures.

On trouve des Sœurs un peu partout dans le monde, aux États-Unis, en Europe, en Australie et en Amérique latine principalement. On peut se demander si on a des liens avec l’Église Catholique Romaine. Non. On n’a aucun lien avec l’Église. On en est seulement une parodie. On se voit comme des Sœurs pauvres et dérisoires, mais on n’a aucune confession. Il y a des Sœurs musulmanes, des Sœurs juives, des Sœurs chrétiennes, des Sœurs athées, des Sœurs païennes, des Sœurs sans doute bouddhistes, etc.

LESURS NAISSENT

Tout commence le dimanche de Pâques de l’an de grâce 1979. Les Sœurs sont nées quand 3 homosexuels s’ennuyaient à mourir et ont décidé d’aller faire les connes en costumes de Sœurs dans le Castro, le quartier gay de San Francisco. Elles débarquent dans les bars et finissent la journée sur la plage naturiste. Les gens les trouvent hilarantes et trouvent ça génial. C’était vraiment foutraque. Et parmi ça, il y avait aussi des gens qui leur disaient : « Ma Sœur c’est super que vous soyez là car je peux tout vous dire. Moi dans mon bled, les religieux c’est ceux qui voulaient ma mort. » Elles décident donc de recommencer, jusqu’à ce qu’elles se disent : « On tient un truc. Il y a un vrai besoin. » Elles vont créer l’ordre des Sisters of Perpetual Indulgence pour répondre à un besoin d’écoute et de reconnaissance au sein de nos communautés. Une des fondatrices est notre arrière-grand-mère, à toutes en France. À l’occasion d’un voyage à la capitale, elle a élevé sur le trottoir parisien les 3 premières Sœurs françaises qui fondent du coup le couvent de Paris [qui donnera lui-même naissance au couvent de Paname].

LAUR DEVIENTUR

Une future Sœur commence par postuler, C’est-à-dire qu’elle va frapper à la porte d’un couvent en disant « Waouh, c’est super ce que vous faites, je peux vous rejoindre ? » Si tout se passe bien, elle est reçue en entretien et elle est acceptée en tant que Postulante. La Postulante est en civil et elle accompagne les Sœurs pendant un certain temps qui peut prendre 3 à 12 mois. Dès ce moment, elle fait partie du couvent. Elle vient au chapitre donc à nos réunions menstruelles et aux actions : les sorties des Sœurs. Ça va être sa période test, ça va permettre au couvent et à elle-même de mesurer son implication et son envie de rentrer dans les Ordres et de voir si elle capte l’univers des Sœurs, le taf qu’on fait, etc. Si tout se passe bien, la Postulante va avoir une Marraine qui va proposer aux Sœurs élevées (le Conseil des Sœurs) de la faire Novice. Si oui, on fait une cérémonie : l’Élévation, qui a toujours lieu sur le trottoir, dans la rue, elle y prononce ses vœux et reçoit son voile de Novice. À partir de là, elle va vivre sa vie de personnage : elle va créer son maquillage, se fabriquer son costume, trouver un nom et commencer à faire le trottoir, à évoluer dans l’espace public à l’occasion des actions qu’on mène. Quand on est élevée Novice puis Sœur à la fin de la période de noviciat, on prononce nos vœux. Le credo des Sœurs, c’est promulguer la joie multiverselle et expier la honte stigmatisante. Dans notre couvent, on a six vœux : amour, joie et fête, droits à la différence, droit et devoir de mémoire, éducation/prévention VIH/sida et solidarité. Une Sœur qui n’est plus en activité reste une Sœur, car ses vœux sont perpétuels mais elle devient une Sœur congelée. La congélation, c’est la mise en congé, en repos, comme une retraite.

LESURS S’INCRUSTENT

On fait de la visibilité ! On s’incruste dans les bars ou dans les boîtes de nuit, on va dans les manifs, on va dans les festoches, des fois des fêtes de quartier, des fois des fêtes de petites villes. On va à la rencontre des gens. Il y a par exemple les maraudes, des sorties où on fait la tournée des bars et des backrooms. On peut les faire avec des bénévoles de Solidarité Sida ou d’autres associations qui ont leurs petits paniers pleins d’informations et de matériel de prévention ou de RDR [réduction des risques]. Et on échange avec les ouailles, on répond aux questions, on informe. Notre costume raconte un peu une histoire, et il nous sert pour créer un lien, les gens s’ouvrent plus facilement et ont plus de facilité à se livrer, iels savent qu’on peut tout dire à une Sœur. On fait aussi du plaidoyer politique ! Il ne se base pas tellement sur des statistiques qu’on peut aussi consulter, mais surtout sur le recueil du vécu réel des gens qui nous adressent la parole, qui nous partagent leur cœur, leurs intérieurs et leurs vécus.

On fait aussi des cérémonies. On va jouer la messe. On a par exemple exorcisé l’année 2020 ! [rires] C’était une cérémonie publique, sur la passerelle Léopold Sédar Senghor, juste avant la grande manif pour la PMA. On a voulu enlever tous les démons qui pesaient, toute la lourdeur, toute la pesanteur, toutes les incapacités, toutes les impossibilités que ces mois de confinement, d’isolement avaient imposées à nos existences.

LESURS SE CONFINENT

Le confinement ça a été très compliqué. Déjà parce que tous les lieux et les contextes où on intervenait n’étaient plus accessibles… Y avait plus de marche, y avait plus de manif, y avait plus de festival, y avait plus de bar, y avait plus de backroom, y avait plus de sauna et [rires] enfin tous les lieux où on va en fait ! On se retrouvait à se dire « Bah est-ce que ça vaut même le coup de faire un chapitre en Zoom [rires] pour se dire qu’on pouvait rien faire ? » Y a eu des actions en ligne, donc des apéros Zoom, des soirées de Noël, des trucs comme ça qui faisaient du bien, qui étaient super, qui était importantes, qui créaient une continuité et qui permettaient de toucher des personnes qui comptaient sur nous. Mais ouais, ça a vraiment été terrible pour notre activité et aussi pour les ouailles. Parce que quelque part, quand les Sœurs arrivent, il se passe quelque chose et quand les Sœurs sont revenues à la réouverture des lieux de convivialité LGBT, on le sentait : « Ah si les Sœurs reviennent, ça y est la vie revient. » Quelque part, on embarque une image qui nous dépasse et c’est assez magique, assez compliqué à comprendre parce que c’est assez mystérieux. C’est pas important de savoir quelle Sœur vient, une Sœur trimballe l’histoire de toutes les Sœurs avec elle. [Montée d’émotion] Il faut le rappeler : nos lieux de convivialité sont des lieux de vie, au sens fort de vie. Sans ces lieux on est isolé·es, nous les LGBTQI+, et seul·es, on meurt. Ces lieux sont essentiels.

LESURS VONT À CONFESSE

Cette image de la Sœur, elle va créer des situations, des rencontres, de la curiosité. Une des choses principales que l’on fait c’est de l’écoute. On va recevoir ce qu’on appelle nous, les confessions, c’est à dire des gens qui viennent se livrer, nous raconter des trucs. La personne peut nous raconter ses difficultés, ses joies, ses peines, ses peurs, ses angoisses, ses épisodes personnels, ses prises de conscience, ses rapports conflictuels à sa famille, à sa santé, à sa conso de produits, à son travail ou à ses voisin·es ou à sa vie de couple… On reçoit ça parce qu’on pense que c’est important d’offrir cette écoute neutre, bienveillante et non-jugeante. Et ça avec le plus de simplicité, de tendresse et de douceur possible. En fait, il y a beaucoup de gens qui n’y ont pas accès. Cette écoute, on peut l’accompagner de conseils où d’orientations quand les personnes ont des questions après une prise de risque, pour une pratique sexuelle mal gérée ou une complexité au travail, etc. Donc nous on peut réorienter vers des structures qui apporteront un soutien approprié.

Beaucoup des confessions fonctionnent parce que justement la personne, elle se dit pas qu’elle va nous revoir. On peut tout d’un coup livrer des choses qu’on n’aurait livrées à personne. Des fois c’est rigolo parce que le lendemain tu te retrouves dans une fête en civil et puis tu danses à 3 mètres d’une personne qui t’a raconté ses multiples tentatives de suicide et qui te reconnaît pas. Et ça, c’est merveilleux et c’est important. L’important, c’est être présent avec ce qui se passe. Quel est le besoin de la personne ici ? Comment je peux être, moi, en tant que Sœur, attentive aux besoins de la personne telle qu’elle les exprime et pas telle que moi je peux les imaginer. Nos cornettes, qui sont comme de grandes oreilles, quelque part représentent ce travail d’écoute de la parole de la rue, de nos ouailles, et c’est toujours confidentiel.

LESURS SE RESSOURCENT

Le séjour de ressourcement, les Sœurs le font et c’est une spécialité un peu française. En général, c’est 5-6 jours où on se retrouve à la campagne entre nous, avec entre 4 et 7 Sœurs, parfois plus et une quinzaine de ressourcé-es qui sont en général des personnes concernées par le VIH/sida d’une façon ou d’une autre, mais pas exclusivement. Se ressourcer, se recharger, relâcher un peu les défenses, relâcher un peu la pression, relâcher les soucis du quotidien. Donc ce sont des séjours qui sont encadrés un peu par la magie des Sœurs où très peu de choses sont formalisées. Au moins une fois par jour, on est toutes ensemble : au déjeuner. Et puis après c’est des activités, c’est des temps de massage, des temps de promenades, des temps d’ateliers, par exemple « décore ton pilulier avec des autocollants rigolos », de faire un peu de broderie ou de calligraphie… Y a des groupes de parole qu’on appelle les ateliers papotage qui sont des cercles de parole confidentielle, pour poser des choses intimes. On fait aussi la fête ! Les Sœurs sont là, souvent en costume, en grand tralala, mais parfois en demi-costume, parce que quand même se maquiller tous les jours, c’est un travail et on doit être là aussi pour les ouailles [rires] et pas que pour notre flamboyance. C’est des très, très bons moments, avec parfois des cérémonies du souvenir, pour faire de la place à la mémoire des personnes qui nous manquent, parce qu’elles sont parties au paradisco avant qu’on aurait voulu qu’elles partent, quoi. Et on rit beaucoup, on boit l’apéro, on fait des prières, on fait des jeux. Voilà, on déconne. C’est très beau et c’est très important.

Voilà les beautés, les amours, les chatons en sucre candy ! J’en ai déjà bien assez raconté, on se dit à bientôt sur le trottoir, et en attendant, rappelez-vous que les Soeurs vous aiment, que vous êtes belles et beaux zé bulles, et important-es. Prenez soin de vous !

De manière générique, les Sœurs se genrent au féminin quel que soit le genre de la personne derrière le personnage de la Sœur.

Pour aller plus loin :

→ Site du Couvent de Paname

→ Site du Couvent de Paris

Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Ressourcements, Laurent CATHERINE et Olivier TOURON, Éditions Alternatives, 2006.

Queer Nuns (en anglais), Melissa M. WILCOX, NYU Press, 2018.

Voir en ligne : https://pdlarevue.wordpress.com/2024/09/19/des-soeurs-tres-soignees

Notes

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