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Belgique : Une démocratie défaillante

Belgique : Une démocratie défaillante

En décembre 2021, la Belgique passe de démocratie « ouverte » à « limitée », selon un classement établi par l’ONG CIVICUS, qui mesure notamment le respect par les États de la liberté d’expression et du droit de réunion des citoyens. Il existe de nombreux classements de ce type, établis par diverses associations et basés sur des mesures différentes, mais les conclusions y sont unanimes : la Belgique (et la plupart des États occidentaux) font face depuis quelques années à une tendance autoritaire.

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La catégorie « démocratie limitée » implique que les libertés démocratiques fondamentales sont respectées mais que des cas de violations sont connus. Selon une porte-parole de CIVICUS [1], la cause principale de cette détérioration serait la manière dont les autorités ont répondu aux manifestations récentes, abusant de la force et de la détention arbitraire de manifestant.e.s. Le fait que les violences policières semblent particulièrement viser des communautés issues de l’immigration et marginalisée est également pointé du doigt, y compris par le comité des Nations Unies pour l’élimination des discriminations raciales (CERD).

Un autre indicateur incontournable est celui du journal britannique The Economist, qui publie son classement annuellement depuis 2006 (basé, en plus du respect des libertés fondamentales, sur des critères plus institutionnels comme l’alternance des partis au pouvoir ou le respect des minorités) : en 2021 la Belgique y est classée comme « démocratie incomplète » [2], avant-dernière du classement de toute l’Europe occidentale, juste avant la Grèce… A nouveau l’usage abusif de la force par les autorités et des règles sanitaires attentant aux libertés fondamentales sont mises en cause.

Tous classements confondus, les critères qui justifient cette baisse dans le classement concernent la manière dont les états gèrent les crises socio-politiques : Dès 2008 et la crise économique mondiale qui frappe de plein fouet les classes populaires et moyennes, de nombreux mouvements sociaux émergent et manifestent massivement leur rejet des mesures d’austérité, en Europe, et des inégalités inhérentes au système capitaliste, partout dans le monde. Ces manifestations sont généralement réprimées dans la violence et font office de précédent dans la doctrine du maintien de l’ordre, chaque mouvement social ou manifestation de la décennie suivante (Loi Travail ou Gilets Jaunes en France et en Belgique, grèves, ZAD, etc.) se terminant systématiquement par des violences policières et des arrestations arbitraires. [3]

Un autre problème de fond qui amène à cette dérive autoritaire est la gestion des flux migratoires. En forte augmentation depuis 2015 [4], ces flux déclenchent des réaction médiatiques horrifiées de la part des nationalistes et des racistes, et instillent un climat de méfiance et de xénophobie au sein d’un partie de la population. La police, elle-même garante d’un système structurellement raciste, n’est pas épargnée par cette tendance et les actes de discrimination raciales se multiplient, amplifiés par leur médiatisation croissante. [5]

En 2020 c’est une nouvelle crise qui frappe le monde : l’épidémie de Covid-19. La maladie encore inconnue, la saturation des hôpitaux et le manque de moyens alloués à la santé publique – conséquence de décennies de politiques libérales d’austérité – amènent les gouvernements européens à limiter gravement les libertés fondamentales afin de juguler la transmission du virus. Si ces mesures autoritaires sont relativement acceptées par la population lors des premiers mois, elle finit par massivement protester contre des règles brutales, souvent iniques et issues de calculs politiques peu liés à la gestion de l’épidémie. A nouveau ces manifestations portant sur les libertés fondamentales, comme les rassemblements de jeunes dans les parcs, sont le théâtre de violences policières et d’arrestations arbitraires.

Il est utile de rappeler le rôle ambivalent de la justice : alors que les magistrats dénoncent souvent la dérive autoritaire, notamment lorsque les lois sont bafouées ou que les financements de la justice sont revus à la baisse [6] ; ils participent aussi activement à celle-ci, en protégeant les policiers accusés de bavures. En effet, si les magistrats sont les garants d’une bonne application de la loi, et contrôlent donc le travail de la police, ils dépendent aussi de cette dernière pour faire leur travail. Ainsi, il est tentant pour certains juges de protéger leurs « collègues » de terrain, en minimisant leurs actes ou en abandonnant les charges : l’exemple du policier ayant tiré sur une camionnette et tué sur le coup la petite Mawda, puis condamné à de la prison avec sursis (il n’ira donc jamais derrière les barreaux) [7] fait à ce niveau écho aux policiers ayant percuté le jeune Adil, qui ont bénéficié d’un non-lieu. [8]

Enfin la multiplication et la médiatisation de ces violences policières, souvent minimisées ou justifiées par les autorités, entraîne une réaction dans la population, qui proteste cette fois directement contre les violences policière et l’impunité flagrante dont leurs auteurs bénéficient. A leur tour ces protestations conduisent à une répression violente, la police démontrant à nouveau sa remarquable incapacité à l’auto-critique.

Au fond ces trois crises conjuguées ne font que démontrer la faiblesse de nos système « démocratiques » qui ont en réalité beaucoup de mal à accepter la contestation de leur modèle socio-économique. La participation citoyenne et la liberté d’expression ne sont acceptées que tant qu’elles vont dans le sens de l’idéologie libérale : économie de marché, dérégulation financière, concurrence mondialisée, repli communautaire déguisé en mesures de bon sens, etc. Luttez contre ces postulats et l’État n’hésitera pas à vous qualifier d’ennemi de ses valeurs « démocratiques » et à vous calmer à coups de matraque.

PS : Difficile d’accuser ces organismes de « classement démocratique » d’être biaisés politiquement, en tout cas ils sont loin d’être révolutionnaires, voire des institutions de l’ordre établi : CIVICUS se présente comme une association de promotion de la démocratie, et considère qu’une société saine devrait parvenir à équilibrer parfaitement l’influence de l’État, du secteur privé et des la société civile. Elle est financée principalement par des agences gouvernementales ou des fondations privées. Le CERD est un organisme officiel de l’Organisation des Nations Unies, qui est tout simplement la principale organisation internationale représentative de tous les États, ses analyses font donc autorité. The Economist est un journal économique ouvertement libéral (sur le plan économique mais aussi politique) très respecté, et son classement annuel est considéré comme très fiable par les politologues.

Crédit photo : Oona Mittig & Tom Belenger

Notes

[1Lauren Walker « Belgium loses top position in global civil rights rating » The Brussels Times 8 decembre 2021 (https://brusselstimes.com/belgium/196668/belgium-loses-top-position-in-global-civil-rights-rating)

[2The Economist Intelligence Unit : Democracy Index 2020 : In sickness and in Health ? (eiu.com)

[4Euro-parliament News « La crise migratoire en Europe » commehttps://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20170629STO78631/la-crise-migratoire-en-europe

[5Bruxelles Dévie « Police : au moins 4 morts suspectes en 2020 en Belgique »

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