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[Carte Blanche] L’Office des Étrangers n’hésite pas à enfermer des parents et séparer des familles

[Carte Blanche] L’Office des Étrangers n’hésite pas à enfermer des parents et séparer des familles

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Update : la personne citée dans l’article a depuis été libérée.

LIBERTÉ POUR TOUSTES !

On n'enferme pas un enfant. Point.

« On n’enferme pas un enfant. Point. »
La formule, érigée en rempart contre la détention de familles avec enfants en vue de faciliter leur expulsion, avait marqué de son emprunte l’ère de la Suédoise et du secrétaire d’Etat à la Migration, Théo Francken (N-VA), en finissant par tracer une ligne rouge, d’ailleurs reprise dans l’accord de gouvernement de la Vivaldi : « Des mineurs ne peuvent pas être détenus en centre fermé. »

Mais qu’en est-il lorsqu’un parent est détenu en centre fermé sans ses enfants dans la perspective d’une expulsion collective de l’ensemble de la famille ?
Le cas de Camilla* une femme de 25 ans, mère de deux enfants de 1 et 6 ans, eux aussi sans titre de séjour, tout comme leur père, provoque aujourd’hui l’indignation de 14 associations cosignataires d’une carte blanche transmise au Soir, parmi lesquelles la Ligue des Droits Humains, Défense des Enfants International ou encore le Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers).

Née en Italie en 1998 d’une mère d’origine yougoslave, Camilla* assure séjourner en Belgique depuis 2012, où elle vit de débrouille avec le père de ses enfants, lui aussi en situation irrégulière. Le 28 avril dernier, elle a été interpellée par la police à Bruxelles, sur base d’un contrôle d’identité.
Le lendemain, constatant qu’elle ne s’était pas pliée à une précédente décision d’expulsion datée de 2022, l’Office des Etrangers (OE) lui notifiait un ordre de quitter le territoire « avec maintien », soit privation de liberté.
Elle était envoyée dans la foulée au centre fermé pour femmes d’Holsbeek après avoir pourtant, dit-elle, notifié aux services l’existence de ses enfants, demeurant seuls avec leur père depuis lors.
C’est derrière ces murs qu’elle a par ailleurs appris qu’elle était enceinte (à l’heure actuelle, de 8 semaines), rapporte-t-elle au Soir, qui a pu s’entretenir avec elle par téléphone.

Dans sa décision d’éloignement, citée dans un arrêt rendu le 5 juin dernier par la Chambre des mises en accusation (devant laquelle Camilla a contesté sans succès sa détention, après avoir déjà échoué à obtenir gain de cause devant la Chambre du conseil) et que Le Soir a pu consulter, l’OE expose sa volonté de ne pas uniquement expulser la mère, seule à être privée de liberté pour l’instant, mais bien « toute sa famille. » « La famille complète peut se construire un avenir dans son pays d’origine. Toute la famille devra quitter la Belgique », juge l’Office.

Reste à savoir de quel pays d’origine on parle. Le même arrêt de la Chambre des mises en accusation rappelant que la mère demeure de « nationalité inconnue ».

Ce qui n’a pas empêché l’OE d’estimer, du moins dans un premier temps, que la destination tout indiquée pour la famille devait être la Serbie. Le 11 mai dernier, une « demande de réadmission » a ainsi été envoyée à cette fin aux autorités consulaires de ce pays. « Mais ils ne peuvent pas m’expulser là-bas », conteste l’intéressée, qui se déclare apatride. « Je n’ai aucun papier dans aucun pays. » En attendant, Camilla reste donc en « stand-by », écartée de ses enfants. « Ils me réclament beaucoup, mais je ne veux pas qu’ils me voient ici car cela va les angoisser. »

Une « prise d’otage » ?

Pour Me Selma Benkhelifa, qui défend les intérêts de Camilla et qui tire ici la sonnette d’alarme, le cas représente un précédent dangereux et choquant. « C’est la première fois que j’entends que l’on détient de la sorte un parent sans ses enfants », assure même cette avocate spécialisée en droit des étrangers.

Sotieta Ngo, directrice générale du Ciré, évoque avec la même indignation « une pratique qui n’est pas inconnue, mais qui était devenue complètement inhabituelle » depuis longtemps, et plus spécifiquement depuis la création en 2008, sous Annemie Turtleboom (Open VLD, alors ministre en charge de la Migration), des « maisons de retours ». A savoir ces logements en régimes semi-ouverts destinés à maintenir un contrôle sur les familles en attendant leur expulsion, sans les priver totalement de leurs mouvements.

Lui aussi informé de la situation depuis la mi-mai, Solayman Laqdim, Délégué Général aux Droits de l’Enfant, abonde lui aussi dans le même sens en dénonçant une situation qu’il décrit comme « ni normale, ni juste ». « Aujourd’hui, la règle de manière générale est d’aller vers des maisons de retour afin de respecter le principe de la Convention internationale des droits de l’enfant selon lequel parents et enfants ne doivent pas être séparés contre leur gré, sauf si cela est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.  »

Appuyée par le collectif de signataire, l’avocate de la famille soutien que la décision de priver des enfants d’un ou plusieurs de leurs parents entre non seulement en contradiction avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (qui consacre le droit au respect de sa vie privée et familiale) mais aussi avec la jurisprudence belge du Conseil d’Etat. Lequel avait, en 2016, rendu un arrêt annulant l’article d’un projet d’arrêté royal de 2014 consacrant la possibilité alternative d’enfermer un parent en centre fermé pour éviter de devoir détenir une famille entière avant une expulsion.

Pour la haute juridiction administrative « une telle mesure » apparaissait alors comme « disproportionnée par rapport au but poursuivi ». Sauf, précisait-elle en usant de mots forts, « à imaginer, ce qui est à l’évidence inconcevable, que la partie adverse (l’Etat belge dans le cas présent, NDLR) entendrait de la sorte retenir un membre de la famille en "otage" pour s’assurer que le reste de la famille se soumettra à la mesure d’éloignement afin de récupérer le membre de la famille retenu ».

Pour le collectif de signataires, c’est ainsi très clair : « Cette maman détenue à Holsbeek est un "otage" selon les mots du Conseil d’Etat. Cette pratique paraissait inconcevable en 2016 mais s’est réalisée aujourd’hui. L’Etat belge a le devoir et l’obligation de protéger les enfants, tous les enfants. Il a aussi l’obligation de tenir compte de leur intérêt dans toutes les mesures qu’il prend. Même si la famille est en séjour illégal. La politique migratoire ne peut pas primer sur l’intérêt supérieur de l’enfant. »

Les contradictions de l’Office

A l’Office des étrangers, on réplique en assurant ne pas prendre le sujet des liens familiaux à la légère. Tout en remettant en cause la condition de mère de Camilla. « Lors de toute interception, la personne est soumise à un formulaire qui contient notamment des questions sur la situation familiale de l’intéressé. Ici dans le cas présent, l’intéressée n’a jamais déclaré lors de son arrestation qu’elle avait deux enfants », évoque Dominique Ernould, porte-parole de l’Office, dans une réponse écrite envoyée au Soir. « Nous ne pouvons donc pas, à l’heure actuelle, dire s’il s’agit bien de la mère des deux enfants. » Un propos qui semble toutefois entrer en contradiction avec la décision de l’OE évoquée dans l’arrêt de la Chambre des mises en accusation et citée plus haut dans cet article. Une décision mentionnant bien une volonté d’expulser « toute la famille » de l’intéressée.

L’Office des Etrangers assure pour le reste ne pas avoir pris de décision définitive quant à cette expulsion, faute de certitudes sur la destination. « Les recherches concernant l’identification de la personne sont en cours auprès des services compétents de l’Office des étrangers. Il est donc prématuré de répondre à la question d’un rapatriement et vers un pays en particulier. »

Une position actuelle qui, là encore, n’a pas empêché l’Office des étrangers d’introduire une demande à la Serbie il y a plus de trois semaines en vue d’une expulsion. Ni de maintenir Camilla, en attendant, derrière les murs d’Holsbeek, à son grand désarroi. « On me retient ici enfermée ici, sans que je ne sache pourquoi, » déplore-t-elle. « Ici, je ne mange pas bien, et pour ma grossesse, j’ai beaucoup de stress, car je sais qu’il y a des maladies qui circulent. Ma tension était à neuf, hier. Les docteurs m’ont dit que ce n’était pas normal. »


* Prénom d’emprunt

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