Le dimanche 12 octobre 2025 aura lieu une discussion intitulée « Vies et morts du dialogue social » au Théâtre National, dans le cadre du Festival des Libertés qui propose documentaires, discussions, théâtre, concerts. Cette édition met le thème du « dialogue » à l’honneur, rappelant que la paix sociale « suppose pourtant cette confrontation d’idées et la pratique du débat ».
Le site du festival explique que l’obligation de devoir « choisir son camp » peut empêcher de « dialoguer, de nuancer, d’argumenter, de s’écouter ». Mais alors que l’événement se veut un espace de réflexion sur la parole partagée et la démocratie, la présence du ministre Denis Ducarme (MR) pose question : comment évoquer l’art du dialogue avec celui qui, par ses propositions de loi contribue à restreindre la liberté d’expression et la pluralité des voix ?
Pour explorer la « capacité réelle du dialogue social à représenter toutes les voix », la discussion réunit analyses syndicales, patronales, gouvernementales et témoignages du terrain. Parmi les intervenant·es annoncés figurent Thierry Bodson (président de la FGTB), Céline Nieuwenhuys (secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux), Felipe Van Keirsbilck (secrétaire général de la Centrale nationale des employés, CNE) et Denis Ducarme (député fédéral, président de la Commission affaires sociales de la Chambre des représentants), ainsi que des interventions et témoignages de travailleur·ses.
Inviter Denis Ducarme à une discussion sur le dialogue social est paradoxal. En effet, ce ministre du Mouvement Réformateur est l’auteur de propositions de loi qui, précisément, réduisent l’espace d’expression démocratique. Depuis plusieurs années, il défend des textes comme la « loi Ducarme » ou l’avant-projet de « loi dissolution » appelé également « loi Quintin », qui visent à dissoudre des associations pour leur positionnement politique sans passer par un juge, et vont bien au-delà de ce que le droit belge punit réellement. Les organisations et associations citées comme étant les cibles de cet avant-projet de loi sont autant des organisations pro-palestiniennes que des associations antiracistes ou musulmanes : Samidoun, Code Rouge ou encore les Soulèvements de la Terre.
Denis Ducarme, le libéral qui voulait dissoudre les associations propalestiniennes
En février 2021, après la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Denis Ducarme a réagi à l’installation à Bruxelles du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), déclarant que « la Belgique ne peut redevenir une zone de repli pour les islamistes ». Il proposait alors une loi, connue sous le nom de « loi Ducarme », visant à modifier la loi belge sur les milices pour permettre au pouvoir exécutif de dissoudre des associations jugées « incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence ». Si le texte évoque les groupes d’extrême-droite, il cite également la dissolution du CCIF comme exemple, suggérant une volonté de viser aussi des organisations antiracistes ou musulmanes.
Début 2024, Ducarme a présenté un amendement* visant les mouvements pro-palestiniens, dont Samidoun, un réseau international de soutien aux prisonnier·es politiques palestinien·nes très actif en Belgique. Cette proposition n’a pas été votée en raison de nouvelles élections.
L’actuel gouvernement présente désormais un projet de « loi dissolution » également appelé « Loi Quintin » présenté par Bernard Quintin (MR) avec le soutien de Denis Ducarme, permettant de dissoudre des organisations qui, selon eux, prônent la haine ou la violence, soutiennent le « terrorisme » (matériellement ou symboliquement), participent à des actes de sabotage, ou cherchent à « infiltrer » les institutions de manière organisée.
Or, la plupart des activités mentionnées, comme le soutien matériel au terrorisme, sont déjà punissables en droit belge. Ni Samidoun ni les autres organisations concernées n’ont été condamnées, précisément parce qu’elles n’ont commis aucun délit ou crime. L’enjeu pour le gouvernement est donc de dépasser le cadre légal pour dissoudre des organisations non pas parce qu’elles sont illégales, mais parce que leur fonctionnement ou leur positionnement politique déplaît au pouvoir, ce qui constituerait un outil autoritaire et anti-démocratique.
L’avant-projet de loi doit encore être validé par le Conseil d’État et voté au Parlement. Il prévoit des dissolutions administratives à l’initiative du gouvernement, sans passer par un juge, donc en dehors de toute procédure judiciaire. L’IFDH, l’Institut Fédéral des Droits Humains, a rendu un avis défavorable sur le texte, le jugeant dangereux et anticonstitutionnel. Il est passé en première lecture avant les vacances et devrait être soumis au Parlement avant la fin 2025.
Nier un génocide, nier des voix : Quel dialoque espérer avec quelqu’un qui n’écoute pas ?
En plus de ses propositions de loi, Denis Ducarme s’est fait remarquer pour ses positions négationnistes quant au génocide en cours en Palestine.
Le 23 juin dernier, au Conseil communal de Charleroi, une motion a été adoptée pour condamner « des actes qui représentent des caractéristiques s’apparentant à un génocide » en Palestine. Denis Ducarme a été le seul à s’y opposer, arguant : « Vous parlez du génocide. Vous parlez d’apartheid. Il n’y a aucune preuve par rapport à un génocide ou par rapport à un apartheid. » Or, de multiples organisations internationales, dont Amnesty International, Human Rights Watch, ainsi que le Rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés (Michael Lynk), ont documenté l’existence d’un régime d’apartheid. Contester ces rapports, c’est nier les conclusions du droit international et les voix des peuples qui en subissent les conséquences.
Comment parler de dialogue social avec quelqu’un comme Denis Ducarme, alors même qu’il défend des projets de loi visant à dissoudre des associations et organisations pour leur positionnement politique et refuse d’entendre certaines voix ?
Le dialogue social repose sur l’échange, la reconnaissance des différentes voix et la possibilité de faire entendre ses revendications. Or, en soutenant des dispositifs qui permettent au pouvoir d’étouffer la contestation, Denis Ducarme participe à affaiblir ce même espace démocratique qu’il prétend défendre. En niant le génocide et l’apartheid en Israël Palestine, il participe à une désinformation délibérée et empêche un débat fondé sur la vérité, condition essentielle à la liberté d’expression.
Inviter une personne qui défend de telles mesures à une conférence sur le dialogue social soulève une contradiction évidente : comment discuter de justice collective et de représentativité si on légitime des pratiques qui étouffent certaines voix au lieu de les inclure ? Le dialogue ne peut pas se réduire à une vitrine où l’on invite à parler ceux et celles qui cherchent ensuite à faire taire les autres.
Ce prétendu dialogue social apparaît en réalité comme une mise en scène : il transforme les conflits et les actions militantes en quelque chose de négatif, répréhensible ou purement émotionnel, tout en valorisant un dialogue officialisé qui, souvent, reste inégalitaire, inefficace et vain. Ce dialogue sert alors surtout d’alibi à l’ordre dominant : ses promoteurs du dialogue peuvent affirmer que tout reste ouvert au débat et à la consultation, laissant croire qu’aucune contestation n’est nécessaire. Pendant ce temps, ceux et celles qui luttent concrètement pour un monde plus juste voient leurs voix criminalisées et leurs actions réprimées par le gouvernement. Ces personnes qui luttent ne sont par ailleurs pas conviées au Festival des libertés. Le débat et le dialogue se feront sans elles, mais bien avec celui qui les censure.
Sources :
Festival des Libertés, https://www.festivaldeslibertes.be/2025/fase6?event=25034&_Debat__Vies-et-morts-du-dialogue-social-__#25034 Ducarme, le libéral qui rêvait de dissoudre les mouvements antiracistes et propalestiniens
Revue Politique, https://www.revuepolitique.be/quand-denis-ducarme-mr-relaie-la-propagande-disrael/



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