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Il y a 20 ans, Un fasciste assassinait Habiba et Ahmed à Schaerbeek

Il y a 20 ans, Un fasciste assassinait Habiba et Ahmed à Schaerbeek

Le 7 mai 2002, un crime raciste secouait la commune de Schaerbeek. Habiba El Hajji et Ahmed Isnasni, parents de cinq enfants, sont assassinés par leur voisin militant d’extrême droite. Vingt ans plus tard, la fondation Habiba Ahmed, fondée par Kenza Isnasni, la fille des victimes de ce crime odieux, organise une marche commémorative, ce samedi 7 mai 2022 à 11h30, rue Vanderlinden à Schaerbeek.

Cet article a pour but de revenir sur les événements, ses acteurs, d’expliquer son contexte, et de souligner l’ampleur alarmante qu’a pris l’islamophobie et les violences d’extrême-droite en Belgique et en Europe 20 ans après les faits.

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Le voisinage se recueille au lendemain de l’assassinat d’Habiba et d’Ahmed, rue Vanderlinden à Schaerbeek.

Un homme raciste

Le 7 mai 2002, rue Vanderlinden à Schaerbeek, en pleine nuit, un homme s’introduit avec une arme à feu chez ses voisins, une famille d’origine marocaine. Il tue les parents. Les quatre enfants présents réussissent à s’échapper, deux sont blessés . L’assassin se retranche chez lui, un étage plus haut, boute le feu à son appartement et se met à tirer depuis son balcon sur les voisins accourant et les pompiers. Touché par une balle policière, il meurt dans l’incendie.

L’assassin, Hendrik Vyt, 79 ans au moment des faits, était connu pour être un militant suprémaciste blanc qui terrorisait tout le voisinage. Durant les années où cette famille a dû cohabiter avec Vyt, Ahmed Isnasni, Habiba El-Hajji et leurs enfants n’ont eu de cesse d’essayer d’alerter les autorités (flics, commune et propriétaires des lieux) de ses comportements violents et racistes. Ces tentatives se sont heurtées à une indifférence générale et chronique. Jusqu’au rapport final du comité P saisit du dossier, les flics qualifieront les faits de querelle de voisinage.

Avant elleux, plusieurs familles avaient déménagé de l’immeuble ou même du quartier pour fuir la violence d’Hendrik Vyt. Tout le voisinage subissait ses injures et ses agressions racistes quotidiennes. Plusieurs personnes avait été blessées et mutilées par le tueur avant ces meurtres. Un jeune homme avait notamment perdu un œil après s’être fait tabasser à coup de chaîne, un autre avait reçu un coup de couteau. Vyt était connu pour lâcher son berger allemand sur les jeunes du quartier. À l’époque des faits, la famille Isnasni/El-Hajji se sentait en danger et cherchait à quitter le quartier.

Les voisin.e.s et les pouvoirs publics savaient l’homme armé. Une arme à feu avait d’ailleurs été saisie à son domicile par les flics quelques temps avant les événements du 7 mai 2002.

Quelques heures avant les actes meurtriers de Vyt, des flics étaient intervenus sur les lieux suite à une énième agression. Ces derniers s’en étaient allé, sans réagir aux insanités racistes proférées en leur présence, après avoir sermonné le tueur.

Hendrik Vyt était un militant fasciste notoire, membre de la section schaerbeekoise du Vlaamse Blok, parti néo-fasciste flamand qui tentait alors de s’implanter à Bruxelles.

Cette cellule fasciste locale était menée par Johan Demol, également un néo-nazi notoire, ancien Commissaire de la police de Schaerbeek, qui siégeait à la commune au moment des faits. Auparavant, Demol avait été viré de la police après avoir dû reconnaître qu’il avait fait partie dans sa jeunesse d’une milice néo-nazie.

Alors que Vyt disait avoir le bras long et revendiquait ainsi son impunité latente, le voisinage était témoin des visites régulières de Demol chez l’assassin.

Johan Demol sur une affiche de propagande du Vlaams Blok. « Droit à la sécurité »

Dans un reportage datant de 1998 qui suit la section schaerbeekoise du Vlaams Blok, Hendrik Vyt y apparaît comme l’un des membres réguliers. Dans les extraits sidérants de ce document, il interpelle le journaliste et vomit longuement sa prose raciste, au côté d’un Johan Demol gêné par l’absence de filtre de son militant.

Sources : [1] ; [2] ; [3] ; [4] ; [5]

Une société raciste

Non, Hendrik Vyt n’était pas un ‘déséquilibré’ isolé, un ‘forcené’ ayant cédé à la violence lors d’un conflit de voisinage. Ses actes s’inscrivent dans le contexte politique de l’époque et dans une société où l’islamophobie était déjà structurellement enracinée.

Après le 11 septembre 2001, seulement un an et demi avant les faits, une déferlante islamophobe s’abattait sur les pays occidentaux. La peur et la haine des musulman.e.s s’établissait désormais comme un fond de commerce électoral toléré et relayé par les classes sociales bourgeoises et leurs médias. Les partis d’extrême-droite progressaient en Belgique [6], mais encore plus radicalement aux Pays-Bas et en France. Deux jours avant la tuerie de la rue Vanderlinden, Jean-Marie Le Pen perdait les élections présidentielles après avoir galvanisé tous les réactionnaires fascistes de France et d’Europe par sa percée électorale. Hendrik Vyt était de ceux-là, il fantasmait la victoire du porc Le Pen. Le contre-coup de cette défaite politique paraît d’ailleurs être l’un des éléments qui a déclenché le passage à l’acte meurtrier de Vyt. Il avait déclaré la veille de son crime : « Puisque Le Pen n’a pas été élu, nous allons nous débarrasser de ça nous-mêmes avec une kalachnikov ! ».

Percée éléctorale de JM Lepen au second tour des éléctions présidentielles françaises le 21 avril 2002.

Presque quatre ans jour pour jour après les faits, le 11 mai 2006, la terreur suprémaciste blanche frappe de nouveau en Belgique. Hans Van Themsche, un jeune fasciste issu d’une famille nationaliste flamande, déambule dans les rues d’Anvers armé d’un fusil avec comme objectif de « tuer des étrangers ». Oulematou Niangadou et Luna, une petite fille qui se trouvait sous sa garde au moment des faits, ont le malheur de croiser sa route. Il les assassine et blesse grièvement une autre passante.

Depuis, la fréquences des actes et crimes racistes, notamment envers les personnes identifiées comme étant de confession musulmane, est en hausse dans les pays occidentaux. Le terrorisme d’extrême-droite est en plein essor.

Il est primordial de replacer tous ces crimes racistes dans leur contexte sociétal et de lutter ainsi contre le traitement médiatique qui ne fait que minimiser voir invisibiliser la portée systémique de ces actes de terreur. Ces crimes ne sont pas seulement le fait d’individus isolés, mais bien le fruit d’une société toute entière, profondément raciste [7].

Vingt ans plus tard

Malgré les mobilisations importantes en mémoire des victimes et contre le racisme et l’islamophobie qui eurent lieu les jours suivant le 7 mai 2002, l’état des lieux vingt ans plus tard est glaçant.

Vingt ans plus tard, le racisme d’état des ‘démocraties’ libérales occidentales continue de prospérer. Les institutions d’État, racistes, continuent de marginaliser les populations pauvres d’origines immigrées. Le système carcéral, raciste, continue de broyer les couches les plus pauvres de la société. Les forces de coercition policières, racistes, continuent de rafler les personnes migrantes, continuent de tuer chaque année des personnes d’origines immigrées en toute impunité.

Vingt ans plus tard, en Belgique et plus largement en Europe, la montée des extrêmes-droites et des idéaux fascistes dans l’échiquier politico-médiatique semble exponentielle. Les partis politiques réactionnaires et xénophobes s’emparent peu à peu du pouvoir politique. En 2014, la NVA prend part au gouvernement belge, et on voit des fascistes en col blanc [8] occuper des fonctions ministérielles.

Jan Jambon lors d’un discours de Jean-Marie Le Pen pour le Club de débat national flamand d’extrême droite à Anvers (1996). Pas seulement en tant qu’auditeur…

En 2019, Le Vlaams Belang [9] fait son come-back, et devient le deuxième parti de Flandres. Les crises migratoires successives de ces dernières années, ainsi que les attaques terroristes à Paris et à Bruxelles, ont été et sont continuellement instrumentalisées par les propagandistes d’extrêmes droite pour attiser toujours un peu plus le racisme et l’islamophobie. Les concepts de « grand-remplacement » et une quantité d’éléments de langage fascistes ont fait leur chemin et sont maintenant brandis, normalisés, par des membres de partis politiques traditionnels. Tous ces principes racistes, qui infusent maintenant depuis une trentaine d’années dans les sociétés occidentales, ont finit par donner le ton du débat public d’aujourd’hui. Les flics et les militaires [10] [11], traditionnellement conquis par les idéologies xénophobes et racistes, incarnent une des bases électorales solides de l’extrême droite insitutionalisée. Ces dernières années, on a pu voir à plusieurs reprises des groupes fascistes organisés prendre confiance et descendre dans les rues de Bruxelles, ici, ou encore .

Saluts nazis lors d’une manifestation du Vlaams Belang le 27/09/20 à Bruxelles.

Tous ces discours, toutes ces paroles et toutes ces idées racistes ont des conséquences. Ces conséquences ce sont des violences d’abord institutionnelles, des insultes, mais aussi du harcèlement et des agressions [12] [13] [14] [15], des meurtres, et des tueries de masse.

L’islamophobie et toutes les formes de racisme ne sont pas des opinions, ce sont des idées dont la finalité politique matérielle est de terroriser, de soumettre par la violence et d’exterminer des pans entier de notre société.


Vingt ans plus tard, une marche est organisée pour la mémoire d’Habiba El Hajji et d’Ahmed Isnasni, ce samedi 7 mai 2022 à 11h30, rue Vanderlinden à Schaerbeek.

Au lendemain des élections françaises, et plus largement au vu de l’actualité politique, commémorer ce drame survenu il y a 20 ans est d’une importance vitale. Cela permettra à tous et toutes de se rappeler les conséquences meurtrières des idéologies racistes et haineuses. De se rappeler qu’il est urgent de s’organiser pour s’y opposer radicalement. Ce sera l’occasion de briser le silence et l’indifférence auxquelles les victimes de l’islamophobie et de toutes les formes de racismes font face, et d’exprimer de la solidarité avec la famille des victimes. Pour ces raisons, soyons nombreu.x.ses à nous rendre à cette mobilisation.

Habiba, Ahmed, On n’oubliera jamais.

Ahmed Isnasni et Habiba El Hajji

Notes

[7Dans le contexte de la Belgique, le racisme est une construction historique, née avec l’esclavage et la colonisation. La hiérarchisation raciale était alors appuyée sur des critères pseudo-scientifiques. Ces critères biologiques ont été remplacés, au milieux du siècle dernier, par des critères culturels.

Le racisme est dès lors un système de domination dans lequel s’exerce :

  • un racisme structurel et institutionnel, qui justifie une exploitation économique et sociale spécifique au sein du système capitaliste, le tout encadré et alimenté par l’État.
  • un racisme idéologique, diffusé par l’éducation et la culture, construisant l’ensemble des individu.e.s dans des rapports de domination entre personnes blanches et personnes non blanches.

Le racisme n’est pas seulement moral, il s’agit d’une structure sociale enracinée dans les rapports économiques et entretenue par les politiques institutionnelles et les médias dominants. Le racisme est assumé, revendiqué et projeté comme modèle de société par les idéologies fascistes.

[8Notamment le secrétaire d’État à l’Asile et aux MigrationsThéo Francken à l’immigration et le ministre de l’Interieur Jan Jambon [[https://krismerckx.be/2014/12/21/jambongate-de-documenten-en-fotos-die-voor-zich-spreken/

[9En 2004 Le Vlaams Blok, après une victoire éléctorale massive la même année, est poursuivi pour racisme et xénophobie, ce qui peut conduire à l’interdiction du parti. Le parti se dissout de lui-même et se refonde sous le nom de Vlaams Belang. Avec la montée en puissance de la NVA, le parti fasciste connaît en déclin constant jusqu’aux éléctions fédérales de 2019.

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