Comment le gouvernement veut justifier la réforme chômage par des manipulations racistes – Analyse
« Plus de la moitié des chômeurs exclus ne sont pas Belges. » En quelques heures, cette affirmation du ministre David Clarinval et la une de Sudinfo sur le sujet ont lancé une polémique raciste. Problème : c’est faux. Les vrais chiffres ? 80,8% des futur·es exclu·es sont de nationalité belge. Et quand bien même ils et elles seraient d’origine étrangère, cela justifie donc de les exclure de leur droit d’allocation de chômage ?
Derrière cette manipulation des chiffres, se cache une stratégie délibérée : instrumentaliser le racisme pour faire passer une réforme brutale qui précarisera jusqu’à 200.000 personnes. Décryptage d’une manipulation qui cumule tous les poisons : mensonge statistique, stigmatisation raciste et mépris de classe.
Sudinfo titre : « 57% des exclus du chômage ne sont pas Belges« . Le ministre Clarinval (MR) affirme sur Bel RTL que « moins de la moitié sont Belges« . George-Louis Bouchez, président du MR, partage l’information en évoquant « l’argent de notre sécurité sociale envoyé à l’étranger« . Et voilà, la machine médiatique est lancée sur une polémique raciste montée de toute pièce.
C’est faux. Triplement faux. Premièrement, les chiffres réels de l’ONEM : 80,8% des personnes qui seront exclues du chômage sont de nationalité belge. Seuls 19,2% sont de nationalité étrangère. Deuxièmement, le ministre et plusieurs médias confondent délibérément « origine étrangère » et « nationalité étrangère ». Une personne « d’origine étrangère » selon la définition utilisée, c’est quelqu’un dont un seul des quatre critères suivants n’est pas belge : la première nationalité du père, de la mère, sa propre première nationalité, ou sa nationalité actuelle. Autrement dit, le Roi des Belges Philippe lui-même serait considéré comme « d’origine étrangère » puisque sa mère, la reine Paola, est née italienne. Troisièmement, ces statistiques ne concernent même pas les personnes réellement exclues cette année, mais une extrapolation appliquant la répartition générale des chômeurs en 2023 aux futur·es exclu·es.
L’usage sémantique même du terme « origine étrangère » n’a rien d’innocent. Il exploite consciemment un raccourci mental ancré dans « l’imaginaire collectif » raciste : celui qui associe automatiquement « étranger » aux populations extra-européennes, aux personnes racisées non blanches donc.
Pourtant, dans les chiffres cités la majorité des Belges « d’origine étrangère » sont issus de l’Union européenne (français, allemands, italiens). Mais ce n’est pas à eux qu’on pense quand on lit ces titres. David Clarinval et le MR le savent pertinemment. C’est précisément cet amalgame raciste que recherche cette communication politique.
Quand Clarinval se dit « surpris » et s’interroge sur de possibles « fraudes au domicile« , il active un autre stéréotype : celui du « faux chômeur étranger » qui profiterait du système. Quand Bouchez évoque l’argent « envoyé à l’étranger », il ressuscite le mythe du parasite qui volerait « nos » allocations pour les envoyer « chez lui ».
Cette offensive raciste ne doit pas masquer la violence de classe à l’œuvre. Car au-delà de la manipulation des chiffres, il y a une question fondamentale que personne ne semble vouloir poser : et alors ?
Imaginons un instant que les chiffres avancés soient vrais. Que 57% des personnes exclues soient effectivement de nationalité étrangère. En quoi cela rendrait-il cette exclusion plus acceptable ? En quoi cela justifierait-il de priver des dizaines de milliers de personnes de leurs moyens de subsistance ?
Ces personnes seraient moins légitimes à bénéficier de leurs droits, de leurs allocations sociales parce qu’elles ne seraient pas « vraiment belges ». Leur précarité compterait moins et leur exclusion serait plus tolérable. C’est la négation même du principe de protection et de droits sociaux, que cherche de fait le gouvernement Arizona depuis des mois. Ces discours soutiennent l’institution d’un système social où nos droits sociaux dépendraient de nos « origines », notre couleur de peau, où seuls « les vrais » belges auraient un plein accès à la solidarité sociale. Ça ne vous rappelle pas quelque chose … ?
Cette polémique s’inscrit dans une campagne de longue haleine de stigmatisation des chômeur·euses. Depuis des mois, le discours du gouvernement les présente comme des profiteurs, des paresseux, des fraudeurs. La réforme qui va exclure près de 200.000 personnes du chômage repose sur ce même présupposé : si vous êtes au chômage longue durée, c’est de votre faute.
On nie systématiquement les discriminations massives à l’embauche. UNIA reçoit en moyenne cinq plaintes par jour concernant des discriminations au travail basées sur l’origine raciale. Les études montrent qu’à CV identique, un·e candidat·e avec un nom à consonance maghrébine a 3 fois moins de chances d’être convoqué·e à un entretien*. Mais peu importe : même lorsqu’on cite des chiffres faux, c’est les chômeur·euses qu’on accuse, jamais le système.
Quand Clarinval reconnaît du bout des lèvres que les personnes issues de l’immigration « peuvent avoir une moins bonne maîtrise du français » et nécessiter un « accompagnement spécifique », il perpétue ce cadrage : le problème, ce sont les chômeur·euses eux-mêmes, pas le marché du travail discriminatoire.
Cette séquence politique révèle trois choses essentielles sur l’état de notre débat public :
1. Le racisme est une arme de diversion : face à une réforme qui va plonger jusqu’à 200.000 personnes dans la précarité, on agite le chiffon rouge de « l’étranger » pour diviser les classes populaires et masquer la violence sociale.
2. La manipulation des chiffres est devenue une pratique politique assumée : même après que la RTBF ait démontré la fausseté des affirmations, le ministre ne les a toujours pas rectifiés.
3. La banalisation d’un discours raciste : qu’un titre de journal puisse impunément laisser entendre que les étrangers sont une « charge déraisonnable » pour notre système social montre à quel point les digues ont cédé.
Cette instrumentalisation raciste de statistiques mensongères a un but : légitimer une réforme de classe qui appauvrira massivement les plus précaires tout en avançant l’agenda raciste du gouvernement. La vraie question n’est pas de savoir combien de chômeur·euses sont « d’origine étrangère ». La vraie question, c’est : comment une société de riches et bourgeoise fondée sur l’exploitation des travailleur.ses essaie elle de justifier cette réforme qui va exclure 200.000 personnes et les plonger dans la précarité ?
Mais cette question-là, visiblement, le gouvernement préfère ne pas y répondre.
Légende :
*Selon une étude menée par Institut des Politiques Publiques européennes en 2021. https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2021/11/Note_IPP_n76_Discrimination-a-l_embauche-selon-l_origine.pdf
Sources :
- RTL Info, 29 octobre 2025, « Personnes exclues du chômage « d’origine étrangère » : voici pourquoi les déclarations de David Clarinval font débat » https://www.rtl.be/actu/belgique/societe/personnes-exclues-du-chomage-dorigine-etrangere-voici-pourquoi-les-declarations/2025-10-29/article/768675
- RTBF, 30 octobre 2025, « ‘57% des exclus du chômage ne sont pas Belges’ : le chiffre est faux, c’est 19% » https://www.rtbf.be/article/57-des-exclus-du-chomage-ne-sont-pas-belges-le-chiffre-est-faux-c-est-19-11624204
- Le Soir, 29 octobre 2025, « Un futur exclu du chômage sur six est issu de l’immigration : le ministre Clarinval se dit « surpris » » https://www.lesoir.be/707781/article/2025-10-29/un-futur-exclu-du-chomage-sur-six-est-issu-de-limmigration-le-ministre
- Sudinfo, 29 octobre 2025, « ÉDITO | La « charge déraisonnable » pour notre système d’aides sociales : un vrai débat ! » https://www.sudinfo.be/id1058925/article/2025-10-29/edito-la-charge-deraisonnable-pour-notre-systeme-daides-sociales-un-vrai-debat




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