stuut.info

Fait d’hiver, à propos d’un patient mort sous les balles de la police à l’hôpital psychiatrique

Fait d’hiver, à propos d’un patient mort sous les balles de la police à l’hôpital psychiatrique

Un patient est décédé des suites d’une intervention policière armée il y a une dizaine de jours dans l’enceinte de la clinique bruxelloise Fond’Roy. Ce drame doit déclencher une réflexion profonde sur la place des personnes aliénées dans la société et leur prise en charge dans des instituts de soins adaptés.

Bruxelles | sur https://stuut.info

[Cette carte blanche a été initialement publiée dans le journal Le Soir le 4 avril 2023. Nous choisissons de la partager ici car elle est un des rares textes dénonçant les violences policières, le racisme et la psychophobie qui ait été diffusé au sujet de cet assassinat commis par la police le 21 mars dernier.]

Mardi 21 mars 2023, un patient est tué par arme à feu par la police dans l’enceinte d’un hôpital psychiatrique bruxellois où il est hospitalisé pour des soins contraints.

Nos pensées et notre solidarité vont à sa famille et à ses proches, ainsi qu’aux patient·es hospitalisé·es et aux soignant·es présent·es.

Nous sommes affecté·es et choqué·es par les conditions dans lesquelles ce patient est mort et par la banalisation de cette mort. Les médias ont relayé le récit d’un acte de légitime défense, soutenu par les propos du porte-parole du parquet, sans plus de questionnement. Cette tribune souhaite apporter un contrepoint à l’évidence d’une mort normalisée.

La victime est un homme noir de 49 ans brandissant un objet. « Ce n’était pas un couteau mais dans l’agitation on a cru que c’en était un » (source AFP). Il nous semble primordial de questionner ce qui banalise la mort d’un patient à l’hôpital dans de telles circonstances, réduite dans plusieurs sources à un simple « incident ». Il nous paraît également important de parler de l’accueil de la folie et de la souffrance psychique au sein de notre société. Nous proposons ici une mise en chantier critique.

La folie est au cœur de l’humain, elle fait partie intégrante de chacun·e. La psychiatrie à laquelle nous tenons et que nous tentons de pratiquer fait le pari d’ouvrir des lieux de soin et d’accueil de la folie dans sa complexité. La prise en charge des épisodes de crise nécessite un travail exigeant qui confronte à la violence, qu’elle soit liée à la maladie ou produite par certaines logiques institutionnelles. Il est important de ne pas laisser l’espace psychiatrique isolé, et de mettre au-devant de la scène politique la nature spécifique des soins psychiques.

Favoriser la désescalade

Quels présupposés sur la folie amènent à rendre a priori légitime la mort par balle d’un patient dans un lieu de soin ? L’issue fatale de cette intervention policière nous oblige à nous pencher sur comment se construisent les peurs et le cercle de violence dans lequel elles nous précipitent. La présence de la police en institutions psychiatriques est une réalité courante en Belgique. La situation actuelle interroge sur ce recours aux forces de l’ordre et appelle un renouvellement des modalités de ces interventions, précisément parce que cette pratique introduit des armes dans un espace dont une dimension essentielle est la mise à l’abri de celles et ceux qui s’y trouvent. Nous invitons les institutions psychiatriques, les collectifs de soins et de citoyen·nes, à penser des outils qui favorisent la désescalade de la violence.

L’intensité de l’agitation psychique ne permet en aucun cas de faire des malades des forcenés dont l’exceptionnalité justifierait qu’ils soient traités en moins qu’humains, voire qu’ils soient maîtrisés par la mort.

Dans le cas de cet homme, nous interrogeons également les fantasmes qui pèsent sur le corps noir. Le fou et le corps noir renvoient à des représentations qui ont en commun d’être des corps plus imprévisibles, plus forts que les autres. Ce que véhiculent implicitement ces représentations est que ces corps seraient finalement peut-être plus bestiaux, moins humains. En refusant la banalisation de la mort de cet homme, nous refusons qu’insidieusement elle contribue à perpétuer le mythe du sauvage, menaçant la sécurité de la société. Cet imaginaire collectif se transmet de longue date, notamment à travers des figures folkloriques populaires. Aux États-Unis, cette réalité se nomme le Big Black Man Syndrome.

Dans le cas de troubles psychiatriques, malgré l’incertitude et la précarité dans et sur lesquelles les pratiques de soin s’élaborent, nous nous devons de les reprendre en permanence en désamorçant les logiques sécuritaires et les rapports de pouvoir qui les constituent.

Au lendemain de cet homicide, nous sommes une dizaine à venir déposer des fleurs et des bougies devant l’hôpital. Aucun indice ne laisse imaginer le drame qui vient de s’y dérouler. Le jour d’après, un bol de café dont on fait l’hypothèse qu’il a été déposé par un·e patient·e de la clinique viendra compléter cet hommage.

Chaque vie compte

La mort de cet homme nous oblige à une reprise critique et inventive. Nous défendons une psychiatrie qui se donne les moyens de proposer des alternatives thérapeutiques impliquant soignant·es et patient·es. Une psychiatrie qui reconnaît les différentes formes d’aliénation, qu’elles soient sociales ou psychiques afin d’élaborer une pratique clinique à la hauteur des problématiques psychosociales, et qui donne, de manière primordiale, à tout un chacun, la certitude que sa vie compte.

Mardi 21 mars, l’hiver s’est prolongé à Bruxelles.

Voir en ligne : Article original et liste des signataires

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info