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Avec un titre tel que La révolution des féminismes musulmans, le ton est donné : Malika Hamidi va réaffirmer sur plus de deux cents pages non seulement que les musulmanes [1] peuvent être féministes – ce qui continue d’être entendu par beaucoup comme un paradoxe choquant ou une assertion ridicule, notamment en France ; qu’il existe non pas un, mais des féminismes musulmans ; mais également que leur construction d’un contre-discours théorique et pratique en deux ou trois décennies est révolutionnaire.
Qui dit révolution dit action. L’autre apport précieux de cet ouvrage de sociologie issu de sa thèse doctorale [2] est qu’il illustre le passage de l’élaboration théorique émergente dans les années 1990 à l’« agir féministe » des musulmanes de la nouvelle vague émancipatrice qui acquiert de plus en plus de visibilité grâce aux réseaux sociaux.
Un renouveau identitaire
Être féministe et musulmane « serait si éloigné des formes d’identification des femmes musulmanes dans les sociétés européennes qu’on serait tenté de conclure à l’incompatibilité entre la religiosité musulmane et le féminisme. » Pourtant, affirme la chercheuse qui l’a expérimenté sur le terrain, « de plus en plus de militantes musulmanes se projettent et s’inscrivent dans les mouvements féministes par le biais de leur identification à l’islam ». Cette identité assumée est nécessaire, comme il est nécessaire, fondamental, de savoir d’où on parle pour pouvoir s’inscrire dans la lutte.
Et c’est encore un paradoxe qui a rendu possible, en France et en Belgique en particulier, ce mouvement identitaire : la défense, puis l’adoption du foulard « islamique », ou plus exactement la liberté revendiquée de le porter ou non, comme moyen d’affirmer son appartenance à la religion musulmane dans l’espace public, comme un droit humain – liberté d’expression, liberté religieuse, liberté tout court. Égalité même. Trente ans d’une mobilisation farouche ont produit une posture intéressante, telle que soulignée par Malika Hamidi : une redéfinition, suivie d’une autonomisation de cette identité vis-à-vis du mouvement féministe mainstream d’une part, et des mouvements islamiques d’autre part. « On a envie de vivre notre religion sans devoir faire face à la domination, dans la société comme dans la communauté musulmane », dit une jeune femme interviewée par la chercheuse. Une autre renchérit : « Notre implication de plus en plus grande dans les structures féministes en tant que musulmanes devrait faire comprendre qu’on n’a pas besoin de divorcer de notre identité religieuse pour être acceptées en tant que féministes. »
La question n’est donc plus de résoudre l’équation dépassée islam/féminisme, mais de comprendre comment s’articulent la religion et la lutte, sous quelles formes et pour quelle(s) finalité(s). À partir de l’analyse des données de terrain, la sociologue présente une typologie quasiment générationnelle — de la théologie au web 2.0 — de féministes qui met en lumière différentes approches et stratégies militantes déterminées par « [des] accommodements complexes, parfois conflictuels, notamment entre féminisme, religion et contexte postcolonial. »
Le droit à l’interprétation des textes sacrés
Il y a tout d’abord les pionnières, celles qui se sont emparées des sources scripturaires de l’islam pour en produire une ou des exégèses autonomes, avant tout « pour ne plus être victimes d’une pratique traditionnelle de l’islam », comme le rappelle Karima, autre jeune femme interviewée par Malika Hamidi. Ce sont les « théologiennes communautaristes ». Les débats sur les mariages forcés, la virginité, les crimes d’honneur, l’excision, l’inégalité juridique dans les divorces ou les héritages, la contestation des codes de la famille ont nécessité de réquisitionner les fondements du corpus religieux afin de dénoncer des inégalités perçues non comme des manifestations de la volonté divine, mais bien des constructions patriarcales, c’est-à-dire humaines. À ce titre, elles sont juridiquement contestables, mais à condition de détacher le message divin de l’interprétation des juristes musulmans.
S’arroger le droit à l’interprétation des textes sacrés, comme l’ont argumenté des académiciennes comme Amina Wadud (qui a préfacé l’ouvrage) ou Ziba Mir Hosseini (anthropologue iranienne spécialisée en loi islamique, genre et développement international) est une lutte révolutionnaire en soi, la mère de toutes les batailles en quelque sorte, puisqu’elle travaille à installer une parole légitime des femmes contre une interprétation exclusivement masculine pendant pas moins de quatorze siècles.
Cette réappropriation est définie comme une stratégie collective pour combattre des traditions jugées archaïques jusque dans les familles. Et c’est parce qu’elles présentent les inégalités ancrées dans la jurisprudence islamique non pas comme une manifestation de la volonté divine mais comme une construction de la part de juristes masculins que leur thèse est crédible auprès des musulmanes.
Agir du local au transnational... ou inversement
L’universalisme en question
Un féminisme décolonisé
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