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Ça commence sur ton lieu de travail

Ça commence sur ton lieu de travail

Rasmus Hästbacka, du syndicat suédois SAC, suggère comment organiser des lieux de travail grands et complexes, en prenant l’exemple d’une université.

Partout | sur https://stuut.info | Collectif : IWW Bruxelles

Article traduit de l’anglais par les IWW Bruxelles. Une version différente de cet article a été publiée précédemment en suédois. Rasmus Hästbacka est avocat et membre de la section locale d’Umeå du SAC depuis 1997.

Les travailleur·ses suédois·es [européen·nes] et américain·nes sont confronté·es à des problèmes très différents, mais en même temps très similaires. Le problème aux États-Unis est que la plupart des travailleur·ses n’appartiennent pas à des syndicats et ne peuvent donc pas utiliser les syndicats comme ressource et outil pour défendre leurs intérêts. En Suède, le problème est que la plupart des travailleur·ses appartiennent à des syndicats qui sont tellement dysfonctionnels qu’il est difficile, voire impossible, de les utiliser comme ressource et outil. J’ai déjà écrit un article sur les raisons pour lesquelles les syndicats suédois sont nuls, je ne vais donc pas me répéter ici.

En Suède comme aux États-Unis, je pense que nous pouvons donner un nouveau souffle au mouvement syndical en formant davantage d’organisateur·ices qui ont une idée claire de ce qu’ils et elles peuvent faire sur le lieu de travail, chaque semaine, mois après mois. Pour moi, l’organisation consiste à ce que les collègues de travail développent et utilisent leur force collective de manière systématique.

En s’inspirant du livre Secrets of a Successful Organizer de Labor Notes, un tel plan peut être divisé en quatre phases comme suit :
1. Cartographie et conversations personnelles
2. Élaboration d’un plan d’action
3. Action collective
4. Évaluation

Cartographie et conversations en tête à tête

La première phase consiste à cartographier le plus grand nombre possible de départements et d’unités et à avoir des conversations en tête-à-tête avec ses collègues. Ces entretiens sont réalisés par les membres qui travaillent dans les unités, et non par des organisateur·ices externes. En fin de compte, vous avez besoin d’une liste de tou·tes les employé·es de l’unité à organiser. Organisez des réunions pendant votre temps libre. S’il faut du temps pour passer en revue le personnel, prenez le temps qu’il faut.

L’objectif est de trouver de bonnes questions d’organisation dans chaque endroit et de trouver des leaders informel·les ou naturel·les. Il s’agit d’employé·es qui ont de l’influence parce qu’ils et elles jouissent de la confiance de leurs collègues.

Les auteur·ices de Secrets of a Successful Organizer définissent les caractéristiques d’une bonne question d’organisation :

  • L’ampleur : la question intéresse de nombreux employé·es ;
  • La profondeur : la question les engage fortement ;
  • La question peut être gagnée grâce à la pression exercée par les travailleur·euses ;
    ET
  • L’action collective prévue a de bonnes chances de rendre le collectif encore plus fort.

Notez les questions relatives au lieu de travail que les collègues soulèvent, les changements qu’iels souhaitent et les méthodes qu’iels sont prêt·es à utiliser pour faire pression sur la direction. Notez qui sont les personnes clé·es, les « leaders » informel·les que les autres mentionnent par leur nom. Les conversations personnelles permettent d’établir de bonnes relations et encouragent les collègues à participer au travail et à la formation syndicale.

Deuxième phase

Une fois que vous avez trouvé un bon sujet d’organisation et une revendication concrète autour de laquelle rassembler les collègues, il est temps d’élaborer un plan d’action. Ce plan doit indiquer comment la revendication doit être présentée et quelles pressions doivent être exercées si les patrons rejettent votre demande. Il faut préciser qui fait quoi et dans quel ordre. Il est essentiel pour le succès du plan d’action que les leaders informel·les soient avec vous.

En choisissant les méthodes de pression, il est important de choisir des méthodes qui sont à la fois efficaces et que de nombreux·ses employé·es sont prêt·es à utiliser. Une majorité du personnel devrait vouloir participer ou au moins soutenir les méthodes. Vous ne devez pas faire une fixation sur les grèves ou d’autres variétés de pression économique. Il existe également des pressions morales, psychologiques et juridiques. Un camarade syndical et moi-même avons écrit un article sur ce sujet, les alternatives à la grève.

Troisième phase

La troisième phase est celle de l’action collective. Avant de mettre en œuvre un plan d’action, les collègues devraient avoir discuté du soutien nécessaire, ou non, de la part de la section syndicale. Il faut également décider si l’on veut coopérer avec d’autres syndicats ou agir indépendamment d’eux. Un conseil général est d’être ouvert à la coopération avec d’autres syndicats, mais d’être clair sur les conditions : que la campagne soit contrôlée par les travailleur·ses sur le lieu de travail.

Ce n’est que lorsque les organisateur·ices ont parlé à tou·tes leurs collègues et que le personnel s’est rassemblé autour d’un plan d’action que celui-ci prend toute sa valeur. Les méthodes collectives planifiées créent une pression à la table des négociations. Sans plan d’action collective, il s’agira d’une bataille de mots et de la loi ; de telles batailles n’apportent généralement que de maigres résultats, voire aucun.

Quatrième phase

La quatrième et dernière phase est l’évaluation. Les auteur·ices de Secrets of a Successful Organizer soulignent que l’évaluation est aussi importante que les phases précédentes. Évaluer ne consiste pas seulement à cocher une case pour savoir si votre demande a été satisfaite ou non. Les collègues doivent évaluer leur capacité à agir ensemble, c’est-à-dire discuter des forces et des faiblesses, afin de développer la capacité pour la prochaine bataille. Après l’évaluation, les quatre phases peuvent être répétées en se concentrant sur de nouvelles questions d’organisation et ainsi de suite.

Exemple d’une campagne réussie

Lorsque je travaillais à l’université de la ville d’Umeå, le personnel de deux départements (droit et sciences politiques) a réussi à stopper une réorganisation stupide et à pousser plusieurs patrons à démissionner prématurément. La réorganisation visait à fusionner les deux départements en un seul, sur la base de l’idée étrange que plus c’est gros, mieux c’est. Les méthodes que nous avons utilisées étaient les suivantes : pétition, questions ouvertes lors des réunions du personnel et boycott d’une série de réunions sans intérêt. Au département de droit, nous avons organisé un vote consultatif sur le patron du département. Le patron a reçu très peu de voix et a été remplacé par un candidat qui a obtenu une nette majorité des voix.

Deux d’entre nous, dans les départements en question, étaient membres du SAC. Nous avons utilisé les réunions régulières des syndicalistes en dehors de nos départements comme un encadrement et une caisse de résonance. Les membres des autres syndicats n’ont reçu aucun soutien de la part de leurs propres syndicats.

Même si nous avons gagné le conflit, aucune structure formelle n’a été créée. Cela a rendu le conflit inutilement long et fastidieux. Si nous avions formé une meilleure structure, je pense que nous aurions gagné plus rapidement et que nous aurions eu l’occasion de réfléchir et de développer davantage notre pouvoir collectif.

Une structure formelle est nécessaire pour que les employé·es puissent prendre et appliquer des décisions démocratiques et surmonter les hauts et les bas de l’activité et de l’engagement des différent·es individu·es. Dans la suite de cet article, j’aimerais donc réfléchir à la manière dont l’approche Secrets pourrait être développée à plus grande échelle sur les lieux de travail suédois où tou·tes les travailleur·ses ne sont pas membres du même syndicat, en utilisant une approche syndicaliste.

Une approche syndicale

Les membres du syndicat suédois SAC forment des branches professionnelles locales appelées sections. À l’heure actuelle, les syndicalistes suédois·es ont formé des sections dans quatre universités. Sur les campus, les sections syndicales organisent généralement des réunions à au moins deux niveaux différents : des réunions générales de section pour tou·tes les membres employé·es par l’université, et des réunions pour les différents départements ou autres unités.

Pour une section syndicale, il est naturel de former ces subdivisions dans les unités individuelles dès que la section y a recruté des groupes de membres. Le but d’une subdivision est de promouvoir la capacité des collègues à rester ensemble et à agir ensemble. Le but de la section est de coordonner toutes les subdivisions dans une action commune.

Disons que nous avons une section qui organise des réunions générales pour les membres dans une université, mais pas encore de réunions dans les unités individuelles. Une telle section peut commencer par organiser une réunion pour tou·tes les membres qui veulent organiser leur propre unité ou soutenir celleux qui s’organisent. Lors de cette réunion, les quatre phases de l’organisation peuvent être discutées. Dans la suite du travail, ces réunions peuvent servir de soutien et de caisse de résonance pour tou·tes celleux qui s’organisent.

Quel type de syndicat ?

Si le SAC et d’autres syndicats forment davantage d’organisateur·ices, j’espère que nous créerons des syndicats gérés par les travailleur·ses. Plus précisément, l’espoir réside dans des syndicats formels qui accueillent les travailleur·ses largement. Je les appelle des syndicats de mouvement populaire.

Si vous voulez vous lancer dans l’organisation, je vous recommande vivement de lire Secrets of a Successful Organizer et d’en discuter avec vos collègues. Ce livre est à la fois approfondi et facile à lire. Les auteur·ices fournissent, par exemple, des guides étape par étape pour les conversations personnelles et la cartographie du lieu de travail. Les lecteur·ices reçoivent des conseils solides sur la manière dont les travailleur·ses peuvent gagner des conflits, mais aussi des conseils sur la manière de gérer l’apathie et les déceptions.

Si les travailleur·ses construisent des syndicats de mouvement populaire, alors nous avons une chance de commencer à avancer vers une nouvelle société.

Voir en ligne : IWW Bruxelles

Notes

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