stuut.info

Pourquoi nous avons besoin d’un syndicat démocratique et de lutte

Pourquoi nous avons besoin d’un syndicat démocratique et de lutte

Défendre un syndicalisme démocratique (autogestionnaire) et combatif en Belgique n’est certainement pas la position la plus facile dans un paysage syndical belge dominé par les deux mastodontes bureaucratiques que sont la FGTB et la CSC. Pourtant, nous pensons qu’il est urgent de développer une alternative sur des bases saines.

Belgique | sur https://stuut.info | Collectif : IWW Bruxelles

par Igor Anez membre des IWW Bruxelles

Depuis plusieurs décennies, les syndicalistes combatives et combatifs essayent de changer les organisations syndicales de l’intérieur ou de développer des initiatives para-syndicales afin de « les tirer à gauche ». Mais ces stratégies se sont avérées incapables d’inverser le déclin militant des syndicats traditionnels empêtrés dans une spirale corporatiste et de service.

Pourtant à l’heure des attaques néolibérales contre les conquêtes sociales et de la précarisation de nos conditions de travail, la classe travailleuse a plus que jamais besoin d’un syndicalisme démocratique et de lutte, capable d’obtenir des victoires immédiates, sans renoncer à l’objectif de transformer radicalement la société.

Des directions syndicales anti-démocratiques

Cela n’échappera à personne, les syndicats sont encore aujourd’hui les principales (voire les uniques) organisations de classe et de masse en Belgique. Malgré une forte affiliation liée aux services (chômage, aide juridique…), de nombreux·ses travailleur·ses se tournent vers les organisations syndicales pour défendre leurs droits. Pour beaucoup d’entre nous, elles permettent de construire des solidarités entre exploité·es et d’être plus fort·es contre les violences de classes que nous subissons quotidiennement.

Ce constat ne doit pourtant pas nous conduire à romantiser les syndicats traditionnels en se persuadant que ce sont les travailleur·ses de base qui en dirigent la vie démocratique. Bien au contraire, quiconque a été militant·e syndical·e (à la FGTB où à la CSC) a pu constater que les syndicats traditionnels sont entièrement sous la domination d’une classe bureaucratique déconnectée, par ses conditions salariales, des travailleur·ses qu’elle prétend pourtant représenter.

Cette classe bureaucratique fonctionne essentiellement par reproduction (des permanent·es recrutent d’autres permanent·es pour occuper des postes dans la structure) et cooptation (pour intégrer les délégations, les instances syndicales, disposer de mandats…).

La démocratie affichée est en réalité des plus factice. L’écrasante majorité des décisions sont prises sans jamais passer par le vote des militant·es et la plupart du temps sans même « consulter la base ». Quant aux instances qui réunissent des délégué·es, elles visent généralement à entériner des décisions déjà actées aux sommets… Les mandats des directions syndicales ne connaissent dans la pratique aucune limitation dans le temps et ne sont soumis à aucun contrôle démocratique. Si bien que l’essentiel des dirigeant·es syndicaux·ales se comportent en réalité comme des potentats disposant d’un pouvoir totale sur « leurs » permanent·es et « leurs » délégué·es. Elles et ils font la pluie et le beau temps dans « leur » syndicat, n’hésitant d’ailleurs pas à utiliser les pires méthodes patronales lorsqu’il s’agit de réprimer des voix dissidentes en interne.

Entre changements de l’intérieur et para-syndicalisme

Bien qu’il puisse paraitre choquant, ce constat est banal. La plupart des syndicalistes combatif·ves en sont conscient·es et tentent de composer avec ce caractère autoritaire des syndicats traditionnels. Elles et ils essayent dès lors d’animer les rares espaces syndicaux délaissés par la bureaucratie, de jouer des oppositions internes ou de développer des alliances avec des « bureaucrates de gauche ».

Une des formes classiques de ces alliances entre syndicalistes combatifs·ves et bureaucrates de gauche est ce que l’on peut qualifier d’initiatives « para-syndicales ». L’idée est toujours la même, pour échapper en partie au contrôle autoritaire de la bureaucratie sur la lutte des travailleur·ses et lui donner un caractère plus combatif, on crée « des comités, des plateformes, des alliances… » afin de mobiliser contre une mesure antisociale, autour d’un combat sectoriel ou en entreprise… Souvent renforcées numériquement par des militant·es politiques, ces initiatives visent à faire monter la pression sur les directions syndicales avec l’objectif de les tirer à gauche. Mais dans les faits, aucune de ces initiatives ne parvient à atteindre cet objectif. Les raisons sont multiples mais au moins trois valent la peine d’être citées.

D’une part, ces initiatives ne parviennent généralement pas à attirer les travailleur·ses de base et peine donc à rassembler au-delà des réseaux militants. Elles se résument souvent à de l’activisme (actions extérieures et abstraites) ou des mobilisations larges (qui visent à faire descendre du monde dans la rue), sans que cela implique un processus d’organisation collective par rapport à un problème qui affecte nos conditions matérielles.

D’autre part, elles n’ont généralement aucune influence sur les stratégies (de mobilisation ou de concertation) mises en place par les directions syndicales. Leur existence dépend des plans et des volontés d’action des directions syndicales. Elles disparaissent donc sitôt que les dirigeant·es sifflent la fin de la mobilisation.

Enfin, et c’est peut-être la plus importante, ces initiatives servent avant tout de palliatif. Elles visent à mobiliser des travailleur·ses dans des moments chauds, sauf que ces travailleur·ses sont dépossédé·es de leurs combats le restant du temps et ne sont donc pas formé·es pour prendre en main directement leurs luttes, faute de pratiques syndicales autogestionnaires.

Les seul·es qui peuvent éventuellement en sortir gagnant·es se sont les bureaucrates de gauche qui se créent ainsi une légitimité individuelle et forgent leur réputation de « bon permanent·es ». Peu importe si, par la même occasion, c’est toute la bureaucratie qui en sort renforcée puisqu’elle conduit à placer ses espoirs dans des bureaucrates prétendument plus verteux·ses.

Cogestion ou action directe ?

On l’a dit, les organisations syndicales traditionnelles sont entièrement dominées par une classe bureaucratique qui défend en dernière analyse ses propres intérêts.

Les syndicats tels que nous les connaissons aujourd’hui sont le fruit d’une longue histoire sociale en Belgique. La création de la sécurité sociale en 1944 et la ritualisation de la concertation sociale a conduit à l’institutionnalisation des syndicats (qui sont, par exemple, responsables du paiement des allocations de chômage). A leur tête s’est donc constituée une classe dirigeante dont la fonction historique est la cogestion du capitalisme. Ce qui explique les connivences entre les Appareils syndicaux et les partis politiques « frères », qu’ils soient socialistes ou catholiques.

Cette vision d’un syndicalisme cogestionnaire (voire de service) est aujourd’hui dominante au sein de la bureaucratie syndicale. C’est vers cet objectif qu’est orienté l’intégralité de l’action syndicale : concertation en entreprise, concertation au niveau sectoriel, concertation au niveau national. Les éventuels élans « grève-généralistes » des directions ne doivent pas être interprétés comme des ruptures avec le crédo cogestionnaire mais bien comme une continuité. Les grèves, les mobilisations, les journées d’action… visent essentiellement à renforcer la position des bureaucrates à la table des discussions avec le patronat ou le gouvernement.

Cela signifie que l’action syndicale échappe l’essentiel du temps aux travailleur·ses puisqu’elle est fixée selon un agenda et des modalités qui servent d’abord les plans des directions syndicales. Ce sont ces mêmes directions qui fixent les priorités syndicales, rarement les travailleur·ses. Celles-ci n’hésitant pas à aller à l’encontre des demandes des travailleur·ses, voire même à manipuler leur force collective afin de renforcer leur pouvoir personnel.

Cette situation suscite évidemment du mécontentement au sein des travailleur·ses et particulièrement parmi les syndicalistes les plus combatif·ves qui n’ont de cesse d’attendre des plans d’actions qui ne viennent jamais… Cela provoque également de plus en plus de désintérêt de la base qui ne comprends plus l’action des directions ou qui garde en mémoire les nombreuses trahisons passées (comme lors de la grève générale de décembre 2014).

Cela signifie également que l’intégralité de l’action syndicale est tournée vers l’objectif de concertation sociale. C’est pour effectuer cette tâche que l’on recrute des travailleur·ses pour devenir délégué·es. Tout le potentiel des travailleur·ses, toute notre force collective en tant que classe est donc tournée vers la concertation et la négociation. Délégation de notre pouvoir aux organes paritaires, aux permanent·es et aux dirigeant·es syndicaux·ales, voire aux partis politiques. L’action collective des travailleur·ses étant toujours considérée comme secondaire ou comme un supplétif à la concertation.

La conséquence logique de ce crédo cogestionnaire c’est qu’on ne forme plus les militant·es à la démocratie syndicale et à l’action directe collective. Comment créer un comité dans son entreprise ? Comment impliquer ses collègues ? Comment agir directement pour améliorer ses conditions de travail face à son patron ? Dans les syndicats traditionnels, on n’apprend plus à faire du syndicalisme mais à « obtenir des avancées pour les salarié·es par le jeu du dialogue social » (voire carrément de la politique politicienne). Ainsi, dans la plupart des cas, la formation syndicale se résume au fonctionnement des organes de concertation (CE, CPPT…) et de la « vie paritaire ». La démocratie syndicale se limite à consulter ou informer les travailleur·ses, jamais à construire collectivement des mandats ou à créer des comités démocratiques. Cette conception horizontale du syndicalisme est évidemment contradictoire avec l’encadrement autoritaire que pratique la bureaucratie et sa prétention à se substituer aux travailleur·ses dans leurs luttes.

Il est, en outre, frappant de constater l’attachement quasi pavlovien de la bureaucratie syndicale à la concertation sociale tandis que le patronat n’hésite pas à la court-circuiter en permanence. Combien de marges salariales à 0% et de condamnation de syndicalistes faudra-t-il encore pour que la bureaucratie syndicale comprenne que notre force ne réside pas dans le dialogue social mais dans notre pouvoir d’agir collectivement et directement ? Pas étonnant dès lors que cette même bureaucratie se retrouve paralysée face aux attaques patronales et gouvernementales…

A la recherche de la gauche syndicale

Tout cela ne signifie pas pour autant que la bureaucratie est une classe homogène. Il se joue, en son sein, des luttes de pouvoir qui peuvent parfois être extrêmement violentes. Entre rouges et verts, entre bureaucratie flamande et francophone, entre PS et PTBistes, entre instances professionnelles et interprofessionnelles. Mais ces luttes internes sont généralement des luttes d’intérêts qui n’ont pas grand-chose à voir avec les principes syndicaux.

En réalité, l’opposition entre une aile cogestionnaire et une aile « lutte des classes » est aujourd’hui un vieux souvenir. Il faut dire que les Appareils syndicaux se sont chargés de purger progressivement les composantes les plus démocratiques et combatives.

Bien entendu, il y a toujours de nombreux·ses syndicalistes combatif·ves mais ces dernier·es sont souvent atomisé·es, ne disposent d’aucune stratégie commune et leurs conceptions syndicales sont construites sur base des illusions cogestionnaires inculquées par l’Appareil.

Pourquoi la gauche syndicale peine-t-elle à exister ? A nouveau les raisons sont multiples mais tâchons d’en expliquer trois.

D’une part, parce qu’une partie de la contestation de gauche est aujourd’hui absorbée par le PTB. C’est un secret de polichinelle mais l’influence du PTB grandit dans les rangs syndicaux. De plus en plus de travailleur·ses y voient une alternative électorale crédible face aux trahisons du PS. D’autre part, le PTB a entrepris depuis longtemps une « longue marche » au sein de la bureaucratie syndicale. Cette stratégie de prise de pouvoir commence progressivement à porter ses fruits et le PTB dispose ainsi de plus en plus de « compagnon·nes de route » au sein des différentes couches de la bureaucratie (sans toutefois encore être majoritaire). Même si cette influence grandissante du PTB contribue d’une certaine manière à raviver des conceptions « lutte des classes » en interne, elle affaiblit en réalité une potentielle gauche syndicale. D’abord, car elle détourne les éléments les plus combatif·ves vers l’action parlementaire plutôt que vers l’action syndicale. Ensuite, car l’objectif du PTB est de devenir Calife à la place du Calife (remplacer le PS) et n’a donc absolument pas pour objectif de démocratiser les organisations syndicales.

D’autre part, parce que la gauche syndicale reste profondément persuadée qu’il faut mener la bataille à l’intérieur des syndicats traditionnels afin de les démocratiser et de les rendre combatifs. Or, depuis au moins 20 ans, on ne peut que constater l’incapacité de cette stratégie à transformer les organisations syndicales traditionnelles. Elle n’a absolument pas conduit à organiser et structurer une gauche syndicale (au contraire elle est même en train de disparaitre) et à encore moins permis d’impulser une dynamique autogestionnaire au sein des travailleur·ses. Malgré cela, la gauche syndicale écarte d’emblée la possibilité de construire une alternative, celle d’une organisation syndicale autogestionnaire et d’action directe.

Enfin, parce que, rappelons-le, les organisations syndicales traditionnelles ne sont pas des démocraties. L’Appareil se charge de réprimer tôt au tard toute contestation interne lorsqu’elle ne parvient pas à la contrôler. Combien de camarades combatif·ves a-t-on vu être mis au ban du syndicat, privé·es de leurs mandats, voire purgé·es individuellement ou collectivement, à l’image des syndicalistes des Forges de Clabecq à la fin des années 90 ? Faut-il rappeler l’hostilité de certaines directions syndicales lorsque des travailleur·ses ont l’audace de s’organiser sans attendre leur permission ? Des camarades ont peut-être aujourd’hui l’illusion que leur stratégie visant à prendre le contrôle de l’Appareil fonctionne, les expériences passées nous prouvent que tout au tard, elles et ils seront soit avalé·es par la structure, soit recraché·es tel·les des parias.

Ne plus se lamenter, s’organiser !

La stratégie qui consiste à transformer de l’intérieur les syndicats bureaucratiques et cogestionnaires s’est avéré être un échec. De même, il est illusoire d’espérer une prétendue scission des syndicats traditionnels supposée conduire à un renouveau syndical (dont on peine à voir sur quelles bases cela se fera). En réalité, un syndicalisme démocratique et de lutte n’existera que si nous le mettons dès à présent en pratique, en nous organisant avec nos collègues, sur nos lieux de travail, dans nos secteurs et de manière inter-sectorielles. Il n’existera que si nous développons dès aujourd’hui une expérience de l’autogestion qui ne pourra que grandir avec le temps. Il n’existera que si nous nous formons à l’action directe afin de prendre conscience de notre force collective et de gagner des victoires. Enfin, il n’existera que si elle prend la forme d’une organisation syndicale solide, durable et expérimentée.

Défendre un syndicalisme d’action directe ne signifie en aucun cas adopter des postures folkloriques ou gauchistes. Les méthodes d’organisation défendues par l’IWW sont en réalité très concrètes et pragmatiques. Elles nous poussent à nous organiser depuis nos lieux de travail, à privilégier une pédagogie de la lutte avec nos collèges, plutôt qu’une approche basée sur la représentation ou les mobilisations construites sur base de campagnes top-down.

Ce n’est pas non plus se condamner à la marginalité car le syndicalisme prôné par l’IWW met l’accent sur relations entre collègues comme moteur de l’action syndicale, sur les solidarités à construire sur notre lieu de travail et au sein de notre classe. Chaque membre des IWW est formé·e afin de devenir un·e organisateur·ice et à encourager l’action collective des travailleurs·ses. Les syndicats traditionnels disposent peut-être d’un nombre important d’affilié·es pourtant toute la force collective et la capacité d’agir des travailleurs·ses y est annihilée par une classe bureaucratique.

Loin de se réclamer d’une influence idéologique spécifique, l’IWW défend les principes de l’indépendance syndicale et de la double besogne, c’est-à-dire améliorer nos conditions de travail aujourd’hui et préparer l’émancipation de demain. Ces principes servent de boussole aux syndicalistes autogestionnaires et ne peuvent advenir qu’au sein d’une organisation syndicale construite démocratiquement.

Notre classe, celle des travailleur·ses avec ou sans papiers, chomeur·euses, précaires, intérimaires, CDD, faux·sses indépendant·es, étudiant·es… a besoin d’un syndicalisme démocratique et de lutte. Pas « plus tard » ou « dans quelques années » mais dès à présent. Et parce que nous sommes pressé·es, construisons-le lentement… mais sûrement !

Voir en ligne : IWW Bruxelles

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info