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Bruxelles, prends garde aux Mèrolutionnaires des Marolles !

Bruxelles, prends garde aux Mèrolutionnaires des Marolles !

Nous (Pavé dans les Marolles) sommes parti.e.s à la rencontre de Saida et Fatiha Amarchouh, deux mamans du quartier qui ont participé à la création du collectif “Les Mèrolutionnaires” début 2021 pour soutenir les jeunes et les mamans du quartier afin de défendre leur droit à occuper l’espace public dans la sérénité, la paix et la sécurité.

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Pourriez-vous vous présenter ? Depuis combien de temps habitez-vous le quartier ?

Saida : Moi c’est Saida Amarchouh, j’ai 41 ans et j’habite le quartier depuis fin 1989.

Fatiha : Moi je suis la sœur de Saida, je m’appelle Fatiha Amarchouh et j’ai habité le quartier en même temps que ma sœur.

Comment s’est créé le collectif ?

Saida : Le collectif s’est créé au fur et à mesure. Au départ ça ne devait pas être un collectif mais une simple rencontre entre voisins. Une arrestation arbitraire a eu lieu le 31 décembre 2020. Ce jour-là nos enfants jouaient au foot, ils avaient organisé un tournoi pour Noël. Le jour de la finale, ils se sont réunis pour jouer le match et ils ont été arrêtés par la police. Une arrestation incomprise, injuste, arbitraire. C’étaient des enfants qui étaient très jeunes, des mineurs et même des enfants de 8 ans qui étaient sur place. Tout le monde a été mis dans le même sac. C’était vraiment impressionnant. Nos enfants étaient par terre dans l’eau, colsonnés, dans le froid. On a décidé d’avoir une rencontre avec le bourgmestre pour exprimer notre frustration et pour dire qu’on n’était pas d’accord avec ce qui s’était passé. Au fur et à mesure, on s’est dit que si on était plusieurs mamans, notre parole aurait plus de poids. On a essayé de réunir des mamans et quand on a vu que ça marchait bien et qu’il y avait une bonne entente, on s’est dit qu’on pourrait créer un collectif.

Quel impact a eu l’arrestation du 31 décembre 2020 sur votre enfant ?

Fatiha : Mon fils va avoir 15 ans et depuis cette arrestation, il n’est plus le même. Il ne travaille plus bien à l’école, il a une colère en lui, il ne respecte plus les professeurs. Il déteste la police. C’est plus le même garçon qu’avant. Au lieu de se renfermer sur lui-même, au contraire, il se révolte. À la maison ça va, mais dès qu’il est dans le monde extérieur, ce n’est plus le même. On m’a arrêté deux de mes enfants. Le plus grand ça va, il s’était déjà forgé une personnalité, mais le plus jeune, lui, il a perdu confiance en l’autorité. Il a même envie de faire des bêtises pour se faire arrêter, parce qu’il se dit qu’au moins là, il se fera arrêter pour quelque chose qu’il a réellement fait et pas pour rien. Et c’est pas rien, depuis il y a eu beaucoup de choses dans le quartier, la police est toujours là en train de les humilier, en train de les rabaisser donc ça continue.

Saida : Mon fils, il n’en parle même pas. C’est pire, il ne reconnaît pas que c’est cet évènement-là qui a eu un impact sur lui. Il était encore plus jeune, il va avoir 14 ans et depuis ce jour-là il y a comme une sorte de révolte à l’intérieur de lui. Il veut se venger, il a perdu confiance en l’autorité, envers les adultes. Il y a eu une blessure, une trahison, une humiliation et à la maison c’est dur de gérer tout ça. Il ne sait plus comment il doit se comporter à la maison avec nous : est-ce qu’il doit être l’enfant sage et gentil ou le rebelle qu’il est dans la rue ? Ils sont jeunes et veulent répondre à l’image qu’on leur donne d’eux. Ça crée beaucoup de disputes à la maison, mais nous les parents qu’est-ce qu’on fait ? […] Dès que l’enfant sort de la maison, t’as une boule au ventre, c’est pas sain, mais nous on a peur pour eux. Mais c’est pas une vie ça ! Normalement on devrait avoir confiance et notre enfant devrait pouvoir occuper l’espace public avec un cadre, une confiance et une sécurité.

Comment est-ce que vous avez l’impression que le bourgmestre voit les jeunes du quartier ?

Saida : Comme des racailles. Pas tous, mais… Je dis pas qu’il est de mauvaise foi, il a envie de faire des choses, mais il est bourré de préjugés. Il a une idée en tête qu’il se fait de la population maghrébine, immigrée, qui vit en Belgique et il se permet de juger. Oui c’est vrai, la population immigrée qui vit en Belgique, on vit différemment des belges puisqu’on a une culture, une religion différente, on est différent, mais ça veut pas dire qu’on a pas notre place en Belgique et ça veut pas dire qu’on est obligé de faire comme les personnes d’origine belge. Mais lui, non, il se permet de juger notre manière de vivre. Moi, j’éduque mon enfant comme je veux et ma sœur éduque son enfant comme elle veut sans problème.

Fatiha : J’ai l’impression qu’il pense que les parents s’en foutent que leurs enfants sont à la rue. Il forme sa police en disant que les jeunes sont des petits voyous, il va rien en sortir de ces enfants.

Quels sont vos projets pour 2022 ? C’est quoi vos envies pour l’avenir ?

Saida : On avait déjà l’idée de faire une grande fête. Pour réunir, pour réanimer le quartier. Pour ramener de la joie, de la vie et de l’amour. Faire en sorte que les gens se réunissent et que ça se passe bien. Qu’ils se réunissent dans de bonnes conditions, avec un vrai programme, des vraies activités, qu’on puisse faire venir des intervenants s’il faut ou quoique ce soit, mais il faut qu’on ait les moyens de le faire. Et avec l’appel à projet [du contrat de quartier], c’est chouette, on a l’opportunité. Ce qu’on aimerait vraiment, c’est créer une asbl avec une fonction sociale. Ça veut dire qu’il y aurait une permanence sociale, une école des devoirs et un coin rencontre pour les mamans et pour les enfants. Parce qu’on se rend compte que dans le quartier, il y a des besoins. Même moi, je ne suis pas la reine de la technologie. Des fois je dois faire des bêtes démarches informatiques et je me rends compte que je suis pas soutenue. On peut être avec nos enfants dans un autre cadre que la maison. Parce que dans la maison, il y a la pression familiale. Ici, on est à la maison, c’est l’endroit où on doit manger, on doit dormir, faire ses devoirs, il y a beaucoup de « on doit ». Mais quand tu sors de la maison, tu décompresses. Tu vas voir maman, mais dans un autre cadre. Je trouve que c’est chouette, ça peut créer des liens.

C’est quoi, au fond, l’objectif des Mèrolutionnaires des Marolles ?

Saida : On se réunit pour améliorer la qualité de vie de nos enfants dans le quartier, de tous les enfants. Et ça en visant la commune, on va pas y aller par quatre chemins. Et une des mains de la commune, c’est la police. Et l’urbanisme. Ça c’est un point très important. L’aménagement des parcs, des rues, de tout. Si on sait travailler même sur ce terrain-là, c’est magnifique.

Mais est-ce que ce n’est pas le rôle de la commune de faire ce que vous voulez faire ?

Saida : Si, bien sûr, mais c’est de l’utopie ça. On est en train de secouer le bocal pour avoir ce qui nous est «  ». C’est un droit civil qu’on est en train de réclamer. Mais comme on nous l’a pas donné, bah on va aller le chercher.

Quel droit ?

Saida : Le droit d’occuper l’espace public dans la sécurité, la joie, la bienveillance, le bien-être. Ça, c’est un droit civil universel. On demande que, quand on sort dehors, nous ou nos enfants, on n’ait pas à se soucier de ce qu’il va se passer, on doit se sentir en sécurité. Or, malheureusement, ça nous fait défaut. Même moi qui suis une adulte, une maman, j’ai l’impression d’être traquée. Par la police, par le contrôleur de la STIB… On se sent pas libre. Il n’y a pas de liberté. On est dans un pays où on prône la liberté, mais en réalité, on est pas libre du tout. Le train, il va rouler sur les rails et il y a pas de problème tant qu’il roule. Mais un train, c’est un train. C’est une machine. Un être humain, tu peux pas le faire rouler sur un rail. Il y a un moment donné où il y en a un qui va dire « moi, je sors » et alors on fait quoi ? C’est ça que j’aimerais maintenant que les politiques travaillent : on fait quoi des gens qui disent « moi, je sors » ? On les jette à la poubelle ? Tu es obligé de l’écouter celui-là aussi. Et tu es obligé de lui donner la même place, au même titre que celui qui est sur les rails. Il doit pas y avoir de différences entre celui qui sort des rails et celui sur les rails, parce que c’est tout les deux des êtres humains qui ont droit au respect et à la justice.

Est-ce que tu veux dire quelque chose aux habitant.e.s des Marolles qui nous lisent et qui découvrent l’existence de votre collectif ?

Saida : J’ai envie de leur dire qu’on a besoin de leur soutien. J’ai envie de leur dire que moi j’adore les Marolles. C’est vraiment l’endroit où je me sens bien, à l’intérieur de mon être. Et j’ai envie de continuer à m’y sentir bien. Parce que là je suis arrivé à un stade, avec mes enfants, où des fois je me dis « ouais, si j’habitais dans un autre quartier, mon fils il ferait ça, celui-là il ferait ça, moi j’aurais telle activité… je trouverais des places de parking, mon mari serait plus épanoui parce qu’il aurait ça, ça et ça ». Mais quand je fais ça, que je m’imagine une seule fraction de seconde quitter les Marolles, tu sais ce que je ressens ? Une déchirure. Je pourrai jamais quitter ce quartier parce que j’aime trop rester ici, mais j’aimerais bien rester ici avec une meilleure qualité de vie.

Hiba et Antoine

Voir en ligne : le Pavé dans les Marolles

Notes

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