Actuellement en procès en allemagne, accusé d’être le Moine de Lützerath poussant un flic dans des vidéos et photos ayant fait plus d’un million de vu, dans une lutte contre les mines de charbon.
Voici sa déclaration pendant le procès :
Monsieur le juge,
Me voici devant vous pour répondre de l’accusation d’être le Moine de Lützerath. Mais comment répondre face à une institution policière et judiciaire qui a engagé 270 procédures contre des personnes venues manifester ce jour-là (600 depuis le début de la lutte) ? Et aucune contre des policiers qui aboutisse véritablement à des condamnations ? Ces policiers qui représentent la loi mais n’ont pas le courage d’assumer face à la justice en disant : « j’ai frappé un crâne avec ma matraque ».
Comment répondre, quand l’attention que l’on portera sur qui je suis, ce que je fais dans la vie, influencera la décision. Comme si le fait que je sois banquier ou en recherche d’emploi devait avoir un impact sur la sentence.
Les personnes riches, les stars ou les politiciens s’en sortent souvent mieux que les autres. Les choses n’ont presque pas changé depuis plus de 300 ans où La Fontaine disait : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir… »
Dans cette affaire qui a impacté la société allemande par une mobilisation historique de près de 30 000 personnes et la propagation massive sur les réseaux de la vidéo du moine qui pousse un policier dans la boue ; il y a seulement 16 places assises pour assister à l’audience que devront se partager les médias, mes proches et mes amis, ainsi que les soutiens et personnes curieuses.
Un an après la manifestation de Luetzerath et la mise en place d’une commission EK Luetzerath chargée d’enquêter pour retrouver les manifestants qui ont jeté de la boue, une identité du moine est révélée dans la presse. Il serait français. Une source policière alimentera un article du journal conservateur à sensation « BILD » qui ira jusqu’à partager mon nom et prénom. C’était un article à charge, écrit avec mépris qui se terminait par « Loïc S. risquerait jusqu’à cinq ans de prison » – afin de me faire peur. Quand j’ai lu cet article de BILD après sa publication le 10 janvier 2024, j’ai eu la certitude que j’allais être visé par un procès. Sinon, aucun journaliste n’aurait osé publier autant d’informations personnelles dans la presse, surtout mes nom et prénom.
J’ai alors décidé de ne pas attendre d’avoir la convocation du tribunal, et de montrer que je n’avais pas peur d’un procès. Un ami m’a proposé de réagir à ces accusations via un journal allemand. J’ai réalisé une interview dans le média « Stern » que je ne connaissais pas. Parallèlement, je contacte mon avocat en Allemagne qui fait les démarches pour en savoir plus sur l’enquête me concernant, nous réalisons que le dossier est relativement fébrile. Je commence à regretter d’avoir fait cette interview. Deux semaines après la parution de l’article du média « Stern », mon avocat m’appelle pour me dire qu’ils abandonnent les poursuites contre moi faute de preuves suffisantes. Je suis heureux de l’apprendre mais dégoûté d’avoir réalisé cette interview qui risquait alors de devenir un nouvel élément de preuve. C’est malheureusement ce qui arrivera.
J’ai tenu à vous expliquer ce cheminement, car je lis dans la presse allemande que je me serais dénoncé moi-même, faisant un « coming out ». Si j’avais vraiment voulu dire que c’était moi le moine, pensez-vous que j’aurais attendu un an pour le faire ? Pourquoi ne l’aurais-je pas fait tout de suite, au moment où la vidéo était très présente dans l’actualité allemande ? J’aurais préféré que cette figure reste mystérieuse et anonyme.
Il n’a pas été facile de réaliser cette déclaration, car pour avoir un débat d’idée il faut de la matière, lorsque j’ai reçu votre invitation par courrier avec des articles de loi du code pénal, je n’ai pas eu beaucoup d’inspiration.
Le supérieur de l’ordre des moines Franciscains, frère Markus, par voie de presse, a prononcé un jugement disant : « il a mal agi » – à propos de celui qu’il qualifie de « faux moine ». Dans une interview « Würde ein echter Mönch Polizisten schubsen ? » réalisé avec le journal ZEIT, il a pu apporter un peu de matière au débat.
Je voudrais tout d’abord dire que j’apprécie sa franchise et le témoignage de son engagement qu’il a donné dans le passé contre la « Deutsche Bank » avec une pancarte qu’il tenait sur laquelle était écrit « Notre système économique marche sur des cadavres » , une image très lourde de sens qui est toujours d’actualité. C’est un défi ultime que de savoir comment rendre visible ici la souffrance qu’accomplissent les rouages de la machine capitaliste, souvent loin de nos yeux, là où gisent les cadavres.
Au début d’une manifestation partie du village de Keyenberg, près de Lützerath, Juan Pablo est venu de Colombie pour parler d’une mine de charbon dans son pays, bien plus grande que la mine à ciel ouvert de Garzweiler, pourtant la plus grande d’Europe. En Colombie, la lutte des populations indigènes pour préserver leurs villages et leurs forêts s’était terminée dans le sang, il avait perdu beaucoup des siens. Et, comble de l’horreur, il a déclaré que le charbon était exporté de là-bas vers l’Allemagne, « notre système économique marche sur des cadavres » . L’Afrique, l’Inde, l’Amérique latine, la Chine.
Une Chine que nous critiquons avec notre bonne conscience propre aux pays occidentaux, alors que nous profitons d’un nombre considérable de biens de consommation qui y sont produits. Nos élites font des alliances économiques avec toute l’oppression du capitalisme mondialisé. La bande dessinée et le film « Snowpiercer » permettent d’illustrer les mécanismes modernes, les différents niveaux de conscience et de perception de la souffrance. Plus nous nous rapprochons des élites et des pouvoirs, plus nous vivons dans l’illusion. Brisons les illusions et lisons l’œuvre de Jack London « Le talon de fer » , afin de ne plus faire la guerre entre les peuples, mais contre les puissants de ce monde.
Pour le frère Markus, il suffit de pousser un policier dans la boue pour ne plus être un moine. C’est la sentence ultime, le jugement dernier. Ici, le policier n’a même pas été blessé comme on a pu l’apprendre par la presse. La situation est même inhabituelle et plutôt amusante pour une grande partie des personnes derrière leur écran. Pensons un instant aux quelques millions de gens à travers le monde qui ont pu rire et ainsi prolonger leur espérance de vie. Rien de froid, rien de tragique. Mais l’affront est là, c’est le renversement du rapport de domination. Une personne pouvait être un instant, grâce à la boue, supérieure à la police. La police devrait être toute-puissante et pouvoir tout maîtriser. Lorsque le frère Markus dit : « Mais ce faisant, il profite de leur impuissance » , n’est-ce pas leur cas à chaque instant ? N’avons-nous pas constamment en face de nous des policiers qui profitent de notre impuissance ?
Moi non plus, je n’aime pas que l’on « exploite » notre « impuissance » . Je n’aime pas que des milliers de personnes soient frappées par des policiers enragés, criant et brandissant leurs matraques. Dès le début, la police a chargé aveuglément. J’ai vu des visages en sang et des gens inconscients sur le sol. J’ai pleuré trois fois tellement la violence était insupportable. Les réseaux activistes de Lützerath ont fait savoir que 45 personnes avaient été blessées à la tête par la police pendant la manifestation. 46 avec moi, j’ai été frappé au visage sans raison par un policier alors que je filmais une scène de violence policière. J’ai la chance d’avoir eu simplement quelques rougeurs passagères. Et comme les activistes ne sont pas aussi organisés que l’institution policière, on ne saura jamais le nombre exact de manifestants blessés, beaucoup de gens sont rentrés chez eux traumatisés. J’ai essayé la stratégie de ne pas bouger quand la police chargeait, en nous tenant mutuellement par les bras. C’était en quelque sorte sacrificiel, assez efficace pour tenir les positions, mais inutile dans l’espoir que la police ne soit pas violente, et donc beaucoup trop traumatisant à la vue des blessés graves et du sang. Je déteste voir du sang. J’ai moi-même reçu un coup de matraque sur le coude sans raison.
Pendant la moitié du temps de la manifestation, je filmais en direct pour un média sur les réseaux sociaux de Gilets Jaunes en France. Je ne voulais vraiment pas me faire remarquer, je restais de temps en temps avec un groupe de chrétiens du mouvement « Kirchen im Dorfen Lassen » que j’apprécie. En tout, j’ai dû rester plusieurs mois depuis l’année 2020 à Lützerath, deux femmes chrétiennes à l’origine du Manhwache de Lützerath ont même déposé à l’hôpital de Erkelenz après que j’aie eu la maladie de Lyme, une tique que j’avais attrapée dans un champs de fraises à Meuchefitz. C’était pendant la période du COVID, j’avais de plus en plus de courbatures sur le côté droit de mon corps, je pensais que j’étais touché par le virus alors je m’étais isolé dans une pièce. C’était dans la maison que le dernier paysan de Lützerath prêtait aux activistes. Une fois à l’hôpital de Erkelenz, j’ai pu être soigné de manière efficace.
Revenons à la manifestation. Lors d’une charge policière incompréhensible comme il y en avait beaucoup ce jour-là au milieu des manifestants, alors que je filmais, j’ai voulu empêcher cette violence policière déchaînée. Un policier court juste à côté de moi, je lui ai fait un croche-pied et il tombe par terre de son propre élan. Je n’avais pas du tout envisagé de faire cela. C’était une réaction spontanée, plus forte que moi. Je ne voulais pas pleurer une quatrième fois en voyant des personnes se faire tabasser. J’ai trouvé que c’était une action non-violente d’empêcher ce policier d’être violent. J’ai eu le sentiment d’être efficace. Je cours ensuite afin de ne pas me faire attraper, je n’arrêtais pas de dire : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » et j’ai arrêté le direct puis supprimé la vidéo.
Récapitulons : Depuis le début de la manifestation, j’avais reçu un coup au visage, un autre sur le coude, j’ai pleuré trois fois en voyant le sang, la violence policière ; ce petit croche-pied est donc ma première réaction.
Frère Markus aurait préféré que je serre le policier dans mes bras. Mais comment y arriver après cette expérience de violence ? Combien de fois cela lui arrive-t-il de serrer dans ses bras quelqu’un qui vous frappe sans raison au visage et au coude avec une matraque ? Il est vrai que par rapport à la situation dans la boue, il aurait été intéressant de prendre dans mes bras le policier qui était embourbé, mais il m’aurait probablement rejeté de la même manière qu’il a rejeté d’un geste menaçant la petite pancarte que je voulais déposer.
Il est facile de proclamer des jugements moraux sur l’importance de la non-violence, mais comment les mettre en pratique tout en ayant un objectif efficace pour gagner ? Si Frère Markus avait effectivement participé à la manifestation, il me serait plus facile d’entendre ses paroles et conseils. Mais je n’ai pas l’impression de discuter avec quelqu’un qui a aujourd’hui les mêmes craintes que moi et qui voit la nécessité de faire quelque chose pour empêcher que le système capitaliste ne détruise les générations futures.
Maintenant que j’ai dit cela, j’espère du fond du cœur qu’à la prochaine grande manifestation, ceux qui le veulent viendront serrer un policier dans leur bras. Nous avons besoin de toutes les forces éveillées et sensibles !
Le policier s’est relevé de mon croche-pied et a rejoint ses collègues qui ont enchaîné les coups de matraque, il était juste un peu en retard dans son exercice de la violence et n’a pas pu donner autant de coups qu’il l’aurait voulu. En soi, ce n’est pas tragique, au contraire. Si tous les policiers avaient été maîtrisés dans la boue par un millier de moines, le reste de la manifestation aurait pu aller jusqu’à Lützerath. Nous aurions sauvé ce village et les magnifiques cabanes dans les arbres. Un grand banquet festif aurait duré toute la nuit. En chassant les machines destructrices et la police, nous aurions pu reconstruire la merveilleuse utopie qui s’exprimait à Lützerath.
Ce jour-là, il y avait quelque chose de bien pire que de pousser un policier dans la boue. Il y avait une violence policière sans précédent. J’ai vu des policiers se précipiter dans toutes les directions avec leurs matraques et frapper des gens qui étaient solidaires les uns des autres et qui ne réagissaient pas. Et plus tard, la foule a répondu par des jets de boue et quelques feux d’artifice, ce qui était ridicule quand on sait que les policiers étaient protégés de la tête aux pieds par une multitude de protections. Et je suis vraiment très curieux d’avoir une description détaillée des blessures des policiers, car je crains qu’il s’agisse d’un effet d’annonce destiné à légitimer une violence policière sans précédent. 70 policiers blessés, c’est une blague, ou alors la police allemande a vraiment un problème avec la boue. D’un côté vous exagérez les violences qu’auraient subi les policiers et de l’autre vous restez indifférents sur les violences que les personnes venues manifester ont subi. Si c’était un policier sans casque qui se prenait un coup de matraque sur la tête, avec son crâne ensanglanté à en finir hospitalisé, je peux vous assurer qu’il y aurait eu bien plus d’attention médiatique. On aurait tout fait pour retrouver la personne et elle aurait été enfermée aussitôt ! Mais quand c’est un policier qui le fait sur un manifestant, rien, ou si peu de réaction de la part de vos institutions !
Les coups sur la tête sont illégaux, la police ne devrait-elle pas respecter et faire respecter la loi ? A-t-on entendu le chef de police les traiter de « pseudo-policiers », comme Markus m’a traité de « pseudo-moine » ? Il y a suffisamment de vidéos sur Internet où l’on voit les forces de l’ordre frappant les têtes. La critique s’exerce-t-elle avec la même dureté que celle dont vous avez fait preuve à mon égard ? Je n’ai fait que pousser dans la boue. La seule victime dans cette scène est l’orgueil d’une police et d’un État qui ne savent plus comment réagir. Par ailleurs, beaucoup de policiers ont poussé des personnes dans la boue ce jour-là. Ce ne serait donc pas l’action de pousser dans la boue qui est problématique, mais quel habit porte celui qui le fait.
Le frère Markus a affirmé que s’il était victime de violence policière, il « n’utiliserait pas la contre-violence mais porterait plainte » , tout en étant convaincu de « laisser les médias orchestrer entièrement le procès » . Je veux bien admettre que s’il avait été dans cette manifestation, bloquant une charge policière et qu’un policier l’avait frappé à la tête avec sa matraque, il y aurait peut-être eu un procès. Il l’aurait peut-être même gagné. Mais Frère Markus n’était pas là, contrairement à la violence de la police, elle, bien présente.
Plusieurs personnes ont été hospitalisées pour ces blessures. Un procès contre les policiers violents est-il en vue ? Non, on recherche activement des personnes dont le crime est d’avoir voulu défendre Lützerath, probablement à cause de jets de projectiles boueux traumatisants pour la police allemande. Si les mêmes violences policières avaient eu lieu contre Markus, peut-être y aurait-il eu un procès qu’il aurait pu gagner. Cela est-il dû au fait qu’il est le supérieur de l’ordre franciscain ? Il existe une forme d’inégalité de traitement. En raison du titre ou de la fonction que l’on a, on peut bénéficier de privilèges que d’autres n’auraient pas.
Il n’y a également pas eu de procès contre des policiers violents lors des manifestations du G20 à Hambourg, bien qu’il y ait eu un très grand nombre de blessures graves, de plaintes pour violences policières et de vidéos relatant les méfaits. Olaf Scholz ira jusqu’à mentir en prétendant « qu’il n’y a pas eu de violences policières au G20 ». A-t-il menti également dans l’affaire de fraudes fiscales « CumEx » et les 47 millions d’euros que la ville d’Hambourg n’a pas pu récupérer ? Si c’est le cas, Olaf Scholz a fait trois fois plus de dégâts financiers à la ville de Hambourg que les manifestations du G20.
Max Stirner disait : « Aux mains de l’individu la force s’appelle crime, aux mains de l’État la force s’appelle droit. » Il veut dire que c’est absurde d’appeler droit la violence qui est un crime. Je crois comme lui que la violence est problématique dans tous les cas. Et à chaque fois qu’elle s’exprime, elle doit être questionnée. Figer son usage nous empêche de réfléchir à la légitimité et à la justice. De quel côté à Lützerath se situe l’usage légitime de la violence ? Dans la défense du village et ses expérimentations de vie ? Ou dans la destruction et l’exploitation du charbon qui condamne chaque jour un peu plus les générations futures ? La question de la légitimité de l’usage de la violence doit se poser dans chaque situation conflictuelle.
Peut-on agir avec succès tout en restant pacifique ? Cela demande de s’intéresser à l’efficacité de l’action non-violente et l’objectif à atteindre.
Le frère Markus a dit : « Comme le Mahatma Gandhi, il suffit de rester debout et d’endurer. Ou oser quelque chose de surprenant : serrer les policiers dans ses bras au lieu de les pousser. ».
Si Frère Markus veut serrer un policier dans ses bras, que ce dernier le frappe, obtenant un procès et qu’il le gagne, pourquoi pas. Toutes les stratégies doivent s’unir pour éviter la catastrophe. Il est toutefois important de demander à l’autre personne si elle est d’accord pour un câlin, sinon cela peut aussi être une forme de violence.
Gandhi ! Tout le monde est Gandhi aujourd’hui, on le cite, on s’identifie à lui, on se l’approprie. Mais le connaissons-nous vraiment ? Sur le point des compromis face à la colonisation, Gandhi était d’ailleurs hautement problématique, mais c’est un autre débat.
La non-violence de Gandhi était extrêmement exigeante. Il affirmait qu’elle « ne peut être enseignée à ceux qui craignent la mort et n’ont pas la force de résister. » Elle versait même jusqu’au suicidaire : « L’histoire est pleine d’exemples d’hommes qui, par leur mort courageuse, la compassion sur les lèvres, ont changé le cœur de leurs adversaires violents. […] L’autodéfense […] est le seul acte honorable qui reste quand on n’est pas prêt à s’immoler par le feu. » Sa non-violence impliquait « le courage froid de mourir sans tuer. – Mais celui qui n’a pas ce courage ». , ajoutait-il, « doit cultiver l’art de tuer. » ( Gandhi ) Je me permets à ce stade de nuancer Gandhi, car je ne suis pas d’accord. Je pense par exemple que le sabotage matériel est un bon moyen d’action. C’est ce qu’a fait Mandela contre l’apartheid avec l’ANC, allant jusqu’à faire sauter les bâtiments institutionnels de l’oppression raciste, tout en faisant attention de ne blesser ou de ne tuer personne. C’est la raison pour laquelle il a fait 27 ans de prison.
Gandhi disait que « si nous ne pouvons nous défendre, nos femmes et nous-mêmes, et les endroits que nous tenons pour sacrés, par la force de la souffrance, c’est-à-dire la non-violence, nous devons, nous, les hommes, au moins être capables de les défendre en combattant. » Il y a du sexisme dans cette citation, mais restons concentrés sur sa philosophie de la non-violence. Il dit encore : « Je le répète et le répéterai encore et encore, celui qui ne peut se protéger lui, ou ses proches, ou leur honneur, en affrontant la mort non violemment, peut et doit se servir de la violence contre son oppresseur. Celui qui ne peut faire ni l’un ni l’autre est un fardeau. »
Si la non-violence de Gandhi a une conviction fondamentale, c’est celle de l’efficacité. Être prêt à se sacrifier pour atteindre son objectif. Pas simplement s’asseoir et se lever quand la police le demande ou rester assis et se laisser emporter par la police. La non-violence de Gandhi est sacrificielle, elle nous demande à être prêt, si nécessaire, à aller jusqu’à la perte de sa propre vie afin d’atteindre l’objectif. Mais si nous n’en sommes pas capables, afin de ne pas être « un fardeau ». , Gandhi nous recommande de « se servir de la violence contre son oppresseur. »
Dans la lutte, la violence et la non-violence ne s’opposent pas.
Martin Luther King lui-même répondait à ceux qui lui demandaient de se distancier des émeutes « les barricades sont la voix de ceux qu’on n’entend pas ». , contrairement à ce que font parfois les mouvements de protestation qui se distancient des personnes violentes. Alors que si l’on suit les recommandations de Gandhi, il faudrait plutôt se désolidariser de la masse des gens qui ne sont ni prêts à être efficaces par la non-violence pour parvenir à la victoire ; ni prêts à lutter contre l’oppression par la violence. Car ce sont des fardeaux.
Il est temps de déposer ces fardeaux au pied de la croix, frère Markus.
La porte de l’activisme est grande ouverte, il y a même des mouvements chrétiens qui se sont déjà fortement engagés à Lützerath, comme l’initiative œcuménique « Die Kirche(n) im Dorf lassen ».
En portant cet habit religieux, j’espère apporter de la spiritualité dans le combat. Comment faire tomber les puissants de leur trône ? C’était le sens de mon geste.
En 2014, j’étais dans une manifestation où Rémi Fraisse a été tué par une grenade policière. C’était une manifestation contre un projet de barrage pour l’irrigation intensive, ce projet a été statué illégal et a été abandonné. Sa mort m’a traumatisé, elle a aussi renforcé ma volonté de continuer à me battre pour sauver des espaces naturels de leur destruction par des projets absurdes. A travers d’autres manifestations, j’ai continué à vivre des situations de tensions entre les manifestants et les forces de l’ordre.
En France nous avons eu l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la justice qui a déclaré illégales plusieurs méga-bassines suites à des mobilisations massives et déterminées. Mais pour cela, il faut que nous soyons soudés. Que nous avancions vers un objectif concret. Un changement global peut être le fruit d’une multitude de victoires locales. Les Kurdes nous apprennent que même dans un contexte de guerre et d’instabilité intense, il est possible de tendre vers l’autogestion et le municipalisme libertaire décrit par Murray Bookchin. Partout, des poches de résistance peuvent naître. Et il n’y a pas de dogme, pas de règles morales qui doivent figer l’esprit de créativité. Il faut se battre pour que dans 1000 ans des formes de sociétés puissent exister, sans prétention de les imaginer aujourd’hui, demain leur appartient et elles sauront en prendre soin. Apprenons déjà à prendre soin de notre présent afin qu’il soit possible de vivre encore sur cette planète dans 1 000 ans et au-delà. Qu’au lieu d’une civilisation qui domine l’ensemble de la planète, on puisse avoir des milliers d’autres civilisations ou styles de vie plus sauvages dès à présent. Désertons et enrayons la machine capitaliste destructrice, partout où elle sévit. Nous n’avons pas le droit de dégrader notre planète, de compromettre le droit à d’autres vies humaines, animales et végétales d’exister dans le futur. Ce système d’exploitation et d’oppression doit s’effondrer avant qu’il ne détruise complétement la biodiversité et la beauté de la vie.
Nous avons besoin de retrouver de la puissance depuis la libre association de nos existences. Cette puissance s’est exprimée pendant la manifestation à Lützerath, il y a eu l’audace collective d’essayer de sauver ce village. C’était un moment historique. Nous étions différents, d’horizons multiples, mais ensemble dans la volonté d’arrêter la destruction de Lützerath. C’est cette volonté qui fut la plus précieuse.
Nous étions 30 000, et il n’y avait que 1 500 policiers. Lorsque la manifestation s’est mise à dévier directement vers le village de Lützerath, nous avons pu instinctivement étaler le dispositif policier grâce à la configuration rurale des champs. Rapidement, la police a tenté de traumatiser en chargeant de manière aléatoire, frappant les corps. Par la suite, des tentatives de passer au travers de la ligne policière en courant étaient engagées spontanément par quelques centaines de personnes. Parfois c’était un échec, le plus souvent à cause du fait que cela prenait trop de temps à se mettre en place. La police le pressentait, rassemblant alors ses forces à cet endroit précis où l’audace allait s’exprimer. Mais à deux reprises, des percées victorieuses ont permis à l’ensemble de la manifestation de gagner du terrain. Les policiers, après avoir frappé les premières personnes qui passaient, quittaient alors leur position et couraient à leur tour pour rejoindre leurs collègues à l’arrière. L’ensemble de la manifestation a pu s’approcher jusqu’à quelques dizaines de mètres de Lützerath. Là, les policiers étaient beaucoup plus resserrés, les camions de polices étaient presque collés les uns aux autres et il n’y a pas eu véritablement d’autres tentatives. Bien que la motivation et l’envie collective étaient là ! Après deux passages réussis au travers des lignes policières et le spectacle des policiers qui s’enfoncent dans la boue, le moral était haut ! Si les dizaines de milliers de manifestants avait décidé d’y aller en même temps, nous serions passés. Ils auraient été dépassés simultanément par la masse avançant de toutes parts.
Il aurait suffit d’une meilleure coordination de nos aspirations.
Comment faire ? L’idéal serait d’avoir un moyen d’auto-organisation depuis la base, un moyen qui pourrait être utilisé dans n’importe quelle situation de manifestation et que tout le monde connaîtrait. En discutant avec des amis de cette idée, c’est le signe de la croix jaune, symbole de la lutte de Lützerath qui est resté. C’est un signe simple que chacun pourrait réaliser en croisant ses deux bras en face de soi. Ce signe signifierait : « Je suis motivé pour avancer à travers la ligne policière. » À partir du moment où une personne fait ce geste, tous les autres autour peuvent décider ou non de le faire également. Si peu de monde fait le geste, l’idée n’est pas essayée. Mais si c’est une levée massive de bras en croix qui s’élève, naturellement, les corps se mettront ensemble en mouvement. La signification de ce geste devra être complétement non-violente, c’est une condition importante afin qu’un maximum de personnes présentes dans la manifestation puissent y participer. Je sais combien, notamment en Allemagne, les débats sur la violence et la non-violence agitent et divisent. Si l’envie d’essayer cette stratégie s’exprime, il faudra lui laisser l’occasion d’exister.
Avant de commencer à faire le geste, il est préférable d’espacer le dispositif policier, surtout en milieu rural où il y a de la place. L’objectif sera de tenter d’ouvrir des brèches pour que la manifestation puisse s’engouffrer. Les personnes les plus déterminées et capables d’endurer des coups se placeront à l’avant. Avec l’avancée massive du reste des personnes, le moment du contact sera très bref et moins long que pendant des affrontements classiques. Rapidement, la puissance de la masse coordonnée prendra le dessus sur la police qui se trouvera rapidement acculée à cause de la simultanéité de l’action. Si jamais des policiers sont particulièrement violents, les plus déterminés pourront tenter de faire des câlins comme le frère Markus l’a suggéré, un policier qui se retrouve sous trois câlins simultanément aura du mal à continuer à exercer sa violence. Il faudra faire attention de ne pas les étouffer pour autant. Si une personne en profite pour tenter de frapper un policier, les manifestants pourront également lui faire un câlin pour qu’il se calme. Mais cela a peu de chance d’arriver car ce n’est pas arrivé à Lützerath quand à deux reprises le cortège a passé les lignes policières. Les manifestants étaient plus intéressés à courir afin d’atteindre le village.
Tolstoï, Ivan Illitch ou Jacques Ellul sont des écrivains anarchistes chrétiens qui m’inspirent.
Ayant reçu une éducation luthérienne, je l’ai remise en question après avoir pris connaissance de la violence des propos de Luther. C’était à l’égard des pauvres paysans qui se révoltaient contre les impôts et l’oppression des princes, il disait, en s’adressant aux chevaliers des princes :
« Il faut les mettre en pièces, les étrangler, les égorger, en secret et même en public, comme on abat des chiens enragés ! C’est pourquoi, chers messieurs, égorgez-les, tuez-les, étranglez-les, libérez-les ici, sauvez-les là ! Si vous tombez au combat, vous n’aurez jamais une mort plus sainte. »
Face à tant de violence luthérienne qui s’est faite l’allié et le soutien des puissants, je ne peux que regretter que les révoltes paysannes ainsi que Thomas Müntzer aient fini par être écrasés. La mémoire des vaincus est souvent travestie par celles des vainqueurs. Ces pauvres paysans révoltés seraient des monstres et Luther un saint ?
Les véritables fanatiques, ce sont les puissants de ce monde qui font s’entretuer les peuples dans les guerres, ce sont les marchands d’armes qu’il faut partout, chasser du temple sacré de nos vies quand une partie de nos impôts finance la mort. Que les leaders de chaque Etat montrent l’exemple et se battent d’abord entre eux, avant d’envoyer respectivement leurs peuples se faire massacrer ! Selon le rapport annuel de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), entre 2019 et 2023, les plus grands trafiquants d’armes sont les États-Unis, la France, la Russie, La Chine et l’Allemagne.
Il nous faut mettre fin à toutes les guerres et à la destruction de la vie sur terre. Chaque jour l’horizon s’assombrit un peu plus. Les peuples se regardent respectivement avec de plus en plus de méfiance alors qu’ils devraient se rassembler contre les puissants. Les perspectives de paix mondiale s’effritent à mesure que les armes ôtent la vie et sèment la mort, faisant pousser encore plus de haine dans les cœurs traumatisés. Nous avons besoin de victoires sur l’ensemble des défis que doit affronter l’humanité.
Il y a 3 ans, la guerre en ukraine prenait un tournant plus tragique. En deux semaines, nous avons monté avec des habitants un projet de convoi au départ de la ville de Commercy pour ramener une trentaine d’ambulances à la frontière ukrainienne.
J’étais chargé de la coordination avec l’ensemble des soixante bénévoles. Nous avons pu le faire, et par la suite j’ai créé avec eux une association « Against War Convoy » afin de continuer à réaliser quelques convois qui devenaient de plus en plus petit à mesure que la guerre s’éternisait. Nous cherchions à amener de quoi soigner les blesser. J’avais un rêve au fond de moi : j’imaginais la ligne de front envahie par des centaines de milliers de véhicules ambulanciers venant de toute l’Europe et d’autres arrivant du côté du peuple russe. Qu’il y ait mille fois plus d’ambulances que de chars, afin que les conducteurs des chars soient obligés de rouler par-dessus pour passer. Alors, le cœur trop lourd, ils finiraient par pleurer et faire la paix. C’est utopique.
À l’air d’internet, en communicant entre les peuples grâce a cet outil, j’avais pensé que ça serait bien d’organiser une grande marche pour la paix entre les peuples d’Europe et de la Russie, on se serait retrouvé ensemble à un endroit de la frontière russo-ukrainienne afin de se mélanger et faire une grande fête de la paix.
Nous avons besoin de radicalité et de créativité.
Dès aujourd’hui, multiplier partout des actions et initiatives. Comme l’a montré le film « Lord Of War » nos armes se retrouvent partout, le business de la mort n’a pas d’éthique et a réussi à s’établir autour de nous par le mythe en partie mensonger de la défense de la nation. Que font nos armes au Congo RDC entre les mains de centaines de groupes armées. Provoquant un génocide de près de 10 millions de personnes dont on ne parle pas, ou si peu, pendant que perdure là-bas l’exploitation sans précédent des minerais que l’on retrouve dans nos appareils électroniques. Que font nos armes en Arabie Saoudite, plongeant le Yémen dans le chaos.
Cela doit cesser.
Partout dans le monde, il faut réaliser une course vers le désarmement. Un grand concours pour la paix. Chaque personne travaillant dans l’armement qui déserte, chaque blocage ou sabotage des usines d’armements rapporteraient des points. Ces sabotages seraient réalisés avec le même esprit que ceux de l’ANC où Mandela a participé, c’est-à-dire sans faire de blesser ni de victime. Et un grand classement mondial – actualisé grâce aux informations qui remonteraient des actions menées dans chaque pays – inciterait chacun à vouloir être le premier de la liste. Celui où l’envie radicale de paix s’exprime le plus. Bien entendu les plus grands pays trafiquants d’armes commenceraient avec des malus.
Peut être que ces deux idées du geste à faire en manifestation et de cette compétition mondiale pour la paix ne trouveront pas d’écho. Peut-être pas tout de suite. Mais j’ai pu dire ce que j’avais sur le cœur.
Le « moine » de Lützerath «
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