par Allan Hansen, publié sur Industrial Worker, traduit par les IWW Bruxelles
Ce n’est un secret pour personne que la force des syndicats américains s’est affaiblie ces dernières années. La représentation syndicale sur le marché du travail a atteint un niveau historiquement bas, les lois du travail sont de plus en plus rédigées en faveur des employeurs plutôt que des travailleurs-ses, et les activités antisyndicales menées par les employeurs ont toutes conduit à l’affaiblissement de nos syndicats et à leur incapacité à défendre les droits des travailleur·ses sur le lieu de travail. Malgré ces faiblesses, la plupart des gens soutiennent les syndicats en principe, et nous devons donc discuter de la manière de faire progresser le mouvement syndical face à ces défis. Le syndicalisme d’action directe est l’un des outils dont disposent les travailleur·ses pour mener une telle action.
Lorsque la plupart des gens parlent du syndicalisme, ils et elles ont tendance à l’envisager d’une manière très conventionnelle et bureaucratique, et c’est en grande partie ainsi que les syndicats fonctionnent aujourd’hui. L’activité syndicale se concentre sur l’élection des représentant·es syndicaux·ales et la signature d’accords. Cette conception du syndicalisme se heurte à plusieurs limites. Tout d’abord, l’accent étant mis sur la négociation collective, le renouvellement des conventions est souvent un processus de longue haleine, et les changements ne peuvent être mis en œuvre qu’au moment des négociations collectives, qui durent généralement plusieurs années. Comme les patrons savent quand la convention prend fin et quand les négociations doivent avoir lieu, ils savent également quand s’attendre à une recrudescence de l’organisation et de l’activité syndicales, ce qui diminue le pouvoir de négociation des travailleur·ses. Si des abus surviennent alors que le contrat ne prévoit aucune politique en la matière, le syndicat ne peut généralement pas faire grand-chose pour régler le problème ou demander réparation à l’employeur. Le mieux que le syndicat puisse faire dans ce cas est de se battre pour obtenir une telle protection lors de la prochaine négociation de la convention collective. L’importance de l’élection des représentant·es syndicaux·ales présente également quelques problèmes potentiels dans la défense des revendications syndicales. Bien qu’il y ait de nombreuses personnes honnêtes et travailleuses impliquées dans les syndicats, il faut reconnaître que nos dirigeant·es syndicaux·ales ne sont pas infaillibles. Nombre d’entre elleux gagnent des sommes astronomiques, supérieures à celles des travailleur·ses qu’ils et elles représentent. Cela ne veut pas dire que les dirigeant·es syndicaux·ales ne font pas du bon travail, mais plus ils et elles s’éloignent des travailleur·ses qu’ils et elles représentent, plus ils et elles courent le risque de s’éloigner des réalités auxquelles ces travailleur·ses sont confronté·es. Il est également beaucoup plus facile pour les employeurs d’exercer des pressions antisyndicales sur une poignée d’individus que sur l’ensemble d’une main-d’œuvre.
Ma propre expérience sur le lieu de travail est un exemple de ces pièges. Je travaille dans une usine de fabrication avec un syndicat typique doté de délégué·es et d’un convention collective. Nos conventions précédentes établissaient une distinction entre les travailleur·ses par le biais d’un système de niveaux : les employé·es embauché·es avant une certaine date sont de « niveau 1 », tandis que celles et ceux embauché·es après sont de « niveau 2 », les employé·es de niveau 1 étant mieux payé·es que les employé·es de niveau 2, c’est-à-dire la grande majorité des employé·es. Cela pose un problème immédiat, car si la force d’un syndicat vient de l’unité de ses membres, en divisant les travailleur·ses, l’entreprise a déjà porté un coup massif à la solidarité des employé·es. En outre, tous les représentant·es syndicaux·ales sont des employé·es de niveau 1. Au début des négociations, la délégation n’avait aucun intérêt à abolir le système des niveaux. Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet lors des réunions syndicales, auxquelles assistent aussi principalement des employé·es de niveau 1, le délégué principal a défendu cette absence d’action en déclarant que « dans quelques années, nous, les employés de niveau 1, serons à la retraite et vous pourrez alors faire ce que vous voudrez ». Il s’agit là d’un conflit d’intérêts évident. La délégation syndicale souhaitait maintenir le système des niveaux en place puisqu’elle en bénéficiait au détriment de l’ensemble du syndicat. Et comme les responsables syndicaux·ales n’encouragent guère la participation des membres du syndicat, dans un effort pour conserver leur pouvoir, la majorité des employé·es de niveau 2 n’étaient pas au courant de la position de la délégation sur le système à niveaux jusqu’au premier vote sur la convention, qui a été rejetée à une écrasante majorité, jusqu’à ce que la délégation et l’entreprise cèdent et abolissent le système à niveaux dans la nouvelle convention, bien qu’ils l’aient aboli de manière à ce que l’écart de rémunération diminue chaque année jusqu’à ce qu’il s’estompe la dernière année de la convention actuelle. Tous ces efforts pour abolir une mesure qui n’aurait jamais dû être acceptée, et il faut encore attendre la fin de l’ensemble de la CCT pour qu’elle prenne fin, tout cela sur ordre de la direction du syndicat.
Le syndicalisme d’action directe adopte une approche différente du syndicalisme, en se concentrant sur l’action directe menée par les travailleur·ses pour mettre en œuvre le changement. Au lieu de s’appuyer sur des conventions négociées entre les employeurs et les représentant·es syndicaux·ales, le syndicalisme d’action directe demande aux travailleur·ses d’effectuer elles et eux-mêmes le travail de transformation. Si les travailleur·ses sont en mesure de s’organiser elles et eux-mêmes, sans se soucier d’être considéré·es comme un syndicat officiel par l’employeur, ils et elles peuvent se mobiliser pour prendre des mesures directes à l’égard de leurs employeurs et lutter pour obtenir les changements nécessaires à l’amélioration de leurs conditions de travail.
L’exemple le plus frappant d’action directe se trouve peut-être dans la grève. Lorsque les travailleur·ses refusent de travailler, les patrons le ressentent à l’endroit qui leur importe le plus, à savoir leurs bénéfices. Même s’ils essaient de le nier, les employeurs sont bien conscients que c’est le travail de leurs employé·es qui génère de la richesse pour l’entreprise, et c’est pourquoi ils se battent si ardemment pour empêcher les travailleurs-ses de faire grève. C’est ce qui s’est passé avec la grève de la SAG-AFTRA. Les scénaristes et les acteurs-rices de l’industrie du divertissement ont fait grève contre les sociétés de production qui ont besoin de leur travail pour prospérer, en raison de plusieurs revendications allant des rémunérations injustes aux droits résiduels des services de diffusion en streaming, en passant par le rôle de l’intelligence artificielle dans les productions.
L’un de ces studios en lutte contre la grève était Universal Pictures. Juste avant que les travailleur·ses ne se mettent en grève au cours d’une semaine particulièrement chaude, le studio a coupé les arbres sous lesquels les piquets de grève se tenaient pour se mettre à l’ombre, afin de dissuader les travailleur·ses de tenir un piquet de grève dans des conditions aussi difficiles. Les grèves ont longtemps été l’outil le plus efficace dans l’arsenal des travailleur·es pour mettre en œuvre le changement, il est donc clair que les patrons se battent si fort pour décourager les grèves. C’est pour cette raison que les travailleur·ses doivent commencer à considérer ce type d’action directe comme une méthode légitime d’action syndicale, indépendamment des conventions ou de l’autorisation des représentant·es syndicaux·ales.
Bien entendu, l’action directe ne doit pas toujours prendre la forme d’une grève et, dans de nombreux cas, les travailleur·ses n’ont guère de raison d’intensifier leur action jusqu’à une démarche aussi risquée. Chaque fois que des travailleur·ses se réunissent et font connaître leurs revendications, il s’agit, par essence, d’une action directe. Parfois, un grand groupe de travailleur·ses s’adressant simplement au patron pour lui faire part d’un changement souhaité peut suffire. Comme indiqué précédemment, les employeurs ont tendance à vouloir éviter les grèves, de sorte que s’ils constatent qu’un grand nombre de travailleur·ses s’unissent pour un problème donné, la menace peut suffire à elle seule.
Un exemple est le « ralentissement », où les travailleur·ses ne se mettent pas techniquement en grève, mais accomplissent leur travail à un rythme plus lent, ce qui se traduit par une diminution de la quantité de travail. C’est ce qu’ont fait les dockers de Glasgow, en Écosse, en 1899. Ils et elles venaient de reprendre le travail après une grève infructueuse pour obtenir une augmentation de salaire de 10 %. Au lieu d’écouter les revendications des travailleur·ses, les patrons ont fait appel à des briseur·ses de grève du secteur agricole. Ces travailleur·ses agricoles n’étaient pas aussi efficaces que les dockers syndiqué·es, de sorte que lorsque les travailleur·ses sont revenu·es, ils et elles ont travaillé aussi lentement que les travailleur·ses agricoles et, après quelques jours, les patrons ont cédé et accordé l’augmentation de 10 %. Un hôpital psychiatrique de Nouvelle-Angleterre est parvenu à faire réembaucher un syndicaliste licencié : lorsque de nombreux·ses travailleur·ses ont prévu de se faire porter pâle en même temps, le superviseur a compris et a réembauché le travailleur selon une tactique connue sous le nom de « Sick-in » (appel à la maladie). À New York, les travailleur·ses des restaurants de l’I.W.W. ont pu obtenir satisfaction après une grève infructueuse ; à leur retour au travail, ils et elles ont fait payer aux client·es moins que ce qu’ils et elles avaient commandé et leur ont donné plus de nourriture que d’habitude, ce qui a entraîné une perte de profit pour les patrons. Dans tous ces exemples, les travailleur·ses n’ont pas fait grève, mais ils ont collectivement pris des mesures qui ont eu un impact négatif sur les entreprises pour lesquelles ils et elles travaillaient et qui, confrontées à une perte de profit, n’ont eu d’autre choix que de répondre aux demandes des travailleur·ses.
Le syndicalisme d’action direct invite les travailleur·ses à jouer un rôle plus actif dans le mouvement syndical. Plutôt que de s’en remettre aux conventions collectives ou aux délégué·es pour parler en leur nom, le syndicalisme d’action directe invite les travailleur·ses du monde entier à prendre les choses en main et à imposer elles et eux-mêmes les changements qu’elles et ils souhaitent obtenir sur leur lieu de travail. La force des syndicats n’a jamais résulté d’accords contractuels lourdement contestés, ni d’élections qui décident quel·les membres peuvent s’asseoir à la table des négociations. La force des syndicats vient de la solidarité de ses membres, et lorsque les travailleur·ses s’unissent pour une cause, quelle que soit la forme de l’action, peu importe qu’ils et elles portent des casquettes ou des badges, leur voix collective sera entendue.
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