GUERRE de CLASSE / Nous publions ici notre traduction en français de l’importante contribution des camarades de Proletarios internacionalistas concernant l’essence même et le développement du défaitisme révolutionnaire. En cette période où le cours inlassable de la guerre et de la paix capitaliste tend à trouver vigueur dans une « solution » de type « conflit militaire », non plus seulement à l’échelle régionale mais aussi plus globalement à l’échelle planétaire, et à englober toujours plus de prolétaires avec ou sans uniforme dans le processus de la reproduction élargie de ce monde de misère, de destruction et d’exploitation, les communistes se doivent de mettre en exergue et de participer à ce qui permet à notre classe de forger ses armes et de s’organiser en conséquence. Nous croyons fermement que la discussion internationale des thèses qui suivent participe de cet effort militant dont le but final est l’éradication de « l’existant » insupportable que la préhistoire humaine, faite de société de classes, nous impose depuis des siècles, des millénaires… Nous ne pouvons que soutenir pleinement toute initiative militante qui s’érige en critique implacable du monde de la valeur et de l’argent, et qui inscrit sa pratique sociale dans le développement de ce plan pour l’humanité qu’est le communisme.
Et comme le disent nos camarades de Proletarios internacionalistas : « Sur ce terrain de la lutte, de la confrontation, mais aussi de la camaraderie et de la vie, nous exhortons les militants et groupes révolutionnaires à centraliser leurs efforts avec les nôtres dans l’organisation du défaitisme révolutionnaire, et en général, dans l’organisation de toutes les tâches exigées par la communauté de lutte contre le capital, en tenant compte, bien sûr, des capacités et des possibilités que la conjoncture nous permet. » Bonne lecture…
GdC.
Le texte que nous publions ci-dessous fait partie du prochain numéro de notre revue Révolution, consacré à la guerre impérialiste et au défaitisme révolutionnaire.
Nous avons décidé d’avancer sa diffusion tant en raison du retard que nous avons pris avec la revue, qu’en raison de l’importance de ce document dans les discussions qui ont lieu dans les secteurs de notre communauté de lutte qui assument les tâches internationalistes du défaitisme révolutionnaire.
Il ne faut pas s’étonner que le défaitisme révolutionnaire soit à nouveau à l’ordre du jour dans notre communauté de lutte. Il suffit de voir comment vit aujourd’hui une bonne partie du prolétariat : sous les bombes. Et les « privilégiés », qui ne vivent pas au rythme des avions de chasse ou du bruit des bottes des militaires, subissent dans leur chair la douleur de leurs frères de classe ainsi que l’effort de guerre que tous les États développent.
Il est normal que, devant le bain de sang qui inonde le vieux monde, notre classe non seulement refuse d’être de la chair à canon, mais encore exprime son refus en braquant ses fusils sur les agents directs du carnage. Face aux drapeaux fétides de la patrie, sous les plis desquels des milliers de prolétaires sont massacrés, la menace du défaitisme révolutionnaire hante les armées de la bourgeoisie.
Précisons tout d’abord, contre les conceptions caricaturales émanant du milieu gauchiste ou ultragauchiste putride, que le défaitisme révolutionnaire n’est pas un idéal à atteindre, un joli slogan lancé par les révolutionnaires pour que les prolétaires cessent de s’entretuer et retournent leurs fusils contre « leurs » propres officiers, ni une conception importée de l’extérieur de la classe prolétarienne par certains « révolutionnaires », qui devraient apporter la conscience. Le défaitisme révolutionnaire est une pratique sociale, ou mieux dit, une détermination première émanant des contradictions sociales que la guerre impérialiste génère dans notre classe. S’il revient au centre des préoccupations de la communauté de lutte contre le capital, supplantant une série d’autres questions, ce n’est pas parce qu’il figure à l’« agenda » de quelques militants révolutionnaires, mais parce que la généralisation de la guerre incite notre classe à s’y opposer.
Il y a, bien sûr, de nombreux obstacles matériels à l’organisation et au développement de la pratique défaitiste, comme le montre le développement impressionnant de la guerre impérialiste. Il s’agit d’un ensemble de limites qui empêchent le déchaînement de cette force imposante et qui façonnent l’état actuel dans lequel se trouve le prolétariat en tant que classe. En général, ce sont les mêmes limites et faiblesses qui affectent tous les domaines de la lutte prolétarienne, depuis la défense matérielle la plus élémentaire de nos conditions de vie jusqu’aux soulèvements de notre époque. La principale limite est le rapport de force international, produit de la défaite historique de notre classe, dont elle n’a pas encore réussi à s’extirper. Cette défaite contient une série d’implications (mise en pièces et donc négation de nos expériences de lutte, affaiblissement de notre associationnisme, décomposition de notre force unitaire, idéologisation de notre programme révolutionnaire…) qui ne peuvent être affrontées que dans le développement même de la lutte contre le capital, en poussant les exploités à reconnaître leur propre défaite afin de vaincre l’ennemi. La révolution sociale est un processus historique dans lequel la défaite fait partie de son processus contradictoire d’affirmation.
La structuration en direction révolutionnaire de sa propre expérience de lutte, catalysée par ses minorités d’avant-garde, a toujours marqué l’évolution de la guerre contre la bourgeoisie dans les moments de crise généralisée. Croire qu’une perspective révolutionnaire peut émerger en dehors de la lutte prolétarienne immédiate contre l’exploitation et de sa dimension historique inhérente, ou pire, considérer qu’elle est confinée à l’intérieur de la reproduction capitaliste, et ne peut donc aspirer à aucune rupture avec le rapport social existant, c’est ramer en faveur du développement de la guerre impérialiste et du maintien de l’esclavage salarié.
Par conséquent, le défaitisme révolutionnaire, en tant qu’opposition prolétarienne à la guerre, ne peut séparer son action actuelle de sa pratique historique. Il ébranle tous ceux qui se placent dans sa perspective afin qu’ils approfondissent la connaissance de leur propre praxis et de ses limites, dans la complexité des labyrinthes proposés par l’ennemi, précisant toujours plus clairement le chemin ardu qui démantèle les armées de la bourgeoisie, ce qui place l’ordre social existant entre le marteau et l’enclume et le met le dos au mur. C’est au cœur de cette pratique défaitiste, des discussions développées au sein de notre communauté de lutte, en dehors et contre le spectacle scolastique et doctrinaire, que nous inscrivons cette petite contribution.
En partant de l’ABC du défaitisme de notre classe, nous voulons préciser quelques questions qui s’opposent aux caricatures et aux analyses réductrices qui sont soulevées sous sa bannière. Le but du texte est clair, contribuer à délimiter le terrain défaitiste révolutionnaire des divers simulacres et événements théologiques, en particulier de ce que nous appelons le « défaitisme simpliste », et, en même temps, pousser tous les militants révolutionnaires à centraliser ensemble les tâches que le moment présent exige de nous.
En raison du statut de brouillon de cette contribution, qui fait encore l’objet de discussions et de clarifications, nous avons préféré présenter le document sous la forme de thèses.
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Le défaitisme révolutionnaire ne part pas d’un ensemble d’idées ou de consignes, mais résulte des conditions matérielles d’existence du prolétariat sous le régime de la guerre impérialiste. Il s’agit d’une pratique immédiate, primaire, découlant des besoins et des intérêts matériels des prolétaires, qui comprend différents niveaux de matérialisation et de développement, et dont la base est, comme toujours, la lutte contre l’exploitation, et donc la lutte contre « sa » propre bourgeoisie [1]. La défaite de « sa » propre bourgeoisie équivaut à la défaite de « son » armée, de « son » État.
Cette pratique ne dépend pas de ce que pense tel ou tel prolétaire, car c’est l’ensemble de ses intérêts matériels qui le pousse à s’opposer à la guerre impérialiste et aux différentes armées de la bourgeoisie. Le défaitisme est déterminé par les coups que notre classe reçoit dans la guerre, par les morts, les blessés, les viols, la répression, la faim, la démoralisation, l’épuisement, les sacrifices, les humiliations, l’« effort de guerre »…, c’est-à-dire par l’exacerbation des contradictions sociales. Ce n’est qu’à partir de là, en tant que produit matériel inhérent au prolétariat, que la nécessité et la possibilité du défaitisme révolutionnaire apparaissent clairement.
Il ne s’agit donc pas du « débarquement », depuis le monde des cieux, d’un prolétariat « pur » qui, apparaissant comme une classe internationaliste autonome et révolutionnaire face aux guerres, ne laisserait aucune place à la religion, au nationalisme ou aux autres idéologies de la bourgeoisie. Cette position caricaturale voit la lutte des classes comme un moment concret, celui du développement volontaire et organisé de l’activité subversive du prolétariat, et non comme une réalité permanente du mode de production capitaliste, des antagonismes générés par cette société. On fait surgir de rien le défaitisme révolutionnaire, sans voir que c’est du développement de la guerre impérialiste qu’il surgit et non du ciel ! Contrairement à la vision théologique, le défaitisme révolutionnaire est le produit du développement des contradictions de la guerre, qui pousse le prolétariat à défendre ses besoins matériels, et, comme tous les aspects du programme révolutionnaire, il part de ses déterminations en tant que classe, du déterminisme historique et non d’éléments qui seraient introduits de l’extérieur.
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Les consignes et directives exprimant le défaitisme révolutionnaire sont la formulation nécessaire et matérielle des intérêts objectifs du prolétariat que ses minorités les plus déterminées synthétisent dans de telles formules. La lutte contre « leur » propre bourgeoisie, buter « leurs » officiers, refuser tout « effort de guerre », saboter la production, etc., ne sont pas des directives de ce que les prolétaires devraient faire, émanant du monde du devoir être, mais des matérialisations de l’opposition pratique du prolétariat. L’articulation du mouvement prolétarien autour de ces consignes et directives manifeste la tendance à la centralisation de son activité et de sa force sociale.
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La consigne de la lutte contre « sa propre » bourgeoisie résume la pratique centrale et la ligne directrice sur laquelle s’articule le défaitisme révolutionnaire. Loin d’être exceptionnelle, elle est la pratique quotidienne des exploités. La lutte contre le capitalisme se déploie dans la lutte immédiate contre l’exploitation, et celle-ci suppose nécessairement une lutte contre « sa » propre bourgeoisie, contre « son » propre exploiteur, contre les répresseurs qu’on a en face de nous, contre « son » propre État. Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la nationalité de la bourgeoisie ou du gouvernement qui assume cette fonction. A aucun moment le défaitisme révolutionnaire ne se réduit à la « lutte contre la bourgeoisie nationale ». Il s’agit d’insister sur la lutte contre la bourgeoisie immédiate et les forces de répression immédiates, mais dans le cadre de la lutte mondiale du prolétariat contre la bourgeoisie mondiale.
Lutter contre « sa » propre bourgeoisie est le seul moyen de lutter contre la bourgeoisie mondiale. Il est essentiel d’insister sur le fait que c’est le seul terrain de la lutte internationaliste. La lutte du prolétariat ne peut s’appuyer sur aucun intermédiaire, sur aucune médiation autre que lui-même, et c’est précisément ce pourquoi la lutte contre le capital est toujours une lutte immédiate contre l’exploitation directe et la répression étatique qui la défend. Elle s’attaque aux fondements de l’accumulation globale du capital et de l’État mondial. En d’autres termes, la caractéristique centrale de la lutte du prolétariat est la centralité organique de son action directe contre le capital, de sorte que, même si cette lutte se déroule dans un seul quartier, dans un seul district, dans une seule ville, elle contient la totalité et représente, indépendamment de la conscience de ses protagonistes, les intérêts organiques du prolétariat mondial.
Les consignes de « lutte révolutionnaire contre la guerre bourgeoise » ou d’autres comme « contre la guerre, la guerre de classe » sont totalement insuffisantes et centristes si elles ne s’accompagnent pas de leur concrétisation, c’est-à-dire de la revendication d’une lutte ouverte contre « sa propre » bourgeoisie, pour la défaite de « son propre » État. Dire que l’on lutte contre « toute bourgeoisie, quelle qu’elle soit », ou appeler à la « lutte révolutionnaire contre la guerre » sans prendre de mesures concrètes pour la défaite de « sa » bourgeoisie, c’est tomber dans la propagande et décerner une médaille en or au chauvinisme. Nous sommes pleinement conscients que certains camarades et expressions de notre communauté de lutte tentent d’exprimer dans ces consignes la nécessité pour notre classe de se démarquer des encadrements qui se développent sur le terrain, mais sans une défense claire de la lutte prolétarienne immédiate, ils collaborent au désarmement du prolétariat.
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La pratique du défaitisme connaît différents moments de développement, ainsi que différentes formes de matérialisation, en fonction du développement de la guerre impérialiste elle-même. Mais à tout moment, le défaitisme révolutionnaire assume le même contenu, la même direction, synthétisés dans cette consigne centrale de lutte contre « sa » propre bourgeoisie, même si d’autres consignes particulières qui en résultent sont évidemment mises en œuvre en tant que résultat de cette pratique concrète. Cependant, la considération simpliste que le défaitisme révolutionnaire ne survient que comme une pratique du prolétariat en uniforme contre « sa » propre armée, contre « ses » propres officiers, dans le contexte d’une confrontation inter-bourgeoise, cache une distinction fondamentale induite par les moments de développement de la guerre impérialiste, et est présentée comme une arme contre les formes que la lutte contre « sa » propre bourgeoisie prend dans ces autres moments.
En effet, la guerre impérialiste s’exprime comme une guerre inter-bourgeoise avec deux camps bien définis, avec leurs fronts et leurs arrière-fronts [plus communément appelé « l’arrière », NdT], guerre de fronts typique, guerre de tranchées, de positions [2]
, mais aussi comme une guerre d’occupation, caractérisée par l’occupation militaire d’une région par une armée venant d’un autre pays. Mais ce n’est pas tout. La guerre impérialiste s’exprime aussi comme une guerre de gendarmerie ou de police, c’est-à-dire comme l’opération d’un gendarme du capital d’un pays pour réprimer la révolte du prolétariat dans un autre pays. A l’évidence, ce dernier moment recèle un contenu et des déterminations très proches de la guerre d’occupation.
Cela dit, et avant de traiter de ces différents moments, nous voudrions souligner qu’ils sont loin d’être des situations pures et qui s’excluraient mutuellement, des éléments qui apparaîtraient isolément, mais qu’il s’agit bien de moments sur lesquels s’articule la guerre impérialiste. Ils n’apparaissent pas comme une situation nouvelle, qui devrait être traitée séparément, mais comme le développement même de la guerre impérialiste qui fait de l’un ou l’autre de ces moments l’élément déterminant et qui évolue dynamiquement entre eux. C’est la lutte des classes elle-même et les nécessités de l’affirmation impérialiste qui provoquent le passage de l’un à l’autre.
Par conséquent, la guerre de fronts se transforme en guerre d’occupation et de gendarmerie ; la guerre d’occupation prend la forme de la guerre de fronts et/ou de gendarmerie ; la forme de la guerre de gendarmerie entraîne la guerre d’occupation et/ou de la guerre de fronts, et ainsi de suite. La réalité matérielle est si dynamique qu’il est parfois extrêmement difficile d’exprimer comment s’articulent l’ensemble (la guerre impérialiste) et ses moments particuliers. Par conséquent, le défaitisme révolutionnaire peut être considéré différemment selon le niveau d’abstraction où l’on place la question de la guerre. En effet, ces moments particuliers sont parfois imbriqués de telle sorte que, selon l’endroit où l’on place la loupe sur les événements, on peut les caractériser différemment. Mais il est nécessaire de comprendre ces niveaux d’abstraction pour ne pas les mélanger et finir par déterminer la totalité concrète – et les tâches à assumer – sur la base d’un seul de ces moments [3].
Contrairement au « défaitisme simpliste », le mot d’ordre central du défaitisme révolutionnaire de lutter contre « sa » propre bourgeoisie s’exprime et s’affirme dans les différents types de situations dans lesquelles le prolétariat se trouve directement confronté à l’armée bourgeoise. Évidemment, des consignes et des directives particulières sont également générées, mais comme nous l’avons dit, elles partent du même contenu, de la même direction, et sont donc subsumées à cette consigne centrale.
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Le « défaitisme » simpliste n’est même pas capable d’exprimer les besoins matériels du prolétariat en pleine guerre de fronts, réduisant tout à une « fraternisation » qui est une véritable caricature. La « fraternisation » est revendiquée en dehors de la dynamique d’ensemble de la pratique défaitiste, comme une prémisse, au lieu d’en être une conséquence. Ce serait un idéal qu’un « soldat », « prolétaire avant tout », devrait assumer, et une fois qu’il le fait, il retourne son fusil contre ses propres officiers quand on le lui demande (gentiment ?) « depuis l’autre camp ».
Dans la réalité matérielle, les choses se passent de manière très différente. Le défaitisme révolutionnaire n’a jamais la fraternisation comme véritable point de départ, comme le pacifisme voudrait nous le faire croire. Dans son acception révolutionnaire, et donc anti-pacifiste, la consigne de fraternisation est déterminée par la dynamique du moment lui-même, par l’attitude (la position pratique) prise par les soldats, quel que soit le « camp » bourgeois dans lequel ils se trouvent. La défaite ne s’affirme pas en agitant des drapeaux blancs. Au contraire, les prolétaires sur lesquels le défaitisme se construit au front – à l’arrière il s’affirme comme une remise en cause de « l’effort de guerre » –, et qui commencent leur activité en désobéissant à la chaîne de commandement, loin d’offrir leur poitrine nue aux balles de leurs « frères en uniforme » du « camp d’en face », les abattent (et la mort des « frères » n’est certainement pas le moyen le plus agréable). Cette action donne plus de détermination à ceux qui commencent à se débarrasser de leur uniforme, non seulement par rejet de leur rôle, mais angoissés par le sort que leur réserve le défaitisme révolutionnaire. Les prolétaires conséquents tirent sur les forces répressives directes de la bourgeoisie qu’ils ont en face d’eux, qui veulent les détruire, quel que soit leur « camp », quelle que soit leur nationalité, car elles assument la fonction de les soumettre. Ce sont les forces de « leur » propre bourgeoisie, de « leur » propre État.
Ce qui est décisif dans ce moment d’affirmation du défaitisme révolutionnaire contre les fronts, c’est l’intransigeance des prolétaires en lutte (et donc en armes) contre « leur » propre bourgeoisie, c’est-à-dire l’intransigeance dans leur opposition aux officiers qu’ils ont dans le dos, ainsi qu’à tous les soldats qui font obstacle à la lutte, quel que soit leur « camp ». Cette intransigeance, qui est déterminée par une série de facteurs (rapport de force, réappropriation programmatique…), est ce qui marque le développement du mouvement et les degrés d’autonomie que le prolétariat parvient à atteindre. En se renforçant, en s’exprimant sur tous les terrains sociaux, en se démarquant de plus en plus clairement des différentes fractions de la bourgeoisie, le prolétariat avance dans son processus de constitution en classe, assumant des niveaux de défaitisme révolutionnaire de plus en plus élevés, assumant ouvertement la guerre révolutionnaire. C’est le processus matériel du défaitisme révolutionnaire appliqué dans la guerre de fronts inter-bourgeoise, la transformation de la guerre impérialiste en guerre de classe. La destruction révolutionnaire de l’armée est l’œuvre du prolétariat armé, sa réponse violente.
Cette destruction de l’armée bourgeoise, en prenant comme référence la rébellion des soldats au front, que nous avons synthétisée ici, ne peut se faire du jour au lendemain sans que les minorités les plus déterminées de notre classe n’organisent la centralisation dans le temps et dans l’espace de centaines de petites actions de terreur révolutionnaire, de désertion, de cavale, d’insubordination, de rébellion, de prise d’otages, de liquidation physique d’officiers, de consignes et de directives concrètes sur lesquels s’articule le mouvement, etc., préparation de longue haleine au cours de laquelle le prolétariat forge l’organisation du défaitisme révolutionnaire.
Évidemment, ce processus est clairement marqué par le rapport de force international entre les classes. Dans un rapport de force clairement favorable à la bourgeoisie, le défaitisme révolutionnaire tend à succomber à l’isolement, soit par phagocytage par une fraction bourgeoise, soit par liquidation physique par l’État mondial, soit, en général, par les deux facteurs.
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La guerre d’occupation, comme la guerre de gendarmerie, implique le déplacement de l’armée d’un pays pour s’installer et se déployer dans un autre. En fait, la guerre de gendarmerie pourrait être considérée comme une situation particulière de la guerre d’occupation. Disons que le critère qui les différencie, avec toutes les précautions qu’il faut prendre dans ce type d’affirmation, est que dans la guerre de gendarmerie la raison de l’intervention, au-delà des contradictions et des luttes que peut avoir la bourgeoisie d’un endroit ou d’un autre, c’est directement l’écrasement de la lutte prolétarienne qui précède l’intervention, alors que dans la guerre d’occupation la question initiale est un affrontement inter-bourgeois.
Cela dit, que ce soit à un moment ou un autre de la guerre impérialiste, ce qui est décisif, ce n’est pas l’affrontement entre deux armées sur une ligne de front ou pour la défense d’une frontière, mais le développement d’une opération militaire qui a pour objectif direct les prolétaires qui y vivent. Cet aspect n’est pas anecdotique, car il constitue un changement qualitatif dans les conditions des opérations militaires, de la guerre, brouillant ainsi toute distinction entre « le front » et « l’arrière », prenant pour cible permanente l’ensemble du territoire occupé, attaquant les prolétaires directement dans leur vie quotidienne et dans leurs foyers, ce qui les détermine à réagir.
Dans ce scénario, où l’armée d’occupation s’affirme comme l’ennemi direct que notre classe a en face d’elle, celui qui est chargé d’imposer sa soumission à l’exploitation capitaliste, de contrôler ses mouvements, d’exercer la répression, de détruire ses habitations, de systématiser les viols, de la torturer, de la massacrer, etc., le défaitisme révolutionnaire part, en premier lieu, de la lutte contre cette armée, en se plaçant incontestablement dans la lutte contre « sa » propre bourgeoisie.
Il existe une vaste et riche expérience historique de notre classe dans ce sens, qui a été systématiquement dénigrée, déformée et cachée sous la couverture de la guerre inter-bourgeoise, dénonçant toute forme de pratique de confrontation du prolétariat à l’armée d’occupation sous le fallacieux prétexte de lutte de libération nationale. Nous nous référons, par exemple, à la lutte prolétarienne des 17e et 18e siècles dans toute l’Amérique contre les armées espagnoles, anglaises, portugaises… ; en Orient et au Moyen-Orient contre les armées anglaises et ottomanes ; en Chine au 19e siècle contre la présence des armées anglaises, françaises et allemandes – les révoltes des Taiping et des Boxers ; aux Philippines (de 1898 à 1913) contre la présence des troupes américaines, au Brésil (révolte de Canudo, pour ne citer qu’un seul exemple), en Inde, en Afrique (révolte des Hereros, par exemple), et surtout, aux luttes qui ont embrassé le monde après 1945 (Asie, Afrique noire et Maghreb, Amérique latine). Rangés dans la petite case des « luttes de libération nationale », ces affrontements ont été méprisés comme étant des conflits inter-bourgeois [4].
La vision communément admise est que ces luttes répondaient exclusivement à des luttes internes au sein de la classe dominante pour le contrôle de ces territoires, vision qui a été avant tout diffusée par la bourgeoisie mondiale et ses principaux agents d’endoctrinement : les médias, les historiens, les universitaires, les intellectuels… Bien entendu, tout le large éventail de la gauche et de l’ultra-gauche s’est emparé de cette vision du monde pour enfermer notre classe dans le piège de la lutte de libération nationale. Dans cette optique, les perspectives pour ou contre la libération nationale se sont opposées, mais les deux visions ont fait le jeu de l’encadrement bourgeois de ces luttes, qui tentait de les piéger dans ce faux dilemme. En fin de compte, toutes deux ont couvert la guerre impérialiste contre notre lutte et, au grand soulagement de leurs positions contre-révolutionnaires, celle-ci finira tôt ou tard (après avoir été terriblement réprimée) par être intégrée par une fraction de la bourgeoisie locale, qui les a confortés dans leurs pitoyables points de vue.
En plus d’autres conceptions sociales-démocrates reproduites par un large éventail de groupuscules gauchistes, un aspect décisif qui empêche de percevoir le caractère prolétarien de ces luttes est la séparation idéologique entre « pays développés » et « pays sous-développés », ou plus subtilement, « pays centraux » et « pays périphériques ». Si certains ne sont pas aller jusqu’à affirmer que le prolétariat était une force insignifiante dans ces régions, en raison du prétendu sous-développement du capital, ceux qui affirmaient que les luttes décisives devaient partir des pays centraux ne manquaient pas d’entériner cette conception. Tout ce qui se passait en Asie, en Afrique, etc. ne pouvait avoir d’autre horizon que celui d’une lutte nationaliste dans laquelle le prolétariat servait de chair à canon. Leur point de référence était l’Europe et une image mythifiée de l’ouvrier industriel, prisonnier du progrès, du développement et de l’ouvriérisme [5].
Notre position à ce sujet est claire : dans la plupart des luttes qualifiées de « libération nationale », on peut trouver un prolétariat qui tente de défendre ses conditions matérielles de vie, de lutter contre l’exploitation et les besoins de valorisation, qui sont gérés par l’armée d’occupation qui assume la fonction de « sa » propre bourgeoisie. C’est la seule voie possible de la lutte prolétarienne dans ces conditions et, par conséquent, du développement du défaitisme révolutionnaire : la lutte contre « sa » propre bourgeoisie, en portant des coups de contre-terreur, en organisant et en structurant des unités de combat qui s’organisent en guérillas et en groupes armés, en attaquant chez eux les chefs de la répression et leurs collaborateurs, en sabotant le ravitaillement de l’ennemi, etc.
La décomposition de l’armée d’occupation et la fraternisation viennent précisément de la détermination des attaques du prolétariat contre cette armée, attaquant sans pitié les prolétaires en uniforme qui acceptent de continuer à tuer, torturer, violer et réprimer. C’est dans ce scénario et dans les tâches organisationnelles qu’il exige, que les contradictions au sein de l’armée d’occupation s’aiguisent pour la détruire, en créant des complicités et des fraternisations avec les soldats ennemis qui rompent avec « leur propre » camp.
Faire l’amalgame entre la lutte du prolétariat contre l’armée d’occupation et la libération nationale, comme le fait le « défaitisme simpliste », contribue objectivement à l’isolement, au désarmement et à la canalisation de sa lutte [6]. Les appels de ce « défaitisme » s’opposent à cette lutte élémentaire du prolétariat contre « sa » propre bourgeoisie et aux tâches qui lui correspondent, appelant sans rougir à « fraterniser » avec ses « frères en uniforme » qui le torturent, l’humilient, le violentent et le massacrent. L’action résolue du prolétariat contre les forces qui le répriment est placée dans le jeu impérialiste alors qu’elle est précisément la seule pratique réelle du défaitisme. Comme dans la guerre de fronts, ce qui est décisif dans cette pratique défaitiste, c’est l’intransigeance des prolétaires en lutte, c’est-à-dire l’intransigeance dans leur opposition avec l’armée d’occupation, mais aussi face à la fraction de la bourgeoisie locale qui cherche à absorber leur énergie dans un front de libération nationale. Ainsi, la diffusion de consignes et de propagande écrite dénonçant le rôle de l’armée d’occupation, ainsi que les tentatives de la bourgeoisie locale de canaliser la réponse prolétarienne, en encourageant la désobéissance et la désertion, ainsi que la fraternisation entre les réfractaires, constituent une partie décisive du développement de la lutte de classe.
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Le terrain de l’opposition armée n’est jamais basé sur la supériorité technique et strictement militaire, pour pouvoir engager une confrontation « appareil contre appareil », « armée contre armée ». Le contenu réel de la lutte n’est jamais garanti par le seul armement (certes indispensable) du prolétariat, ni par la forme particulière qu’adopte le prolétariat armé. Si l’affrontement armé contre les soldats qui remplissent leur fonction de forces armées de la bourgeoisie est inévitable, cette réalité échappe aux fronts. Le prolétariat s’organise en détachements armés, en guérillas, dont la caractéristique principale, par opposition à la guérilla appareilliste, est leur mobilité, la centralisation de leur direction par opposition à l’autonomie et à la dispersion de chaque détachement, ainsi que leur unité avec « l’arrière ». Il cherche à diriger ses attaques là où l’ennemi ne s’y attend pas, il cherche à éviter le combat direct quand l’ennemi est supérieur ; il évite la résistance aux points permanents, il utilise la dispersion face à l’avance de l’ennemi et la concentration seulement pour frapper quand personne ne s’y attend ; il mène des opérations sélectives pour liquider les chefs de la répression. Sa propre façon de procéder contre l’ennemi, en liquidant impitoyablement les officiers et les soldats connus pour leur cruauté, et en développant une propagande défaitiste parmi le reste des soldats capturés, contribue à briser la cohérence de ce corps répressif et favorise sa décomposition. L’action des prolétaires qui refusent d’exécuter les ordres, qui désertent, qui retournent leurs armes contre leurs propres officiers, refusant de servir de chair à canon ou de bourreaux de leurs propres frères de classe dans la lutte, faisant ainsi avancer le processus révolutionnaire dans tous les camps bourgeois, est ainsi encouragée.
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Pour la bourgeoisie, il s’agit toujours de transformer la guerre sociale en guerre inter-bourgeoise, soit par l’écrasement et l’élimination physique du prolétariat en lutte, et/ou par sa canalisation, c’est-à-dire par l’encadrement du prolétariat par un processus qui liquide les différents degrés d’autonomie atteints par le prolétariat et le conduit dans un front interclassiste. Le prolétariat est entraîné dans une guerre entre fractions de la classe dominante, sous la qualification de guerre défensive contre l’envahisseur, de nation attaquée contre l’agresseur, de nation opprimée contre l’impérialisme, ainsi qu’une longue série d’autres justifications. Dans les situations historiques où le prolétariat résiste aux chants des sirènes de la bourgeoisie, et où le rapport de force international menace l’ordre existant, la paix sociale apparaît comme un horizon sur lequel diviser et cimenter la défaite du prolétariat. La paix de Brest-Litovsk en est l’un des exemples les plus illustratifs [7].
Mais c’est la bannière de la libération nationale qui est devenue un grand rempart contre le défaitisme révolutionnaire, surtout lorsqu’il s’agit d’une confrontation avec une armée d’occupation. La bourgeoisie l’utilise pour détourner la lutte de notre classe vers ses intérêts fractionnels sur le marché mondial, c’est-à-dire comme un moyen de s’approprier la gestion locale de l’exploitation capitaliste.
Ce processus d’encadrement est soutenu par les différentes limites contenues dans l’autonomie de notre classe, lieu où prolifèrent les concessions néfastes à la bourgeoisie locale, ouvrant la voie à la formation d’un front national dans lequel notre classe se perd. Cette réalité devient évidente lorsque l’antagonisme entre les classes, qui tend à délimiter les frontières de la lutte, s’estompe sous la pression de l’idéologie que la bourgeoisie locale défend pour entraîner les prolétaires à s’entretuer pour des intérêts étrangers aux leurs.
Alors que dans le défaitisme en pleine guerre de fronts, cette pratique de canalisation de notre mouvement s’exprime par un renouveau de la bourgeoisie locale, qui se présente comme faisant partie du mouvement défaitiste du prolétariat, dans la guerre d’occupation, elle se manifeste toujours par la construction d’un front interclassiste qui consolide la figure d’une armée nationale contre l’armée d’occupation, quel que soit l’argument sur lequel se construit la cohésion (défense nationale, religion, culture,…). Sa matérialisation passe par la consolidation d’une communauté d’intérêts fictive de la bourgeoisie locale avec « ses » prolétaires, construite sur une identification autour d’une nation, d’un peuple, d’un territoire, d’une culture, d’une religion, d’une ethnie, d’une langue, ou de tout autre aspect particulier sur lequel cette fiction peut être idéologiquement soutenue. L’antagonisme des classes souffre d’une abstraction idyllique qui, dans sa matérialisation réelle, signifie l’intégration du prolétariat dans la guerre impérialiste.
Comme on voudrait nous le faire croire, il n’y a pas de polarisation entre l’impérialisme et la libération nationale, car la libération nationale fait partie intégrante de l’impérialisme. La logique impérialiste du capital (inhérente à chaque particule de valeur qu’il contient) est ce qui donne une cohérence aux différentes fractions bourgeoises dans la lutte internationale pour la répartition des forces productives de la planète. La libération nationale, concrétisée sous diverses identités fictives, n’est rien d’autre que le mécanisme utilisé par la bourgeoisie locale pour mobiliser le prolétariat dans la défense de ses intérêts de fraction.
Le processus par lequel le prolétariat renonce progressivement à la défense de ses intérêts matériels, et se laisse prendre dans les réseaux inter-impérialistes, transforme les exploités en chair à canon, et dans tous les cas la situation revient à une guerre de fronts inter-bourgeois, même si elle se combine avec le déploiement de l’armée d’occupation. L’affirmation de la guerre impérialiste est confirmée par l’écrasement et la liquidation du prolétariat, qui ne peut inverser cette réalité que par la rupture de cette unité interclassiste à travers la réémergence du défaitisme révolutionnaire, en réponse aux conditions brutales d’exploitation directe qui sont gérées par les différentes bourgeoisies (armée d’occupation, armée ou milice de la bourgeoisie locale…). Ce n’est qu’en renouant avec cette perspective que le prolétariat s’oppose à nouveau aux sacrifices de l’unité nationale, en s’attaquant aux prolétaires en uniforme qui continuent à les tuer de part et d’autre, en répondant et en s’attaquant à toutes les fractions bourgeoises qui organisent directement leur exploitation, en particulier les divers chefs politico-militaires. Hors de cette perspective, elle creuse sa propre tombe pour la reproduction élargie du capital.
Les minorités révolutionnaires, en tant que partie active et dynamique de la perspective défaitiste, non seulement encouragent, mais aussi organisent les différentes tâches qu’elle requiert. Parmi ces tâches, il est également essentiel d’enquêter historiquement sur les expériences d’affirmation du défaitisme, sur la façon dont les différents degrés d’autonomie de classe ont été dissous en faveur d’une fraction du capital, de mettre en évidence le processus qui va de l’un à l’autre et, dans ce processus, de mettre en évidence les moments où les niveaux les plus élevés d’autonomie de classe sont atteints, ainsi que les moments où le prolétariat cède à son ennemi et permet à la contre-révolution de le reprendre sous son contrôle. Cette tâche de réappropriation de sa propre action historique fournit des lignes directrices précises pour l’action internationale du prolétariat sur la base de sa propre expérience, délimitant plus clairement les frontières de classe.
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Le grand souci de la bourgeoisie, suite aux expériences historiques successives, est de blinder son armée contre le défaitisme révolutionnaire qui décompose son organisation armée. Dès lors, le type de recrutement par lequel se constitue une armée (conscription, volontariat, mercenariat… et leurs combinaisons mixtes) n’est pas anodin, car cet aspect conditionne de manière décisive les formes que prend le défaitisme révolutionnaire.
Si nous devons différencier les différents types de recrutement militaire, nous devons souligner que la bourgeoisie mondiale tire depuis longtemps les leçons de l’histoire, corrigeant les aspects constitutifs de ses armées pour combattre les facteurs qui favorisent l’indiscipline et la remise en question de l’ordre militaire dans un contexte où les contradictions tendent à apparaître. L’exemple du Vietnam dans les années 1960, où l’armée la plus puissante de la planète a subi un terrible processus de décomposition avec des dizaines de milliers de soldats qui ont déserté et se sont organisés contre leurs propres officiers, ramenant la guerre chez soi, sur le front intérieur, avec des révoltes aux États-Unis (Watts, etc.), a été pris très au sérieux. L’« erreur » commise par les États-Unis en envoyant à la guerre des centaines de milliers de soldats enrôlés dans le cadre de la conscription est devenue cruciale lorsqu’un pourcentage élevé de Noirs en uniforme dans leur armée, une armée qui reproduit le racisme de la société, s’est identifié aux prolétaires qui, au Viêt Nam, ont été traités de façon abjecte comme des gooks [des « niaks », NdT] [8].C’est pourquoi la classe dirigeante s’efforce depuis longtemps de recruter et de sélectionner les troupes envoyées au front selon des critères qui rendent difficiles l’identification et la fraternisation avec l’« ennemi », depuis la langue et la culture jusqu’aux antécédents personnels de chaque recrue. Dans le même temps, principalement à travers les États-Unis, et dans une moindre mesure la France (Maghreb, Afrique), l’Angleterre (Inde, Birmanie, Malaisie), le capitalisme mondial a développé et perfectionné le principe de la guerre menée d’abord par des troupes spéciales (au Vietnam, apparition des Bérets verts, Rangers, Lurps, Sayeret, SRR…), entraînées à mener des opérations rapides, à prendre les troupes ennemies à revers et à encadrer les soldats enrôlés dans le cadre du recrutement pour les transformer en machines à tuer. Bien entendu, l’application de ces mesures comporte des limites infranchissables, déterminées par les nécessités de la conduite de la guerre, qui obligent la bourgeoisie à engager des conscrits « dangereux », par exemple lorsqu’elle est contrainte de recourir à la conscription obligatoire et massive.
Par conséquent, le type de recrutement indique une certaine tactique bourgeoise, sa marge de manœuvre et la position matérielle du prolétaire sous l’uniforme. Il influe sur la cohésion des troupes, la capacité à assumer l’intervention, à tuer et à mourir, la résistance éventuelle aux risques de démoralisation, de démobilisation, voire de décomposition. Il n’est donc pas difficile de comprendre que la pratique défaitiste revêt des matérialisations différentes en fonction du type de recrutement que l’on ne peut ignorer.
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La percée et le développement du défaitisme révolutionnaire sont toujours fortement marqués par le rapport de force international. Ceci est notoirement évident dans le contexte d’une guerre impérialiste localisée, où un rapport défavorable à notre classe permet l’isolement des prolétaires en lutte. Il ne fait aucun doute que les différentes luttes et les moments défaitistes, aussi imposants soient-ils, se détachent de la perspective révolutionnaire s’il n’y a pas de rupture de l’isolement. Pris dans les cordons sanitaires mis en place par la bourgeoisie, le résultat est toujours le même : la défaite. Cela se traduit généralement par un massacre perpétré par l’État mondial sur le terrain, ou par la neutralisation et la canalisation du mouvement. Le défaitisme révolutionnaire ne se réalise donc que comme mouvement expansif, comme guerre révolutionnaire du prolétariat mondial, c’est-à-dire comme articulation internationale de la lutte contre « la propre » bourgeoisie du prolétariat des différents pays.
Bien que le changement dans le rapport de force et la rupture de l’isolement puissent se produire en raison de l’élan et de la détermination du défaitisme dans les pays où se concentre la guerre localisée, apportant la contradiction à toutes les armées en opération, le poids de la lutte des classes développée dans les pays qui envoient leurs armées, acquiert néanmoins une importance de premier ordre. La cohésion et la paix sociale à « l’arrière » permet à ces armées de ne pas s’inquiéter de l’ordre social dans leurs territoires et de déployer leurs forces dans d’autres régions. Au contraire, la remise en cause et la rupture de la paix sociale dans leur dos tendent non seulement à contraindre ces armées d’occupation à rentrer « chez elles », pour ne pas être emportées par les tumultes qui se propagent à « l’arrière », mais aussi à affaiblir leur propre cohésion. C’est pourquoi le défaitisme révolutionnaire, une fois de plus, s’exprime dans cette situation et dans ces pays, dans la lutte contre « sa » propre bourgeoisie, contre « son » propre État. Les appels au « défaitisme » qui ne partent pas de cette question essentielle restent une recette d’impuissance, de contemplation et d’idéalisme.
Il n’y a pas de perspective de transformation sociale sans généralisation de la lutte prolétarienne. L’expérience historique vérifie cette détermination invariable dans la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie : tout processus insurrectionnel cantonné à une ville, un pays ou une région tend inévitablement à succomber. Le capital ne peut être détruit dans tel ou tel endroit, mais sur l’ensemble de la planète d’où émane la reproduction sociale de cette société, et pour cela il faut détruire le pouvoir bourgeois partout. L’internationalisme n’est donc pas un « principe » auquel souscrivent des minorités révolutionnaires, mais le contenu même de la lutte prolétarienne.
Ainsi, si la lutte du prolétariat se synthétise dans la lutte contre la bourgeoisie qui se tient en face de lui, en combattant les différents agents qu’elle déploie pour reproduire la société capitaliste, c’est dans l’organisation internationale et la centralisation de cette communauté de lutte contre « sa » propre bourgeoisie que se joue la question décisive qui peut ouvrir la voie à la révolution mondiale. Les minorités révolutionnaires inscrivent leur action dans cette perspective, non seulement en termes d’action défaitiste, mais dans toute lutte quotidienne du prolétariat. C’est le processus même de la constitution du prolétariat en tant que classe, en tant que parti mondial pour la destruction de l’ordre social existant.
Ainsi, les minorités révolutionnaires ne sont pas des interprètes ou des chroniqueurs de la réalité. Elles ne recherchent pas non plus des « accords théoriques » pour agir ensemble. Ce qui caractérise les minorités communistes, c’est, quelle que soit leur appellation, d’assumer les différentes expressions de la lutte comme une seule et même communauté de lutte internationale contre le capital et l’État, en mettant tous leurs efforts et leur passion à structurer, organiser et centraliser les tâches que cela exige. C’est dans cette démarche, qui implique une critique implacable du réformisme, de l’activisme, du théoricisme, du centrisme…, c’est-à-dire des différentes forces sociales-démocrates qui minent notre communauté de lutte, que la discussion et l’approfondissement programmatique, ainsi que la délimitation entre révolution et contre-révolution, s’affirment comme une véritable praxis révolutionnaire. Sur ce terrain de la lutte, de la confrontation, mais aussi de la camaraderie et de la vie, nous exhortons les militants et groupes révolutionnaires à centraliser leurs efforts avec les nôtres dans l’organisation du défaitisme révolutionnaire, et en général, dans l’organisation de toutes les tâches exigées par la communauté de lutte contre le capital, en tenant compte, bien sûr, des capacités et des possibilités que la conjoncture nous permet.
Octobre 2024
Prolétaires Internationalistes
www.proleint.org
info@proleint.org
Traduction française : Les Amis de la Guerre de Classe / Los Amigos de la Guerra de Clases
Source en espagnol : https://proleint.org/?p=330
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