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« Plan Canal » : un projet de destruction organisée des quartiers populaires

« Plan Canal » : un projet de destruction organisée des quartiers populaires

Le Plan Canal est un plan d’aménagement et de rénovation urbaine qui couvre les quartiers environnants le canal de Bruxelles. Il a pour but affiché de « rénover » voir de « revitaliser » ou encore d’apporter de la « mixité sociale » dans les quartiers autour du canal. En réalité, il contribue à un important phénomène de gentrification et pousse à des dynamiques de spéculation immobilière. Il a officiellement été lancé en 2014 par la Région Bruxelles-Capitale et comporte toute une série d’investissements et de dérogations urbanistiques directement dédiés aux investisseur.se.s. Un lexique se trouve en fin d’article réunissant les définitions des concepts utilisés.

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Article de Bruxelles Dévie

Bref historique du canal :

Originellement, le canal sert de jonction maritime entre Anvers, Bruxelles et Charleroi. La première étape de construction de celui-ci date de 1832 et n’est pas anodine. En effet, à l’époque, la Belgique connaissait un important essor industriel du fait de ses énormes bassins miniers notamment présents à Charleroi. Il permettait d’acheminer le charbon en 4 jours de Charleroi à Bruxelles dans le but d’alimenter les nombreuses industries présentent sur place. Cette économie proprement industrielle impactait essentiellement des personnes prolétaires vivants dans des conditions de vie plus que précaires. Et depuis lors, le long du canal, le secteur industriel présente encore un certain niveau d’activité.

Les ménages de ces populations ouvrières ont été construits autour des entreprises et sont encore bien présents malgré les années. En effet, aujourd’hui le secteur industriel est bien moins actif qu’au 19e siècle mais l’impact de ces ménages originellement ouvriers reste notable étant donné qu’il représente des quartiers avec des loyers par essence plus bas. Effectivement dans les années 1960, bien après la révolution industrielle, la Belgique mena des politiques de relances économique via l’appel de mains d’œuvres étrangères en accueillant des populations qui étaient en situation d’extrême pauvreté et donc à la recherche de logements bon marché. Celles-ci se dirigèrent forcément vers des quartiers comme celui du canal qui comportaient des loyers bien plus faibles qu’ailleurs. Cela explique pourquoi aujourd’hui plus que jamais la zone autour du canal est un endroit où se jouent de nombreux enjeux sociaux économiques tel que la gentrification dû à l’intérêt des classes moyennes pour cette zone originellement habitée par des groupes sociaux plus précaires.

Exemples d’endroits révélateurs :

Depuis 2014, dans le cadre du Plan Canal, la Région Bruxelloise décide d’y implanter des logements en masses, ce qui représente un intérêt particulier aux yeux des promoteurs. Ces initiatives régionales attireront la spéculation immobilière et contribueront à une hausse directe des loyers. Des tours d’immeubles destinées à des classes moyennes verront le jour tout le long du canal.

En plus de fragiliser les groupes sociaux les plus précaires et de les pousser toujours plus vers la périphérie, elles détérioreront fortement le paysage et l’environnement urbain. Avec comme exemples clés la tour « Up-site » ou encore le « musée Kanal ».

Dans une première optique, la tour UP-site mesurant 140 mètres de haut, construite à l’emplacement d’anciens entrepôts de stockage alimentaire est un exemple flagrant de l’étroite coopération entre autorités publiques et promoteurs privés. Dans ce cas précis, les autorités ont délivré une série de passes-droits urbanistiques tel que le dépassement de la taille maximale autorisé dans le cas d’un building résidentiel en Belgique. Ce qui en fait le plus haut du pays !

la tour Up-site

En plus de détériorer l’environnement urbain, elle est uniquement constituée d’appartements dédiés à des groupes sociaux favorisés, ce qui alimente une fois de plus un phénomène de flambée des prix dans un quartier initialement occupé par des groupes sociaux à faibles revenus.

D’un autre côté, le musée Kanal est représentatif de l’intérêt des pouvoir publics à vouloir donner une nouvelle image à ces quartiers, de les « redynamiser ». Ce musée n’est pas n’importe lequel, il se caractérise par une collaboration entre la Région de Bruxelles-Capitale et le Centre Pompidou qui est internationalement connu. En transformant l’ancien garage Citroën en un lieu culturel, la Région bruxelloise vise un public favorisé. Ce qui risque d’entrainer à nouveau des phénomènes de gentrification et de tourisme dans le quartier contribuant directement à un changement social radical dû entre autres à une hausse des prix du foncier. De plus, l’avènement d’un musée comme celui-ci risque d’attirer de nombreuses autres infrastructures immobilières tels que des bars ou hôtels dédiés aux touristes et non aux riverain.es.

le Musée kanal

Les ambitions de la ville de Bruxelles et des promoteurs apparaissent clairement derrière le terme « redynamisation » : sacrifier les conditions de vie sociale des habitant.e.s au profit d’intérêts économiques.

Un autre exemple serait celui des 5 blocs de logements sociaux du quartier du rempart des moines. Ceux-ci se trouvent en bordure du canal, à côté du quartier Dansaert. Ils hébergent depuis 1966 plus de 800 locataires en situation de précarité et seront rasés dans les années qui viennent au profit d’un nouveau projet de rénovation urbaine. Celui-ci aurait pour vocation de reconstruire ces bâtiments tout en y apportant de la « mixité sociale ». En réalité, cela fait depuis plus de 20 ans que le site n’a pas été dûment pris en charge par les autorités publiques. Il est depuis lors laissé à l’abandon alors que des centaines de personnes continuent d’y vivre malgré la dégradation avancée des lieux ainsi que leurs insalubrités. Au lieu de décider d’y investir de l’argent pour rénover les blocs tout en y laissant ces logements sociaux occupés par des ménages pauvres, le Logement Bruxellois a finalement choisi de tout raser afin d’y bâtir des nouveaux logements destinés à des classes moyenne, ainsi que des nouvelles places de parking et bien moins de logements sociaux qu’aujourd’hui. Avec plus de 15 000 mètres carrés de logements supplémentaires comparés à aujourd’hui, à nouveau, la question se pose évidemment de savoir quelles sont les réels motifs d’un tel projet ? Sont-ils tant là pour améliorer la qualité de vie des classes populaires ou plutôt dans l’optique de toujours plus marchandiser l’espace urbain ?

Quartier des cinq blocs

Après ces nombreux exemples, il est flagrant de constater que le Plan Canal qui était censé relancer l’économie des quartiers autour du canal tout en y apportant de la « mixité sociale » n’a pas profité à toutes et tous de la même manière. Dans un premier temps, le Plan Canal n’a procuré aucun emploi aux personnes qui y habitent. En revanche, il a généré d’importants bénéfices qui profitent encore aujourd’hui aux groupes d’investisseurs immobiliers. Il s’agit donc bien uniquement d’un plan de spéculation immobilière et non de relance économique auprès des citoyen.ne.s. Dans la même lignée, le Plan Canal ne prévoit absolument pas de création de logement social ou de centre d’aide social.

Dorénavant on peut dire que des groupes sociaux qui étaient originellement opposés dû entre autres à leurs origines géographiques au sein d’une même ville sont aujourd’hui physiquement proches mais n’ont jamais été aussi loin de l’être socialement. Au contraire, cette proximité physique semble les éloigner encore plus.

Conclusion : Quelles optiques de résistances face à la gentrification ?

Il peut paraitre compliqué voir dérisoire de lutter face à de tels processus qui semblent être une fatalité en soi tant la puissance de ceux-ci dépasse l’action individuelle. Cependant, il est possible de se battre collectivement en menant toutes sortes de luttes tels que : La mobilisation contre des nouveaux projets d’investissements urbains (ex : collectif midi moins une dans le quartier environnent la gare du midi), une réclamation d’un contrôle des loyers (ex : action logement Bruxelles qui lutte pour un gel des loyers), la mobilisation pour la réquisition des logements vides (plus de 50 000 personnes pourraient être logées à Bruxelles en occupant simplement les bâtiments abandonnés), en réclamant la création de logements et de centres d’aides sociaux, … Ou, plus simplement, en continuant d’exercer les activités économiques et sociales qui étaient présentent avant le gain d’intérêt politique pour ces quartiers. Avec comme exemple clé le Quartier des Marolles qui, malgré le nouvel intérêt pour ses alentours, reste un quartier populaire via son marché aux puces, son hôpital public, ses logements sociaux et sa maison de quartier. Dans le cas du quartier canal, l’occupation du foyer de la digue du canal à Anderlecht, qui avait débuté en novembre 2021, était elle aussi représentative de ces luttes pour les droits au logement et de résistance des quartiers populaires face à la gentrification.

Lexique :

Gentrification : C’est le processus qui englobe les transformations des quartiers populaires à travers l’arrivée de catégories sociales plus favorisées. Celles-ci y voient un intérêt particulier dû à des loyers plus faibles. Ce processus contribue directement à une hausse progressive des prix du logement alors que des groupes sociaux plus précaires y habitaient originellement et n’ont pas spécialement les moyens de payer un loyer plus élevé.

Spéculation immobilière :C’est une opération d’investissement économique qui vise à acquérir un terrain ou un bâtiment pour le rénover et ainsi en tirer des bénéfices à la revente.

Promoteur immobilier :c’est une personne ou un groupe de personnes qui décide d’investir un capital financier dans une parcelles de terrain bâtie ou non afin d’en tirer des bénéfices.

Foncier : Le foncier désigne les biens relatifs à une propriété bâtie.

Sources :
  • 1641813727-211215-publicatie-metrolab-digitale.pdf
  • « Contre la gentrification » ou lorsque Bruxelles se transforme au détriment des quartiers populaires – rtbf.be
  • De la rénovation à la démolition : le Rempart des Moines, jouet de la politique – Inter-Environnement Bruxelles (ieb.be)
  • « Résister en habitant » : les luttes dans des quartiers populaires à l’épreuve du renouvellement urbain – CONTRETEMPS
  • Dossier urbain : La gentrification : comment y résister ? (unioncommunistelibertaire.org)
  • [Vidéo] La ville vue d’en bas – Contre la gentrification du Canal – Inter-Environnement Bruxelles (ieb.be)
  • (185) Le quartier des “cinq blocs” sera démoli puis reconstruit – YouTube
  • Rempart des Moines (logementbruxellois.be)
  • « Résister en habitant » : les luttes dans des quartiers populaires à l’épreuve du renouvellement urbain – CONTRETEMPS
    Livres :
  • « Contre la gentrification » de Mathieu Van Criekingen
  • « La ville néo libérale » de Gilles Pinson
  • « le capitalisme comme droit à la ville » de David Harvey

Notes

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