Le FAR est une organisation horizontale : il n’y a pas de hiérarchie à proprement parler, tout le monde peut rejoindre le mouvement et utiliser ses symboles. La seule exigence est de partager les valeurs de l’organisation.
À leur actif : diffusion d’informations précises sur ce qu’il se passe en Ukraine pour contrer la propagande du gouvernement russe, présence active sur les réseaux sociaux, distribution d’affiches, d’autocollants et de tracts anti-guerre, piquets de grève, actions et performances artistiques dans l’espace public, marches de femmes (déjà dans une centaine de villes russes), lancement d’un fond de soutien aux manifestant-e-s... et un canal Telegram avec plus de 30.000 personnes inscrit-e-s.
Ci-dessous, leur manifeste, diffusé en anglais puis traduit dans des dizaines de langues, dont en français, appelle les féministes du monde entier à la solidarité internationale, afin de s’opposer à l’agression militaire déclenchée par le gouvernement de Poutine :
"Le 24 février, vers 5h30 du matin, heure de Moscou, le président russe Vladimir Poutine a annoncé une « opération spéciale » sur le territoire de l’Ukraine visant à « dénazifier » et « démilitariser » cet État souverain. Cette opération était préparée depuis longtemps. Depuis plusieurs mois, les troupes russes se rapprochaient de la frontière avec l’Ukraine. Dans le même temps, les dirigeants de notre pays ont nié toute possibilité d’attaque militaire. Maintenant, nous savons qu’il s’agissait d’un mensonge.
La Russie a déclaré la guerre à son voisin. Elle n’a pas laissé à l’Ukraine le droit à l’autodétermination ni l’espoir de mener une vie en paix. Nous déclarons – et ce n’est pas la première fois – que la guerre est menée depuis huit ans à l’initiative du gouvernement russe. La guerre dans le Donbass est une conséquence de l’annexion illégale de la Crimée. Nous pensons que la Russie et son président ne sont pas et n’ont jamais été préoccupés par le sort des habitants de Louhansk et de Donetsk, et que la reconnaissance des républiques huit ans après leur proclamation n’était qu’un prétexte pour envahir l’Ukraine sous couvert de libération.
En tant que citoyennes russes et féministes, nous condamnons cette guerre. Le féminisme, en tant que force politique, ne peut être du côté d’une guerre d’agression et d’une occupation militaire. Le mouvement féministe en Russie lutte en faveur des groupes vulnérables et pour le développement d’une société juste offrant l’égalité des chances et des perspectives, et dans laquelle il ne peut y avoir de place pour la violence et les conflits militaires.
La guerre est synonyme de violence, de pauvreté, de déplacements forcés, de vies brisées, d’insécurité et d’absence d’avenir. Elle est inconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe. La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années les acquis en matière de droits humains. La guerre apporte avec elle non seulement la violence des bombes et des balles, mais aussi la violence sexuelle : comme l’histoire le montre, pendant la guerre, le risque d’être violée est multiplié pour toutes les femmes. Pour ces raisons et bien d’autres, les féministes russes et celles qui partagent les valeurs féministes doivent prendre une position forte contre cette guerre déclenchée par les dirigeants de notre pays.
La guerre actuelle, comme le montrent les discours de V. Poutine, est également menée sous la bannière des « valeurs traditionnelles » proclamées par les idéologues du gouvernement – des valeurs que la Russie, telle un missionnaire, aurait décidé de promouvoir dans le monde entier, en utilisant la violence contre celles et ceux qui refusent de les accepter ou qui ont d’autres opinions. Toute personne dotée d’esprit critique comprend bien que ces « valeurs traditionnelles » incluent l’inégalité de genre, l’exploitation des femmes et la répression d’État contre celles et ceux dont le mode de vie, l’identité et les agissements ne sont pas conformes aux normes patriarcales étroites. L’occupation d’un État voisin est justifiée par le désir de promouvoir ces normes si faussées et de poursuivre une « libération » démagogique ; c’est une autre raison pour laquelle les féministes de toute la Russie doivent s’opposer à cette guerre de toutes leurs forces.
Aujourd’hui, les féministes sont l’une des rares forces politiques actives en Russie. Pendant longtemps, les autorités russes ne nous ont pas perçues comme un mouvement politique dangereux, et nous avons donc été temporairement moins touchées par la répression d’État que d’autres groupes politiques. Actuellement, plus de 45 organisations féministes différentes opèrent dans tout le pays, de Kaliningrad à Vladivostok, de Rostov-sur-le-Don à Oulan-Oudé et Mourmansk.
Nous appelons les féministes et les groupes féministes de Russie à rejoindre la Résistance féministe anti-guerre et à unir leurs forces pour s’opposer activement à la guerre et au gouvernement qui l’a déclenchée. Nous appelons également les féministes du monde entier à se joindre à notre résistance. Nous sommes nombreuses, et ensemble nous pouvons faire beaucoup : au cours des dix dernières années, le mouvement féministe a acquis un énorme pouvoir médiatique et culturel. Il est temps de le transformer en pouvoir politique. Nous sommes l’opposition à la guerre, au patriarcat, à l’autoritarisme et au militarisme. Nous sommes l’avenir qui prévaudra.
Nous appelons les féministes du monde entier :
- À rejoindre des manifestations pacifiques et à lancer des campagnes de terrain et en ligne contre la guerre en Ukraine et la dictature de V. Poutine, en organisant vos propres actions. N’hésitez pas à utiliser le symbole du mouvement de Résistance féministe anti-guerre dans vos documents et publications, ainsi que les hashtags #FeministAntiWarResistance et #FeministsAgainstWar.
- À propager les informations sur la guerre en Ukraine et l’agression de V. Poutine. Nous avons besoin que le monde entier soutienne l’Ukraine en ce moment et refuse d’aider le régime de Poutine de quelque manière que ce soit.
- À partager ce manifeste autour de vous. Il est nécessaire de montrer que les féministes sont contre cette guerre – et tout type de guerre. Il est également essentiel de montrer qu’il existe encore des militantes russes prêtes à s’unir pour s’opposer au régime de V. Poutine. Nous risquons toutes d’être victimes de la répression d’État désormais et nous avons besoin de votre soutien."
Si la plupart des activistes du FAR restent anonymes pour des raisons évidentes de sécurité, certaines s’affichent publiquement pour éviter que le mouvement, sans visage, ne soit pris pour un coup monté par la répression. Vous pouvez lire ici (en russe) ou ici (en anglais), le témoignage d’Ella Rossman, activiste et chercheuse universitaire travaillant sur le mouvement féministe, qui est actuellement une des porte-paroles du FAR depuis Londres. Elle y explique que, depuis les années 2010, il y a une forte croissance du mouvement féministe en Russie - qui s’organise et lutte contre les inégalités de genre, les violences sexistes et sexuelles, le patriarcat, l’autoritarisme et le militarisme. C’est un des rares mouvements d’opposition en Russie contemporaine à ne pas avoir été détruit par les vagues de persécution et de répression du gouvernement de Poutine. Selon elle, c’est la vivacité du mouvement féministe actuel qui a permis cette mobilisation anti-guerre rapide et massive. Selon Daria Serenko, une autre activiste féministe, la communauté LGBT de Russie joue aussi un grand rôle dans les protestations contre la guerre.
Le 8 mars 2022, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre, le FAR a organisé un dépot de fleurs (des chrysanthèmes et des tulipes attachées avec des rubans bleus et jaunes) par des femmes aux pieds des monuments glorifiant la guerre, accompagnées de cette déclaration : « Nous, les femmes de Russie, refusons cette année de célébrer le 8 mars : ne nous donnez pas de fleurs, déposez-les dans les rues en mémoire des victimes civiles mort-e-s en Ukraine. » Des manifestations ont eu lieu dans 112 villes russes et internationales.
Mais en Russie, protester contre la guerre en Ukraine est risqué : des milliers de personnes ont été arrêtées pour avoir participé à des manifestations anti-guerre - dont 4000 rien que le 24 février. Une nouvelle loi, signée par Poutine une semaine après le début de l’invasion, punit de 15 ans d’emprisonnement tout partage de « fake news » à propos des événements en Ukraine - en sachant qu’un slogan de base comme « Non à la guerre » sur un t-shirt est maintenant considéré comme de la diffamation des forces armées russes. Se tenir dans la rue avec une simple feuille blanche en main peut mener à l’arrestation. Et il y a évidemment aussi un risque très élevé de violences et tortures policières : en mars, un certain nombre de jeunes femmes arrêtées lors d’une manifestation anti-guerre ont rapporté avoir été battues et humiliées verbalement au commissariat Brateyevo de Moscou.
Comme l’explique l’activiste Daria Serenko, les tactiques doivent s’adapter continuellement pour éviter la criminalisation : « La situation change chaque jour. Ce qui était possible hier ne marchera pas aujourd’hui. Il y a une semaine, vous pouviez sortir en portant des vêtements noirs et en tenant une rose blanche à la main. Maintenant, vous serez arrêté-e-s pour cela. C’est ce qui s’est passé avec l’activiste Anna Loginova de Yekaterinburg, qui a été condamnée pour une telle action à une arrestation administrative de 9 jours. »
Alors les activistes du FAR innovent en utilisant de nouvelles formes de contestation : écrire des slogans anti-guerre sur les pièces de monnaie et les billets de banque, créer et installer des oeuvres d’art contestataires dans les parcs, porter des vêtements jaunes et bleus, s’habiller entièrement en noir en signe de deuil, distribuer des fleurs, faire des performances de rue, des piquets de grève ou encore pleurer publiquement dans le métro de Moscou...
Face à la répression, le FAR essaye aussi de partager un maximum d’informations sur le fonctionnement des lois, la sécurité en ligne, les manières d’éviter la surveillance policière en rue... et effectue un suivi des arrestations de ses activistes. Daria Serenko raconte : « Nous avons eu plus de 100 activistes qui ont été arrêté-e-s ou harcelé-e-s par la police. Nous entrons en contact avec ielles dès que possible, demandons quels sont leurs besoins, comment nous pouvons aider. Nous mettons les activistes en contact avec des avocat-e-s et nous assurons que leurs cas reçoivent assez d’attention médiatique. Nous proposons aussi du soutien psychologique gratuit en cas de choc ou de traumatisme - comme ce que les femmes arrêtées au commissariat de Brateyevo ont vécu. » Le groupe a aussi créé un fond pour aider les activistes qui ont perdu ou dû quitter leurs travail à cause de leurs opinions politiques.
Lölja Nordic, une activiste féministe du FAR, constate que la pression croissante que subissent les contestataires est destinée non seulement à leur faire peur, mais également à effrayer leurs collègues, ami-e-s et famille : « Ils veulent vous terroriser et terroriser celleux qui vous entourent. Ils veulent que tout le monde pense qu’avoir une opinion et s’exprimer est dangereux, que cela entraînera une condamnation. Il est important de ne pas paniquer, mais aussi de se rappeller que maintenant, chacun-e peut être arrêté-e à tout moment. Préparez-vous et votre famille à ce qui pourrait arriver. Parlez à vos proches des risques potentiels. Discutez de mesures de sécurité. Dites à votre famille qui appeller en cas d’urgence... Planifiez exactement comment vous vous aiderez les un-es les autres si une personne était arrêtée ou perquisitionnée. »
Le 10 mars, le communiqué ci-dessous a été posté sur la page instagram du Eighth Initiative Group, un collectif féministe de Russie qui organise des actions anti-guerre et soutien la résistance contre l’invasion en Ukraine. Une traduction rapide en anglais a été publiée par CrimethInc. - que nous traduisons ici en français :
"Le 5 mars 2022, la police et la police anti-émeute ont perquisitionné les maisons de nos activistes et d’activistes d’autres mouvements féministes, et également de quelques inconnu-e-s. Une marche anti-guerre était prévue pour le 6 mars à travers toute la Russie, incluant une colonne de femmes, ce que nous avions préparé ensemble.
Nous pensons que ce n’est pas du tout un hasard que les perquisitions et arrestations touchent des activistes féministes la veille de cette marche. Ils ont voulu faire un coup de filet préventif, et ils ont réussi - le 6 mars, toutes les personnes se rendant à la marche furent laissée sans notre aide ou coordination. Nous pensons que les accusations, montées de toutes pièces, de fausses alertes à la bombe sont une tentative de détruire complètement notre mouvement, de nous réduire au silence. Mais nous ne nous laisserons ni détruire, ni réduire au silence.
Nous sommes un mouvement de base, horizontal. Qu’importe à quel point les forces de sécurité tentent de « couper la tête » du Eighth Initiative Group, du mouvement de Resistance Féministe Anti-Guerre et de nos autres camarades, ils n’y arriveront pas. Nous n’avons pas de tête. Nous n’avons pas de dirigeant-e-s, et c’est quelque chose qu’ils ne comprendront jamais. Maintenant, nous allons rassembler toutes nos forces en un poing, et continuer à lutter - car pour nous ce n’est pas un choix, mais un devoir.
Oui, la réalité a changé, les risques sont plus élevés que jamais, et la lutte est plus dure. Le plus vraisemblable, c’est que nous n’appellerons pas directement à descendre dans la rue - nous ne voulons pas que plus d’activistes se retrouvent poursuivi-e-s en justice. Peut-être qu’actuellement, la meilleure stratégie, ce sont des actions de « guerrilla » éparses : continuez de distribuer des tracts, de diffuser des informations par tous les moyens possibles et, le plus important, unissez-vous !
Sur le bandeau de notre profil instagram, il y a un lien pour une page avec nos tracts anti-guerre. Les rubans verts sont un symbole de paix et de protestation contre la guerre. Utilisez-les. Par ailleurs, le mouvement anti-guerre russe utilise un drapeau blanc-bleu-blanc. La symbolique est très importante pour les mouvements de contestation, c’est l’un de ses pilliers. Nous continuerons notre lutte, et nous vous invitons à ne pas désespérer et à ne pas abandonner - tout en étant extrêmement prudent-e-s en même temps. Le plus important, c’est que nous sommes des millions, et que le bon sens, la conscience et la vérité sont de notre côté. Merci pour tout ce que vous faites, merci de continuer à lutter pour la paix avec nous."
Le 14 mars, 151 féministes du monde entier ont signé un manifeste de solidarité internationale avec le mouvement de Résistance Féministe Anti-Guerre, dans lequel ielles déclarent s’aligner en solidarité avec le manifeste du FAR et la lutte anti-guerre féministe en Russie.
Le 19 mars, Autonomous Action a également publié cette vidéo contre la guerre, réalisée par un collectif Anarchaféministe de Moscou.
(Pour les liens vers des articles en russe, anglais ou toute autre langue qui vous serait inconnue, vous pouvez toujours utiliser un moteur de traduction automatique comme deepl par exemple).
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