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Révoltes en Kanaky : Quand la résistance révèle l’échec de pacification du colonialisme

Révoltes en Kanaky : Quand la résistance révèle l’échec de pacification du colonialisme

Ailleurs | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie

Ce vendredi 24 mai, au lendemain de la visite du chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, on apprenait qu’un policier venait de tuer à nouveau un manifestant kanak en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Depuis le 14 mai, le peuple kanak se révolte contre la tentative de passage en force de l’Etat français et ses politiques coloniales. Le gouvernement s’est empressé de réprimer et de condamner l’insurrection qu’il a pourtant lui-même provoqué.

À l’origine ? Une réforme constitutionnelle à l’initiative du gouvernement français qui vise à élargir l’électorat local et à marginaliser le pouvoir politique des Kanak·es dans l’archipel. Par ailleurs, la volonté de ce dernier d’imposer un accord sur le nickel, qui permettait à la France de reprendre la gestion de ce minerai tant prisé, attise les tensions. Oublié du débat médiatique, cet accord « colonialiste » participe à une situation qualifiée par certain·es comme une « recolonisation ».

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Le récent passage en force du gouvernement français, perçu comme un renforcement de la colonisation dans l’archipel, a attisé la colère d’un peuple colonisé et marginalisé. En réponse, la jeunesse kanake s’en est pris aux symboles de la présence coloniale : des usines et entreprises ont été brûlées, des supermarchés pillés et des barricades érigées. La réaction du gouvernement ? Etat d’urgence, couvre-feu, déploiement de l’armée, et interdiction de TikTok comme arsenal colonial face à l’expression indépendantiste d’un peuple.Rappelons que l’état d’urgence est un dispositif contre-révolutionnaire créé en 1955 pour mater la révolution algérienne, s’inscrivant dans une stratégie répressive proprement coloniale. D’ailleurs, la Kanaky est toujours considérée par l’ONU comme l’un des 17 pays à décoloniser.

Colonisée par la France depuis 1853, c’est notamment lors les révoltes des années 1980 que la France est contrainte d’apaiser les tensions que génère sa présence en Kanaky. L’accord de Nouméa* est donc signé en 1998 dans une logique de pacification et de renforcement du pouvoir du peuple kanak. Ainsi, cet accord établit certaines mesures comme : le gel de l’électorat, le transfert de compétences politiques et économiques au niveau local et la mise en place de trois référendums sur l’autodétermination de la Kanaky.

Cependant, les récents référendums sur l’autodétermination témoignent de la stratégie de colonisation de peuplement mise en place par l’Etat français. Selon le dernier recensement, les Kanak·es ne représentent plus que 41% de la population en Kanaky, dorénavant peuplé par de nombreux colons venus de la métropole, et de fait opposés à l’indépendance de l’archipel. Alors que les Kanak·es ne sont plus majoritaires dans les scrutins, les trois référendums sur l’indépendance ont vu le « non » l’emporter. Le dernier, qui a eu lieu à la sortie du Covid en 2022, a été massivement boycotté à l’appel des organisations kanakes indépendantistes (UNI, Parti travailliste, UC-FLNKS).

Pierre Messmer, premier ministre français de l’époque, exprimait en 1972 la stratégie : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones, appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant ou en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non-originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. » On ne peut être plus clair quant aux intentions impérialistes et colonialistes de l’Etat français sur l’archipel.

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Le Premier Ministre français du gouvernement Pompidou, Pierre Messmer.

Ce 14 mai, le projet de révision constitutionnelle visant à l’élargissement du corps électoral a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat en France, représentant une rupture avec le processus de pacification entamé il y a 30 ans lors des accords de Nouméa. Jusqu’alors, seules les personnes résidantes depuis 1988, et leurs descandant·es, peuvent voter aux élections provinciales et participer au référendum sur l’indépendance. Le dégel de l’électorat représenterait 25 000 nouveaux électeur·ices résidant sur le territoire depuis 10 ans, et majoritairement issu·es de la métropole française, enterrant ainsi toute possibilité d’une victoire indépendantiste à travers les voies légales.

Face à la colère des militant·es indépendantistes, l’Etat français a envoyé plus de 3 000 forces de l’ordre et 130 membres d’intervention spécialisés (GIGN et RAID), démontrant par-là sa détermination à réprimer tout mouvement de libération. Aussi, une vingtaine de membres de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) sont assignés à résidence. Le gouvernement français, à son habitude, a criminalisé cette coalition indépendantiste créée dans le but de coordonner les mobilisations en opposition au dégel électoral… En revanche, quasi aucune dénonciation des milices de colons qui sévissent sur place. Pire, le haut-commissaire supporte l’existence de milices racistes et surarmées, les qualifiants de « voisins vigilants » qui défendraient simplement leur quartier.

En parallèle, ces milices de colons blancs* se sont organisés afin de « défendre leurs intérêts ». Ces milices, composées de « loyalistes » (habitant·es en Kanaky et qui s’opposent à l’indépendance) sont parfois lourdement armées, et traduisent du racisme latent présent sur l’archipel. Au total, ce sont 7 Kanak·es qui ont été tué·es et des centaines d’autres bléssé·es depuis le 14 mai. Mais avec l’altération du réseau internet et la coupure de TikTok, de nombreux autres décès seraient à déplorer. La complaisance de l’Etat français à l’égard de ces milices est caractéristique de la situation coloniale actuelle en Kanaky.

Mais pourquoi la France tient-elle tant à un archipel situé à 17 000 km de l’hexagone ? Si la Kanaky a d’abord été utilisée comme bagne où l’on y envoyait les prisonnier·ères politiques, elle présente surtout un important enjeu économique pour l’Etat français. En effet, la Kanaky abrite 20 à 30% des réserves mondiales de nickel, un minerai nécessaire à la fabrication des batteries électriques pour ladite « transition énergétique ». La Kanaky représente également un intérêt géostratégique pour l’OTAN dans sa concurrence avec la Chine qui, elle aussi, s’accapare les minerais, et notamment le nickel en Océanie.

Le récent passage en force du gouvernement français apparaît donc moins comme un retour de la colonisation que le recours à une forme plus violente face à l’échec de la stratégie de pacification élaborée depuis plus de 30 ans. Les révoltes indépendantistes et le boycott du dernier référendum sur l’autodétermination, démontrent l’échec de la colonisation de peuplement. En Kanaky, l’impérialisme français, dans son incapacité à imposer la légitimité de sa présence, ne fait que révéler la vraie nature de son projet colonial. De la Palestine à la Kanaky, c’est la résistance des peuples opprimés qui révèle l’horreur de la colonisation orchestrée par les Etats impérialistes.

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Légende :

* Accord de Nouméa : Aboutit à la création d’un statut unique en son genre, inscrit dans la Consitution de la Ve République. Cet accord prévoit des transferts de compétences politiques, économiques, juridiques en Kanaky par l’État français dans de nombreux domaines à l’exception de ceux de la défense, de la sécurité, de la justice et de la monnaie. La Kanaky est dotée de son propre pouvoir exécutif, d’un gouvernement collégial qui agit à la place de l’État français. Il est élu par un congrès de l’archipel, une assemblée qui peut édicter des lois.

* Colons : Les colons, qui composent ces milices, sont des individu·es pour la plupart venu·es de la France métropolitaine et qui s’opposent à l’indépendance de l’archipel, cela sous fond de racisme et de colonialisme. Partisans du courant « loyaliste », en opposition aux « indépendantistes », iels sont majoritairement composé·es de Caldoches, nom désignant les néo-calédonien·nes européens récemment arrivé·es sur l’archipel.


Sources :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

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