Dans le chaos de la guerre au Soudan, les femmes sont devenues des cibles privilégiées de la violence, leurs corps transformés en un champ de bataille, victimes de tactiques de guerre brutales. Lors de la révolution de 2019, avec la chute du dictateur Omar el-Béchir, les femmes soudanaises ont été en première ligne des soulèvements, défiant les normes sociales et les menaces de violence pour réclamer leurs droits et revendiquer un avenir démocratique. Dans les rues de Khartoum et d’autres villes, elles ont bravé la répression et ont joué un rôle déterminant en maintenant la pression sur les autorités, jusqu’à ce que les forces militaires et paramilitaires se retournent brutalement contre elles.
Depuis le début du conflit en avril 2023, le nombre de cas de violences sexuelles, de harcèlement, de mariages forcés et d’esclavage a explosé, affectant des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles. Dans des régions à l’ouest comme le Darfour, qui sont au coeur de cette crise humanitaire, les forces paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR) utilisent le viol comme arme de guerre, menant des purges ethniques contre la communauté masalit, où le viol systématique et l’enlèvement de femmes sont devenus des tactiques d’intimidation.
L’ampleur de cette violence est frappante. Dans des camps de réfugié·es comme Hay El-Shati, des femmes sont entraînées au maniement des armes pour se défendre face à l’horreur qui les entoure. À Omdurman, des camps de formation militaire pour femmes ont été mis en place par l’armée régulière soudanaise pour inciter les femmes à rejoindre la résistance. Cependant, pour d’autres réfugiées ayant fui au Tchad, la réalité reste sombre : forcées de survivre, certaines femmes se retrouvent à échanger des rapports sexuels contre de la nourriture ou de l’argent auprès d’hommes censés les protéger, y compris des travailleurs humanitaires. Cette exploitation sexuelle dans les camps de réfugié·es au Tchad témoigne de la vulnérabilité extrême des femmes soudanaises, qui continuent de subir la violence et les abus même après avoir échappé aux zones de guerre.
Les mouvements féministes occidentaux, en particulier, et certaines organisations globales de défense des droits des femmes se distinguent par leur manque de prise de position et de considération concernant le Soudan. Alors que ces mouvements se mobilisent souvent pour les droits des femmes dans des contextes plus proches ou médiatisés, ils restent en retrait face aux luttes des femmes soudanaises. Ce manque de soutien traduit un certain ethnocentrisme* au sein du féminisme mondial, où les combats des femmes africaines sont perçus comme politiquement ou médiatiquement moins prioritaires.
En effet, malgré la gravité de cette situation, le silence des mouvements féministes occidentaux, est assourdissant. Alors que les féministes blanches se mobilisent facilement pour des causes médiatisées en Occident, elles restent largement absentes de la lutte des femmes soudanaises, comme c’est souvent le cas pour les luttes d’émancipation de femmes non occidentales. Ce manque de solidarité ne s’explique pas seulement par une indifférence mais par une hiérarchie implicite dans le féminisme global, qui privilégie les combats situés dans les sphères occidentales ou qui répondent à l’agenda médiatique dominant. Les luttes des femmes africaines et arabes sont souvent perçues comme périphériques, peu prioritaires, et parfois trop « complexes » ou « éloignées » pour être pleinement soutenues. Mais au-delà de cette indifférence, le silence des féministes blanches s’inscrit aussi dans un agenda de suprématie blanche, dans lequel les luttes de femmes non occidentales sont vues comme une menace potentielle à la stabilité des structures de pouvoir globales. En détournant le regard, le féminisme blanc contribue à maintenir ces structures hiérarchiques, limitant l’émergence d’une solidarité universelle et inclusive qui mettrait réellement en question les injustices systémiques mondiales.
Les femmes soudanaises, malgré l’isolement et la violence, continuent de résister et de s’organiser. Elles s’entraînent à se défendre dans les camps militaires, manifestent dans les rues, etc. Elles savent que leur lutte ne concerne pas seulement leur propre survie, mais aussi l’avenir d’un Soudan où les droits des femmes et l’égalité puissent un jour devenir réalité. Ce courage, cette résilience, devraient susciter une mobilisation internationale sans faille, mais elles sont au contraire ignorées par celles qui se disent alliées des droits des femmes. Ce silence complice des féministes blanches permet de maintenir une sorte de suprématie narrative, où les luttes des femmes du Sud global sont invisibilisées et considérées comme étrangères aux préoccupations féministes globales.
Légende : * « Tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés. » Larousse.
Sources :
- Liv Tønnessen, L., & Al-Nagar, S. (2020). Women, Revolution, and Backlash : Igniting Feminist Mobilization in Sudan. Feminist Review, 125(3), 45–68.
- Middle East Eye. (2024). Sudan UN probe finds evidence of large-scale rape and sexual violence by RSF.
- No safe place : Prevalence and correlates of violence against conflict-affected women and girls in South Sudan. (2022). Étude de terrain publiée dans Conflict and Health.
- Que peuvent les insurgées ? Les femmes dans les révoltes populaires en Serbie, en Syrie et au Soudan. (2022). Revue Internationale des Études Féministes.
- Reclaiming Feminist Postcoloniality : Negotiating Nationalism, Gender Politics and Violence in Sudan and the Nuba Mountains. (2023).
- Asem, S. (2024). Sudan : UN probe finds evidence of large-scale sexual violence by RSF. Middle East Eye.
- Farge, E. (2024). Sudan’s RSF and allies sexually abused victims from 8-75 years, UN mission says. Reuters.
- Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa (SIHA). (2024). Report on atrocities against women in Sudan.
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