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Situation dans l’Est du Congo : Un génocide passé sous silence depuis 30 ans

Situation dans l’Est du Congo : Un génocide passé sous silence depuis 30 ans

Samedi 24 février, plus de 1000 personnes ont manifesté dans les rues de Bruxelles en soutien à la population de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC). Depuis 30 ans, et particulièrement depuis ce mois de février, la population de l’Est de la RDC, zone frontalière avec le Rwanda, est victime de massacres perpétrés par différentes milices présentes à l’est du pays. En 2008, on comptait une trentaine de milices dans la région, contre plus de 120 aujourd’hui [1].

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De la colonisation belge au pillage permanent des richesses, en résulte une situation complexe et meurtrière. Si la communauté internationale et les multinationales sont bien les dernières à médiatiser la situation en RDC, les civil·es présent·es dans la région sont les premier·es à en subir les conséquences.

Ces deux dernières années, la situation a conduit au déplacement de plus de 1,6 millions de personnes du Nord-Kivu. Ce conflit qui persiste depuis 30 ans aurait fait plus 6 millions de morts, même s’il reste compliqué de disposer de chiffres précis étant donné l’étendue des territoires et la multiplicité des bélligérants*. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), la RDC hébergerait plus de 5 millions de personnes déplacées et plus de 520 000 réfugié·es. C’est la plus grande concentration de personnes réfugiées et de déplacées du continent africain et l’une des plus importantes de la planète [2].

La situation en RDC reste particulièrement invisibilisée dans les médias occidentaux malgré son caractère génocidaire. Cette sous-médiatisation des massacres commis en RDC s’explique notamment par la responsabilité de certains pays occidentaux, tant par leur passé colonial que par la présence de multinationales qu’ils soutiennent dans la région. En effet, la colonisation a profondément fragmenté la RDC et les multinationales exploitent toujours plus intensément les ressources congolaise nécessaires pour la dite « transition écologique » [3]. Cette énergie dite « propre » ou « verte » engendre une importante demande de matériaux essentiels à la fabrication des batteries utilisées pour alimenter nos appareils électroniques, comme les véhicules électriques et les téléphones portables. Dans cette guerre de l’information, les gouvernements et autres bélligérants ont donc tout intérêt à rendre floues leurs responsabilités dans ce conflit.

À ce jour, ce sont notamment trois provinces de l’Est de la RDC (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri) qui sont témoins des massacres entre les différentes milices et armées régulières. Parmi ces milices, le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu matériellement par le Rwanda, a repris les armes en octobre 2021 [4] . Face à son expansion dans ces territoires et les nombreux massacres dont il est auteur, l’armée régulière de la RDC tente d’assurer la stabilité de la région. Toutefois, celle-ci reste fortement critiquée, accusée de corruption, d’exactions et d’alliances douteuses avec d’autres milices privés. Ces tensions ont également déclenché une nouvelle vague de mobilisations hostiles envers le Rwanda et l’ONU [5]. D’ailleurs, la Monusco, force militaire de l’ONU, se retire progressivement après 25 ans d’échec dans sa tentative d’établir la paix à l’est de la RDC.

Les populations présentes dans la région deviennent donc des cibles, servant des intérêts politiques et économiques antagonistes. De la famine aux tueries, un nombre accru de violences sexuelles dans la région sont également utilisées comme arme de guerre. Menés par des multinationales lointaines, la haine ethnique érigé en vitrine permet de justifier les massacres, invisibilisant ainsi la violence qu’entraine la militarisation de l’économie.

Les racines du conflit trouvent leurs sources dans les convoitises autour des ressources naturelles abondantes de l’Est de la RDC, et dans les séquelles du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. La Belgique a d’indéniables responsabilités dans ce génocide, en tant que pays qui a colonisé le Congo et le Rwanda. Rappelons qu’une des stratégies coloniales consistait à accentuer les différences entre les communautés hutus et tutsis, en diffusant un ensemble d’idéologies racistes et stéréotypées. Pour la Belgique coloniale, il était question de diviser politiquement les populations de ce territoire afin de mieux y règner [6]]]. En 1994, au Rwanda, 800 000 Tutsis ont été tué·es par les Hutus en l’espace de 100 jours. A la suite de ce génocide, une importante partie des Hutus furent emmenés vers la région du Kivu en RDC alors qu’un pouvoir Tutsi se reconstituait au Rwanda. Depuis la fin du génocide, Paul Kagame, d’origine Tutsi, a été ministre de la Défense avant d’occuper le poste de président de 2000 à aujourd’hui.

En arrière-plan, c’est notamment une guerre de minerais transnationale qui est à l’oeuvre. En effet, la RDC possède 80% des réserves mondiales de coltan, quand 60% de la production mondiale de colbalt provient des mines congolaises. Elle possède en outre des ressources prisées telles que l’or, le cuivre, le lithium, et le diamant.Le contrôle des mines en RDC, et plus particulièrement l’extraction du coltan, donnent ainsi lieu à de violents combats entre l’armée régulière congolaise et les milices. A travers le pillage des ressources exercé par le M23, le Rwanda, qui ne possède pas une seule mine de coltan, est aujourd’hui le premier exportateur mondial du minerai le plus prisé au monde [7].

Rappelons qu’il ne s’agit pas d’un conflit à huit-clos malgré ce que laissent penser les médias occidentaux. L’exploitation des ressources minières congolaises est notamment soutenue par des accords entre l’UE, des grandes multinationales comme Apple, Samsung, Microsoft, Google… et le Rwanda. Le 19 février, l’Union européenne et le Rwanda signaient un nouvel accord afin « de renforcer le rôle du Rwanda » dans le développement de « chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques » [8].Prétextant la mise en place de mesures sur la transparence de l’origine des minerais, l’UE et les multinationales profitent en réalité de la fragmentation de la RDC, déjà opérée lors de la colonisation, afin de préserver leur profits. Par-là, elles soutiennent les massacres en cours, qui ont entrainé la mort de millions de personnes depuis 30 ans.

Guerre de territoires sans fin, les conditions d’extraction des ressources minières relèvent de l’esclavage moderne. Une étude faite en 2018 démontrait que 250 000 personnes travaillaient comme « creuseurs » pour une revenu moyen de 1,5 dollars par jour et 40 000 d’entre elles seraient des enfants6. Ces situations de domination économique sont le fait de grandes multinationales chinoises, belges, françaises ou encore israéliennes… En outre, elle freine l’économie du pays qui reste majoritairement concentrée autour de l’extraction, secteur bien moins rentable que ceux de la conversion ou de la vente.

La manifestation organisée ce samedi 24 février visait à alerter sur la crise humanitaire en cours dans l’Est de la RDC, et dénoner les relations qu’entretiennent les puissances occidentales avec le Rwanda. La manifestation visait aussi à interpeler la communauté internationale sur ses responsabilités dans de ce conflit, l’appelant à apporter notamment un soutien économique et sanitaire dans la région du Nord-Kivu.

Sources

– Crise dans l’est de la République démocratique du Congo : la pression s’accentue sur le Rwanda (lemonde.fr)

RDC : tout comprendre sur la guerre dans le Kivu et ses racines profondes | Slate.fr

– Comment l’opération Turquoise a déplacé la violence du Rwanda vers le Congo – Le Soir

RDC : « L’Union européenne se rend complice du pillage de nos ressources et de l’agression du Rwanda » (lemonde.fr)

Voir en ligne : Bruxelles Dévie

Notes

[1Provinces de l’est, la prolifération des groupes armés : épisode • 2/4 du podcast République démocratique du Congo, l’avenir incertain (radiofrance.fr)

[4Le soutien apporté par le Rwanda au M23 est reconnu dans le dernier rapport des experts de l’Organisation des Nations unies. Voir M. J. Kavanagh, « Congo’s M23 Rebels Plan to Take Trading Hub Goma, UN Report Says », Bloomberg, 18 juin 2022, disponible sur : www.bloomberg.com.

[6[[Voir l’interview de Amzat Boukari Yabara par Histoire Crépues : https://www.youtube.com/watch?v=xiz3ffrPLOk&t=12s

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