Le Soudan est actuellement dévasté par un conflit armé brutal, entre l’armée soudanaise (SAF) et les Forces de Soutien Rapide (FSR). Deux généraux, à la tête de ces deux camps, luttent pour le pouvoir depuis avril 2023 et toute la population en fait les frais : on décompte à ce jour plus 150 000 morts civiles. Cependant, derrière ce narratif occidental se cache une diversité d’enjeux internationaux, aux dépens d’un pays au bord de l’effondrement.
Ce conflit puise ses racines dans les politiques coloniales d’exclusion et de marginalisation. Sous l’administration anglo-égyptienne, de 1900 à 1956, les autorités coloniales avaient imposé des divisions ethniques et religieuses qui ont durablement structuré la société soudanaise, alimentant un ressentiment persistant au sein des groupes marginalisés. Ces tensions internes sont aujourd’hui exacerbées par les rivalités géopolitiques internationales, transformant le Soudan en un champ de bataille pour des puissances étrangères désireuses de protéger leurs intérêts stratégiques et économiques.
Parmi ces acteurs, la Russie et la Chine jouent un rôle majeur. La Russie, via le groupe paramilitaire Wagner, soutient les FSR en échange de droits d’exploitation des ressources minières, notamment l’or. Le récent veto russe au Conseil de sécurité des Nations Unies, bloquant une résolution de cessez-le-feu proposée par le Royaume-Uni et la Sierra Leone, a été vivement critiqué. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a dénoncé ce veto comme « cruel et cynique », affirmant que Moscou donne ainsi carte blanche aux belligérants pour perpétuer la violence. La Russie, pour sa part, accuse le Royaume-Uni de néocolonialisme, affirmant qu’une solution pacifique doit venir de l’intérieur du pays. Ce veto illustre la manière dont les puissances internationales utilisent le Soudan pour promouvoir leurs propres agendas, toujours au détriment des vies sur place et de la stabilité régionale.
Sur le terrain, la crise humanitaire est dramatique. Selon une étude récente du Sudan Research Group, plus de 61 000 personnes sont décédées dans l’État de Khartoum seulement, dont 26 000 en raison directe des violences. La plupart des décès sont dus à des maladies évitables et à la famine, soulignant l’effondrement total des infrastructures de santé. La famine guette dans plusieurs régions du pays, en particulier dans le Darfour, où les FSR ont été accusées de nettoyage ethnique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la famine était « presque partout » au Soudan, faisant des millions de déplacé·es internes et externes, et plaçant le pays en tête des crises humanitaires mondiales.
L’armement des factions soudanaises par des puissances étrangères aggrave la situation. Amnesty International a récemment révélé que la milice FSR utilisait des véhicules fournis par les Émirats arabes unis et équipés de technologies militaires françaises, en violation de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU. Selon Amnesty, des armes fabriquées par des entreprises françaises, dont le système de défense Galix, sont activement utilisées au Darfour, malgré les risques de violations graves des droits de l’humain. Ce soutien militaire, qui inclut des véhicules et équipements sophistiqués, renforce la capacité des FSR à mener des attaques dévastatrices contre les civil·es, tout en perpétuant une dynamique de violence qui échappe à tout contrôle international.
En raison de la guerre et de l’insécurité, les infrastructures de santé soudanaises sont en ruine. Près de 80 % des établissements médicaux dans les zones de conflit sont fermés ou à peine opérationnels, et de nombreux hôpitaux sont fréquemment attaqués. En raison de l’absence de services de santé fonctionnels, de nombreux décès passent inaperçus, ce qui rend difficile une évaluation précise du bilan humain de la guerre. Des travailleur·euses humanitaires estiment cependant que cette crise, éclipsée par d’autres conflits internationaux, est l’une des pires crises humanitaires actuelles.
Ainsi, le Soudan est devenu un champ de bataille non seulement pour ses propres factions, mais aussi pour des acteurs internationaux qui, en quête de ressources et d’influence, prolongent le conflit en soutenant l’un ou l’autre camp en fonction de leurs interêts géopolitiques propres. L’impérialisme exploite les crises locales sous prétexte de stabilisation, permettant à des puissances étrangères de s’approprier les ressources soudanaises et de consolider leur influence. Ignorant les droits des populations locales, ces interventions perpétuent des dynamiques coloniales, laissant l’Afrique en position de dépendance et sacrifiant la stabilité régionale aux intérêts économiques et stratégiques des puissants.
Sources :
- AP News. (2024). Chad-Sudan war refugees face sexual exploitation amid crisis. Disponible ici .
- Brachet, E. (2024, 11 novembre). Guerre au Soudan : à Khartoum, capitale dévastée, la mort frappe à chaque coin de rue. Le Monde. Disponible ici .
- Darwich, M. (2024). Sudan is burning and foreign powers are benefiting : What’s in it for the UAE ?. The Conversation. Disponible ici .
- France Info. (2024). L’article à lire pour comprendre la crise au Soudan, en proie à de violents affrontements. Disponible ici .
- Middle East Eye. (2024). Sudan UN probe finds evidence of large-scale rape and sexual violence by RSF. Disponible ici .
- Nyadera, I. N.(2020). South Sudan conflict from 2013 to 2018 : Rethinking the causes, situation and solutions. African Studies Quarterly, 19(3).
- Reuters. (2024). Sudan’s RSF allies sexually abused victims aged 8-75, UN mission says. Disponible ici .
- Mihatsch, M. A. (2021). Nationalism Without Nation : Sudanese Decolonization and Its Aftermath. Cambridge University Press. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/11/11/guerre-au-soudan-a-khartoum-capitale-devastee-la-mort-frappe-a-chaque-coin-de-rue_6388428_3212.html
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