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Dé-Ra-Ci-Né.e ? 2 voix 4 mains. Mi & Mo

Dé-Ra-Ci-Né.e ? 2 voix 4 mains. Mi & Mo

Bruxelles | sur https://stuut.info
Ce texte écrit à 2 voix 4 mains en écho au spectacle Déraciné.es proposé par DALVA (Camille Weale & David Marolito) autour des poèmes de Bob Kaufman a été lu à plusieurs reprises, chaque fois sur l’invitation des amis DALVA.

Modou Ndiaye (Mo ci-dessous) est porte-parole du Collectif La Voix des sans papiers de Bruxelles et de la Coordination des sans papiers de Belgique, également chercheur en éducation permanente au service des luttes sociales, spécifiquement des sans papiers, sa pratique d’écriture est augmentée par les prises de parole en public lors de manifestations politique, culturelles et son parcours personnel de sans papiers pendant 8 années en Belgique.

Milady Renoir (Mi ci-dessous) est poétesse et performeuse, soutien à la lutte des sans papiers. Elle anime des ateliers d’écriture avec des personnes plus ou moins en écriture mais toujours en récits. Sa pratique d’écriture est enrichie par les alliances avec des personnes dont la lutte, la survie et la rage font terreau et terrain de résistance. La collaboration avec Modou est née d’un désir personnel et politique de rendre compte et demander des comptes aux instances mortifères, dont l’Etat belge.

Les textes écrits par Modou et Milady sont écrits sous l’influence de nombreuses situations et regards, mixant les plaidoyers politiques, la poésie d’au moins 2 pays (1 des 2 est le Sénégal) et la possibilité d’un amour révolutionnaire.

Déraciné.e – ‘version longue’

Mo

Mi
Ra

Mo
Ci

Mi

Mo
Léger sur la langue ??

Mi
Lourd dans le cœur !
Modou, quel déraciné es-tu ?

Mo
Racines de plusieurs territoires
Monde en effet miroirs
Je suis là bas chez moi
Je suis ici chez moi

Mi
Monde… Racines…
Mots… symboles
Mais en vrai
Ici, on t’a dit
in-té-gra-tion
Ou était ce
Dés-in-té-gra-tion
On t’a dit
Pas ici
ni maintenant
Assimile toi
Toi, tu dis
Maison partout
Justice nulle part
Brutalité partout
Solidarité au placard
Comment respire ton diaphragme ?
Tu renfermes ton passé
Ou
Tu renforces ton présent ?
Quelles racines te poussent encore ?

Mo
Et moi,
Je me dis
les gens qui ont grandi ici,
Qui ont si peu la connaissance de leurs origines,
Sont-ils déracinés ?
Pourquoi se sentent-ils encombrés ?
De quel terreau se nourrissent leurs racines ?
je ne me sens pas déraciné
Je vis dans deux villes qui font planète
De ma parcelle à Bruxelles
Dans Dakar et dans le hasard
Quel village est le monde ?

Mi
Ton récit est celui d’une des trop de traversées
Un principe actif chez les sans papiers, les exilés
Je sais que quand tu dis JE
Y a tout un NOUS avec
Ce NOUS vagabond clandestin d’un monde scindé en hémisphères
Hémisphères est ce qu’on a une gueule d Hémisphères ?
Modou
D’où es-tu quand tu dis tu ?

Mo

Je te parle de la Voix des Sans Papiers
Mon village sans frontières
J’y entends ma langue wolof
et des langues limitrophes
Encore et encore
je mange wolof, je dors wolof, je ris wolof
Je parle du pays avec ceux de là bas et d’autres d’ici
Y a du TU dans nous
et
dans vous
et
dans moi
et
dans toi

Mi
Lan moy sa thiossane ?

Mo
Je dis JE quand je foule les rues de Bruxelles
Je dis JE quand je dois m’adapter, virevolter, esquiver
Je dis JE avec prudence mais aussi de toutes mes forces
Je n’ai pas jeté mon histoire au CRéMATORIUM
Je suis mon histoire,
je parle avec elle,
Man may sama thiossane
Je lutte pour ce que je suis
Ma mémoire est remplie de data noire et blanche
Je ne veux effacer
NI la source, NI l’embouchure
J’ai le souffle long
et le buste robuste

Mi
Redis nous encore de quel nous tu parles ?
Je n’ai pas assez entendu,
pas assez vu

Mo
Nous ?
Nous sans papiers,
nous africains,
nous afro-descendants,
nous noirs, nous nègres,
nous clandestins,
nous sans vous
NOUS debout devant VOUS

Mi
Modou,
Devons nous encore écrire qui a coupé les pieds et les mains de l’Afrique ?
nommer qui a déplacé les ailleurs ?
rappeler qui a détrôné les sources ?
dénoncer qui a pris le temps de brûler le temps ?

Mo
Les caravelles de l’homme blanc !
Les vaisseaux négriers de l’homme blanc !
le mensonge de l’homme blanc !
la fausse mission du dieu blanc !
les dictatures orchestrées par les blancs !
les présidents marionnettes aux peaux noires,
aux masques blancs !

(Mi & Mo)
Et quelques femmes blanches aussi.

Mi
Les systèmes sont visibles
Les oeillères sont risibles
Les tribunaux n’ont pas encore eu lieu
Les peuples n’ont pas encore eu mieux
Je cherche l’endroit qui ne dilue pas
Je cherche l’espace qui ne collabore pas
Dé-Ra-Ci -Nés ?
Qui l’est ?

Mo
le fond de la cale, les champs de coton, de bananes, de café déracinent
les prisons remplies de noirs, de basanés déracinent
Les centres fermés blindés d’exilé.es forcé.es nous déracinent
La peine de mort rapide ou lente nous déracine
Youtube qui remplace le griot nous déracine
Facebook qui remplace l’arbre à palabres nous déracine
La catastrophe climatique dévastant déjà le Sud nous déracine
La surpêche de nos côtes et de nos corps nous déracine
La disparition de la charrue et de la daba nous déracine
Les pesticides interdits au nord et refourgués au Sud nous déracine
La spoliation des terres de nos paysans et paysannes nous déracine
Les push backs au bord des déserts nous déracinent
les fonds de la Méditerranée, nouveaux zoos humains nous déracinent
TOUS nos récits bannis et niés et reniés nous déracinent

Tu m’entends ?

Et toi, Emmy,
toi qui sais déjà tout ça
Es-tu déracinée ?
Une européenne, une blanche peut-elle se sentir déracinée ?

Mi :
Je ne connais pas mes racines
mais je connais les bases
J’ai grandi en micro bouture
en nouvelle mouture
je ne me revendique d’aucune tige d’aucun pistil
C’était un choix, un possible, une rupture
j’ai la chance de la désinvolture
D’avoir pu choisir l’élagage et la perte
Je me suis auto déracinée
J’ai muté les rhizomes,
J’ai accueilli d’autres atomes
J’ai coupé court
La fRance, mon lieu de naissance,
ce vrai trou du cul du monde,
pas l’anus solaire d’un Louis ou d’un Charles,
plutôt fosse s(c)eptique des Lumières
Moi, en fait,
J’ai fait des exils super faciles,
sans décalage horreur,
en 1re classe

Mo :
Alors,
à quel moment le déracinement te titille ?

Mi :
Je ne suis pas une nomade
Je ne trotte pas le globe
Je ne voyage pas ni ne surfe sur l’universalisme
je n’ai pas “fait la Thaïlande
pas traversé le Sénégal”
Je ne cherche pas l’attachement
L’assignation ou la nostalgie
Ni cordon ni cordeau !
Mon corps est ma patrie,
Mon esprit est mon astéroïde
mon autoportrait a mûri entre cages d’immeubles et tiroirs caisses
Longtemps assise entre dépits et cruautés
Famille encartée chez pêche chasse tradition
où tout grouille ; tout est charcuté, labouré jusqu’au noyau
Rien n’a dessiné un pays en moi
Ma peau vieillit en sommes et soustractions
Et
JE ponce le derme du drapeau
JE décape le duvet de la devise
Et Modou
Offrons nous un voyage en turbulences

Mo
Au milieu de tes colères et héritages d’injustice
Sais-tu t’asseoir
Respirer
et
te regarder pousser ?

Mi
Y a le temps qui passe
L’eau sous les ponts
Celle dans les poumons
Les états nations qui s’ramassent
Et moi,
j’ai pris le creux de la vague,
Les petites victoires et les grands obstacles
Quand tu fermes les yeux
A quoi penses-tu ?

Mo
Je pense au loin
Les échos de la voix silencieuse de mère Cissé m’enracinent
Les murmures guérisseurs de mon grand-père Cheikh m’enracinent
Les chimères de Cheikh Anta Diop, David Diop, Birago Diop
celles de Frantz Fanon, d’Aimé Césaire m’enracinent
Les résistances d’Aline Sitoé Diatta et Semira Adamu m’enracinent
Les actions d’Emery Diyabanza pour la restitution des oeuvres d’art pillées en Afrique m’enracinent
Ma lutte auprès des Miens m’enrichit, m’incarne, m’enracine

Mi
J’entends tes souffles, Modou
Je répertorie ces nostalgies qui ne m’appartiennent pas
Je les regarde avec une imbécile rugosité
Sans innocence
Je sais les écartèlements de tes ancêtres
Je sais les équarissements perpétrés par les « miens »
D’où la vigilance
D’où la méfiance
D’où notre alliance
pourtant
Pas d’ethno-masochisme
D’alliée à complice
Nous serions les indices
D’une meute en déviation
Lignes droites évincées
Il n’y pas de sens interdits
En larmes et conscience,
J’épelle chaque lettre
De notre responsabilité
De la responsabilité
Ici et maintenant
Modou
Tu as dit un jour l’adage
“la Vérité n’a pas d’âge”
Nous ne sommes pas assis au bord du même ravin
Tout autant
J’entends tes souffles et tes ombres
J’apprends la lutte et la puissance
Auprès de toi et d’un nous en chantier

Mo & Mi


Ra
Ci
Nés ?


Ra
Ci
Nés

Même pas vrai !

Voir en ligne : La CoUrBE du CUBE (Blog)

Notes

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