stuut.info

[2/8] Bon cop, bad cop - Comment la police interroge et comment s’en défendre

[2/8] Bon cop, bad cop - Comment la police interroge et comment s’en défendre

Le média Renversé publie sur son site un focus en plusieurs partie autour du livre « Comment la police interroge et comment s’en défendre », que nous republions ici. Ce livre est pensé comme un outil d’autodéfense contre la pratique policière de l’interrogatoire. Un interrogatoire n’est pas un échange harmonieux entre deux individus. C’est un conflit. Dans ce conflit, notre ignorance fait leur force.

Partout | sur https://stuut.info

Stratégies d’interrogatoire

À l’inverse des techniques de manipulation citées plus haut, les stratégies qui suivent prennent place dans une plus longue temporalité. Elles vont se développer sur la totalité de l’interrogatoire, voire même sur plusieurs interrogatoires d’affilée. Alors que les techniques de manipulation seront utilisées spontanément en fonction de l’interaction police-suspect·e, les stratégies d’interrogatoire sont choisies et préparées à l’avance selon le profil de la personne interrogée.

Bon flic, méchant flic

Mise en situation

Assise dans un petit bureau tout bétonné, tu as devant toi un inspecteur particulièrement agressif qui gesticule, hausse la voix, t’injurie et te menace. Tout d’un coup, la policière derrière lui l’interrompt, s’assoit en face de toi et te regarde calmement. Elle déclare d’une voix rassurante que tout est moins grave que ce qu’il n’y paraît, que c’est bientôt fini, que tu dois juste répondre à ces quelques petites questions et qu’ensuite, promis, tu pourras partir. Tu cèdes ? Non ? Alors le premier flic tape sur la table, te foudroie du regard, menace de te ramener en cellule et de t’y garder pour la semaine, et puis te pose des questions très précises auxquelles tu n’as aucune envie de répondre. Quand la flic « sympa » voit que le thème abordé t’est désagréable, elle coupe son collègue et te lance sur un autre sujet, qui paraît inoffensif et sur lequel tu t’engages volontiers ne serait-ce que pour que le flic « méchant » reste à l’écart et éviter les sujets sensibles. Sauf que petit à petit les questions te ramènent vers le sujet indésirable et que le flic « méchant » n’attend qu’une occasion pour te ressauter dessus. Tiendras-tu le coup ? Bienvenue dans la stratégie du bon flic / méchant flic, grand classique des séries policières.

Dans cette stratégie d’interrogatoire, l’un·e des policiers·policières aura une attitude agressive et menaçante, attaquant frontalement sur des sujets désagréables et inconfortables. À l’inverse, l’autre prendra une attitude rassurante, calme, presque bienveillante. Entre eux, tu es comme une balle de ping-pong, envoyée de l’un·e à l’autre jusqu’à ce que tu craques. Le rôle du flic « méchant » est de te mettre la pression, de te pousser dans tes retranchements, de t’épuiser et de t’effrayer. Lorsque le·la deuxième inspecteur·inspectrice juge que tu es prêt·e à craquer, ou lorsqu’un sujet particulièrement sensible est abordé, il·elle prend le relais, te rassure, t’offre un verre d’eau, te propose une pause, et d’une voix calme te fait des promesses avant de reprendre les questions ; « on veut juste une réponse à cette question ensuite vous pourrez rentrer chez vous ».

Pour se concerter et savoir quand passer la main à l’autre, les policiers·policières utilisent des signaux spécifiques, comme un mot, un signe corporel, ou même une intonation. Les deux rôles ne sont pas nécessairement présents en même temps. Plusieurs entretiens peuvent d’abord avoir lieu avec des flics au rôle de « méchant » uniquement. Puis arrivent deux inspecteurs·inspectrices, calmes et rassurant·es. Et tu te doutes bien que si tu ne coopères pas, les flics agressifs·agressives reviendront.

Passer rapidement d’une émotion à une autre entraîne un épuisement émotionnel. Cette tentative d’influencer tes émotions par un comportement spécifique s’appelle la contagion émotionnelle. En effet, l’état émotionnel d’une personne en face de nous influence notre propre émotion. Rencontrer une personne agressive pourra nous mettre dans un état de colère, de peur ou de stress alors que rencontrer une personne calme et douce créera de la tranquillité mais peut-être aussi de la méfiance. Avec ce mécanisme, on peut influencer un état émotionnel qui change au rythme des interlocuteurs·interlocutrices et de leurs comportements. Cela provoque un grand épuisement mental. Lié au stress de l’interrogatoire et à la peur d’être à nouveau confronté·e au flic « méchant », le risque de céder plus facilement au flic « gentil » est grand.

En fonction de l’ambiance que la police souhaite créer, la disposition des chaises sera différente : face à face pour créer une ambiance de confrontation, et chaise sur le côté de la table s’ils·elles souhaitent t’amener dans une position réconfortante et collaborative.

Pour se protéger, rien de mieux que le silence, ou de répéter en boucle « je n’ai rien à déclarer ». Plus vite les policiers·policières comprendront que tu ne vas pas t’engager émotionnellement dans leur stratégie, plus vite ils·elles te laisseront tranquille.

Sable mouvant

Mise en situation

Toujours assise dans le même petit bureau au mur en béton, tu fais face à deux inspectrices qui te posent une question à laquelle tu ne souhaites pas répondre par la vérité. Tu mens sans savoir qu’elles connaissent déjà la vérité. Cette question n’est en fait qu’un test pour voir si tu vas t’engager dans un mensonge ou non. À présent, elles savent que oui. Alors elles te poussent à mentir encore et encore. Chaque mensonge attire une nouvelle question pour laquelle tu vas devoir rapidement inventer une réponse, cohérente avec le reste de ton histoire. Pas facile pourtant de te souvenir de ce que tu leur as exactement dit par le passé. Tout d’un coup, l’air triomphant, une des policières explique qu’elles savent que tu mens, qu’elles ont un élément qui démontre que ce que tu racontes est faux, que tu t’es contredit. Tu ressens que tu n’es plus crédible, que le juge va savoir que tu as essayé de mentir, que ce comportement te rend suspecte. Que tu avoues avec l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être ou que tu persistes à nier, la démonstration de tes mensonges est établie et elle sera retenue contre toi lors du procès. La tentation de craquer et de leur donner des aveux complets est alors très grande.

La stratégie du « sable mouvant » vise à te laisser mentir, voire à t’encourager sur cette voie. Cela commence toujours par une question test dont la police connaît déjà la réponse afin d’évaluer si tu vas essayer de leur mentir dans la suite de la discussion. Si c’est le cas, tu vas être poussé·e à fournir de plus en plus de réponses mensongères. Et à chaque fois que tu inventes un nouvel élément, les interrogateurs·interrogatrices rebondissent et te posent de nouvelles questions. En clair, tu t’enfonces dans tes propres mensonges. Et plus tu leur livres d’éléments mensongers, plus le risque devient grand que tu te contredises ou que tes mensonges s’opposent à des éléments déjà récoltés lors de l’enquête (témoignages, traces, indices, etc.).

Mentir à l’improviste demande une grande capacité de concentration, beaucoup d’imagination et une très bonne mémoire.

La police note l’entier de l’interrogatoire, alors que toi tu n’as que rarement la possibilité de prendre des notes. Et quand deux ou trois semaines plus tard les mêmes questions te sont posées à nouveau, tu dois répondre de manière similaire jusque dans les moindres détails. Si tu te contredis, tu perds en cohérence et en crédibilité, jusqu’à ce que finalement ton mensonge tombe en morceaux. Puisque tu ne connais pas les éléments de preuves que les policiers·policières ont récoltés contre toi, comment savoir si en mentant tu es en train de te sauver ou de te nuire ? L’objectif pour la police est de te pousser à mentir puis de faire voler ton mensonge en éclat. Alors les policiers·policères vont te montrer qu’ils·elles savent que tu mens, que tu n’es plus crédible.

Le silence est une meilleure forme d’autodéfense que le mensonge. Tenter de dissimuler la vérité par le mensonge c’est prendre le risque de révéler bien plus d’informations qu’en restant protégé par le silence.

Voir en ligne : Via Renversé

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info