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Sous le slogan « Cent Mille Ans – Cent Mille Luttes – Cent Mille espoirs à Bure », une large alliance de groupes antinucléaires, d’associations environnementales, d’initiatives citoyennes, de partis politiques et de syndicats de toute l’Europe se mobilise pour une grande manifestation à Bure en Meuse (55) le 3 juin 2023 : https://bure3juin2023.noblogs.org/
En tant que membres anarchistes des structures informelles de la lutte anti-CIGEO, nous avons décidé de prendre position avec cette contribution à la discussion, tant sur la manifestation elle-même que sur la critique (assez répandue dans nos cercles) de celle-ci. Évidemment, nous ne parlons qu’en notre propre nom. Ce texte est donc explicitement conçu comme une contribution au débat et ne représente pas la position collective des « anarchistes de la zone ». Nous serions très heureux.ses de recevoir d’autres prises de positions, des critiques et ajouts à cette contribution. Nous voyons également dans cette mobilisation une opportunité d’intensifier et d’affiner le discours sur les perspectives et les stratégies de la lutte anti-CIGEO dans la région, ainsi que du mouvement anti-nucléaire dans son ensemble, au-delà de l’événement.
Nous tenons tout d’abord à préciser que nous soutenons l’appel (même s’il ne va pas assez loin sur certains points), tant sur le fond qu’en pratique. L’approche du début du chantier de CIGEO ainsi que la relance du programme nucléaire par l’Etat et l’industrie amènent une réponse massive du mouvement tout simplement nécessaire. La mise en œuvre rapide du programme d’enfouissement des déchets nucléaires en profondeur dans la Meuse et la Haute-Marne est un enjeu vital pour l’industrie nucléaire française : la propagande des États nucléaires dans le monde entier manque de solutions crédibles pour les déchets mortels générés. Le danger qui en découle pour l’environnement et les générations futures doit être démontré et dénoncé avec la plus grande fermeté. La question non-résolue de la gestion des déchets constitue en outre un point de cristallisation possible commun aux différentes luttes anti-nucléaires régionales. Nous sommes convaincu.es de la nécessité d’un mouvement de résistance social et écologique large et diversifié, qui quitte la zone de confort de son propre milieu et crée des convergences afin d’acquérir une force de frappe et une pertinence sociale. Nous saluons donc explicitement une convergence de cortèges qui manifesteront dans toute leur diversité leur colère dans le département et souhaitons à tou.tes les manifestant.es une journée réussie.
Nous ne voulons pas non plus passer sous silence le fait que nous avons des critiques sur la manière dont cette décision a été prise. Cela concerne aussi bien le processus politique que la volonté d’impliquer certains groupes. Mais surtout, nous partageons les critiques concernant le manque d’implication en amont de diverses structures locales, qui devront finalement supporter le poids (logistique) de la mobilisation : beaucoup d’entre nous ont été mis.es pratiquement devant le fait accompli, ce qui a provoqué un malaise sensible – et tout à fait compréhensible. Nous ne mentionnons cela qu’en passant, car c’est sans doute plus un sujet à discuter en interne.
Le fait est que cette manifestation aura lieu, avec ou sans nous. Et elle servira d’indicateur, tant pour le public que pour les protagonistes du mouvement, de l’état des lieux de notre mouvement. Nous pensons que la crainte d’être rendu.es invisibles par les « forces bourgeoises » en tant que partie radicale de ce mouvement est absolument justifiée. Si nous ne parvenons pas à rendre visibles nos propres idées et formes d’expression lors de cette journée, c’est même garanti. En ce sens, ne pas participer à l’événement ne constitue pas pour nous une option politiquement acceptable – au contraire ! Dans ce qui suit, nous voulons expliquer brièvement pourquoi nous avons décidé de ne pas faire partie officiellement de l’organisation de la manifestation, mais pourquoi nous avons l’intention d’être présent.es ce jour-là avec des mots d’ordre radicaux et une pratique déterminée.
Clairement, ce qui nous irrite le plus, c’est la participation de partis politiques et d’élu.es. Car en fin de compte, ceux-ci font partie de l’appareil de pouvoir politique que nous rejetons et combattons en tant qu’anarchistes et qui se trouve pour nous clairement de l’autre côté de la barricade. La perspective de convaincre une poignée d’adjoint.es élu.es ou de député.es de participer à la manifestation ne suscite pas chez nous les mêmes sentiments euphoriques que pour certaines parties du groupe qui organise la manifestation. Il n’est pas non plus question pour nous de vivre dans l’inquiétude à l’idée de cette manifestation, comme nous pouvons le constater actuellement chez certain.es de nos ami.es.
Dans le contexte parlementaire et gouvernemental français actuel, il semble logique que les partis d’opposition « de gauche » et « écologiques » se positionnent contre le nucléaire. Une grande mobilisation à Bure est dans l’intérêt (légitime) de beaucoup de gens, pour des raisons très diverses. Cependant, au regard de l’histoire, ce positionnement pourrait aussi être lu comme un pur opportunisme. L’implication de ces forces ne représente pour nous ni un succès, ni un résultat souhaitable. Il s’agit plutôt d’un effet secondaire quelque peu désagréable et inhérent à la nature politique de ces structures, qui apparaissent là où un mouvement de lutte a préparé le terrain et gagne en pertinence sociale. Nous n’avons aucun doute qu’ielles nous abandonneront dès que la perspective d’un peu de pouvoir parlementaire se présentera à elleux ou que la pression répressive du camp adverse augmentera. Il existe des centaines d’exemples historiques de la trahison politique inévitable qui doit suivre cette alliance dans les luttes sociales et écologiques.
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Nous souhaitons également formuler une critique fondamentale à l’égard des groupes qui exigent une transformation écologique de l’économie capitaliste en « capitalisme vert ». Ces personnes représentent une part non négligeable du mouvement global et sont également attendu.es en grand nombre à cette manifestation. La conséquence de cette idée est un tournant « énergétique écologique“ qui, de manière tout à fait colonialiste, se fait au détriment de celleux qui souffrent déjà le plus des conséquences de l’exploitation globale des humains et de l’environnement. L’extractivisme des terres rares et des métaux précieux, et donc l’empoisonnement de régions entières (surtout dans les pays du Sud) s’accélère, afin de pouvoir continuer à satisfaire les besoins en énergie d’une société de consommation démesurée. Tout ça pour que la classe propriétaire du Nord puisse se déplacer en SUV électriques et faire fonctionner ses industries polluantes avec de l’électricité « verte ».
Cette logique fatale de « poursuite de la croissance capitaliste » sous des auspices prétendument verts prépare notamment le terrain politique pour l’absurde greenwashing du gouvernement, qui nous présente actuellement le gaz et l’électricité nucléaire comme des alternatives respectueuses du climat. Les questions de justice globale, sociale et écologique ne s’opposent pas, mais sont indissociables : la protection de l’environnement est une lutte de classes !
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Même si nous n’y attachons aucune importance, la déclaration de la manifestation à la préfecture par les organisateurices est compréhensible, si l’on considère la vision politique de certains des groupes impliqués. Nous tenons cependant à souligner très clairement que nous considérons la « protection de notre liberté de réunion » qu’une déclaration est censée garantir (et qui figure dans l’appel à manifester sous forme d’appel direct aux dirigeant.es) comme une illusion absolue. La seule protection efficace contre les attaques du pouvoir d’État envers notre mouvement réside dans l’organisation de notre autodéfense déterminée.
De plus, il n’y a pas que ce moment symboliquement désagréable où le mouvement demande aux politiques contre qui nous luttons comment ceux-ci préfèreraient que nous manifestions. D’un point de vue purement technique, la déclaration d’une manifestation s’accompagne d’une série d’effets secondaires qui sont tout à fait susceptibles de favoriser la division de notre résistance en « bon.nes » et « mauvais.es » manifestant.es. Ainsi, il y aura inévitablement des discussions de coopération avec les flics, des changements d’itinéraires des parcours préférés, et des conditions pour manifester. Nous regarderons certainement de très près jusqu’où les organisateurices sont prêt.es à aller dans ces négociations et, si nécessaire, nous en tirerons les conséquences.
De toute façon, nous estimons que la probabilité d’une interdiction de la manifestation est relativement élevée. Et comme vous l’avez peut-être déjà deviné, cela nous est assez égal. Quelle que soit la décision de la préfecture, nous manifesterons le 3 juin. C’est au plus tard à ce moment-là que nous verrons à quel point les différent.es participant.es sont sérieux.ses dans leur volonté d’imposer ensemble notre résistance aux intérêts de l’État nucléaire. Si nous faisons nôtres les règles que l’État et l’industrie nucléaire nous imposent, nous aurons perdu avant même que la partie ne commence !
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Bien entendu, une mobilisation de cette ampleur pose tôt ou tard la question d’un consensus d’action commun. A notre connaissance, celui-ci est en discussion, sans qu’il y ait pour l’instant de résultat publiquement communiqué à ce sujet. Fondamentalement, notre position sur cette question est la suivante : l’idée d’un consensus d’action est en contradiction flagrante avec le concept de « diversité des tactiques » que nous défendons. Le seul « consensus d’action » que nous accepterons jamais est le suivant : pas de dissociation par rapport aux formes d’action des autres spectres du mouvement ! D’une part, cela signifie que nous ne sommes pas prêt.es à nous rendre prévisibles (et donc vulnérables) face à l’État et à l’industrie nucléaire, transformant ainsi notre résistance en un spectacle attendu et symbolique. D’autre part, cela signifie avoir une attitude consciente et responsable vis-à-vis des autres spectres de la contestation, par exemple en planifiant et en menant nos actions de manière à ne pas contribuer à l’appropriation de l’ensemble de la manifestation et à ne pas priver d’autres personnes de l’espace nécessaire pour s’exprimer et devenir visibles à leur manière.
Malgré toutes les critiques formulées ici, nous sommes fermement convaincu.es que pour atteindre nos objectifs communs, il est bien plus important de construire des relations solidaires entre nous que de mettre en évidence ce qui nous sépare. Travailler à une réaction commune et puissante du mouvement anti-nucléaire à la relance du nucléaire nous semble être une piste incontournable à l’heure actuelle. Mais le succès politique de la mobilisation n’est en aucun cas acquis. De même que nous considérons qu’une non-participation à la mobilisation pour les raisons évoquées est une erreur sur le fond, nous ne voulons pas non plus inciter à voir dans la manifestation une offre à consommer. Si nous choisissons pour nous la forme de l’organisation informelle, ainsi que le moyen de l’action directe, cela signifie aussi prendre nos propres responsabilités dans ce processus. Il y a encore beaucoup à faire et le temps est extrêmement court. Préparez-vous, organisez-vous en groupes affinitaires, réfléchissez jusqu’où vous êtes prêt.es à aller avec vos ami.es ce jour-là et comment vous pouvez mettre cela en pratique.
Nous appelons tous les groupes et individus du spectre autonome, anarchiste et social-révolutionnaire à venir à Bure le 3 juin 2023 et à créer ensemble une expression déterminée de notre position indiscutable – contre le nucléaire et son monde de merde !
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