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[Récit] Le cimetière des enragé·es

[Récit] Le cimetière des enragé·es

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On y trouverait des soulagées, des suicidé·es, des accidenté·es, des assassiné·es, des abusé·es, des désillusionné·es, des trop jeunes, des qui auraient encore toutes leurs dents, des qui auraient eu le temps de les voir toutes tomber, des qui en auraient bavé.

Des qui en auraient dans le ventre mais qui ne sauraient jamais le voir, des qui ne pourraient pas faire autrement que de se battre, des qui sauraient plus quoi faire de leur colère, de leur tristesse. Des qui voudraient inonder le monde avec leur amour mais ça les brûlerait de l’intérieur alors à la place iels auraient crié et iels s’en seraient voulu. Des qui seraient entouré·es mais trop déconnecté·es pour comprendre dans leur corps qu’iels sont aimé·es.

Des qui danseraient pour oublier, des qui boiraient pour oublier, des qui fumeraient pour oublier, des qu’on ne comprendrait jamais parce qu’iels seraient trop perché·es, trop folles, trop dangereuses.

Des qui, à force, auraient reçu en cadeau du dégoût de la vie et le désespoir, mais que ça n’aurait jamais été leur nature. Des qui auraient subi toutes sortes de trucs épouvantables qui n’auraient jamais été leur faute. Y a pas de faibles au cimetière des Enragé·es. Y a tellement de force que l’herbe y est plus verte que nulle part ailleurs.

J’honore les mort·es et je célèbre les vivant·es.

Ces histoires, c’est un peu mon histoire aussi. J’ai peur parce que tous les avenirs qu’on me dessine frôlent la mort. J’ai peur et je perds espoir quand même les très impliqué·es pour la communauté se font aussi avaler, engloutir, déchiqueter. Je peine à me raccrocher aux branches, au vivant. La tentation de rejoindre les copaines est grande.

Je rêve du jour où on ne se réunira plus le 20 novembre pour le Trans Day of Remembrance (1). Je rêve du jour où y aura moins de personnes trans tuées dans le monde par an que de jours dans l’année. Je rêve du jour où l’habitude ne sera plus de prendre la défense des familles, des employeurs ou des institutions quand on parle de transphobie.

Je nous trouve fort·es, tout le temps. J’ai de l’admiration quand on se sort de nos environnements dangereux, que la dissociation s’évapore, qu’on devient capables de mesurer l’ampleur de ce qu’on a vécu, qu’on défait nos mécanismes de défense, de survie, et qu’on se (re)construit à partir de rien.

Quand on met toute notre énergie à (re)chercher la sécurité, à essayer, à se tromper, à croire, à réessayer ailleurs.

Quand on se bat contre ce qu’on a appris, contre nous-mêmes pour ne pas reproduire les cycles de violence.

Ça me donne de l’espoir quand on s’écoute, quand on se soutient, quand on se recadre, quand on se supporte, quand on se dit non, quand on se dit oui, quand on se montre vulnérable dans la joie et le désespoir. Quand le mouvement s’opère et que les soutenu·es deviennent soutenant·es.

Bubbles

Note

  • (1) Le Trans Day of Remembrance (TDoR) ou Journée du souvenir trans a lieu chaque année le 20 novembre.

Voir en ligne : PD la Revue

Notes

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