stuut.info

Fusillades à Bruxelles : déshumanisation médiatique et récupération politique pour une guerre contre la drogue inefficace

Fusillades à Bruxelles : déshumanisation médiatique et récupération politique pour une guerre contre la drogue inefficace

Bruxelles | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie | Collectif : Bruxelles Dévie
PNG - 1007.7 ko

Bruxelles connaît une montée des violences liées au trafic de drogue depuis quelques semaines. Selon les données de la police fédérale, le nombre de fusillades enregistrées est passé de 56 en 2022 à 92 en 2024, soit une augmentation de 65 % en deux ans. Ces incidents surviennent principalement dans des quartiers comme Anderlecht, Molenbeek, Saint-Gilles ou encore Schaerbeek, où des rivalités entre groupes criminels s’exacerbent autour du contrôle des points de deal.

Un exemple marquant est la fusillade du 5 février 2025 devant la station de métro Clemenceau. Plusieurs hommes armés ont ouvert le feu. Les assaillants ont ensuite pris la fuite en utilisant les tunnels du métro, provoquant une vaste opération policière et la fermeture du réseau pendant plusieurs heures. Il y a quelques semaines, un jeune homme de 19 ans s’est fait tragiquement tué lors d’une de ces fusillades. Depuis, plusieurs perquisitions ont eu lieu, entraînant l’arrestation de plusieurs suspects.

Les habitants subissent, les quartiers s’enfoncent, et les politiques continuent de marteler leur rhétorique sécuritaire sans jamais remettre en question leur propre responsabilité.

PNG - 251 ko

Dès qu’une fusillade éclate, les médias se jettent sur l’affaire, relayant des récits alarmistes qui alimentent un climat de peur et de stigmatisation des quartiers populaires. Les articles insistent sur la « guerre des gangs », sur la «  montée de la violence urbaine » et sur le danger supposé que représenteraient certaines populations. Cette narration contribue à renforcer des stéréotypes racistes et culturalistes, faisant des jeunes hommes issus de l’immigration les boucs émissaires de cette crise. On parle de « zones de non-droit », de « jeunes radicalisés par la criminalité », mais jamais du rôle des politiques d’abandon, du désintérêt total des autorités pour ces quartiers laissés à l’agonie.

Les médias généralistes, plutôt que de questionner les racines du problème : la situation sociale, économique et somme toute politique, se contentent de recycler les éléments de langage fournis par le gouvernement et relayer les saillies des politiciens d’extrême-droite. Rien, ou presque, sur l’absence d’investissements dans l’éducation, sur la précarisation croissante des jeunes de ces quartiers, sur les dynamiques sociales qui rendent le trafic de drogue si attractif pour ceux qui n’ont aucune autre perspective d’avenir.

Par ailleurs, la couverture médiatique fait rarement état des causes profondes du problème : le sous-investissement chronique dans les infrastructures publiques de ces quartiers, le manque d’opportunités économiques pour la jeunesse, ou encore les effets délétères des politiques répressives sur le trafic de drogue. Loin de questionner l’échec des stratégies policières, les médias reprennent souvent sans recul les discours sécuritaires des responsables politiques.

PNG - 336 ko

Si les médias sont coupables de servir la soupe sécuritaire, les politiques, eux, excellent dans l’art de la récupération. Face à cette explosion des violences, la réponse des autorités est souvent prévisible : multiplication des opérations de police, renforcement des lois répressives et discours de fermeté. L’initiative « Place net XXL », mise en avant par le gouvernement français par exemple, illustre cette logique : elle vise à « nettoyer » les quartiers en multipliant les contrôles et les arrestations. A Marseille, des centaines d’arrestations et de nombreuses saisies ont eu lieu dans les quartiers de la Castelanne depuis la visite d’Emmanuel Macron, puis de Darmanin en avril dernier. Ils y ont décrété ce plan Place net XXL, pour « nettoyer et lessiver les quartiers de la drogue« .

Or, cette approche ne fait que déplacer le problème sans le résoudre. Plusieurs habitant·es et élu·es locaux se plaignent que cette opération » ne fasse plus de morts que le trafic lui même« . A Marseille toujours, des décennies de politiques et de plans toujours plus violents et plus sécuritaires se sont enchainées, sans jamais trouver de solutions aux problématiques liées à la drogue. En Belgique, Bernard Quintin a annoncé vouloir mobiliser renforcer considérablement les moyens de la police fédérale pour contrer le phénomène, dont notamment la mesure phare du gouvernement Arizona de la fusion des zones de police. La machine politique est donc bien en place, prête a mettre en oeuvre des programmes toujours plus sécuritaires…

Pourtant, à bien y regarder, ce sont ces mêmes responsables qui, depuis des décennies, ont laissé ces quartiers se dégrader, qui ont coupé les budgets sociaux, qui ont alimenté le désespoir sur lequel prospère le trafic de drogue. La NVA par exemple, très vocale sur le sujet de la drogue depuis quelques semaines, est au pouvoir à Anvers depuis de nombreuses années. Anvers étant une des villes les plus active dans le trafic de drogue en Belgique à cause de son port. Pourtant, aucunes mesures que le parti a pu mettre en place à Anvers, aussi répressives soit elle, n’ont réussi à défaire l’engrenage du trafic de stupéfiants.

Julien Moinil, procureur du Roi de Bruxelles, critique ouvertement cette politique et souligne que les moyens alloués à la justice et aux forces de l’ordre sont insuffisants pour assurer un suivi judiciaire efficace des trafiquants arrêtés. Il s’inquiète également de l’instrumentalisation politique de cette crise, dénonçant des « effets d’annonce » sans véritables solutions structurelles.

De plus, certains élus profitent de ces événements pour durcir leur discours et justifier des mesures liberticides. En particulier, la tentation de militariser davantage les interventions policières est forte, bien que les expériences passées montrent que cette escalade répressive ne fait qu’aggraver la violence. Pendant ce temps, les réseaux criminels s’adaptent, les trafiquants trouvent de nouvelles stratégies, et les homicides continuent. La réalité est accablante : la « guerre contre la drogue » est un échec total. Mais plutôt que d’en tirer les conclusions qui s’imposent, nos dirigeants persistent dans la logique de répression accrue, qui ne sera jamais la solution.

Le véritable problème derrière ces fusillades est l’échec patent des politiques prohibitionnistes en matière de drogues. Malgré des décennies de répression, l’offre de stupéfiants ne faiblit pas, bien au contraire. Selon les données européennes, le transit de drogue comme la cocaïne et l’héroïne a explosé ces dernières années, et le marché de la drogue en Europe est estimé à 30 milliards d’euros. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : malgré des décennies de politiques répressives, le marché de la drogue n’a jamais été aussi florissant. La répression policière ne fait qu’exacerber la violence entre trafiquants, rendant le marché plus instable et plus dangereux pour les habitants.

Les opérations policières ne font, au mieux, que fragiliser les réseaux criminels, mais ne les démantèle jamais vraiment, exacerbant la concurrence entre trafiquants et rendant le marché plus instable et violent. Pire encore, ces stratégies répressives touchent principalement les petits dealers et consommateurs, laissant intacts les véritables organisateurs du trafic qui, grâce à la corruption, continuent d’opérer en toute impunité.

Les alternatives existent pourtant. À l’international, plusieurs pays ont adopté des politiques différentes axées sur la réduction des risques et la légalisation encadrée de certaines substances, avec des résultats bien plus probants. Des pays comme le Portugal, qui ont opté pour une dépénalisation encadrée et un accompagnement des consommateurs, ont vu une diminution significative des violences liées au trafic. Mais en Belgique, toute proposition allant dans ce sens est immédiatement écartée, jugée « trop laxiste » par des responsables politiques plus soucieux de leur image que de l’efficacité réelle des politiques publiques.

Les fusillades qui secouent Bruxelles sont le symptôme d’un échec global : celui d’une politique antidrogue basée sur la répression, d’un traitement médiatique sensationnaliste et d’une instrumentalisation politique opportuniste. Tant que ces facteurs resteront inchangés, la violence continuera d’augmenter, piégeant et condamnant sciemment les habitants des quartiers populaires dans un cycle infernal.

Sources :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info