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Charlottesville août 2017 : Qu’est-ce qu’un moment de crise peut nous apprendre sur notre époque troublée ?

Charlottesville août 2017 : Qu’est-ce qu’un moment de crise peut nous apprendre sur notre époque troublée ?

Les événements de Charlottesville en 2017 ont été un tournant décisif dans l’échec de la fascisation aux États-Unis, comme l’ont été les mobilisations antifascistes en Grèce contre Aube dorée, les multiples mobilisations des mouvements antifascistes lors des élections législatives françaises ou encore les pratiques d’autodéfense populaire lors des émeutes racistes en Angleterre.

C’est pourquoi nous avons décidé de traduire cet article des camarades États-uniens. Il s’agit d’une traduction militante. Veuillez donc nous excuser pour les éventuelles erreurs ou imprécisions par rapport au texte original. Nous avons ajouté des notes de bas de page, absentes du texte original, afin de fournir plus d’informations à un lectorat francophone sur la situation aux États-Unis et sur l’extrême droite étasunienne.

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Avant-Propos :

Il y a sept ans, des anarchistes et autres antifascistes se sont réuni.e.s à Charlottesville, en Virginie, pour contrer le rassemblement « Unite the Right« . Les organisateurs de ce rassemblement avaient pour but d’unifier dans un même mouvement suprémaciste blanc de rue l’ensemble des extrêmes droites, tels que par exemple le Ku Klux Klan, les néonazis, les « Vigilantes » [1] et autres miliciens d’extrême droite [2] ainsi que les fascistes de « l’alt-right » [3].

Depuis un an, les fascistes gagnaient du terrain dans les rues, et ce rassemblement devait leur permettre de s’imposer comme une force légitime sur le plan national de la politique américaine. S’ils réussissaient, des millions de partisans de Donald Trump auraient alors pu les rejoindre. Leur principal objectif ce week-end-là était de passer ces journées sans incident. Cependant, quelques centaines de personnes courageuses ont décidé de les stopper. Bien qu’en sous nombre, mal préparé.e.s et effrayé.e.s, les antifascistes furent présent.e.s.

Il est important de se souvenir de ces jours, car l’influence de Trump et du « trumpisme » n’a pas disparu. Même si cela peut être décourageant, les mêmes menaces et défis existent encore aujourd’hui et l’avenir reste aussi incertain qu’il y a sept ans. Revenir sur les événements de Charlottesville permet surtout de mieux comprendre les enjeux actuels.

Bien que les fascistes soient moins visibles dans les rues, ils cherchent toujours à prendre le contrôle du pays par le biais de l’appareil d’État. Charlottesville démontre aussi qu’un petit nombre de personnes déterminées prêtes à risquer leur vie peut complètement changer la donne, même quand la victoire semble improbable.

Nous vous présentons ici un récapitulatif des événements, en nous appuyant sur les souvenirs de certain.es de ceux et de celles qui étaient en première ligne.

Avril – mai 2017 : La tempête se prépare

La campagne de Trump en 2016 avait encouragé les fascistes de tout bord. Après sa victoire électorale, beaucoup de fascistes ont opté pour une stratégie consistant à cibler des lieux considérés comme des bastions libéraux [4] tels que Berkeley en Californie ou Portland en Oregon. D’une certaine manière, cette stratégie avait du sens : dans un climat politique polarisé où la haine de l’autre était un moteur puissant pour leurs sympathisants, ils savaient qu’en provoquant et en ridiculisant leurs adversaires, ils attireraient de nouvelles recrues.

Au début, cette stratégie a porté ses fruits. Le 15 avril 2017, les fascistes ont mené une vague de violence à Berkeley, enregistrant des vidéos de leurs agressions pour s’en servir comme moyen de recruter de nouveaux adhérents. Avec le recul, ce jour était le sommet de leur offensive dans la région de la baie de San Francisco. Charlottesville, une ville universitaire libérale de Virginie, est alors devenue leur nouvelle cible. Le 13 mai 2017, Richard Spencer [5] a dirigé un rassemblement aux flambeaux pour protester contre le retrait d’une statue du général confédéré Robert E. Lee [6]. Mais le véritable but était d’unir les différents groupes de néonazis et de nationalistes blancs. Pour cela, les partisans de Spencer ont organisé un autre rassemblement le 12 août.

Vendredi 11 août : La veille de la bataille

Dans la nuit du 11 août, des centaines de fascistes ont surpris Charlottesville en organisant une marche aux flambeaux dans la ville. Leur défilé s’est terminé par une attaque contre un petit groupe de contre-manifestants près de la statue de Thomas Jefferson [7], sous le regard passif de la police et des autorités. Ces images ont soudainement réveillé de nombreux.ses Américain.es à la menace qui pesait sur le pays. Pour les habitants de Charlottesville, la situation était encore plus effrayante.

1er témoignage :

Je fais partie de ceux qui ont décidé de se rendre à Charlottesville pour empêcher le rassemblement de « Unite the Right ». La nuit du 11, beaucoup d’entre nous se sont dirigé.e.s vers le campus de l’Université de Virginie pour évaluer et échanger sur la situation. Rapidement, nous avons conclu que ce n’était pas le bon moment pour s’attaquer aux fafs comme ils le méritaient et nous avons acté la défaite pour cette nuit-là, espérant renverser la tendance le lendemain. Plus tard, durant la nuit, des conflits ont éclaté entre-nous : accusations de lâcheté, doutes et reproches nous minaient. Selon moi, si nous avions tenté quelque chose durant cette nuit, nous aurions été écrasé.es, voire pire, nous aurions compromis nos chances de rassembler un nombre suffisant de personnes pour la journée du lendemain, date annoncée de leur rassemblement.

Je me souviens qu’un gardien de sécurité de l’université, en uniforme, a dit à l’un d’entre-nous : « Vous devriez partir d’ici. Si quelque chose vous arrive, nous ne pourrons rien faire. ». Déclaration classique de flic, lâche mais malheureusement fondée… Cependant, lors d’une réunion durant cette nuit, quelqu’un que je ne connaissais pas s’est écrié : « Tenons le coup, jusqu’à ce qu’on y arrive. » Et c’est ce que nous avons fait.

2e témoignage :

Durant cette nuit du 11 août, je n’ai pas réussi à fermer l’œil. J’étais convaincu que certain.es d’entre nous allaient mourir le lendemain. Avec mes ami.e.s, nous étions venu.e.s à Charlottesville pour empêcher « Unite the Right » ? Cependant, après avoir observé la situation sur le campus, j’étais certain que la journée à venir se terminerait dans un bain de sang.

Cette nuit-là, si un nécromancien m’avait offert la prophétie suivante, je l’aurais acceptée avec soulagement : « L’une de vous mourra demain, mais vos ennemis quitteront la ville en désordre. L’opinion publique se retournera contre eux, tant au niveau local que national. Ils se dévoreront entre eux, et cet événement marquera un tournant pour l’administration Trump. Dans trois ans, les jeunes renverseront le gouvernement que ces meurtriers servent. »

En vérité, je m’attendais à bien pire. Eveillé toute la nuit, différents scénarios, plus pessimistes les uns que les autres, tournaient dans ma tête. À l’aube, je me suis levé et je me suis préparé à l’affrontement avec les fafs.

Avec le recul, un anarchiste présent à Charlottesville fait ce constat : «  Le vendredi soir a vraiment secoué les gens, nous étions vraiment troublé.es, apeuré.es même. Cependant, paradoxalement, c’est vraisemblablement ce qui nous a rendu plus déterminé.es et qui nous a contraint à mieux penser notre stratégie. Je dirais même à être plus sage. Nous savions précisément quel genre de victoire il nous fallait leur empêcher d’obtenir, et nous étions conscient.e.s que nous devions y parvenir malgré notre désavantage physique et numérique. »

Samedi 12 août : L’Affrontement

Le 12 août, des habitant.e.s en colère, des leaders religieux et d’autres opposant.e.s au fascisme se sont rassemblé.e.s au centre-ville de Charlottesville afin de faire face aux fascistes. Présents sur les lieux, les flics ont choisi de rester passif, sans intervenir, même lorsque les deux groupes se sont affrontés. La situation, pour nous antifascistes, était à la fois bancale et dangereuse…

3e témoignage :

Je ne voulais en aucun cas ce matin-là prendre le risque de me retrouver accuser de port d’arme en dehors de mon État de résidence ou encore de me retrouver dans une situation où je devrais affronter la police alors que j’étais armé. J’ai toujours évité à tout prix de me retrouver dans de telles situations, c’est pourquoi j’avais laissé mon arme dans ma voiture la veille. À mesure que la matinée avançait et que la situation devenait plus dangereuse, j’ai finalement décidé de retourner la chercher. L’inquiétude d’être accusé de port d’arme était devenue plus faible que de me retrouver dans une situation bien pire sans pouvoir m’en protéger. Avec tout ce qui se passait ce jour-là, le fait d’avoir une arme malgré les flics me semblait la moins pire des options. J’étais certains que certain.e.s d’entre-nous allaient mourir et je craignais également que l’un d’entre-nous soit contraint d’utiliser son arme pour se défendre.

Beaucoup d’entre-nous étions armés ce jour-là, même si nos armes n’étaient pas visibles à la différence des fafs. Un point à retenir de cette journée et qui a été complètement invisibilisé, c’est à quel point nous avons fait preuve de retenue et de maîtrise. Les antifascistes ont fait preuve d’une véritable conscience sécuritaire ce jour-là. Nombre d’entre-nous ressentent et ressentirons toujours un profond regret de ne pas avoir été au bon endroit, au bon moment, avec les moyens nécessaires pour protéger des camarades comme Heather Heyer, assassinée ce jour-là par un néo-nazi. En revanche, un néo-confédéré a sorti son arme au milieu du groupe de fafs. Quel acte débile ! Si aucun d’entre nous n’a tué ce jour-là, c’est parce qu’aucun d’entre-nous n’a choisi de faire de même, malgré les provocations.

Très vite, il est devenu évident que la journée ne se prêterait ni aux débats ni aux discussions. Il n’y avait pas de place pour les désaccords ou les débats. Pas de place pour le doute ou l’hésitation. Dehors, il régnait un chaos fasciste, pur et dur, un chaos total. À un moment donné, alors que les fascistes avançaient en formation militaire vers nous, nous avons tous pris une grande respiration, nous préparant mentalement à l’affrontement. À proximité de l’entrée du parc Émancipation, les fafs nous ont d’abord attaqués avec leurs boucliers et leurs sprays au poivre, puis ce sont les flics qui ont tiré des lacrymos au milieu de nos rangs. Je me souviens avoir pensé : « Ok, il y a de fortes chances que je sois grièvement blessé, que je termine à l’hôpital ce soir, et encore si j’ai de la chance… ». Il devenait de plus en plus clair que les flics ne nous protégeraient pas. Pendant les affrontements, j’ai vu quelqu’un se faire asperger les yeux d’acide par un faf. A ce moment-là, j’ai compris : « C’est une guerre à long terme. Il n’y a pas de place à la discussion, ils sont simplement en guerre contre nous. »

Les affrontements dans les rues ont finalement poussé les autorités à annuler le permis du rassemblement « Unite the Right ». Les policiers, que les fascistes avaient tenté de séduire et dont beaucoup leurs étaient favorables, ont dû les expulser du parc où ils s’étaient réunis. Ce retournement inattendu a complètement perturbé les fafs, qui espéraient organiser un événement ordonné, rassembleur et montrer leur force.

Plus tard, dans une interview, un anarchiste ayant participé à Charlottesville a expliqué que l’échec du rassemblement « Unite the Right » était dû à la diversité des tactiques antifascistes et aux contradictions parmi les fascistes. Selon lui, les fascistes voulaient se présenter comme des victimes de la violence des antifascistes et des SJW [8], se montrer comme des alliés des forces de l’ordre, et démontrer leur force dans les affrontements de rue. Mais la diversité des stratégies antifascistes a rendu ces différents objectifs embrouillés.

4e témoignage :

La plupart des membres de l’alt-right fantasment sur le pouvoir mais redoutent la confrontation, ce qui les paralyse. Dès qu’ils s’adaptaient à un type de contre-manifestants, un autre groupe prenait leur place et les déstabilisait. Ils hésitaient entre se battre ou se montrer à la presse en train de prier. Pendant ce temps-là, ils se faisaient bombarder de ballons de peinture, ce qui les rendait ridicules. Certains suprémacistes, frustrés par l’inaction, ont foncé tête baissée et frappé tout ce qui se trouvait sur leur passage. Habitués à la violence et particulièrement costauds, ils étaient effrayants. Mais toute cette violence décrédibilisait leur cause, surtout qu’ils perdaient des combats car nous les repoussions collectivement. Il y avait aussi ceux en tenue anti-émeute, équipés de boucliers en plexi, casqués et armés de matraque. Bien que mal préparés au début de la journée, ils cherchaient la confrontation tout en n’essayant de nous faire endosser la responsabilité. Ils ont échoué sur les deux plans. Plus tard, ils ont tenté une approche paramilitaire en chargeant les antifascistes hors du parc. Cela aurait pu devenir plus violent si le rassemblement avait duré plus longtemps, mais, en partie grâce à nous, les policiers ont dispersé la foule avant que cela ne commence vraiment.

Aussi étrange que cela puisse paraître, je pense que les anarchistes et antifascistes ont fait preuve de plus de discipline que les fafs dans cette situation. Ils avaient l’avantage lorsque tout suivait leur scénario et beaucoup d’entre eux nous auraient défoncé en combat singulier, mais plus la situation devenait complexe, plus ils étaient perdus, déboussolés. Cette discipline, je crois, vient de notre véritable solidarité : nous prenons soin les uns des autres, au-delà de nos propres groupes, ce qui est impossible avec une idéologie autoritaire.

À Charlottesville, les antifascistes ont réussi à faire tombert et à franchir les barrières nadars protégeant le rassemblement « Unite the Right », ce qui a poussé les autorités à annuler l’événement. Leur audace et leur courage ce jour-là ont montré comment des circonstances extrêmes peuvent amener à prendre des risques qu’ils éviteraient normalement.

5e témoignage :

Les arguments habituels des libéraux, comme Briser le cycle de la violence ou Laisser la police faire son travail’, étaient totalement déconnectés de la réalité de Charlottesville. Les flics avaient déjà averti dès vendredi soir qu’ils ne prendraient aucun risque pour protéger les personnes en cas de violence, et cela s’est aussi vu à Uvalde plus tard. Il était clair que si les fafs gagnaient à Charlottesville, ils utiliseraient bientôt la même stratégie dans d’autres villes, y compris la mienne. J’ai donc pensé qu’il était préférable d’agir dès maintenant en Virginie pour éviter de devoir faire face à une situation encore plus difficile chez moi dans un mois. Les chefs et les salauds ont souvent tendance à sous-estimer leurs adversaires tout en exagérant leur propre force. À l’inverse, ceux qui sont habitués à être dominés peuvent avoir du mal à évaluer leur propre force et celle de leurs ennemis. À Charlottesville, les fascistes ont pris leurs adversaires à la légère, et cela leur a coûté cher.

Plus tard, des participant.es ont fait remarquer que les flics n’étaient intervenus qu’après qu’il soit devenu évident que les fascistes ne gagneraient plus : « Lors du rassemblement « Unite the Right », la police est restée en retrait pendant que les confrontations se déroulaient. Ils ont déclaré le rassemblement illégal et ont évacué le parc seulement après que les antifascistes aient mis la pression, et après que l’état d’urgence eut été proclamé. Les flics le font systématiquement : lorsque les suprémacistes blancs sont en position de force, ils les laissent agir ; quand les antifascistes prennent l’avantage, là ils interviennent de manière violente. »

Après « Unite the Right », la police de Charlottesville a été vivement critiquée pour son manque d’action. En réponse, les flics à travers les États-Unis ont adopté des stratégies plus agressives, avec des déploiements massifs et des répressions préventives. Dans les faits, si les flics avaient été mieux préparés pour faire face à la situation à Charlottesville, le rassemblement aurait eu lieu comme prévu. Les affrontements auraient encore été plus violents et les fafs davantage protégés par les flics auraient eu la victoire escomptée…

12 août 2024 : La perte

Le 12 août 2017, une tragédie a frappé Charlottesville. En début d’après-midi, alors que les néo-nazis et membres du Ku Klux Klan se dispersaient du parc, James Alex Fields, un participant au rassemblement fasciste, a foncé dans la foule avec sa voiture, tuant Heather Heyer et blessant gravement dix-neuf autres personnes [9].

La perte de Heather Heyer est immense. Cette attaque aurait pu faire encore plus de victimes, et ses conséquences continuent d’affecter de nombreuses vies. Nous rendons hommage au courage de Heather et de tous.tes celleux qui ont risqué leur vie pour protéger les autres. En 2024, l’endroit où Heather a été tuée est devenu un lieu de mémoire, de deuil et de résistance.

Après-coup :

Suite au contre rassemblement et le meurtre de Heather Heyer, des manifestations de solidarité ont eu lieu dans le monde entier. Le soir même après le meurtre, au moins vingt actions de solidarité ont été organisée, et le lendemain, c’est plus de soixante actions qui ont eu lieu. Cela a permis de redynamiser le mouvement antifasciste. À Chapel Hill, en Caroline du Nord, des anarchistes ont tenu une réunion devant un monument confédéré pour discuter des événements de Charlottesville. Le lendemain, à Durham, des militant.es ont renversé leur monument confédéré, malgré les menaces de représailles du Ku Klux Klan. Un an plus tard, le monument de Chapel Hill  [10]a également été déboulonné, lançant une vague de démantèlement de statues à travers le pays en 2020.

Les médias traditionnels ont été surpris par la tragédie de Charlottesville. Les récits présentant les deux camps comme des extrémistes n’avaient pas préparé le public au meurtre de Heather Heyer. Pendant quelques jours, alors que les rédacteurs en chef tentaient de réajuster leurs récits, les journalistes ont pu rapporter la vérité sur ce qui s’était réellement passé à Charlottesville, ce qui a conduit certain.es à rejoindre leurs premières mobilisations antifascistes. Ils ne furent pas au bout de leurs surprises. Ces événements ont provoqué une chute significative de la popularité de Trump au début de sa présidence, le contraignant à se séparer de son éminence grise, Steve Bannon [11].

Le samedi 19 août, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à Boston pour contrer un rassemblement fasciste. Une semaine plus tard, le dimanche 27 août, des milliers de personnes se sont rassemblées à Berkeley pour empêcher une démonstration fasciste.

Des anarchistes en action à Berkeley et au-delà

Le 27 août 2017, à Berkeley, un black bloc s’est mobilisé pour empêcher les fascistes de recruter ou de commettre des violences. Cette journée a montré une forte présence antifasciste, qui a non seulement contré les tentatives des groupes extrémistes d’étendre leur influence, mais a aussi mis en lumière le contraste entre les actions des fascistes de bases et les discours politiques de leurs figures nationales.

Biden et la Mémoire de Charlottesville

En annonçant sa candidature pour 2020, Biden a utilisé dans ses communications les événements de Charlottesville comme un exemple de l’importance de lutter contre le fascisme aux États-Unis. Cependant, ni Biden ni ses partisans n’étaient présents sur le terrain. Ce jour-là, ce ne sont pas les politiciens ou les démocrates centristes qui ont fait la différence, mais les habitant.e.s ordinaires, dont beaucoup étaient des personnes de couleur pauvres, et des militant.es antiracistes, antifascistes et anarchistes.

Réflexions personnelles sur Charlottesville

Avant Charlottesville, je faisais déjà face à plusieurs accusations criminelles après une marche antifasciste. J’étais un opposant à Trump. Ce jour-là, j’ai choisi de rester en retrait pour aider discrètement, en distribuant des bouchons d’oreilles et en surveillant les mouvements des flics, qui s’en foutaient de la protection du public. En effet, les antifascistes se trouvaient coincé.es entre les fafs et eux.

Après l’attaque à la voiture bélier, j’ai trouvé refuge dans une église locale qui avait ouvert ses portes aux antifascistes. Là, j’ai retrouvé une camarade de détention, ce qui m’a rappelé l’importance des liens personnels et de la solidarité dans ces moments critiques. Même si je regrette de ne pas avoir participé activement à la confrontation, je sais qu’il y a des moments où se battre est la seule option avant qu’il ne soit trop tard.

Perspectives pour l’Avenir

En comparant l’évolution des groupes fascistes sous l’administration Trump avec leur activité sous Biden, il est clair qu’ils sont maintenant moins motivés à affronter l’État et plus enclins à soutenir un gouvernement autoritaire. Cela montre qu’il est crucial de ne pas seulement se concentrer sur les groupes fascistes, mais aussi sur le pouvoir d’État lui-même.

Comme nous l’avons souligné en août 2017, un mouvement antifasciste efficace ne doit pas se contenter de s’attaquer aux groupes fascistes marginaux, mais il doit également s’attaquer à l’infrastructure qui permettent la mise en place de politiques autoritaires. Se limiter à des actions défensives permet aux fascistes de prendre l’initiative. Nous devons utiliser les expériences de la lutte antifasciste pour aborder les problèmes systémiques auxquels nous faisons face. Cette idée reste pertinente, quel que soit le/la président.e en janvier 2025.

Bien que Trump ait promis d’expulser des millions de personnes—une menace sérieuse à laquelle nous devons nous préparer—nous ne devons pas oublier que les administrations Obama et Biden ont également mené des politiques d’expulsions massives. Plutôt que de céder à la peur de Trump et de se tourner vers des politiciens centristes qui déplacent le discours politique toujours plus à droite, nous devons continuer à avancer vers un horizon d’une réelle libération.

Voici le lien pour le texte en version originale.

Voir en ligne : Qu’est-ce qu’un moment de crise peut nous apprendre sur notre époque troublée ? Charlottesville août 2017

Notes

[1Les « vigilantes » sont des milices auto-constituées qui s’organisent comme des patrouilles privées, le plus souvent armée, utilisant ou menaçant d’utiliser la violence « pour protéger leur communauté ». On les retrouve un peu partout aux États-Unis, en particulier dans les petites villes. Ces groupes sont à l’origine de nombreux meurtres contre des personnes afro-américaines. Pour aller plus loin, lire Une lutte sans trêve – Angela Davis, Editions La Fabrique, 2016.

[2Dont les plus connues sont les Oath Keepers, les Proud Boys ou les Boogaloo Boys qui furent au cœur des campagnes de haine mises en place lors du mandat présidentiel de Trump ou lors de l’assaut du Capitole. Pour aller plus loin, regarder le documentaire Arte : L’Assaut du Capitole – Le traumatisme américain.

[3L’alt-right est une mouvance d’extrême droite apparue à la fin des années 2000, fondée par Richard B. Spencer. Elle prône la défense d’une culture blanche occidentale, la création d’un « Ethno-Etat » blanc, et un « nettoyage ethnique » prétendument « paisible ». Les militants de l’alt-right s’opposent également aux droits des femmes, des personnes immigrées, homosexuelles et transsexuelles. Elle a des liens avec l’extrême droite européenne, en particulier avec l’extrême droite française

[4Aux États-Unis, le terme libéral a évolué au fil du temps et désigne aujourd’hui une personne ou un groupe ayant des opinions politiques progressistes. Contrairement à l’Europe, où le terme libéral peut se référer à un soutien au marché libre et à des politiques économiques minimalistes, les libéraux américains sont souvent associés à des positions progressistes sur des questions sociales, économiques et environnementales – ce ne sont pas pour autant des socialistes. Ces libéraux représentent généralement l’aile gauche du Parti Démocrate. Barack Obama ou Bernie Sanders sont généralement considérés comme des personnalités libérales aux États-Unis.

[5Dirigeant d’extrême droite bien connu aux États-Unis et dans la faschosphère européenne, Richard Spencer se situe sur la crète entre l’extrême droite étatsunienne (isolationniste, non-interventionniste, réactionnaire et suprémaciste) et le fascisme européen (nationalisme, antisémitisme et corporatisme nationaliste sur le plan économique).

[6Issu d’une famille de la haute aristocratie virginienne, Robert E. Lee était un général américain qui a commandé les forces confédérées opposée à la centralisation de l’État américain, à l’industrialisation et à la libération des esclaves noirs durant la guerre de Sécession (1861-1865). La droite et l’extrême droite étatsuniennes mobilisent souvent Lee comme symbole de la « fierté sudiste », de la résistance à l’autorité fédéral, voire comme figure négrophobe. Il est devenu une figure polarisante dans les débats contemporains sur la mémoire historique et le racisme aux États-Unis.

[7Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis (1801-1809) et principal auteur de la Déclaration d’indépendance, est revendiqué par divers courants politiques étatsuniens. Les « libéraux » (voir note de bas de page n°4) le voient comme un défenseur des droits individuels et de la démocratie.

[8Social Justice Warrior : termes péjoratifs utilisés par la droite et l’extrême droite étatsunienne pour se moquer des militant.e.s sociaux ou environnementaux.

[9Rappelons que si Trump a dû condamner l’acte de James Alex Fields sous la pression publique et politique, il en a surtout profité pour critiquer les opposant.es antiracistes et antifascistes dans la même déclaration. Plus tard, il a tenté de faire passer une loi fédérale pour désigner le mouvement antifasciste comme une organisation terroriste. James A. Fiels a été condamné à la prison à perpétuité pour ses crimes.

[10Le monument Silent Sam est une statue érigée à Chapel Hill, en Caroline du Nord, en 1913 pour honorer les soldats confédérés de la guerre de Sécession. Il représente un soldat confédéré en uniforme, silencieux et attentif, et a été érigé sur le campus de l’Université de Caroline du Nord. Incarnant les valeurs du Sud pour les uns, incarnant le ségrégationnisme pour les autres, le monument illustre les conflits en cours aux États-Unis sur la manière de traiter les symboles historiques et leur place dans l’espace public.

[11Steve Bannon est une figure centrale de l’extrême droite américaine et européenne, surtout connu pour son rôle de stratège en chef et conseiller principal de Donald Trump durant la campagne présidentielle de 2016. Ancien dirigeant du site d’extrême droite Breitbart News, il a largement contribué à la diffusion de discours nationalistes, populistes et anti-establishment aux États-Unis. En Europe, Bannon se vante d’avoir permis le succès électoraux de plusieurs partis européens d’extrême droite, soutenant médiatiquement, politiquement et financièrement des partis et des candidats nationalistes, exploitant les divisions socio-politiques et les sentiments anti-immigration pour galvaniser une base électorale militante. C’est le président du Parti Populaire (extrême droite belge), Modrikamen, qui avait été missionné par Bannon pour favoriser la création d’une coalition de forces d’extrême droite à travers le continent. Pour aller plus loin : Steve Bannon, un léger parfum de fascisme. Revue AOC

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