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Transphobie : Cheval de Troie de l’extrême-droite et des réactionnaires

Transphobie : Cheval de Troie de l’extrême-droite et des réactionnaires

Belgique | sur https://stuut.info | Collectif : Front Antifasciste de Liège 2.0 | Collectif : Front Antifasciste de Liège 2.0
Transphobie : Cheval de Troie de l’extrême droite et des réactionnaires

Ce lundi 5 août 2024 David Clarinval (MR) a conseillé sur X/twitter avec force et enthousiasme la lecture du torchon transphobe qu’est Transmania . Ce livre a été écrit par les militantes françaises TERF (trans-exculionary radical feminist – féministe radicale excluant les personnes trans) Dora Moutot et Marguerite Stern.

Ce conseil lecture de la part du politicien « libéral » a fait polémique et plusieurs associations de défense des droits des personnes LGBTQIA+ ont vivement réagis, indignées de voir ce livre conseillé par un responsable politique influent.

Alors, pourquoi cette polémique ? Qu’est-ce que Transmania ? Qui sont ces autrices ? Mais surtout, qu’est-ce que cette séquence nous dit de l’évolution du Mouvement Réformateur (MR) et d’une part de la société en général ?

Premièrement, Transmania est un livre écrit par Dora Moutot et Marguerite Stern, des militantes « féministes » françaises qui depuis plusieurs années ont fait de leur cheval de bataille la lutte contre « l’idéologie transgenre » qui menacerait le droit des femmes. Elles sont aussi derrière l’écriture d’un manifeste « femelliste » dont le seul propos politique est que les femmes transgenres seraient un danger pour les femmes « biologiques », qualifiées ici de « femelles ». Ce manifeste n’est qu’une série de fake news, d’informations triées (souvent récupérées de médias réactionnaires non-francophones, ce qui prouve qu’elles doivent aller loin pour trouver les « informations » qui les arrangent) n’ayant pour but que d’alimenter une peur et une haine des personnes transgenres.

Deuxièmement, crevons un abcès et rappelons que cela fait bien longtemps que ces deux autrices ont rompu avec le féminisme en décidant tout d’abord d’exclure une partie des femmes (les femmes trans) de la lutte pour leurs droits et ensuite en développant toute une rhétorique complotiste autour des personnes transgenres (et plus spécifiquement des femmes). Notons qu’elles ont aussi entamé depuis plusieurs années un rapprochement avec des influenceurs.euses et des militant.es masculinistes/d’extrême droite (à l’instar de Thaïs d’Escuffon, ancienne porte-parole de Génération Identitaire, de Julien Rochedy, ancien directeur du Front National de la Jeunesse ou encore d’Alice Cordier, fondatrice du collectif fémo-nationaliste Némésis). Elles ont aussi accepté des interviews par des médias d’extrême droite ou réactionnaires tels que Valeurs Actuelles, Causeur, le Figaro, le mal nommé Front Populaire ou Boulevard Voltaire.

En bref, et c’est intéressant de le rappeler, c’est par leur transphobie crasse que ces deux personnes se sont rapprochées de l’extrême droite.

En effet, cela fait plusieurs années que l’extrême droite est particulièrement à l’offensive sur les questions de transidentité : rappelons notamment les paniques morales sur fond de transphobie qu’a suscité le programme Evras ou plus récemment la participation de l’athlète algérienne, pourtant femme cisgenre (= dont le genre correspond à celui qui lui a été assigné à la naissance), Imane Khelif aux JO de Paris. Cette dernière fut et est encore accusée d’être « un homme » ou une personne intersexe parce qu’elle était trop forte. Pour ce dernier exemple, il est aussi intéressant de noter que c’est l’extrême droite qui a surtout monté cette polémique en épingle (par des personnalités telles que Giorgia Meloni ou Elon Musk). Ces deux exemples de paniques morales sur fond de transphobie ne représentent d’ailleurs qu’une infime partie de cette offensive constante.

Concernant Transmania, nous ne développerons pas ici le propos derrière ce torchon mais il est important d’en expliquer les prémices pour comprendre la polémique qu’a suscité ce conseil de lecture par un politicien important. Tout d’abord, c’est un livre de fiction où les autrices imaginent les pensées/actions d’une femme transgenre et dont l’essentiel se centre sur sa sexualité, imaginée comme déviante (pour les autrices, les femmes trans seraient surtout excitées sexuellement par l’idée d’être une femme). En bref, on y nie l’existence même des femmes trans qui ne seraient pour les autrices que des hommes sexuellement/socialement déviants, pathétiques mais aussi dangereux. Disons-le tout de suite : ce bouquin a une allure de caricature des années 30 (et on sait où ce genre de discours nous mène en termes de déshumanisation et de haine de « l’autre »).

D’ailleurs, le livre a été publié aux éditions Magnus, une maison d’édition clairement située à l’extrême droite qui a déjà édité plusieurs ouvrages de Marsault (dessinateur d’extrême droite), Laurent Obertone (écrivain de La France Orange mécanique, fantasmant la guerre civile et raciale), Papacito (youtuber d’extrême droite, masculiniste, homophobe et à la base d’une milice fasciste nommée Vengeance Patriote), etc. Sa cofondatrice, Laura Magné, est d’ailleurs une ancienne de la maison d’édition Ring qui publiait déjà ces différents auteurs. Il est ainsi clair que cette maison d’édition n’a comme projet que de faire avancer les idées réactionnaires dans notre société en offrant à ces influenceureuses tribune et légitimation.

Par conséquent, il est normal que ce partage enthousiaste par un politique « libéral » ait fait polémique. Rappelons que ce parti a plusieurs fois affirmé de manière hypocrite son soutien aux communautés LGBTQIA+, tout en ayant pourtant voté en majorité contre le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels (6 votes pour et 8 contres lors du vote pour le mariage homosexuel). On pourrait d’ailleurs penser qu’il s’agit d’une anomalie, d’un faux-pas ou d’un propos réactionnaire isolé au sein du parti prétendument « libéral », mais ce serait mal comprendre la séquence dans laquelle le MR s’est engouffré ces dernières années. À notre connaissance, aucune personne importante au MR n’a condamné les propos de Clarinval et aucune sanction n’a visiblement été envisagée.

Au contraire, son président l’a pleinement défendu en repostant sur X/twitter des publications dénonçant les attaques contre Clarinval ou défendant les propos et les autrices de Transmania. Ces mêmes publications émanent par ailleurs de comptes qui promulguent du contenu très droitier, parfois pro-israélien, s’acharnant sur toutes les actions de la gauche. Interpelé par RTL à propos de ce soutien inconditionnel, le président du MR s’est défendu en invoquant la liberté d’expression et déclarant « Il n’y a que sous le régime nazi que des livres étaient interdits » et regrettait ne pas pouvoir « avoir de débats sans être taxé d’extrême droite ». Au-delà du fait qu’il ne s’agit en rien d’une interdiction de livre, mais d’une critique issue des communautés directement concernées par la thématique, c’est une douce ironie d’invoquer l’extrême droite pour se défendre tout en recommandant la lecture d’un livre conseillé par l’extrême droite.

Cela fait des années que le MR joue sur plusieurs tableaux, affirmant parfois d’une main un progressisme relatif (comme un soutien de façade aux communautés LGBTQIA+) tout en avançant surtout de l’autre des propos réactionnaires, incompatibles avec les premiers. Cette dernière tendance, depuis la présidence du très droitier Georges-Louis Bouchez, s’est clairement accentuée mais elle n’est pas non plus nouvelle. En bref, il y a toujours eu une ambiguïté de la part des « libéraux.ales » du MR sur ces sujets, mais au fil des années cette ambiguïté n’en est plus une et tend de plus en plus vers un projet de société réactionnaire/fascisant. Bouchez assume s’inspirer de la stratégie de Sarkozy afin de capitaliser sur les tendances réactionnaires d’un électorat qui aurait pu s’orienter par racisme/sexisme/LGBTQIA+phobie vers l’extrême-droite.

Cette stratégie de rapprochement des idées d’extrême-droite transparait également dans la propre défense de David Clarinval sur X/twitter. En effet le ministre a republié plusieurs tweets défendant ses conseils de lecture. Or, certaines de ces publications émanent de comptes conservateurs, pro-Trump et faisant l’apologie de l’extrême droite en Europe en soutenant des personnalités comme Viktor Orbán ou l’Institut Iliade (cercle de réflexion d’extrême droite français).

D’ailleurs, concernant l’enjeu de la transphobie, rappelons deux faits intéressants : Le Centre Jean-Gol (qui est le centre de recherches du MR) a sorti une « étude » très décriée par le monde scientifique/universitaire contre le « Wokisme » où les contours de leur transphobie ressort déjà selon nous. Cette étude passe, par exemple, ses nerfs sur les courants politiques ou scientifiques, notamment en sociologie/anthropologie, qui ont alimenté nombres de réflexions sur la transidentité et la transphobie. Corentin de Salle, président du Centre Jean-Gol ainsi que Nadia Geerts, autrice de l’étude citée précédemment n’ont d’ailleurs pas hésité à défendre/republier les propos de David Clarinval sur X/twitter.

Ensuite, plusieurs articles trouvés sur Internet montrent qu’il existe une tension interne au sein de la famille « libérale » quant au fait de participer à la Pride (essentiellement chez les jeunes libéraux). Dans un article de la libre, un jeune libéral s’exprime et juge que « la marche revendiquera certains thèmes auxquels de nombreux jeunes et mandataires MR s’opposent. » et conclura sur un ton flairant bon le complotisme homophobe : « Si tout le monde est contre l’homophobie, un parti comme le MR, le cdH ou d’autres sont libres de ne pas appuyer toutes les revendications du lobby gay ».

Le MR penche de plus en plus vers l’extrême-droite, reprenant à son compte des propositions et discours racistes, islamophobes, LGBTQIA+phobes, etc. Ces discours, que les mandataires de ce parti les reprennent par opportunisme ou par conviction profonde (voire les deux), est extrêmement dangereux dans une période de recrudescence des discours et agressions LGBTQIA+phobes. La transphobie est un véritable cheval de Troie pour l’extrême droite tant elle se situe au centre de nombreuses paniques morales sur lesquelles les réactionnaires peuvent capitaliser pour faire avancer un projet de société fascisant qui, lui, n’épargnera personne.

Par conséquent, en tant qu’antifascistes, que nous soyons directement concerné.es ou non par ces attaques ; nous devons urgemment nous mobiliser, développer un discours égalitaire et tisser des liens concrets de solidarité pour combattre sur tous les plans cette transphobie puante et grandissante qui gagne en ampleur au fil des paniques morales mobilisées voire créées de toute pièce par des politiques opportunistes et/ou simplement réactionnaires.

Pour terminer, citons cet extrait d’une interview de Judith Butler, philosophe à l’Université de Californie à Berkley, spécialiste des questions de genre et des luttes pour la justice sociale, également militant.e non-binaire (lien dans les sources) : «  La transphobie est liée de manière centrale aux nouvelles formes de fascisme et aux politiques réactionnaires en général. Il ne s’agit pas seulement d’une attitude discriminatoire, mais d’un effort pour priver les gens de leurs droits fondamentaux. Donald Trump a essayé de rendre l’assignation sexuelle inaltérable, et Viktor Orban et Vladimir Poutine, de différentes manières, ont caractérisé les droits des transgenres, ainsi que ceux des gays et des lesbiennes, comme des agressions contre la nation, voire des menaces pour la sécurité nationale. Il existe un scénario fantasmagorique spécifique reproduit par la transphobie contemporaine, qui aboutit à la privation de droits (un instrument clé de l’arsenal fasciste) et à une justification moralisatrice du sadisme. La formule est à peu près la suivante : les termes « trans », « genre » ou « homoparentalité » (dans le cas de Giorgia Meloni) détruisent tous un mode de vie établi ; par conséquent, pour défendre ce mode de vie (ou ce fantasme de mode de vie), les trans doivent être détruits. Le résultat est d’accélérer et d’intensifier la destruction au nom de la tentative de l’arrêter. Nous devons à la fois nous opposer à ce mouvement et comprendre ses objectifs néfastes et son attrait populaire. »

Tout est dit.

Des participant.es du Front Antifasciste de Liège
Pistes de réflexion et sources :

À propos du livre Transmania et de ses autrices :

Sur les liens entre théories du complot et transphobie :

À propos de la réaction de Georges-Louis Bouchez sur son soutien à David Clarinval :

À propos du vote MR en faveur du mariage pour tous  :

À propos de la Pride et des jeunes MR :

À propos de la campagne de désinformation autour d’Imane Khelif :

Interview de Judith Butler :

Voir en ligne : Transphobie : Cheval de Troie de l’extrême-droite et des réactionnaires

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