stuut.info

Violences policières à Bruxelles : Des révélations accablantes sur le commissariat Démosthène

Violences policières à Bruxelles : Des révélations accablantes sur le commissariat Démosthène

Bruxelles | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie | Collectif : Bruxelles Dévie

Attention, cet article contient des descriptions et des images violentes.

Commissariat Démosthène, Anderlecht. Un policier se défoule sur une personne sans-papiers menottée. Un peu plus tard, la même journée, il frappe à nouveau sur un homme en cellule. Des collègues qui se taisent en regardant. La hiérarchie qui protège et normalise le racisme. Des condamnations de justice non-effectives et des policiers qui restent en service. Le harcèlement et les menaces à l’encontre des policier·ères qui dénoncent les violences. Retour sur les révélations de la RTBF et de Blast sur le commissariat Démosthène qui mettent la lumière sur le racisme structurel de l’institution policière.

Sur des images datant du 31 mai 2020, révélées par la cellule investigation de la RTBF et par le média indépendant Blast, nous pouvons voir un policier, « V. », tabasser dans la même journée deux personnes sans-papiers, gratuitement, pour le plaisir. Sur les premières images, il passe à côté d’une personne assise qui a les mains menottées dans le dos et attachées à sa chaise. Sans raison apparente, V. assène 7 coups de poings à l’individu. Ceci devant le regard même pas choqué des collègues de V. dont un chef d’équipe. Personne ne réagit. C’est la routine de l’agent.

Images révélées par le média Blast.

Une heure plus tard, on peut voir des images de V. tabasser un jeune homme sans-papiers, après l’avoir poussé dans sa cellule, à nouveau devant un collègue qui ne l’arrête pas. Coups de poings, coup de genou, … V. va même jusqu’à relever le jeune homme pour qu’ils se battent l’un contre l’autre au corps à corps. Quelques secondes plus tard, le chef d’équipe qui avait regardé avec complaisance V. frappé l’homme menotté à la chaise vient le ceinturer pour l’arrêter. Avant les révélations de Blast et de la RTBF, jamais ces images n’ont fuité, alors qu’elles étaient connues des policier·ères du commissariat, signe de l’omerta* qui règne dans la police.

Images révélées par le média Blast.

A la suite de ces brutalités dans le cadre de son service, V. va passer devant la justice. Dans un jugement rendu en 2022, il bénéficiera d’une suspension de prononcé. Une décision de justice quasiment systématique lorsqu’un ou une policière est reconnue coupable de violences. Le jugement rendu va par ailleurs déformé complètement la réalité des brutalités de V. : ses coups de poings en série sont transformés en gifles pour l’homme attaché à la chaise et en claques « à main ouvertes » pour l’homme qu’il a frappé dans sa cellule.

Par la suite, V., a été rétrogradé et déplacé de service (il n’intervient plus en rue) mais il continue aujourd’hui d’exercé son métier de policier. Il est d’ailleurs chargé … de prendre les dépositions de victimes de coups et blessures. En 2022, V. a aussi été en procès en compagnie de sa femme K., elle aussi policière, toujours pour des faits de brutalités dans le cadre de leur fonction. Iels bénéficieront à nouveau d’une décision de justice clémente qui ne les condamnera pas. Un policier résume anonymement les pratiques du couple, qui les ont amené au procès : « L’inspectrice K. houspille son petit monde, se montre agressive et son pitbull [V.] (sic) de compagnon s’occupe alors du reste« 

Pourtant, l’inspectrice K. était déjà connue des services de justice car, dans le cadre de ses fonctions, elle avait frappé au sol un homme qui rentrait simplement chez lui. Une nouvelle fois, alors que tout indique clairement la gratuité et la gravité de la brutalité policière, K. qui travaille encore dans l’intervention de rue à Bruxelles-Midi, bénéficiera d’une suspension de prononcé en 2020. Alors même que sa défense est grossière de mensonge : la policière essaye de faire passer la victime pour le coupable. Générique.

Tout ceci se déroule dans un contexte généralisé de bienveillance envers le racisme dans l’institution policière. Toujours selon les révélations de la RTBF et de Blast, le nouveau chef de corps de la police de la zone midi (c’est-à-dire la personne qui est responsable de toute la zone), Jurgen De Landsheer, déclarait aux sujets des policier·ères qui tiennent des propos racistes et coloniaux tels que « bougnoules », de « bouns » ou « [d’]enculeurs de chèvres » sont juste « des beaufs ». 

Juste des « beaufs » armés, racistes et souvent visés par des plaintes pour des faits de violence, voir pour leur implication dans la mort de certaines personnes. L’omerta, le racisme et la complaisance qui règnent au sein de l’institution policière expliquent peut-être en partie le nombre de décès liés à la police en Belgique, et le faible taux de condamnation qui s’ensuit. En 2023, au moins 9 personnes, pour la plupart racisées, sont mortes à la suite d’un contact avec la police, en cellule, au commissariat, chez-eux, dans un hôpital psychiatrique, ou après avoir « refusé d’obtempérer ». Si nous reprenions ces chiffres à l’échelle d’un pays comme la France, qui compte 6 fois plus d’habitant·es, cela ferait 54 personnes tuées en 2023.

L’enquête de la RTBF et de Blast révèle également le risque encouru lorsqu’on est policièr·e et qu’on veut dénoncer les violences racistes au sein de la police. Harcèlement, remplacement de fonction, mutation dans d’autres services, sérieuses menaces, humiliations. Les représailles de tout le corps policier et de la hiérarchie sont lourds. Un exemple ? Le chef de corps Jurgen De Landsheer se serait « personnellement occupé » d’une policière ayant dénoncé des violences racistes, selon plusieurs témoins au sein de la police. « Ma collègue a osé dénoncer ces dérives […]. Cela lui a valu des représailles immondes. Aujourd’hui, elle est en congé de maladie, privée de travail et de 40% de ses revenus. »

Plusieurs éléments à retenir dans ces révélations. Premièrement, toute l’institution policière, des collègues qui regardent passivement frapper, aux plus hauts points de la hiérarchie sont conscients de ces brutalités racistes systématiques et essayent de les masquer au grand public. Dès lors, à chaque fois qu’un responsable de police dément que l’institution est structurellement raciste, il défend consciemment cet exercice quotidien de la violence d’Etat contre les corps non-blancs. Lorsqu’elle agit en ce sens, la hiérarchie policière tente de préserver le fonctionnement raciste de la police.

Deuxièmement, soulignons les non-lieux et/ou les condamnations de justice dérisoires, voir qui inversent la réalité des faits et des brutalités. La proximité du parquet avec les forces de l’ordre et les nombreuses fois où il a joué un rôle politique lors de violences policières (en faisant quasi-systématiquement de fausses déclarations au sujet de morts pour soutenir la version policière, comme en témoignent les affaires de Sourour, de Mehdi, d’Ibrahima, …) démontre également le rôle politique de la justice : ne pas « contrôler » la police, mais tenter de justifier et défendre son activité. 

Ce n’est pas pour rien que, lorsque des condamnations tombent contre les policiers qui ont tué Ouassim et Sabrina, une large partie des forces de l’ordre s’étonnent en manifestant : « On prend donc acte du fait que la Justice ne nous soutient plus du tout au jour d’aujourd’hui ». Car au quotidien l’activité judiciaire sert celle policière, la justifie, la défend, l’objective quelque part. Au fil des prononcés de justice, le narratif judiciaire qui ressort, c’est celui qui dit que les forces de l’ordre ne seront quasiment jamais condamnées, ou bien que les agent·es recevront des peines dérisoires, même lorsqu’ils et elles sont impliqué·es dans la mort de personnes qu’ils et elles avaient pour mission de protéger.

Troisièmement, il s’agit de ne pas oublier la manière dont l’institution se défend des fuites et des lanceur·ses d’alerte sur son racisme. Celles et ceux qui osent parler sont ciblés et vigoureusement attaqués par l’institution, du harcèlement des collègues aux cas personnels qu’en fait la hiérarchie. Signe que cette dernière veut défendre une manière de fonctionner, pensée et développée au cours de l’histoire de la fonction policière. Car tout cela n’est pas qu’une question d’image, c’est une gestion quotidienne des corps de la population belge qui est défendue et celle-ci est manifestement racialiste, classiste et sexiste.

Un dernier élément, qui est souvent oublié lorsqu’on parle de la police, c’est que cette dernière est sous l’autorité des politiques. La police n’est pas indépendante, elle est sous les ordres des bourgmestres au niveau communal, des ministres de l’intérieur et de la justice au niveau fédéral. Le « problème » de la police n’est donc pas que celui de l’institution prise individuellement, c’est aussi celui des politiques, de l’Etat, qui encadre et organise une gestion particulière du maintien de l’ordre en Belgique.

* L’omerta, est un terme issue des pratiques mafieuses siciliennes il désigne la loi du silence de la mafia.


Sources :

Toutes les citations et les éléments cités dans cet article sont issus des enquêtes et les révélations de Blast et de la RTBF que nous vous invitons sérieusement à consulter :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Texte du message
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

ARTICLES LIÉS

DANS LES MÊMES THÉMATIQUES

Publiez !

Comment publier sur Stuut ?

Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info