La commune d’Anderlecht a décidé d’imposer un couvre-feu aux jeunes de moins 16 ans dans le quartier populaire de Cureghem, le soir de la nouvelle année. Une mesure jugée discriminante, visant les jeunes de quartiers populaires majoritairement non-blancs.
Les jeunes de moins de 16 ans ne pourront donc pas sortir sans être accompagné•es par des adultes après 19h. La décision du bourgmestre, Fabrice Cumps (PS), est motivée selon lui, par les événements des années précédentes où des pétards et des feux d’artifice avaient été utilisés lors du nouvel an, notamment parfois, à l’encontre de policier·ères. Toujours selon le bourgmestre, cela serait pour prévenir des « troubles à l’ordre public » ainsi que pour « la sécurité des mineurs ».
L’an dernier à Anderlecht, 20% des personnes arrêtées étaient mineures.
Cette mesure répressive et restrictive renvoie directement aux assignations à résidence imposées à des mineurs par la Ville d’Anvers – même si la commune d’Anderlecht entend s’en différencier. Depuis deux ans déjà et à nouveau cette année, 47 mineur·es seront assigné·es à résidence à Anvers le soir de la nouvelle année, a annoncé Bart de Wever (N-VA). En parallèle, la police mènera des contrôles pour « vérifier » que ces jeunes resteront bien à résidence.
Comme toujours, les jeunes des quartiers populaires sont ciblés par ces mesures répressives, les privant a priori de la fête. Le choix politique d’imposer un couvre-feu risque d’engendrer plus de violences et de répression, plutôt que de les « sécuriser », comme l’affirme le bourgmestre. Cette gestion sécuritaire et ségrégationniste vise les jeunes de quartiers populaires en raison de leur origine sociale, tandis que ceux des quartiers plus riches y échappent.
Le Front des Mères de Belgique* a dénoncé l’annonce de cette mesure et a déclaré sur ses réseaux « Nous questionnons la légalité et le caractère discriminatoire de cette mesure et nous tenons à faire part de notre inquiétude sur les abus policiers qui pourraient en découler. Encore une fois, nos enfants sont perçus comme une menace par leur simple présence sur l’espace public. » Dans le même temps, elles ont lancé une campagne de mail à envoyer au bourgmestre d’Anderlecht Fabrice Cumps.
Ce mail type est disponible en bas de cet article. Vous pouvez également retrouver le communiqué de presse du Front de Mères à la suite d’une introduction d’un recours au Conseil d’Etat, ci-dessous en bas de l’article.
Le militant antiraciste et citoyen d’Anderlecht Nordine Saïdi, a également écrit une lettre ouverte à l’intention du Bourgmestre Fabrice Cumps, le conseil communal, le Délégué Général des Droits de l’Enfant, et à des responsables des associations de jeunesse afin de s’indigner de cette mesure. Voici quelques extraits :
« Là où cette décision devient encore plus problématique, c’est dans sa dimension profondément discriminatoire. C’est un fait : ce sont les quartiers populaires, tels que celui de Cureghem, qui sont systématiquement ciblés par ce type de mesures répressives. Les jeunes de ces quartiers sont stigmatisés de manière flagrante, associés à une criminalité qu’ils n’ont pas commise, à un environnement de violence qui n’est pas le leur. Cette mesure est non seulement injustifiée, mais elle constitue une atteinte à leurs droits fondamentaux et à leur dignité en tant que jeunes citoyens d’Anderlecht. » Nordine Saïdi
« Il ne fait aucun doute que cette interdiction est, à mon sens, illégale. En effet, elle va à l’encontre des principes de liberté et d’égalité inscrits dans notre Constitution, et plus particulièrement de l’égalité devant la loi, puisqu’elle cible une population en raison de son origine sociale et géographique. » Nordine Saïdi
« En tant que père, je suis révolté à l’idée que mes enfants puissent être soumis à des contrôles policiers humiliants ou, pire, à des violences, simplement parce qu’ils auront choisi de célébrer le Nouvel An à l’extérieur. » Nordine Saïdi
« Si votre objectif est réellement de protéger nos enfants, alors pourquoi ne pas investir dans des solutions constructives et inclusives ? Voici quelques pistes : Organiser des espaces festifs encadrés où les jeunes peuvent se réunir en toute sécurité et avec des médiateurs présents pour prévenir les débordements. Collaborer avec les associations locales qui travaillent quotidiennement avec cette jeunesse et connaissent leurs besoins réels. Investir dans des médiateurs de rue, formés à désamorcer les tensions et à construire un dialogue de confiance entre les jeunes et les autorités. De telles initiatives permettraient de répondre efficacement aux enjeux de sécurité, tout en respectant les droits des jeunes et en valorisant leur place dans notre société. » Nordine Saïdi
D’autres communes bruxelloises pensent à prendre des mesures similaires. A Etterbeek, Vincent De Wolf (MR), a déclaré qu’il envisageait également d’assigner à résidence préventive des jeunes de sa commune.
Pour la soirée du nouvel an à Bruxelles, un commandement de police centralisé sera mis en place afin de coordonner les opérations de police à l’échelle de la ville. Tous les chefs de corps de police à Bruxelles, seront sous les ordres de Michel Goovaerts, le chef de la police de la zone de police de Bruxelles. Les autorités ont exprimé se reposer sur le système de caméras de la ville pour orienter les opérations.
Un recours en extrême urgence a été initiée au Conseil d’Etat par des parents d’Anderlecht. Le 30 décembre à 11h au 33 rue de la Science se tiendra l’audience publique pour le recours. Le Front des Mères appellent à se rassembler en même temps que l’audience en solidarité avec le recours.
Chaque année, la nuit du nouvel an à Bruxelles est un moment d’expression sociale et parfois même de révoltes et de tensions entre les autorités et les jeunes qui se rassemblent pour fêter.
Ce couvre-feu risque d’exacerber les tensions et de mettre en danger les jeunes en provoquant plus d’interventions policières et des contrôles systématiques. Alors même que ce sont déjà les jeunes des quartiers comme Cureghem qui sont sujets à des harcèlements policiers quotidiens sur leur lieu de vie.
A Bruxelles, les autorités politiques et les forces de police se préparent comme si elles avaient peur de la fête populaire. Comme si, elles voulaient ou pouvaient l’empêcher. Peut-être, craignent-elles ce que permet parfois la rencontre joyeuse des corps qu’elles dominent et souhaitent dominer dans l’espace public. Et depuis ce qu’elles ont a protégé, soit leur domination sociale, nous pouvons quelque part les comprendre. Tant il est dur parfois de différencier des fêtes populaires de révoltes sociales, et ou, une révolte d’une sorte de fête.
En tout cas, ce sont toujours les mêmes qui viennent l’arrêter. Bonne année.
Mail type proposé par le Front des Mères à envoyer au bourgmestre d’Anderlecht :
« Destinataire : fcumps@anderlecht.brussels
Objet : Opposition à la décision d’interdiction de sortie des jeunes de Cureghem le 31/12
Monsieur le Bourgmestre,
Je me permets de vous adresser ce courrier pour exprimer ma vive préoccupation et mon profond désaccord quant à la récente décision d’interdire la sortie des jeunes de Cureghem le soir du 31 décembre.
Cette mesure, qui semble viser une partie spécifique de la population, soulève de nombreuses interrogations sur son caractère discriminatoire et son impact sur la cohésion sociale dans notre commune. En stigmatisant une jeunesse déjà confrontée à divers défis, vous risquez de renforcer un sentiment d’exclusion et de frustration, ce qui est contraire à l’objectif de vivre-ensemble que nous devrions collectivement défendre.
Il est difficile de comprendre comment une telle interdiction peut contribuer à améliorer la sécurité ou le bien-être général. Ne serait-il pas plus constructif de travailler en collaboration avec les associations locales et les parents pour proposer des initiatives inclusives et des alternatives adaptées à cette soirée festive ?
Je vous exhorte à reconsidérer cette décision et à engager un dialogue ouvert avec les habitant•es et les parties prenantes de Cureghem. Une approche participative, axée sur le respect et la compréhension mutuelle, serait plus bénéfique pour renforcer les liens au sein de notre communauté.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de recevoir, Monsieur le Bourgmestre, l’expression de mes salutations respectueuses. »
Communiqué de presse du Front des Mères à la suite de l’introduction d’un recours au Conseil d’Etat :
« Une requête au Conseil d’État contre l’interdiction de circulation des mineurs à Anderlecht
Après avoir adressé deux courriers au Bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps, et au Conseil Communal, restés sans réponse, ainsi qu’une mise en demeure envoyée par mon avocate, j’ai introduit une requête en annulation et une demande de suspension en extrême urgence auprès du Conseil d’État. Cette démarche vise à contester une ordonnance prise par la commune, interdisant aux mineurs non accompagnés de circuler dans l’espace public après 19h00 lors de la nuit du Nouvel An.
Cette mesure, justifiée par le Bourgmestre comme une réponse sécuritaire aux troubles supposés liés à l’utilisation de feux d’artifice, soulève de nombreuses interrogations quant à sa proportionnalité, sa légalité et son impact sur les droits fondamentaux des jeunes. Contrairement à ce qui est avancé pour la justifier, le Nouvel An est un événement récurrent et prévisible, et non une situation imprévue ou une urgence soudaine.
Si des risques liés à l’utilisation de feux d’artifice existent, une interdiction ciblant ces derniers aurait été une réponse plus cohérente. Cependant, restreindre la liberté de circulation de toute une catégorie de population, en particulier les mineurs, paraît disproportionné et inefficace. Il est inquiétant de constater que cette mesure stigmatise des jeunes déjà souvent confrontés à des contrôles policiers dans leur vie quotidienne, en particulier dans des quartiers populaires.
De plus, l’interdiction semble méconnaître les réalités de la vie familiale et quotidienne. À 19h00, il est normal qu’un jeune de moins de 16 ans sorte seul, que ce soit pour se rendre chez des amis, participer à des festivités ou même effectuer des courses de dernière minute, comme cela se fait dans de nombreuses familles. Avec une telle interdiction, ces jeunes risquent des arrestations administratives injustifiées. Or, pour un mineur, même une arrestation temporaire peut être traumatisante et avoir des conséquences psychologiques durables.
Il est également à noter que la communication autour de cette mesure est largement insuffisante. Une ordonnance affichée aux valves de la commune ne suffit pas à informer efficacement les habitants, en particulier dans des quartiers où une partie de la population n’a pas toujours un accès direct à ces informations. Cela expose de nombreux jeunes et leurs familles à des sanctions dont ils ignoreront l’existence jusqu’au moment d’un contrôle ou d’une arrestation.
Par ailleurs, cette mesure est singulière au sein de la Région bruxelloise. Les Bourgmestres de Saint-Gilles et de Forest, eux aussi membres du Parti Socialiste, ont refusé d’adopter une mesure similaire, estimant qu’elle était trop sévère, inefficace et risquait simplement de déplacer le problème vers d’autres lieux.
L’affaire sera examinée par le Conseil d’État lors d’une audience publique prévue le 30 décembre 2024 à 11h, dans la salle d’audience située rue de la Science 35, à 1040 Bruxelles.
Cette requête a pour objectif de défendre les droits fondamentaux des jeunes d’Anderlecht et de rappeler que la sécurité ne peut se construire au détriment des libertés individuelles ou par la stigmatisation d’une partie de la population. Elle s’inscrit dans une volonté de promouvoir des solutions durables et inclusives pour répondre aux défis sociaux et sécuritaires auxquels la commune fait face. »
Légende :
*Le Front des Mères, Né en 2016 en France et en 2021 en Belgique, le Front de mères est un syndicat de parents qui lutte contre les discriminations et les violences que subissent les enfants. C’est un projet d’auto-organisation dans les quartiers populaires, pour que nos enfants grandissent heureux et respectés dans leur dignité.
Sources :
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