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Adil : un non-lieu pour une poursuite mortelle.

Adil : un non-lieu pour une poursuite mortelle.

L’impensé de la race comme parechocage (première analyse à chaud)

Bruxelles | sur https://stuut.info

Les moyens de contrainte, donc la proportionnalité et la subsidiarité sont dramatisés et légitimés dans le jugement rendu cet après-midi (20 février 2024) par la chambre du conseil en fonction du contexte Covid et du confinement, il s’agit d’un élément important. On est alors ici bien au-delà d’un simple contrôle d’identité, l’extension de la poursuite à tout prix étant permise et radicalisée par les règles de confinement elles-mêmes, qui permettent, dans ce contexte particulier, aux policiers, de pousser la poursuite dangereuse pour “connaître les motifs du déplacement”. La race ne joue dans cette affaire pas uniquement sous le seul vecteur de l’identification ethno-raciale mais plus fondamentalement à travers le type de poursuite lui-même : un scooter, une tenue, le quartier, le milieu, etc. La poursuite crée le profil (attitudes par rapport au scooter, comportements, etc.) car la race est toujours à faire, elle se prolonge dans l’instruction, dans les rapports toxicologiques, dans les expertises automobiles, dans les jugements, etc. Au moment d’entamer la poursuite place du Conseil, les policiers savent très bien qu’il s’agit d’un jeune du quartier de Cureghem, c’est donc la poursuite qui instaure la race en tant que danger imminent et sans mobile, sui generis : l’appel prioritaire, urgent, la conduite méchante, la mise en danger de l’intégrité des personnes, etc. La race se prolongera également dans les analyses toxicologiques (consommation de cannabis) sans que cela ne corrobore aucun élément précis. Il faut l’arrêter, il faut le faire cesser, un peu comme un virus. On n’a pas besoin de savoir comment ni de le localiser précisément, ce qui compte c’est de l’arrêter, c’est de le percuter, c’est de “choper un arabe”, d’ ”en sortir un de la rue”.

Il ressort de ces possibilités de chasse à l’homme une diminution voire une annihilation de toute précaution, ainsi qu’une atrophie de l’attention. L’absence de visibilité de la cible au moment de l’impact ne constitue pas un élément d’innocentement des policiers qui conduit désormais au non lieu mais au contraire, comme dans l’affaire de Ouassim et Sabrina, un élément qui aurait dû obliger les policiers à davantage de vigilance et de prévisibilité. On peut difficilement imaginer, au vu de la topographie des lieux, qu’à aucun moment du trajet en sens inverse exécuté par les policiers de l’opel Corsa T. et son coéquipier n’aient vu la mobylette. Il aurait donc fallu que les policiers prennent l’initiative, avant d’engager la poursuite, via une coordination avec les équipes déjà présentes, de s’informer de la situation. En évitant, par exemple, de se trouver par cette initiative criminelle en position de barrage, volontaire ou involontaire. Ils auraient donc également dû se déporter le plus possible à droite pour prévenir tout risque de parechocage. Mais la race joue ici à nouveau comme dispositif d’inattention et de déshumanisation. On ne poursuit pas un homme en scooter, avec les précautions d’usage, on répond à un appel d’urgence, on prend en chasse une chose, un spectre sans forme. Ce n’est qu’au moment du choc mortel, donc de la mise à mort, qu’on instaure l’identité de la cible, pour ensuite mieux l’incriminer et aller jusqu’à porter plainte contre lui, post-mortem, pour délit de fuite. C’est le parechocage, le choc, qui donne forme à la chasse.

A partir de cet instant fatidique, tout se retourne contre la personne mise à mort, qui ne peut plus témoigner. La vitesse, difficilement déterminable, se retourne elle aussi contre la personne poursuivie, même si celle-ci n’a aucun lien avec la trajectoire criminelle. La façon dont la poursuite se profile dans le cas d’espèce ne relève pas d’un barrage anticipé que l’on aurait mis en place parce que précisément on aurait identifié la cible, sa vitesse, sa direction. Au contraire, on est avec l’opel Corsa et T. dans le cas d’une chasse à courre. On installe pas un barrage, on percute, on pare-choc, on ne fait pas attention, on traque. ”On l’a eu”, “on l’a chopé”, il a terminé sa course sous le parechoc.

Pour ce qui concerne les différents rapports d’expertise, le jugement fait mine de ne pas comprendre que le second rapport n’est pas une expertise technique automobile qui aurait eu lieu trois ans après les faits, mais une relecture du premier rapport qui met l’accent sur des éléments déterminants passés sous silence ou sous-exploités. Il s’agit donc d’un avis sur l’avis. Par exemple, les déclarations des policiers selon lesquelles la mobylette n’était pas éclairée et donc difficilement visible ne sont pas suffisamment démontrées. Le deuxième expert se base sur l’exploitation des caméras de surveillance, images qui font l’objet d’un procès-verbal de la police judiciaire fédérale qui n’a pas été consulté par le premier expert. "Nous constatons que les images en question démontrent que le cyclomoteur était éclairé tout au long de la course-poursuite. (...) Nous notons (également) que le cyclomoteur était éclairé quelques courts instants avant d’être percuté par le véhicule de police banalisé". Le deuxième expert ajoute : "Il se pose inévitablement la question de savoir pourquoi ce procès-verbal a été écarté par monsieur l’expert judiciaire Van Lierde. Serait-ce un simple oubli ? Serait-ce des suites d’une sous-évaluation de l’importance de ce document ? Ou serait-ce parce que les enregistrements vidéo démontrent que le cyclomoteur était correctement éclairé ?". Le second rapport insiste également avec plus d’attention sur la première déclaration du policier qui a tué Adil (“On a essayé de faire barrage au niveau de l’école Erasme, il nous est rentré dedans”) qui ne se retrouve pas non plus dans la première expertise. Or, d’après l’expert, “cette affirmation est (pourtant) particulièrement explicite et non équivoque, en ce sens qu’elle décrit une action et non pas une quelconque intention. (...)”. En outre, la question de la vitesse est remise en cause par « la présence d’une pastille de bridage dans le pot d’échappement démontre à elle seule l’impossibilité technique de dépasser les 45 km/h ». Ici, le deuxième expert indique que cette vitesse élevée (64 km/h) ne peut être objectivée. Et cela parce que le premier expert n’a procédé à aucune investigation technique du véhicule accidenté, ne le passant notamment pas sur des rouleaux.

Le défaut de prévoyance et d’inattention court tout le long de la poursuite, il en constitue le mobile racial, jusque dans le rendu du jugement. Il n’est pas une intention préméditée mais un faisceau de culpabilité a priori, de dangerosité, et de priorité. Adil meurt parcechoqué par un ensemble de dispositifs de déshumanisation qui constituent comme une extension des dispositifs Covid pour “protéger la société” contre ces “dangers internes”. T. a donc bien “sorti un arabe (dangereux) de la rue” comme il s’en est vanté à de multiples reprises et il ne sera pas inquiété pour cela pour l’instant. La chambre du conseil ne renverra aucun policier devant le tribunal. Mais le combat ne s’arrête pas sur cet énième non lieu d’impunité. On peut rappeler le long combat de la famille de Sabrina et Ouassim qui pendant cinq ans s’est battu, jusqu’à la chambre des mises en accusation pour qu’il y ait un procès et que les policiers soient condamnés, même s’ils ont fait appel. Nous continuerons à interpeller la zone midi pour les faits disciplinaires relatifs aux racisme dans la zone et au policier qui a tué Adil. La lutte contre les violences policières est une lutte sans trêve qui nous précède toujours déjà. Charge à nous de la prolonger.

Comité Zone Midi contre les Violences Policières. facebook

Voir en ligne : Comité Zone Midi contre les Violences Policières.

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