« Come to Berlin ! »
Jeudi 15 mai, nous quittions Bruxelles pour répondre à un appel international pour la Palestine : #Nakba77. Cette manifestation annuelle se veut une commémoration et un appel à l’action, faisant référence à la dépossession violente de 750 000 Palestiniens en 1948, la Catastrophe, qui persiste aujourd’hui.
Les jours précédant notre voyage, nous avons reçu de nombreux messages d’ami-es inquie-ètes. « Comment allez-vous vous protéger ? Vous avez vu les vidéos de violences policières dans ces manifs ? » Nous savions que des slogans, des drapeaux et même l’usage de l’arabe lors des manifestations ont été interdits. Nous savions que deux manifestations pour la Nakba avaient été interdites. Nous avions entendu la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, Francesa Albanese, exprimer sa profonde inquiétude face aux restrictions de la liberté d’expression en Allemagne, où toute contestation du génocide perpétré par Israël est réprimée. Pour nous, raison de plus d’y aller.

À notre arrivée à 16h à la station de métro Südstern, 600 policiers attendaient 1 100 manifestant-es. Nous étions surpris-es par la petite taille de ce rassemblement international – ayant tout juste participé à une manifestation de 80 000 personnes à Bruxelles le dimanche précédent.
La tension était palpable. Avant même le début de la manifestation, nous avons vu la police arrêter un photographe racialisé. Iel a été relâché-e quelques minutes plus tard, après avoir été contrôlé-e : « ils se sont trompés de personne » nous a-t-iel expliqué. Les arrestations aléatoires sont devenues le mode opératoire policier lors de ces manifestations. Un-e ami-e vivant à Berlin nous a décrit le protocole : une poignée de policiers se précipitent dans la foule et arrêtent quelqu’un-e sans raison claire. Pendant ce rassemblement de quatre heures, entre 50 et 88 personnes ont été arrêtées violemment.
Le rassemblement était le premier depuis des mois à être autorisé à marcher, suite à une décision de justice publiée le matin même. Quelques heures plus tard, l’autorisation est annulée, la police ayant fait appel. Depuis, nous avons appris qu’un petit rassemblement de contre-manifestant-es pro-israélien-nes se préparait à affronter notre manifestation à quelques rues.

En plus d’une forte présence policière (un policier pour deux manifestant-es), deux canons à eau nous ont fait face pendant quatre heures. Avant toute prise de parole, nous avons dû écouter une annonce sinistre de trois minutes, pour nous informer de ce ne pouvions pas faire et dire, en anglais, en allemand et en arabe.
Pendant quatre heures tendues à Südsterne, nous avons constaté le courage et la détermination des personnes présentes. Des femmes se protégeaient de médias hostiles en levant des keffiehs devant les objectifs des photographes. Les personnes se protégeaient mutuellement des violences policières, et un rassemblement a été organisé devant les commissariats vendredi et samedi pour libérer les manifestant-es qui restaient incarcéré-es.
Après le rassemblement, l’hostilité médiatique de la presse allemande s’est avérée tout aussi vive. La presse s’est focalisée sur un policier blessé, qui avait pris la foule d’assaut pour arrêter quelqu’un-e. Les journalistes n’ont interviewé que des responsables politiques et des policiers : la plupart des médias n’ont cité aucun-e manifestant-e, tandis que le maire de Berlin condamnait notre « violence lâche ».
À Bruxelles, nous observons ce même processus de silenciation et de répression policière. Les manifestations quotidiennes à la Bourse sont de plus en plus surveillées et harcelées par la police bruxelloise. Nos ami-es palestinien-nes sont clairement ciblé-es : un militant, H., a été arrêté quatre fois en l’espace de quelques semaines. Comme en Allemagne, les policiers ont recours à des prises et des clés d’étranglement. Au vu de la proportion de la violence déployée, on ne peut qu’en conclure que la police souhaite nous intimider. Cette répression a atteint un niveau inédit lors de la Pride de Bruxelles samedi dernier. Alors que la Pride place les communautés minorisées au centre historiquement, et que la communauté queer s’est mobilisée sur le génocide, la police a arrêté trois Palestiniens quand la manifestation quotidienne s’est jointe à un événement organisé à la Bourse.
Nous ne cherchons pas à faire le récit de la défaillance de nos institutions démocratiques en Europe. Nous sommes allé-es à Berlin pour dénoncer un génocide, et non pas pour défendre notre liberté d’expression ou de manifestation. Mais il est significatif que nos droits démocratiques soient attaqués au nom de la dépossession et du meurtre de millions de Palestinien-nes.
La répression policière vise à intimider et à décourager les manifestations– et cette stratégie fonctionne. Certaines personnes à qui nous avons parlé à Berlin ont cessé de venir aux rassemblements parce qu’elles se sentaient en danger et épuisées par le harcèlement policier.
Et pourtant, malgré cette mobilisation anti-palestinienne politique et médiatique, de récents sondages montrent que l’agenda pro-israélien commence à défaillir en Allemagne. Il y a quelques jours, un sondage révélait que seul-es 36 % des Allemand-es avaient une opinion positive d’Israël – une baisse de dix points en quatre ans. Alors comment donner du pouvoir à nos majorités silencieuses ? Et combien de temps les puissant-es persisteront-t-il à nier aux Palestinien-nes toute justice ?
Cerise

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