Récemment, nous avons appris que certaines membres de notre collective apparaissaient dans le film « Riposte Féministe », diffusé en avant-première lors du festival de Cannes. Ce film documentaire, qui se concentre sur les expériences de colleureuses dans dix villes de France, s’ouvre sur une scène lyonnaise, filmée lors du rassemblement lesbien que nous avons organisé en 2021. Lors de cet événement, nous avons été attaqué-es par des membres du groupement fasciste Génération Identitaire armés de barres de fer. Des scènes du film montrent un discours prononcé lors de la marche, des chants militants, un moment de joie et de danse partagée par des personnes heureuses d’être dans un rare entre-soi lesbien, puis on y entend une explosion avant de voir un mouvement de panique se produire. Finalement, la foule se reconstitue et on entend le slogan « siamo tutti antifascisti » tandis que le titre du film apparaît. La collective « Lesbiennes contre le patriarcat » est remerciée dans le générique du film.
Nous avons contacté les réalisateurices et la société de production du film pour leur exprimer notre étonnement d’apparaître dans leur documentaire sans en avoir été informé-es et pour leur demander l’accès aux images nous représentant. Notre demande n’a jamais été satisfaite : on nous a simplement proposé d’assister à des avant-premières (sans nous offrir de places pour y assister) et on nous a expliqué à plusieurs reprises que le film était un « soutien inconditionnel » aux mouvements féministes.
Nous avons alors décidé de nous rendre à l’avant-première lyonnaise du film au cinéma Le Comoedia, le 29 septembre. Lors du débat qui a suivi la projection, nous avons été plusieurs personnes dans le public à interpeller les réalisateurices sur la question du consentement des personnes filmées. Les réalisateurices ont insisté sur le soin porté à ce consentement, ce à quoi plusieurs personnes, faisant partie ou non de la collective, ont répondu qu’elles apparaissaient pourtant dans le film sans en avoir été informées. Il nous a notamment été répondu que la caméra était très grosse et que nous aurions dû nous rendre compte que nous étions filmé-es.
Nous avons alors envoyé un courrier recommandé pour demander le retrait des images lors desquelles nous apparaissons en gros plan du film (ainsi que du livre Riposte Féministe qui contient également des photos du rassemblement et de personnes qui y étaient présentes). Nous avons reçu une réponse selon laquelle le film défendait des valeurs féministes importantes, qu’il était autorisé selon la loi de filmer des événements publics comme une manifestation, et enfin qu’il n’existait aucune preuve que notre collective existe (en effet nous ne sommes pas une association loi 1901).
Nous sommes tout simplement horrifié-es de ce cynisme et de ce déni. Puisque nous ne pourrons rien changer à la marche de ce film, qui sera programmé en salle dès le 9 novembre et qui est déjà promu dans de nombreux réseaux féministes que nous connaissons, nous souhaiterions appeler au boycott de ce film, et ce pour plusieurs raisons :
Le consentement n’est pas simplement une question de principe : dans ce cas précis, il a un impact très concret sur nos vies. L’attaque que nous avons subie devant cette caméra montre le danger auquel les lesbiennes font face dans l’espace public. En représentant clairement des participant-es à ce rassemblement, parfois en gros plan, ce film met en danger certain-es d’entre nous, qui peuvent être la cible d’attaques fascistes mais aussi de violences pour les personnes qui n’étaient jusque là pas out auprès de certain-es de leurs proches et collègues. C’est pour cette raison que nous prenons grand soin de flouter les images que nous postons sur nos réseaux sociaux et de demander des précautions similaires à toute personne qui nous contacte pour photographier nos événements. Dans un tel contexte de précautions, être identifiables sur un grand écran en salle, dans un livre vendu partout en France, au festival de Cannes etc. nous met en danger à grande échelle.
La répétition forcenée de l’argument que ce film défend des valeurs féministes pose aussi question. Selon cet argument, l’approche féministe du film justifie le mauvais traitement et la mise en danger des personnes qui y figurent et dont le combat est représenté. Ainsi, il faudrait se taire pour laisser d’autres défendre notre cause au mieux. Drôle de combat féministe, surtout de la part d’un film qui défend la « riposte » et cherche à déranger le festival de Cannes en agitant des fumigènes.
Il nous a aussi été indiqué que le rôle de ce film était de créer une archive de nos luttes car il n’en existe aucune. Tout d’abord, ceci est faux : nous militant-es créons et préservons des archives de nos luttes, et c’est d’ailleurs un des objectifs de notre collective. De plus, une archive devrait être mise à disposition des personnes qui y figurent, ce qui n’a pas été le cas de celles-ci. Enfin, une archive doit être complète et précise. Or, dans ce documentaire, notre rassemblement n’est pas contextualisé (ni lieu, ni date, ni mot d’ordre de l’événement). Aucun discours n’est présenté dans son entier. Alors que notre objectif était de mettre en avant la force des lesbiennes, il est possible de douter que ce rassemblement est lesbien, tout comme il est impossible de deviner l’objet exact de la manifestation parisienne qui apparaît plus tard dans le film. Cette inexactitude est aussi apparue lors de l’avant-première, lorsque le réalisateur a affirmé incorrectement que l’événement filmé était une attaque par le GUD.
Ainsi, plutôt que de créer une archive, la scène où nous figurons a pour objectif de susciter l’émotion et, pour reprendre les mots des réalisateurices pendant la discussion, d’« illustrer l’idée de riposte féministe ». Les émotions très fortes que nous avons ressenties, la fierté, la joie, le choc, la peur, le courage et la solidarité entre lesbiennes, sont ici instrumentalisées et esthétisées à notre insu. Le montage des images et des sons trahit l’expérience vécue de ce moment et contribue de manière ironique à perpétuer la mauvaise connaissance de nos luttes (notre collective ne réapparaît pas dans le film et n’a pas de lien avec les actions des colleureuses, dont nous saluons par ailleurs le travail).
Pour conclure, ce film et le livre qui l’accompagnent présentent le travail de certains mouvements militants féministes mais ne respectent pas le nôtre. Ils mettent certain-es d’entre nous en danger et instrumentalisent nos luttes. Les réalisateurices et la société de production méprisent et vont jusqu’à nier l’existence de certaines des personnes qui y apparaissent. D’autres personnes dans des situations similaires nous ont partagé leur colère devant cette même attitude à leur égard. Pour toutes ces raisons, nous appelons à une riposte féministe et lesbienne au film de Simon Depardon et Marie Perennès, et au boycott de ce film.
La collective Lesbiennes contre le patriarcat
P.S. :
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