
En Belgique, être une personne sans-papiers c’est vivre sans titre de séjour légal, sans accès garanti aux droits sociaux de base, dont les soins de santé. Depuis 1996, la procédure d’Aide Médicale Urgente (AMU) permet en théorie de répondre à ces besoins. Mais dans les faits, les obstacles sont nombreux : démarches lourdes, discriminations, disparités entre communes. Face à ce constat, un projet est en train d’émerger à Bruxelles : créer une mutuelle autogérée par et pour les personnes sans-papiers.
L’idée a germé dans un petit groupe mixte, composé de personnes avec et sans papiers. Inspiré d’une initiative similaire, déjà active à Liège, ce projet entend répondre aux lacunes de l’AMU, tout en affirmant une vision politique de la santé comme droit fondamental. Plusieurs assemblées publiques ont permis de commencer à identifier les besoins, les freins et les potentiels. D’autres auront lieu prochainement pour s’accorder sur le modèle et procéder à sa structuration en ASBL.
« On ne veut pas d’un système vertical où certains décident pour les autres. L’objectif est que les personnes concernées soient les premières actrices de la mutuelle », explique un·e des initiateur·rices.
Un projet politique et collectif
À travers des assemblées exploratoires et deux soirées de soutien, une dynamique se met en place. Une ASBL servira de caisse commune et d’instance formelle de décision. L’enjeu est clair : sortir de la logique d’urgence et créer une mutuelle durable, gérée par ses membres bénéficiaires, ouverte à toutes les personnes sans-papiers de Bruxelles, voire également à d’autres personnes en situation de difficulté d’accès aux soins.
Pour présenter la démarche, les membres du collectif font le tour des lieux d’occupation à Bruxelles. Cet ancrage local facilite la création de liens de confiance, souvent essentiels dans les contextes de grande précarité. Ce sont aussi des lieux où la mutualisation des moyens fait sens.
Le projet prévoit la mise en place de guichets pour récupérer l’argent, dans les squats, les occupations et au-delà, pour toucher aussi les personnes isolées. Des permanences administratives seraient également organisées pour accompagner les démarches liées à l’AMU, et à la création d’un compte bancaire, mais aussi, à terme, pour soutenir les demandes de régularisation, mettre en place des permanences juridiques, faire du suivi.
Soigner, militer, créer du lien
La mutuelle ne vise pas à remplacer l’AMU, mais à la compléter. En ciblant particulièrement les soins non couverts (santé mentale, gynécologie, paramédicale, hygiène, bien-être etc.), elle veut pallier les manques des aides officielles. Le principe : les membres versent une cotisation, les prestations de soins et autres dépenses sont ensuite remboursées sur présentation d’attestations et de prescriptions, voire directement facturées à la mutuelle par les services de santé « partenaires ». Pour fonctionner, le projet aura besoin d’un répertoire de soignant·es solidaires, d’un fonds de soutien extérieur, et d’une logistique fiable.
Au-delà de l’accès aux soins, la mutuelle se veut aussi un outil de sociabilisation, de confiance et de lutte. En renforçant la santé des personnes, elle renforce aussi leur capacité à se mobiliser, à revendiquer leurs droits, à sortir de l’isolement. Le fait de venir tous les mois payer sa cotisation et demander les éventuels remboursements peut ainsi devenir un moment convivial, où les gens se rencontrent, se croisent et échangent. Ce geste simple prend alors une dimension collective, créant des espaces de lien et de solidarité.
« Si tu es malade, tu n’as pas l’énergie de te battre. Cette mutuelle, c’est aussi une manière de renforcer la lutte. »
Le projet reçoit une attention particulière de la part de groupes de femmes sans-papiers, notamment pour des raisons liées à la santé des enfants et aux besoins spécifiques des femmes. La mutuelle pourrait couvrir ce que l’AMU laisse de côté : lait pour bébé, couches, produits menstruels, suivi de maternité, santé mentale, consultations psychologiques… autant de postes de dépense essentiels mais souvent inaccessibles.
Construire dans l’irrégularité
Les initiateur·ices sont conscient·es des difficultés : instabilité de la vie des personnes sans-papiers, pauvreté, défiance envers les institutions, complexité logistique… À cela s’ajoute le fait que beaucoup n’ont pas de logement fixe, doivent souvent se déplacer, ce qui rend difficile la fixation de rendez-vous réguliers et la circulation de l’information. Mais iels avancent, lentement. La “phase 0” d’exploration est presque terminée. La structure de la mutuelle sera ensuite créée avec des statuts et une charte établie par les bénéficiaires lors d’une assemblée de constitution, et les premières permanences se mettront alors en place.
Etapes suivantes : collecter davantage de fonds, étendre le réseau, solidifier les bases. D’autres « assemblées exploratoires » ont encore lieu. Les organisateur·ices espèrent aboutir à un modèle praticable de démarrage, rencontrer de nouvelles personnes qui souhaiteraient devenir membres, préciser la démarche et élargir la base de soutien.
Pour les soutenir, la mutuelle recherche des soutiens pour l’organisation de son lancement, notamment dans des aspects logistiques, communicationnels, financiers et juridiques, mais aussi dans l’organisation de soirées de soutiens ou la création d’un réseau de professionnel·les de santé. N’hésitez pas à prendre contact avec elleux.
N° de compte : BE65 5230 8110 3896
Communication : MASP
Mail de contact : masp-bxl@bruxxel.org
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