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Pride : promesses politiques, climat transphobe et homonationalisme

Pride : promesses politiques, climat transphobe et homonationalisme

À l’occasion de la Pride, la question se pose : où en sont vraiment les droits des personnes LGBTQIA+ en Belgique ? Derrière les discours rassurants et les drapeaux arc-en-ciel, analysons les prétendues avancées pour les personnes LGBTQIA+, notamment celles de la nouvelle coalition fédérale signée le 31 janvier 2025 entre la N-VA, le MR, Les Engagés, Vooruit et le CD&V.

Bruxelles | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie
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Un vernis progressiste, mais dans les faits, les droits défendus sont ceux d’une minorité privilégiée : les personnes blanches, belges, cisgenres, de classe moyenne ou supérieure. Pendant ce temps, les autres personnes LGBTQIA+, racisées, trans, non-binaires, migrantes, précaires, restent en marge. Invisibilisées. Ou pire : directement ciblées.

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Des allures progressistes

Certaines mesures de l’accord sont saluées par les associations. L’interdiction des interventions médicales non-urgentes sur les enfants intersexués sans leur consentement est considérée comme une avancée historique en faveur de l’intégrité corporelle. La clarification du cadre légal autour de la gestation pour autrui (GPA), avec un accent sur la protection des personnes porteuses et des enfants, répond à une demande de longue date de la communauté. L’accès à la santé pour les personnes LGBTQIA+ connaît également quelques progrès, notamment avec l’élargissement de la disponibilité de la PrEP, traitement préventif du VIH, et le renforcement de l’accompagnement médical pour les personnes trans, via un meilleur accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux, ainsi qu’un soutien psychologique plus adapté.

Des oublis révélateurs

Mais ces avancées ne sauraient masquer les limites de cet accord. Le texte ne prévoit toujours pas de reconnaissance légale pour les personnes non binaires. Aucune mesure spécifique ne concerne les personnes LGBTQIA+ en situation de demande d’asile et leurs besoins, pourtant particulièrement exposées aux violences, même dans leur parcours administratifs, de demande de personnes réfugiées. La Belgique a déjà été critiquée pour ses procédures d’asile, qui ne prennent pas toujours en compte les besoins spécifiques des personnes réfugiées LGBTQIA+. Les conditions du don de sang restent discriminatoires pour les hommes homosexuels et bisexuels.

Par ailleurs, l’intention du gouvernement de réévaluer scientifiquement l’utilisation des bloqueurs hormonaux chez les adolescent·es trans suscite l’inquiétude : les associations rappellent que ces jeunes ont besoin d’un accès rapide à des soins adaptés pour préserver leur santé mentale, et non d’un nouveau délai bureaucratique.

La question des moyens financiers alloués à la lutte contre les discriminations alourdit encore le bilan. L’Unia, l’institution interfédérale pour l’égalité, a vu son budget amputé de 25 %, dès l’entrée en vigueur de l’accord de l’Arizona, ce qui affaiblit les mécanismes de protection des personnes LGBTQIA+. Dans le même temps, Unia et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) tirent la sonnette d’alarme sur l’aggravation des violences envers les personnes LGBTQIA+ : en 2024, sur 136 dossiers liés à l’orientation sexuelle, plus d’un tiers concernait des agressions physiques ou du harcèlement grave.

Ainsi, malgré quelques avancées, la Pride reste un moment crucial pour exiger une égalité réelle pour toutes les personnes LGBTQIA+, y compris celles qui sont sans-papiers ou en demande d’asile. L’accord Arizona aggrave leur situation : suppression des Initiatives Locales d’Accueil, ces logements individuels ou semi-individuels mis à disposition par les CPAS, entraîne une perte importante de places pour l’hébergement de personnes vulnérables, parmi lesquelles des enfants, des femmes, mais aussi des personnes LGBTQIA+, réforme des allocations sociales repoussant l’accès à l’aide de cinq ans pour les primo-arrivant·es, etc. Autant de mesures qui précarisent les plus vulnérables. Or, beaucoup fuient leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. En Belgique, la reconnaissance du statut de réfugié repose sur des auditions longues et intrusives, où la « crédibilité » du récit est jugée selon des critères stéréotypés. Les chances d’être reconnu·e comme réfugié·e dépendent encore trop souvent de la maîtrise du français, du niveau d’éducation et de la conformité aux normes occidentales de l’homosexualité, niant la diversité des vécus et des identités.

Climat transphobe

Les personnes transgenres et intersexuées sont largement ignorées dans les politiques publiques, et ce dans un climat transphobe de plus en plus visible. En septembre 2024, Magali Cornelissen, échevine à Ganshoren, tweetait : « La transphobie tue ? Des chiffres ? La misogynie, elle, tue tous les jours. » Un mois plus tard, une parodie jugée transphobe de la chanson « 3e sexe » dans l’émission Le Grand Cactus suscitait une vive indignation, jusqu’à une enquête du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Lors de la manifestation féministe du 8 mars 2025, des militantes du MR arborant des messages transphobes ont été écartées du cortège. Parmi les slogans visibles sur leurs t-shirts : « Les femmes sont une réalité biologique », un message explicitement excluant, qui nie les réalités des personnes trans et non binaires.

Une transphobie est également affichée aussi au plus haut niveau politique. En août 2024, David Clarinval, vice-premier ministre, faisait l’éloge du livre Transmania, qualifié d’« enquête » sur les prétendues dérives de l’idéologie transgenre. Ce livre, pourtant décrié pour ses propos transphobes, a fait l’objet d’une plainte par SOS Homophobie. Il a été dénoncé par une tribune de 800 personnalités publiques et publié par une maison d’édition liée à l’extrême droite. Le 21 mai prochain, une conférence intitulée « Transgenre – comprendre l’idéologie pour combattre ses dérives » est organisée par l’Institut Thomas More, avec l’une des coautrices de Transmania , Dora Moutot, en invitée principale. Sous couvert de liberté d’expression, ces discours alimentent la haine. La transphobie n’est pas une opinion : c’est un délit, rappelé par la loi anti-discrimination belge, élargie en 2014 pour inclure l’identité et l’expression de genre.

Toujours le 21 mai, alors que la Pride vient d’être interdite à Budapest et que la Hongrie a quitté la Cour pénale internationale, le MCC Brussels, un lobby directement lié au pouvoir de Viktor Orbán (Premier ministre de Hongrie), organise une nouvelle conférence à Bruxelles. Parmi les invitées : Alice Cordier, figure du collectif d’extrême droite français Nemesis, et Barbara Bonte, députée européenne du Vlaams Belang. Sous couvert de lutte contre les violences faites aux femmes, ce collectif se dit féministe, mais instrumentalise ce combat pour cibler les personnes racisées et les personnes trans, profitant d’un climat politique de plus en plus favorable à l’extrême droite.

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L’exclusion dans l’espace public

Dans ce climat délétère, les luttes politiques pour les LGBTQIA+ peinent parfois même à se maintenir dans l’espace public. À Liège, la ville a suspendu le cortège de la Pride, évoquant des raisons budgétaires et de sécurité. Le collectif TransPédéGouines, qui devait organiser une marche indépendante en mai, a vu sa demande rejetée au motif d’un manque d’effectifs policiers. Une justification jugée absurde par les militant·es, qui rappellent que le droit de manifester est constitutionnel. La Pride n’est pas une fête folklorique, mais un acte politique : une réappropriation de l’espace public dans un contexte où les discriminations se multiplient.

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Pinkwashing et agenda nationaliste

Certains partis se disent engagés pour les droits LGBTQIA+, mais cet engagement reste souvent partiel. Il profite surtout à une minorité plus « acceptable », souvent des hommes gays, blancs, cisgenres, issus des classes moyennes, tandis que d’autres, plus marginalisé·es, voient leurs droits reculer. La défense de cette minorité mieux acceptée par la classe politique dominante sert par ailleurs régulièrement un discours discriminatoire envers d’autres minorités : les personnes migrantes, non-blanches, musulmannes, etc. Ce discours vient ensuite justifier des politiques nationalistes et racistes, sous couvert de modernité. Dans ce contexte, la présence d’acteur·rices gouvernementaux à la Pride ne pourra être qu’interprétée comme une récupération politique : un jeu d’image sans réelle lutte contre les discriminations.

Or défendre les droits des personnes LGBTQIA+ c’est défendre les droits de toutes les personnes LGBTQIA+ : les droits humains ne se choisissent pas à la carte. Les droits des personnes LGBTQIA+ ne peuvent être défendus partiellement, selon des agendas électoraux, ni servir de paravent à d’autres formes de discriminations.µ

Sources :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

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