Nous avons des vécus différents, sommes issu·es d’horizons, de perspectives, d’environnements, de gènes immensément variés, et de so- cialisations que des gouffres séparent. Pourtant il y a un nous, une manière dangereusement omniprésente de généraliser le nous, qui a besoin de changer. Des vies sont en jeu et des vies s’éteignent ; enlevées, ensevelies sous l’avalanche de traumas, de honte et d’impuissance.
Parce que les modèles d’apprentissage social ne sont pas remis en cause, nos corps (et nos esprits, inextricables) deviennent des terrains accidentés et peuplés de mines pour les attentes et les jugements des autres, pour leur violence et leur propre impuissance intériorisée. Les corps des femmes et des personnes trans sont confrontés à des risques disproportionnés et incroyablement variables dus à la violence étatique et extralégale¹. Ce n’est pas nouveau et cela n’a jamais été tolérable. Pourtant, cette violence est communément acceptée aux niveaux micro et macro-sociaux². L’objectification des corps est devenue monnaie courante ; la piqûre que l’on ressent des regards lourds et indiscrets, des attouchements et des réflexions sexistes nous agresse immanquablement et de façon insidieuse.
Et nous perdons nos ami·es, nos mères, nos sœurs et nos fils.
Le désespoir a été étouffé à la fois par le climat de complaisance à l’égard du harcèlement et des agressions sexuelles et par la consécration de l’objectification par l’état, l’église, la famille et la communauté qui renforcent ces attentes et ces schémas en ne reconnaissant pas, en n’abordant pas et en n’attaquant pas la réalité des abus dans nos vies quotidiennes.
Les hommes (ou les personnes qui font l’expérience de privilèges masculins) doivent être tenus pour responsables. Les hommes doivent se tenir mutuellement responsables et assumer leurs responsabilités vis-à-vis des privilèges qu’ils possèdent et de leur socialisation. En reconnaissant les écarts de pouvoir inhérents à nos interactions sociales, les hommes peuvent commencer à s’intéresser de façon critique à nos identités en étant activement à l’écoute des femmes et des personnes trans. Ces voix ne sont pas considérées sur un pied d’égalité, parce que nous vivons avec les réalités du passé et sous le poids écrasant et sans pareil du présent, de ses insuffisances et de ses brutalités. Nous devons concevoir un monde en nous ancrant dans le présent à partir des conditions dans lesquelles nous vivons et agissons toutes et tous.
Les hommes doivent se pencher de manière critique sur ce que signifie être « un homme » et sur les conceptions actuelles de la masculinité en incluant nos fils, nos frères, nos pères et nos amis. Les hommes doivent être courageux – tout en redéfinissant le courage – pour se confronter au statu quo³ et le placer au banc des suspects. Nous devons apprendre à trouver du confort dans ce qui nous met mal à l’aise. Nous devons dépasser nos différences et nous engager en écoutant activement les récits et les expériences des femmes et des personnes trans, leur colère, leur frustration et leurs besoins, ou en nous engageant auprès d’autres hommes et en les 6interpellant lorsqu’ils reproduisent des comportements hétéro-patriarcaux ou misogynes.
Nous avons terriblement besoin d’un changement. Nous tou·s·tes. Dès maintenant, bien que nos enjeux soient très différents et nos expériences souvent contrastées. Si tu es un homme, une personne socialisée en tant qu’homme, que tu bénéficies de privilèges masculins innés, nous avons cruellement besoin que tu te confrontes de façon critique à ta socialisation et cela avec d’autres hommes, que vous partagiez vos expériences et que vous écoutiez les femmes, les personnes trans et queers afin de comprendre comment se vivent différentes identités intersectionnelles⁴ et que vous luttiez contre le poids de cette réalité délirante et mortelle.
Nous proposons cette brochure en espérant qu’elle suscite cette motivation et qu’elle nous rappelle qu’il n’y a pas d’excuse pour attendre, pour mettre de côté ce volet essentiel de la lutte en faveur de causes « plus pertinentes ». Nous avons le devoir (particulièrement en tant qu’hommes) de nous responsabiliser les un·es les autres dans nos processus de déconstruction et dans nos luttes pour la libération collective. En permanence. Et cela est effrayant et difficile et nous avons simultanément besoin de guérir, de construire des relations de soutien et de soin, de grandir et de lutter ensemble.
Cette brochure est une compilation de voix s’exprimant sur le thème du « travail des hommes pro-féministes », sur ce que c’est, pourquoi nous en avons besoin et comment s’y prendre. Les textes de cette brochure proviennent d’une myriade de personnes incluant des queers, des trans, des femmes et des hommes. Nous espérons qu’elle servira de tremplin, de support à l’échange d’idées, de points de vue, d’analyses critiques, de réussites et d’échecs, et enfin qu’elle servira de ressource pour s’engager sur différents fronts afin de déconstruire et de remettre en cause le patriarcat dans le monde et dans nos vies. En tant que rédacteurices, nous espérons également que cette publication soit la première d’une série de « guides pratiques » abordant les subtilités et la diversité des points de vue pour démolir le patriarcat. Nous l’imaginons comme une contribution à la quantité potentiellement illimitée d’écrits qui explorent les stratégies et les fronts de lutte sur lesquels nous nous engageons pour mettre fin au règne de l’hétéropatriarcat, et aux violences sexuelles et sexistes.
- ¹ : extralégale : qui sort du cadre juridique, sans forcément être illégal, c’est à dire répréhensible aux yeux de la loi.
- ² : l’échelle « macro-sociale » concerne les grands groupes sociaux, peuples, nations, civilisations ; l’échelle « micro-sociale » les petits groupes sociaux, une famille, un club de randonnée, un groupe de jeunes, par exemple.
- ³ : un statu quo est une situation figée, qui n’évolue pas, qui n’est pas remise en question. Par exemple, la domination patriarcale et son hégémonie.
- ⁴ : intersectionnalité : notion issue de l’afroféminisme et employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. (définition inspirée de la page wikipedia)
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