Sommaire

L’idée d’une brochure sur le sujet ne date pas d’hier. Mais c’est grâce aux discussions organisées au Placard Brûle fin 2024, à Toulouse, que j’ai eu la motivation nécessaire pour lancer un appel à contributions, accompagnée d’une personne qui s’est rendue dispo pour faire une partie de la mise en page. Merci à elle. Merci à toutes les personnes qui ont participé, de près ou de loin. On l’a finie en avril 2025.
On a eu envie de compiler des récits de cérémonies, d’accompagnement de proches à mourir. Dedans on aimerait y parler de nos vécus d’obsèques et cérémonies. Que ces moments aient été pleins de force et de choses incroyables ou au contraire hardcore.
On a envie d’ouvrir un espace de discussion sur le sujet, pour briser les tabous et nourrir des imaginaires, ne pas laisser à l’état et au capitalisme cet ultime moment. Pour comprendre comment se défendre aussi. Mais surtout pour imaginer des obsèques queers/punks/anars, ou en tout cas à l’image de ce que nous sommes, ce dont on rêverait... et pour, jusqu’à la mort, ne pas leur laisser le dernier mot !
On espère que lire cette brochure te fera autant de bien que ça nous en a fait de la réaliser.

Obscènes obsèques
En racontant cette cérémonie l’autre jour à la discussion au placard brûle, j’en gardais un bon souvenir. En relisant ce que j’en avais écrit à l’époque dans mon carnet, et dont je me disais peut être en faire une contrib’, c’est un peu bresson en fait, ça donne des choses comme ça :
« Nos tenues obscènes rompent avec le balai des costards et des robes respectables. La couleur est la même, certes, mais notre noir est des ténèbres de tous les jours, de vengeance.
Il n’a rien de convenable et de solennel.
Il transpire le manque, l’ivresse, les overdoses. Il connaît les viols et les coups, la haine de soi, le mépris et les insultes ; les nuits blanches, le néon des hôpitaux, la froideur des cellules.
« Tant que y a du noir
y a de l’espoir »
Des gueules de punk, des tronches de fatigué.es.
Queers of despair. »
Alors j’écris un truc plus à l’arrache pour ce zine parce que y avait des choses chouettes dans cette cérémonie. Déjà, le croque-mort sapé en costard qui nous dit « Bonjour mesdames et monsieurs les schalgs », ça tuait. Puis le fait qu’on soit beaucoup là, à se parler ou pas, avec nos pires dégaines de punk, de scandales. Franchement, les gens savaient pas trop si y avait un concert de hardcore dans une cave ou la réouverture d’une maison close pas loin. Ça cassait bien le décor. Entre deux mif’ friquées qui venaient enterrer leur arrière grande tante. Le fait que l’adelphe ait pu causer avec les darons avant, et que les daron.nes aient respecté ses demandes, a permis que ça se passe bien. Que ça parle librement, que ça fasse des blagues sur ta vie de tox’, des blagues de cul, des blagues sur nos galères et sur à quel point t’étais une parasite. A quel point tu étais précieuse juste en étant toi, rien d’autre. Comment t’avais assassiné la productivité à toi toute seule et comment si y avait bien des gens qui allaient te pleurer dans cette ville c’était les dealers du quartier d’à côté du squat où on vivait. Puis, c’était bien de décorer ton cercueil à notre manière avec des tags partout, des stickers anti-tout, des crachats, des canettes, des seringues. Il était beau ton cercueil et au moment où ils l’ont porté vers le véhicule, ça dansait autour sur un son qu’on kiffait bien.
Ça donnait l’impression de t’avoir un peu célébré comme t’avais vécu, pas grand-chose, mais vraiment pas rien ! Ensuite au crématorium, c’était plus triste, plus solennelle. J’aurais aimé voir le cercueil brûlé mais ils le font descendre sous terre. Au moins, t’as été incinéré, comme tu l’voulais.
On était triste, il faisait beau. Plus tard, une pote s’est pris la tête avec le sécu parce qu’elle s’est fait un fixe devant le crématorium. C’était à ton image.
Quelques jours plus tard, y a eu une cérémonie vers là où t’as grandi, avec la famille plus large, et les potes d’enfance. J’trouve que ça marchait pas mal cette idée de deux cérémonies, les personnes qui voulaient/avaient besoin de faire les deux pouvaient le faire ; et les potes de tes dernières années de vie, de celle que t’étais aujourd’hui on a pu te célébrer un peu plus comme t’avais vécu ; ça reste loin d’une cérémonie hors du contrôle de l’état mais franchement pour ce que c’était, ça faisait quand même du bien.
Question de deuil et de politique
Le deuil et les cérémonies qui vont avec c’est une histoire un peu complexe pour moi. J’ai été bercé à l’enfance/adolescence par 2-3 enterrements "bien à la française", avec cérémonies dans l’église et tous les rituels avant/après, les présentations et visites à la famille, etc. C’était un peu le lieu de bienpensance. Des gens qui pensent avoir tout compris, celleux de la famille qui n’ont jamais été là mais qui font beaucoup de bruit ce jour-là et celles qui gèrent encore tout ce jour-là etc. Et tous les non-dits. Le patriarcat jusque dans la mort. Le tout bercé par la religion catholique. Un régal. Autant dire qu’ayant en plus grandi près d’un lieu hautement sacré, tout ce qui s’approche de près ou de loin à du spirituel, ça me tend... en plus avec un regard anarchiste critique sur les Religions (avec un R majuscule pour différencier de la pratique individuelle d’une personne). Bref. Ça fait que quand j’ai commencé à voir que les queers (entre autres) mourraient jeunes, que d’autres personnes dites de la famille sont mortes... je n’ai pas cherché à avoir plus d’infos et je ne suis pas allé aux cérémonies. Je ne me sentais pas à ma place. Et j’ai tout bloqué niveau émotions, bien aidé par la place qu’on t’assigne et te laisse. Pas faire trop de bruit et être soutenant à tout moment. Maintenant, les choses ont changé. Je trouve petit à petit ma place et je remarque qu’il me manque quelque chose pour "faire mon deuil". Individuellement et collectivement. Pour faire les deuils de gens morts mais aussi parfois les deuils de relations finies.
Et puis j’ai entendu parler il y a quelques années des T-Dor et je me suis dit que cela serait sûrement la manière de "faire deuil". La première fois que je suis allé à un T-Dor, j’ai été étonné de voir l’utilisation de bougies. J’avais l’impression d’être à la grotte (de Lourdes). C’était peut-être ma "première fois", mon premier jour du souvenir trans. Ce jour-là, j’ai trouvé ça beau. Les bougies, les thermos, les noms. Peut-être aussi parce qu’on a marché ensuite, que cela a pas mal gueulé, qu’il y avait une colère, que c’était une sorte de "procession de bougies" bruyante, douce et forte avec plein de pancartes. Puis au fur et à mesure des T-Dor suivant, j’ai vu des différences. Assez rapidement, l’euphorie passée, je me suis ennuyé. Jusqu’à pouvoir dire maintenant que je n’y trouve plus ma place. Politiquement. Humainement. Aussi parce que je suis attristé de ne pas voir plus de "vieilleux". A l’exception près chouette de revoir des ami..es que je ne croise plus trop et de pouvoir discuter un peu et se donner des nouvelles. Je ne trouve plus ma place dans la manière de faire notre deuil lors de ce jour-là. Je crois que c’est parce que le côté "cérémonie" ressort trop. Parce qu’on pense être uni..es quand nos différences politiques se font de plus en plus présentes. Parce que la répression nous a canalisé. Je crois qu’on oublie bien vite les manifs avant/après covid. Qu’on ne souhaite pas voir le climat répressif qui s’est installé et qui a lissé beaucoup de choses, de manifs, d’évènements et de luttes. Parce que nous avons peut-être moins de force aussi, moins de cris (à juste titre), que certain..es se sont rangé..es, rangé..es au sein même de nos communautés. Cette fatigue s’entend parfois certes...
De mon côté, je n’ai pas envie d’écouter des discours puis de marcher, d’être sur une seule voie au lieu de deux, d’avoir un "service" d’ordre qui surveille (aussi sympathique soit-il). Je n’ai pas envie de manifs ennuyeuses et silencieuses. A moins que le silence n’ait été pensé et ait une force. Mais pas un silence étouffé. Un silence qui n’y croit plus et qui s’encarte dans des partis. Des manifs syndicales où on n’y croit plus mais qu’on continue quand même, mais qu’on ne sait plus trop ce qu’on porte hormis la question des oppressions. Des manifs exténuantes. J’ai envie qu’on mange pendant la manif, qu’on visite Toulouse une partie de la nuit, que des lieux soient réquisitionnés, que des gens se sentent soutenus s’iels ont envie de coller, de taguer, de je ne sais quoi, qu’on crée des structures mobiles pour transporter des personnes, qu’il y ait des vélos, des motos, des rollers, des ballons en tout genre, un infokiosque mobile bien rempli, des livres qui circulent, des boissons en chariots, de la musique...
Que des cis nous rejoignent. Que le cortège soit plus gros. Qu’on ne soit pas dans un "entre nous" qui de toutes les façons n’est pas homogène. Qu’on discute de nos envies et projets politiques. Plus loin, au-delà de nos identités et de discussions dessus. Plus loin.
En fait, j’aimerais pouvoir passer ces émotions de deuil mais pas dans des cérémonies-cérémonial, ni des cérémonies spiritualo je ne sais quoi... je veux d’autres temps, d’autres manières de faire. Je ne veux pas des deuils mortuaires. Je veux de l’air et de la liberté et de la force. J’aimerais que le deuil amène à des "voyages" autogérés, que tout le monde puisse venir, se retrouver à plusieurs dans un chouette lieu (un gîte, un refuge, etc) et pour celleux qui veulent qu’on se baigne dans des lacs, qu’on marche, qu’on profite de ce "weekend deuil" pour continuer nos apprentissages infinis, pour se partager ce qu’on aime dans ou en dehors du militantisme, qu’on joue, qu’on mange bien. Qu’on se retrouve le soir toustes ensemble. Ensemble ou simplement dans un même endroit. Ne pas être seul..e. Qu’on ne se force pas de manière artificielle vers une joie mais qu’on laisse de la place pour ça, à côté de la tristesse. Qu’on fasse des scènes ouvertes créatives, musicales, décalées. Qu’on fasse une rave toute la nuit dans un coin paumé de montagne si on n’arrive pas à s’endormir. Qu’on se partage des livres qu’on a aimé, qu’on les lise ensemble autour d’une tasse de thé. Que le lendemain, on essaie de toustes se lever, qu’un petit déjeuner soit là, qu’on profite de la lueur de la journée, de l’air, qu’on marche et/ou qu’on se mette tout simplement dehors au soleil... et puis qu’on rentre et qu’on fasse une manif/marche dans les rues de ville/petite ville/village pour dire la mort d’untel ou unetel. Sortir toute la rage, parfois la colère, montrer qu’on n’est pas fatalement résigné..e, que la mort de telle ou telle personne parfois nous pousse à faire beaucoup de choses, à se venger, à ne pas lâcher directement ou indirectement, à se battre...
Et pour que les personnes ne meurent pas une deuxième fois dans le silence de la société. Je veux que ça puisse rater, que cela nous fasse rire mais juste qu’on aille un peu plus loin dans nos envies/projets militants et que nos mort..es et deuils soient queer, anar, punk !

Il y a quelqu’un qui est mort, une personne qui était dans ma vie. Peu importe comment il est mort. Dans ma tête c’est la faute de ce monde de merde si il est mort. Parce que trop de trucs de merde à se prendre dans la gueule, trop de souffrances, trop de contrôle sur toi, ce que tu veux, ce que tu fais, trop de silence. J’avais déjà pas beaucoup d’espoir, ça m’a plutôt confirmé tout ce que je peux voir, tout ce que je peux penser.
J’ai trop la haine. Parce que c’était une personne qui méritait tellement plus que cette pourriture de monde et ce qu’il lui a fait. C’est le cas de plein d’autres gens aussi. Et j’ai pas envie de le réduire à ça.
Mais la partie que j’arrive le plus à capter, par rapport au deuil c’est la colère que je ressens. Parce que le reste, c’est que j’arrive pas à accepter qu’il est mort. Je sais, que c’est comme ça, il est mort. Point. Mais j’veux pas. Le truc, c’est que dans cette situation j’peux vraiment rien faire contre ça. Le mot impuissance prend un sens complètement nouveau et écrasant. J’peux pas parler avec lui pour voir comment gérer ça j’peux pas changer le passé. C’est pas le seul endroit où j’me sens impuissant dans la vie, mais là ça a battu tous les records.
Il y a un peu de temps qui a passé depuis qu’il est mort. Au début, c’était clair ce qu’il fallait faire. Pleurer et être ensemble. On a eu la chance pouvoir être là à tous les moments avec les potes, la famille a été chouette. À l’hôpital, pendant sa mort, et à l’enterrement. Et ça prenait toute la place, c’était bien de le refaire exister intensément pendant quelques temps, juste un peu plus. On parlait de lui, on rigolait, on pleurait et on attendait l’enterrement. Et la vie a repris.
Mais maintenant je sais plus comment faire avec ma tristesse, c’est pas aussi intense et présent qu’au début, je sais plus comment y penser, mais je sens bien que c’est là. Qu’il est là.
J’ai cette rage bouillante qui est tout le temps là. Parce que j’accepte pas cette mort. Je suis pas d’accord. Y a une partie de moi qui se dit qu’il faut que je l’accepte, pour pouvoir dealer avec la réalité telle qu’elle est, aussi moche qu’elle est. À savoir que ce monde tue, façonne la mort et c’est pas fini. J’ai pas d’espoir que ça change. Dans les rythmes sociaux là je serai censé aller mieux, j’imagine. Puis c’était un ami, pas la famille. Alors bon.
Mais je vais mal, j’suis en dep, et j’aimerais trouver une façon de faire exister ça dans ma vie.
Ça m’a donné envie de niker le monde. C’qui pourrait me faire sentir un peu mieux, c’est que tout pète, que ce soit visuel, voir du feu et du sang. Ça serait la seule façon où y aurait un peu de sens.
Que le monde crame, que des keufs se fassent rouler dessus, que des bâtiments explosent, QUE TOUT CRAME !
Alors qu’en vrai j’ai pas la force là . Ça le ramènerait pas et je sais pas si je serais moins triste, mais j’ai envie de me venger. Mais comme je m’en sens pas la capacité, pas de vengeance. Parce que j’ai pas d’énergie, pas le courage, trop peur de la répression, des conséquences, peur de la taule.
Parce que j’ai encore une vie à moi.
Du coup j’attends et j’essaie d’intégrer le deuil dans ma vie, j’veux pas oublier cette personne. Je l’aime.
Serré.es dans les camions les voitures
Houmous récup monster 1L
Ça sent les pieds la clope le seum
On a couru c’était l’urgence
On a avalé les kilomètres
Et on a l’air con maintenant sur ce parking
Devant le funérarium
Avec toi dedans
Et nous dehors
Il fait nuit, on te verra demain
On s’inquiète que t’aies froid
Du coup on dort pas loin
On se serre contre le crépi
On te chuchote des trucs
Et on pète des bouteilles sur la façade
Puis on se couche en tas puant, les jambes pliées dans ces putains de camions trop petits sur ce putain de parking trop grand.
J’essaie de me souvenir de la forme exacte de ton nez
Le bas de ton dos tes avant-bras la texture de tes cheveux tes doigts ton regard par en dessous ton rire quand t’es pété. Tes mollets tes tatouages ton cul dans les rivières.
J’essaie de me souvenir tes mains qui roulent un joint ou qui attrapent mon visage.
J’essaie de t’imaginer en train de regarder les collines ici
Plutôt que sur un plancher là-bas
Au matin j’essaie de composer avec la vision de la croix sur ton cercueil
La gentillesse de ta famille
Et la panique du gars du funérarium face à notre hommage bordélique
Avec la joie de nos bagnoles pourries dans le cortège
L’euphorie de la techno à pleine balle
Et l’abrutissement devant ta tombe
Pour B toujours
Histoire de rituels
J’avais vu dans tes yeux ton au revoir qui se dessinait. On a réussi à en parler, imaginer des pistes d’autrement. Mais ton choix était fait. T’as saisi l’occasion de partir sans douleur, quand elle s’est présentée : des pilules chopées dans le sac d’une copine de passage.
J’ai débarqué chez toi, j’y ai trouvé les keufs. Ils t’avaient cherché du haut de leur hélico dans les champs alentours et finissaient leur journée sans succès. Ta maison sous scellés pour l’enquête, j’suis rentrée par la fenêtre. Passer une dernière nuit là, au milieu de tes affaires. Y relire mes lettres pleines d’amour, mes mots complices, et les soustraire à leurs sales pattes policières comme à la veille d’une perquisition. Au lever du jour, j’étais ressortie avant l’arrivée des uniformes.
On t’a cherchée pendant plusieurs jours, entouré..es de militaires à ratisser les alentours, criant ton nom en espérant une réponse. Avec un mélange d’espoir et de crainte de te trouver. Avec cette appréhension qu’iels te découvrent avant nous, et mettent leurs scellés sur ton corps, cette fois. Moi qui marchais avec cette idée en boucle dans ma tête : « si je te trouve morte, je ne dis rien. On se retrouvera entre ami..es pour décider de la suite, avec nos rythmes et nos manières, une fois les flics partis. »
Ma méfiance habituelle de la technologie, dans l’urgence et la détresse, s’est fait avoir par leur affirmation : « pas besoin de ratisser le champ de maïs voisin, si elle était là on l’aurait vue avec la caméra thermique ».
Ma méfiance habituelle de leurs certitudes policières s’est fait avoir par mon espoir dans leur meilleur chien renifleur de france « il perd sa trace au bord de la route, elle a dû partir en stop. On abandonne les recherches ».
Ce soir-là, je t’ai écrit un mail. Au cas où.
Le lendemain, on organisait une grosse dernière journée à te chercher, entre potes et soutiens cette fois. Trop peur de rester avec ce doute qui plane. Pas moyen que les keufs décident du point final.
Une médium foireuse nous affirme qu’elle te voit souffrir et vivre tes derniers instants, entourée de bottes de paille. L’espoir et la croyance dans sa certitude nous fait vérifier la grange voisine sans succès là encore. Colère d’avoir cru à cette nouvelle autorité, encore.
Finalement, c’est une de tes chaussettes, à l’entrée du champ de maïs qui nous a fait rediriger nos recherches. Ce champ, juste à côté de ta maison, dans lequel nous avions laissé la caméra thermique de l’hélico décider seul de ta présence ou non.
Un « elle est trouvée » est gueulé par la personne à mes côtés. Dans un mélange explosif d’émotions indescriptibles, j’écrase tous les pieds de maïs qui t’entourent. Faire une clairière pour accueillir les personnes qui arrivent, et qui laissent une à une sortir leurs émotions.
La veille au soir, on avait longuement discuté collectivement de l’éventualité qu’on te trouve. Et de quoi faire dans ce cas. Prévenir ou non la police ? Vu ta rage et la nôtre de cette machine police/justice. Vu ton rapport très compliqué à ta famille. Faire un rituel à notre manière, au plus proche de qui tu étais ? Empêcher l’État, ses keufs et ses médecins légistes de mettre leurs mains sur toi, de s’approprier ton corps ? Mais comment ne pas nous l’approprier non plus ? Comment faire circuler l’information à toutes sans que la police le sache ? Comment déterminer qui est ce « toutes » ?
A ces questions, nous avions répondu qu’on prendrait le temps de te dire au revoir, de prévenir tes proches, et finalement malgré tout la police.
Mais un voisin ne nous en a pas laissé le temps. Il a capté l’agitation et appelé les flics qui ont débarqué rapidement.
J’étais avec 2 autres personnes, à tes côtés au milieu du champ. A attendre et guider des potes prévenu..es pour qu’iels viennent te dire un dernier au revoir, en esquivant les flics qui foutaient la pression tout autour.
D’autres ami..es retenaient les keufs mais la tension montait avec la menace de nous inculper pour meurtre, et dissimulation de corps.
Finalement, iels ont fini par nous trouver, avec toi, au milieu du maïs. Et nous dégager de là de force.
Les Renseignements Généraux, bien intéressés par cette brochette d’anarchistes fiché..es, nous canardaient de photos depuis leur camionnette aux vitres teintées.
Le médecin et les flics ont embarqué ton corps qu’on n’a plus jamais revu. Ne sont restées que les menaces de suites judiciaires planantes qui n’ont jamais eu lieu.
Malgré la violence de cette situation, notre détermination aura permis à certain..es de te voir une dernière fois. Et ça valait le coup.
Aussi refuser d’accepter docilement le pouvoir étatique sur nos vies, qui s’impose jusque dans nos morts. Résister à ça, dans la continuité de nos révoltes partagées avec toi, et pendant ces années, contre ce monde. Aussi une manière de t’accompagner dans ton départ.
A la suite de ça, on s’est retrouvé..es pour marquer ensemble ce moment. Sur un terrain, au bord d’un lac, où tu aimais passer du temps et te projeter.
On a réussi à t’y faire venir, dans ton cercueil fermé, pour des rituels qui nous ressemblent.
Chanter des chansons d’Anne Sylvestre autour de toi, taguer un pochoir de chouette sur le bois qui t’entourait, y coller des stickers, dire ce qui nous importait, pleurer et se taire aussi. Être là ensemble et prendre le temps, assis..es dans l’herbe. Planter un cerisier à tes côtés, un autre ailleurs.
J’ai préféré te dire mon dernier au revoir à cet endroit que tu m’avais fait découvrir. Et te laisser partir avec d’autres au crématorium, qui ont apparemment réussi à perturber ce cadre en le remplissant de nos vies d’inadapté..es.
J’ai eu un peu peur de le regretter, mais j’ai été plonger avec un de nos ami..es proche en commun, dans le lac. Et j’ai su que c’était bien comme ça.
Puis retrouver les autres à leur retour, manger ton repas préféré tout..es ensemble, et passer la nuit à boire et chanter autour du feu. Se raconter nos souvenirs de toi. Confronter nos rapports différents à ton choix, et recevoir notamment cette colère de certain..es de tes proches envers toi.
L’institution religieuse s’est appropriée des manières de marquer ces moments, nous dépossédant et limitant nos imaginaires de rituels, pourtant existants bien avant elle. L’État fait de même. Et puisque la mort est aussi une opportunité de business, les charognards de la tristesse ne rôdent jamais bien loin.
Alors c’est une bataille, dans nos vies comme dans nos morts, pour garder un peu d’autonomie.
A nous de cultiver d’autres manières qui nous sont proches.
Tu m’avais proposé quelques mois plus tôt, de sérigraphier un dessin que tu aimais. Et nos tentatives avaient été décevantes. Alors cette fois, on en a fait un poster, glissé au milieu d’un DVD compilant les films que tu avais fait au cours de ta vie. Pour leur donner une existence plus large, et partager à d’autres un peu de tes créations pleines de qui tu étais, et faites de tes mains magiques.
Tu nous avais partagé ta passion pour les projets collectifs de films en super 8. Alors on s’est retrouvé..es, plusieurs années de suite, à quelques un..es autour de cette date pour marquer ce moment, dans cet endroit, et y faire des films ensemble. Jusqu’à ce qu’au fil des années, l’évidence de se retrouver collectivement s’estompe et qu’on poursuive nos chemins avec toi de manière plus intime.
J’ai réalisé plus tard que cette intensité collective autour de ta mort m’a faite me dissoudre dans ce « Nous » de tes proches. J’en avais besoin j’imagine. Aussi pour continuer de sentir ta présence à travers toutes ces relations qui t’entouraient, et leurs rapports à toi. Et raconter un peu de qui tu étais et de notre lien, à d’autres qui ne te connaissaient pas ou peu. Mais j’ai mis en partage dans ce moment trop de bouts de mon intimité avec toi, jusqu’à presque ne plus rien garder qu’on soit les seules à connaître. Dans les mois qui ont suivi, j’ai passé beaucoup de temps seule, dans mes pensées et avec toi, jamais loin.
On avait bataillé avec ta famille autour de l’enjeu symbolique de tes cendres. Puisque tu souhaitais qu’elles soient répandues en Algérie, dans ce même endroit où tu avais déposé des années auparavant celles de ta mère. Ta famille voulait que les tiennes soient mises dans un cimetière. Et on avait fini par acter qu’on les diviserait en 2, malgré l’interdiction légale. Mais ce projet a traîné, les liens entre tes proches se sont dissipés avec le temps. Avec la difficulté de décider qui irait faire ce voyage, comment. À ma connaissance, personne n’a encore été au bout de ce projet. Ce qui reste pour moi une cicatrice encore ouverte.
Malgré ce raté, ces rituels collectifs ont mis du positif et du sens à traverser la violence de ces moments de tristesse. Une impression d’avoir un peu de prise aussi, face à l’injustice de voir partir celles et ceux qu’on aime, quand tellement de pourri..es vivent dans ce monde et meurent bien trop rarement.
Et continuer de faire vivre nos mort..es, à travers ce qu’iels ont bouleversé en nous.

Enterrement
Des Hommmes et des Fâmmmes cis-het, blanc.he.s, friqué.e.s, de droite. La famille. C’est elle qui garde le pouvoir ; jusque dans la mort. Iels ont plus de 2 fois mon âge mais je pense pouvoir dire sans mentir que j’ai enterré plus de monde qu’elleux.
Au fond, à droite, une p’tite dizaine de taties et tontons queeros et punk.
Le silence pèse sur cette cérémonie. Pas un mot sur le tapin, pas une virgule sur la c, la came, les addictions. Pas une phrase sur l’hp, ta folie.
Tu es pourtant morte d’une od. Tu as pourtant passé plus de 10 ans de ta vie dans la puterie. Et pute, tu l’es restée jusqu’à la fin. Pute, tu l’étais déjà mineure.
Les discours sonnent creux. Mais nos gueules de fracassées en disent longs.
J’ai ressorti ma mini-jupe léopard et mes bas résille pour l’occasion. Tu avais mis ma robe à la dernière cérémonie.
Dans la voiture qui nous conduit au village de tes parents, je serre la main d’un amour avec qui tu as vécu, une ancienne pute lui aussi.
Il fait beau et très chaud. Un soleil d’été au printemps.
Je verse des pétales et de la bière sans alcool – faute de mieux- dans ta tombe. Tu voulais être incinérée ; tu finis encore en cage. La pote t’envoie des crachats.
Et, une fois la famille partie, on pisse sur ta tombe. Un hommage minimal.

(L’amertume de quitter le cimetière familial en ayant l’impression d’avoir assisté à la mise en scène de ton assassinat par une partie des bourreaux eux mêmes...Mais j’divague, sans doute...
Restent les images de tes veines, du sang qui coule partout mais plus dedans.
On voudrait me faire croire qu’il n’y a pas tout un monde responsable de ta mort.
Que tu l’as bien cherché mais je sais, j’sais, et j’oublierais pas, je raconterai !)

Memento
Quand je pense à la mort, y’a plein de choses qui se télescopent dans ma tête. Les morts passées, les morts à venir. Les morts réelles, les proches et les lointaines. Les morts subies, les morts souhaitées. Les belles morts, les morts tragiques, les morts trash, les absurdes, celles qu’on ne comprend jamais vraiment, celles qu’on nie. La vie semble être un tissu de morts. Tout apparaît dans le désordre, s’entrechoque, les souvenirs sont aussi proches que des visages endormis et aussi lointains que l’horizon vu de la côte. C’est dire.
Il y a G, ma grand-mère, la première vraie mort dont j’ai senti la peau glacée et qui m’a terrassée de chagrin quand j’étais môme. Trop proche. Mes parents ont fait croire qu’elle était encore vivante, alors qu’elle était déjà morte - juste trois jours, mais trois jours de trop pour la gamine que j’étais. Désormais tout sera pour moi un peu comme mort d’avance. C’est pas faute de me débattre et de me battre pourtant.
Il y a aussi eu très tôt les fantômes collectifs, les millions de morts des livres d’histoire dont ma mère me montrait les photos, petite, les déporté..es dans les trains presque déjà morts, les pendu..es, les charniers et les restes humains. Elle ne se « rendait pas compte » dit-elle plus tard ; j’étais terrorisée. Grâce à elle, j’ai réalisé que l’humanité était une entreprise de mort pire que la mort elle-même. C’est à cette relation précoce à la mort dans son inhumanité que je dois mon nihilisme philosophique et ma misanthropie. Je m’en tire ptet pas si mal. Pour conjurer la peur : s’engouffrer dans le goût du macabre et l’humour noir ; lutter, quand il y a un peu de répit dedans.
Il y aura, après, avant, en même temps, toutes les morts dont on n’entend pas parler, ou peu, mais on sait - des listes de noms qui semblent paradoxalement anonymes, les morts qu’on voit sur les écrans et qui finissent par nous anesthésier ou nous révolter, les tué..es, les irradié..es, les exploité..es, les noyé..es, les étouffé..es... Le capitalisme, l’hétéropatriarcat et l’impérialisme colonial qui dansent une ronde macabre. Nous sommes une espèce de morts-vivants.
(Il y a cette interrogation persistante : Et pourquoi ce ne sont pas les pires raclures de la terre qui meurent avant les autres, hein ?)
Il y a D qui avait des yeux tristes mais la parlotte joyeuse et plein de projets en apparence, et qui s’est suicidé en sautant d’un pont. Je le connaissais à peine, mais ça m’a marquée.
Il y a J, à la rue depuis des années, anar et poète, on discutait régulièrement, j’ai appris qu’il avait dû être hospitalisé quand son état de santé s’était trop dégradé, cancer fulgurant, le temps d’aller le voir une fois à l’hosto et de lui amener un mp3 avec de la zik, la 2e fois il était mort, seul, sans personne. Ça a emmêlé des trucs dans ma tête à l’époque, je me suis éclipsée, comme si j’avais été une intruse dans cette situation. Je n’ai même pas demandé à récupérer le mp3.
Il y a eu la mort de A, après un Alzheimer, c’était attendu, je n’ai pas voulu me rendre à la cérémonie collective, alors que j’avais été très proche d’elle. J’avais été. C’est difficile de dire aux gens « je ne veux pas venir », alors j’ai dit « je ne peux pas ». Ça bouscule trop, ça remonte trop de passé d’un coup... des proches à elle que je connais mal, des gens que j’ai connu mais que je ne connais plus, de la méfiance, de la vulnérabilité, pas envie de porter le masque (foutu masque social), de donner le change. J’ai préféré aller seule au cimetière, après. Besoin de solitude. De lui parler tranquille.
Il y a eu la mort de M, inattendue, injuste, qui te laisse sur le carreau au point que tu t’en rends à peine compte sur le moment. Dès qu’on me l’a annoncée, j’ai pensé qu’il s’était suicidé. Il s’était laissé dériver après la mort subite de son compagnon. L’un qui survit et ne le supporte pas. Il parlait suicide après avoir picolé un peu beaucoup, mais pour dire que ce n’était pas envisageable dans sa religion, même s’il n’était pas vraiment croyant. Il a eu l’air de remonter un peu la pente, un temps. Et puis un jour, puis un autre, il ne répondait plus. Pompiers. Scène trash dans l’appart, du sang, des éclats de verre, du bordel, ce qui nous a été dit – et lui mort dans son lit : scellé, enquête. L’imagination qui s’emballe – il était au 1er étage, la fenêtre était ouverte... Verdict : crise cardiaque – mais peut-être mauvais cocktail… on ne saura jamais. Sauf que c’était l’anniversaire de leur rencontre. Réfugié politique, sa famille apprendra sa séropositivité par le rapport d’autopsie. Classe. On a peu d’échanges, elle attend les affaires de valeur, l’urne, à l’autre bout du monde ou presque. Communication minimale autour de questions administratives et pratiques, de thunes et de prise en charge. La sale prose des obsèques, qui pourtant parfois devient vitale dans son obscène pragmatisme, le soulagement du concret qui fait office de balise dans l’hébétude. Paradoxe de la mort. On trie les affaires, on récupère des babioles, des photos, on n’est rien juridiquement, on s’accroche à des petites choses, des menus souvenirs. On a grandi avec lui, c’était comme notre grand frère, mais on n’est comme plus personne. Les rapports semblent faussés. Cérémonie de crémation en tout petit comité, Faith, de George Michael – cette chanson me fait toujours penser à lui, on la chantait ensemble. Les cendres sont parties loin, dans son pays d’origine. On avait envie d’un endroit où se recueillir, alors on a fabriqué une mini-stèle maison, à paillettes et coquillages, super kitsch, et on l’a posée sur la tombe des grands-parents. Ça a fait du bien de pouvoir s’asseoir lui parler.
Il y a aussi eu la mort souhaitée si fort, mais qui s’est dérobée comme on glisse sur un vieux savon qu’on a laissé traîner. La mort ratée qui lentement a muté d’un vide intersidéral à un chaos acceptable. Le souhait de la mort s’est estompé progressivement, mais il y a parfois comme un soulagement à y repenser, sans désespoir, juste comme une chose égale à une autre, quelque chose de léger, de doux, presque rassurant, bien que d’une infinie tristesse. La lassitude primordiale qui stagne au fond. Qui pègue.
Toutes ces morts et la Mort – cette figure sans visage qui nous hante pour nous rappeler notre finitude et l’étrangeté de nos vies, qui pointe chez nous la vanité et l’injustice, qui nous hante comme pour nous garder in-tranquilles, in-quiet..es, insatisfait..es du monde-tel-qu’il-va – pour qu’on repose en révolte, comme qui dirait. Qui nous rit au nez, d’une certaine façon. Et d’ici la dernière heure, qui fait qu’on se sent vivant..es, fort..es, libres et combattant..es autant que faire se peut. Enfin, des fois. Avec une pointe d’humour quelque part sous la chape, si c’est possible, tant qu’à faire. Si on creuse bien. Cultiver la gnak de faire la nique.
Un au revoir
T’as décidé de quitter ce monde.
J’ai choisi de rester encore un peu.
J’suis restée seule avec mes souvenirs de notre amitié, de notre complicité.
De nos conneries et nos rages partagées. De nos conflits aussi.
T’es parti mais on peut dire qu’on t’a fait un bel au revoir.
Au plus proche possible de qui t’étais.
Comme une manière de poursuivre encore un peu de ta présence.
A défaut d’avoir pu trouver des manières d’être là pour toi comme j’aurais voulu.
Et ça m’a aidé à traverser cette épreuve.
Pour te laisser partir.
J’me souviens te porter à plusieurs jusqu’à ton lit, une fois les keufs partis avec le verdict « suicide » sur leur paperasse. On passera les jours suivants dans ta chambre, à s’relayer autour de toi, dans les vapeurs d’alcool et les chants, pas si loin d’une transe collective. Pas facile de vivre ce moment ensemble, avec certain..es de tes potes que je trouvais toxiques politiquement. Mais nous étions là, le temps suspendu à la lueur des bougies, ou parfois même d’une mini voiture de flics brûlée au bord de ton lit. Malgré les consignes de garder ton corps au frais…
Avec nos sorties nocturnes pour repeindre la ville de loups, hurlants ta mort et nos rages contre ce monde, toujours bien debout, lui.
J’me souviens esquiver la cérémonie religieuse et t’attendre pour nos rituels à nous. Mais ce prêtre qui pointe quand même sa gueule dans le cimetière et balance ses conneries. « Pardonnez-lui ses pêchés ». Moi qui craque et m’éloigne, en cris et en pleurs « ses péchés, c’est ça qui le rendait vivant justement ! ».
J’me souviens recolorer ton cercueil et la bombe de peinture qui gicle tout autour, incontrôlable comme toi. Jeter au fond de ce trou une lettre et des souvenirs récoltés de nos moments communs. Avant que la terre ne te recouvre.
J’me souviens repartir de là, avec nos flambeaux fait-maison, allumés au crépuscule. Et marcher ensemble jusqu’au parc voisin pas trop aménagé, que tu kiffais tant. Pour mettre le feu à l’immense pyramide de bois qu’on avait construite l’aprèm dans une clairière. Planter des arbres et des arbustes au milieu de chemins défrichés de ronces. Faire fleurir les tags de loups, et les mots rageux et doux tout autour. Faire péter les artifices dans le ciel comme des cris au milieu de la ville. Et passer la nuit sous les étoiles, autour de ce brasier jusqu’à ce qu’il s’éteigne au petit matin.
J’me souviens la gueule des premier..es promeneur..es. Et de ces employés du cimetière, émus de nos rituels sincères et inhabituels, venus nous informer tout désolés qu’ils allaient être obligés de nettoyer nos dessins et nos écrits sur les murs du cimetière.
J’me souviens de cette enquête et ces interrogatoires sans lendemains, quand les flics avaient posé leur analyse étroite sur ce qu’iels ne pouvaient comprendre. Une « secte des loups » aurait pris l’habitude de recouvrir les murs de la ville et de se retrouver chaque année dans un parc pour y célébrer on ne sait quoi. Les pompier..es venus pour éteindre le brasier l’année suivante avaient en effet vu leur tuyau d’eau coupé pendant l’intervention.
J’avais peur que tu t’fasses chier dans ce cimetière de bourges alors, comme d’autres, j’suis venue te tenir compagnie sur des bouts de nuits. Escalader les grilles et retrouver ta tombe. Avec ses sculptures incroyables, les ptits souvenirs et les bouteilles de vodka empilées…
Après un moment à m’rapprocher de la mort, j’me suis décidée à poursuivre mon chemin.
Sur ma route, j’ai croisé d’autres de tes ami..es qui avaient fait un livre illustré et musical d’un de tes contes.
Le temps est passé, j’ai déménagé et mes venues dans cette ville se sont espacées jusqu’à s’arrêter.
J’ai gardé ces souvenirs avec moi. Notre histoire et nos adieux. Et j’tente de garder vivante un peu de cette énergie qui était la tienne, incompatible avec ce monde froid.
I owe you one, guys
These days I see your face coming back
I see your shadow disapearing in the light
I hear your name reasoning to my ears
My bones are still pulsing
My eyes still burning
I just remind how tall you are
Your hands could easily have reached the stars
Your strenght was full of peace, full of bliss, passing from the clouds to the chaos of the abyss
You wore the mark of the greatests
The ones that faith sentence to bite the dust
You used to swim with the dolphins
Now
I can’t imagine you rotten in a coffin
Is that over ? Is that true ?
Maybe they’re right it’s just a point of view
Maybe we lost you but not the trace you let
And every step I do will be stamped of death
I owe you one guy
You offered me the way back to the sky
No more lie, no more tied
Tears rainbow point the path to fly
One day you just decide to quit
One night you hang your belt and split
I dream your soul, dashing with the wolves running with the pack and yelling with the spirits
I love feeling your breath on my neck
I love feeling your presence on my back
Turn over. No one. The blast still beating in the empty space.
The door open I see nothing but I smile
My eyes are blind but I recognise the styles
You cross my mind as my time as my rhymes
and I accept the sadness it’s part of your goodness
Maybe you were not prepared to live
Your aims were ever to big to be achieved
Eternal deception endless frustration
You lonely know your own obsessions
It was no blood but fire in your veins
It was no matter but comets in your brain
I love to see you as an alien a piece of meteor that fell out with the rain
You know your storm is sealed on my cells
I hope I won’t forget what nothingness smells
The cohort of my ghosts gets bigger every year
And one day I will join the tribe of my bears
Sometimes I’m heavy for all that I carry
Sometimes I feel like a poor drop in the sea
Never lonely
Never happy
Escorted by shadows that ever follow me
No space to regret to ask or to forget
I was the emptyness looking at the sunset
You had the mystery of the choice in your hands
I would lie if I said I didn’t understand
Maybe one regret perhaps one
Every meeting we had was like a punch right on my chest
And I never succeed to tell you face to face
How much I was affected by your harshness full of grâce
Pour Alexis, rap, Bruxelles, quelque part entre 2013 et 2015
(Traduction en français)
Ces derniers jours ton visage me revient. Ton ombre disparaît, avalée par la lumière. Ton nom résonne à mes oreilles, mes os vibrent encore, mes yeux brûlent toujours. Tu étais si grand que tes mains auraient pu toucher les étoiles. Je me souviens de ta force tranquille, pleine de tendresse, qui passait des nuages au chaos des abysses.
Tu portais la marque des plus grands, celle que le destin condamne à mordre la poussière. Tu étais de ceux qui nagent avec les dauphins. Je ne t’imagine pas maintenant pourrir dans un cercueil.
Est-ce que c’est vraiment vrai ? Que tout est terminé ?
Ça n’est peut-être qu’une question de point de vue. On t’a perdu mais pas les traces que tu laisses. Et à chacun de mes pas, la mort marche avec moi.
J’aime sentir ton souffle dans mon cou. J’aime sentir ta présence dans mon dos. Je me retourne. Personne. Le vide vibre encore du souffle de l’explosion.
La porte s’ouvre, je ne vois rien mais je souris. Mes yeux sont aveugles mais c’est bien là ta chanson. Tu me traverses sans cesse, tu scandes le rythme de mon temps. Et j’accepte la tristesse, c’est aussi ce qu’il me reste de toi.
Peut-être n’étais-tu pas préparé à vivre. Tes rêves étaient trop grands, trop inaccessibles. Déception éternelle, frustration infinie. Toi seul savait tes obsessions.
Ce n’était pas du sang mais du feu dans tes veines. Pas de la matière mais des comètes dans ta tête. Un alien. Une météorite tombée avec la pluie.
Dans mes cellules j’ai ancré tes tempêtes. Je me suis juré de ne jamais oublier à quoi ressemble le néant. La cohorte de mes fantômes grandit avec le temps, et un jour ce sera mon tour de rejoindre les ours et la tribu.
Parfois je me sens lourd ce tout ce que je transporte. Minuscule goutte perdue dans l’océan. Jamais seul. Jamais heureux. Sans arrêt escorté des ombres qui m’accompagnent.
Pas le temps pour les regrets les questions ou l’oubli. J’habite le vide quand le soleil se couche. Tu avais dans tes mains le choix et ses mystères : je mentirais si je disais que je n’ai pas compris.
Peut-être un regret, seulement un.
Chacune de nos rencontres me faisait l’effet d’un uppercut dans le plexus, et je ne suis jamais parvenu à te dire combien j’étais touché par ta dureté pleine de grâce.
Je te suis redevable
Grâce à toi je regarde à nouveau vers le ciel
Plus de mensonge, ni de contrainte
Nos arcs en ciel de larmes font une piste d’envol.
Un jour tu as décidé de tout arrêter
Une nuit tu as accroché ta ceinture et tu t’es volatilisé
Je vois ton âme en rêve, courir parmi les loups et hurler avec les esprits de la lune.
Alexis s’est suicidé il y a plus de 10 ans. Je n’arrive pas à me souvenir de l’année exacte. Nous n’étions pas si proches, pourtant sa mort a posé un jalon dans ma vie. Peut-être parce que c’était le premier suicide de ma jeune vie d’adulte. Parce qu’il y avait des gens que j’aimais que sa décision a dévasté. Parce que j’étais là quand on a porté son corps déjà si lourd et raide jusque sur le lit, parce que c’est le premier corps que j’ai veillé, qu’on a veillé, toute une nuit. Parce que sa mort a rassemblé des groupes qui se faisaient une guerre politique de longue date. J’ai vu des ennemi..es enlacé..es le visage ruisselant de larmes. Alexis était comme ça : tiraillé. Les gens qui l’ont pleuré en étaient le reflet.
Surtout, son choix remettait la question au goût du jour : quelles étaient les raisons pour lesquelles moi, je m’acharnais ?
Quelques mois plus tard, c’est Chloé qui est partie. Elle aussi, je la connaissais assez peu. J’ai su qu’elle avait disparue avec des cachetons, on m’a appelé quelques heures plus tard pour me dire qu’on avait retrouvé son corps au beau milieu d’un champ. On a fait famille le temps de quelques jours, autour de son corps dans le cercueil, au milieu des arbres et à deux pas d’un lac.
Avant ça il y a eu la meilleure amie de ma mère. Une infirmière qui a su s’empoisonner pour mourir sans douleur. J’étais si petite, c’était le temps des vacances en famille et nous étions nombreu..x..ses. Je me souviens vaguement de mes parents qui partent, et qui reviennent avec l’un de ses deux fils (où était donc resté l’autre ?). Il ne pleurait pas, personne ne pleurait d’ailleurs. Je me souviens de trouver drôlement étrange que tout le monde s’acharne à ce que le monde ne s’arrête pas.
Après ça : celle qui est morte de crise cardiaque à la suite de son anorexie parce qu’elle se trouvait toujours trop grosse et une autre qui y a survécu, celui qui s’est tué en voiture en ayant pris trop de prods (un suicide, j’en étais persuadé), celui qui a fait une overdose chez ses parents, celui qui a glissé d’un toit parce qu’une vie sans danger est une vie sans saveur, celui qui est mort d’une leucémie foudroyante, celui qui s’est fait renversé sur l’autoroute en voulant se mesurer à la mort. Il a perdu, on a entendu un grand bruit, et on s’est précipité : on a retrouvé son corps disloqué à quelques mètres du grillage qui séparait notre jardin de la route. Quelques mois après, nos parents ont décidé de déménager.
Et puis, quand même, ce meurtre, mon oncle qui zigouille son collègue pour une sombre histoire de promotion et de thunes. 30 ans de prison. Et avant ça, son épouse, ma tante, qui est morte d’une tumeur au cerveau dans des souffrances atroces. Les médecins étaient convaincus qu’elle était atteinte d’une « dépression hystérique ». À quelques jours de réussir à l’interner contre son gré, ils ont finalement accepté de lui faire passer un scanner. Elle avait une tumeur de la taille d’un poing.
C’est marrant, je parle de mort et dans ma tête le lien se fait immédiatement : mort, prison, hôpital, santé mentale, patriarcat, capitalisme. Nos précaires conditions d’existence. Si fragiles trajectoires qu’un rien bouleverse.
Et puis, en filigrane depuis 10 ans, la mort de mes deux parents qui n’en finissent pas de partir. Ma mère atteinte d’un Alzheimer précoce, et ce pacte avec mon père : puisqu’elle ne trouve pas le courage de se tuer elle-même, elle lui confie à lui la responsabilité de le faire. « Quand ? » ais-je demandé tant de fois. « Quand il n’y aura plus de joie. » m’a répondu invariablement mon père. Il se tuera dans la foulée, et je n’aurai plus qu’à espérer que l’affaire ne fasse pas les gros titres en recensant un féminicide de plus.
Et dès le début, dès mes premiers écrits, il y a cet enfant - moi - qui danse avec cette idée. La solution, la perspective d’un soulagement. Je couvre les pages de mon journal intime en me rassurant : si ça devient trop difficile, je ne suis pas obligé de poursuivre. Je passe le cutter sur mes veines mais je n’appuie jamais assez fort, j’ai peur de la douleur, j’ai peur de tout ce sang qu’il y a à l’intérieur, j’ai peur que tout s’arrête si vite alors que j’aurai peut-être, finalement, trouvé du sens à tout ça. La mort, volontaire ou non, rythmait mes pas, cousait sur ma peau les noms des disparu·es, je m’en suis fait un manteau pour braver l’existence. Avec l’alcool, avec les drogues, avec l’adrénaline, avec la douleur, j’ai cherché sans arrêt de quoi garder le brasier allumé.
Et puis un jour, j’ai 14 ans, et j’ai failli réussir. Ma mère m’avait contrarié, ma réaction est démesurée. J’avale deux boites d’antidouleurs, et je compte sur le fait d’aller m’éteindre rageusement dans ma chambre. La douleur est trop grande : je n’oublierai jamais la panique sur le visage de mes parents quand je descends leur dire que je suis en train de mourir. Dans les brumes cauchemardesques de ma mémoire, je vomis des flaques de goudron sur un lit d’hôpital. Ma mère est restée toute la nuit à mes côtés, jusqu’à ce que le lavage d’estomac au charbon soit totalement terminé.
Après Chloé, j’ai décidé que le suicide n’était plus une option pour moi. D’ailleurs, c’est (aussi) pour ça que j’ai fait un enfant. Il n’y a jamais de bonne raison d’en faire, la mienne ne l’était pas non plus : il me fallait quelque chose de plus grand que moi, de plus important que moi, la vie de quelqu’un..e qui me rattacherait à la mienne. C’est étrange de savoir que sans la mort d’Alexis et de Chloé, je ne serai peut-être jamais devenu parent.
I owe you one guys. All of you.
À Nils, la plus belle connerie que j’ai fait dans ma vie.
Ressources textes, livres zines, films autour de la mort
- La cendre de tes morts, de Albertine Delanpe, aux Éditions de la Dernière Lettre, 2023. Récit d’une employée de crématorium avant puis pendant le covid. Contient plein d’infos.
- Rebellious mourning, the collective work of grief, édité par Cindy Milstein aux Éditions AK Press. Compilation de textes en anglais sur les deuils et la portée collective de ces moments.
- Essai sur l’histoire de la mort en occident de Philippe Aries. Un texte d’un anthropologue sur les rites et traditions au travers des époques.
- Perdre ma vie est un risque plus grand que celui de mouri r de N’Dréa. Brochure qui compile les lettres d’une membre des Os Cangaceiros, qui décide d’arrêter la chimio et de choisir le moment de sa mort.
- Aigu, agressif, foudroyant . Une personne raconte la fin de vie de son père et tous les questionnements que ça soulève
- Feu Follet, Jef Klak numéro 8. Revue entièrement consacrée à la mort.
- Je suis la mort, album "jeunesse", de Marine Schneider et Elisabeth Helland Larsen, Versant sud, 2019
- Les éphémères, de Andrew O’Hagan. Roman qui parle d’amitié, d’accompagnement à la mort, de punk dans les années 80...
- Le bal des absent..es, film des Scotcheuses sur la mort, 20 min, super 8, 2013
- La mort à côté, de Yanis Papadaniel, Anacharsis, 2013. Livre d’anthropologie sur les accompagnant..es à la mort en Suisse.
- La collection de petits livres Dilacerati Corporis chez Fage.
- Six feet under - la série, tous les épisodes ne sont pas intéressants, mais certains abordent des thématiques de façon subtile.
- Moments extraordinaires sous faux applaudissements, de Gipi. BD qui parle de différentes relations psychologiques à la mort, et notamment la dissociation avec le masque social et le rapport au temps... Très bien, mais pas feel good du tout.* Lena la très seule, de Maïté Grandjouan, chez Magnani. Livre sur un deuil qui convoque la solitude et l’angoisse.
- Tout le monde aime Jeanne, film de Céline Devaux, sur le deuil de la mère - et la dépression, plutôt sur un mode feelgood.
- Les fossoyeurs, de Victor Castanet. A propos de maltraitance en Ephad.
- Toute la beauté et le sang versé, de Laura Poitras, 2022. Documentaire autour de la vie de Nan Goldin.
- Fin de vie, des vivants jusqu’à la mort, par Emilie Chaudet, série LSD sur France Culture.
- Guerre, de Marion Jdanoff, éditions Superloto et Grante ègle. Roman graphique, recueil de dessins envoyés pour conjurer la maladie d’une amie hospitalisée.
- Le 7e sceau, de Bergman. Film classique en noir et blanc, plein de réflexions existentielles sur la mort.
- Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, film de 2023, pour un peu d’humour sur le rapport à la mort.
- Harold et Maude, Al Ashby, 1971, film autour du suicide et de la fin de vie.
- Un collectif qui propose des cafés mortels et une semaine de rencontres par an sur la mort
* Zine A nos mort.es - Dans la peau d’un cadavre – Richard Monvoisin, France Culture. Suite d’émissions courtes autour de la préparation à notre propre mort. Le dernier épisode est nul (selon moi) mais les autres sont chouettes et synthétisent pas mal d’infos.
- The Worst, série de 3 zines en anglais sur les deuils. Dispo sur internet.
- Un enterrement comme je veux, le guide des obsèques civiles, de Sarah Dumont, éditions Eyrolles.
« La vie ne peut être qu’une espèce de chose à laquelle s’agripper. Il existe une idée qui effleure chacun..e, au moins une fois. Nous avons une possibilité qui nous rend plus libre que les dieux : celle de nous en aller. C’est une idée à savourer jusqu’au bout. Rien ni personne ne nous contraint à vivre. Pas même la mort. Ainsi, notre vie est une tabula rasa, une tablette qui n’a pas encore été écrite et contient donc tous les mots possibles. On ne peut vivre en esclaves avec une telle liberté. L’esclavage est fait pour celle..ux qui sont condamné..es à vivre, celle..ux qui sont contraint..es à l’éternité, pas pour nous. Pour nous existe l’inconnu.
L’inconnu des ambiances dans lesquelles se perdre, des pensées jamais développées, de garanties qui sautent en l’air, d’inconnus parfaits auxquels offrir la vie. L’inconnu d’un monde auquel pouvoir finalement donner les excès de l’amour de soi. Le risque aussi. Le risque de la brutalité et de la peur. Le risque de voir finalement en face le mal de vivre. Tout cela touche celle..ux qui veulent en finir avec le métier d’exister.
Nos contemporains semblent vivre par métier. Iels se démènent haletant..es entre mille obligations, y compris la plus triste – celle de s’amuser. Iels masquent l’incapacité de déterminer leur propre vie par des activités détaillées et frénétiques, par une rapidité qui administre des comportements toujours plus passifs. Iels ne connaissent pas la légèreté du négatif.
Nous pouvons ne pas vivre, voilà la plus belle des raisons pour s’ouvrir avec fierté à la vie. »
[Extrait de A couteaux tirés avec l’existant, ses défenseurs et ses faux critiques]
C’est assez tard que j’ai vécu le premier deuil d’une personne de mon entourage, j’avais 22 ans. Ça m’avait marqué, pas tant parce que je tenais beaucoup à la personne ni que je ressentais une grande tristesse, mais plutôt l’inverse. Je ne ressentais rien. Mes potes, mes ami..es, plus proches (ou pas) de la pote en question étaient dévasté..es. Je naviguais dans cette absence d’émotions avec une aisance assez déconcertante, tout en étant quand même étonnée de moi-même, me sentant coupable, un peu, de ressentir si peu.
Il y a eu, bien avant, une personne de mon collège qui s’est suicidée, mais je ne la connaissais pas, ça n’avait donc pas provoqué de « moment de deuil » pour moi. Et ça ne m’avait pas tant marqué que ça, il me semble. La mort existait déjà fort dans ma tête.
La mort comme liberté, comme possibilité de s’extraire à ce monde horrible rempli de souffrance.
C’est lui mon premier deuil. Le deuil de l’enfance. Le deuil de la magie et de la beauté qui fait mal aux yeux et au cœur tellement c’est beau. Ce moment où, autour de l’âge de 12 ans, j’ai eu envie, réellement, de mourir. De quitter ce monde terrible, voyant bien que je n’aurais jamais assez de force pour le changer, le détruire, l’anéantir. Voyant comment les adultes sont des êtres horribles, pleins de malhonnêteté, de volonté de dominer, d’actes qui détruisent tout autour d’elleux.
Et puis, je ne l’ai jamais fait. Constatant que le monde est rempli de souffrance, je ne voulais pas, je ne veux pas, être cause de souffrance pour mes proches. Alors, je continue de vivre. Je rassemble ma rage et ma colère, je les chéris, je les bichonne, et elles m’aident à tenir bon. Quitte à être encore là, autant mettre quelques brèches, participer un peu à ce que ça change.
Ce n’est pas tant la mort en tant que telle que je trouve difficile à aborder, mais plutôt les deuils. Accepter le manque. Accepter que tout ce qu’on aurait voulu dire, faire, découvrir, apprendre, de l’autre, avec l’autre, ne puisse plus jamais se faire. Jamais. Le deuil de l’irréalisé. Les regrets, finalement. J’avoue j’ai du mal à accepter. De base.
Souvent, je n’ai que peu ressenti de tristesse quand des gens que je connaissais sont mortes. Y en a eu de nombreuses, des morts, avec notamment cet été de fin du monde où en l’espace de 2 mois seulement, 5 personnes que je connaissaient sont décédées, 2 amis parti à l’hp suite à des actes intenses pendant des bouffées délirantes, la chatte de la mif, mon amie, qui m’accompagnait depuis mes 13 ans, qu’on emmène à l’euthanasie parce que trop vieille et mon daron qui se fait diagnostiquer un cancer stade 4. C’était 2019.Six mois plus tard on faisait collectivement le deuil de la pseudo liberté que cette société merdique nous concède. Et on se rendait compte à quel point ça pourrait aller loin, la gestion de nos vies par l’état. Deuil de nos capacités de révoltes.
Faire son deuil, comme on fait la vaisselle, son lit, ou à manger. Comme une chose à faire. Comme une obligation. Est-ce que faire son deuil c’est respecter la norme de l’oubli, du souvenir nostalgique, enchanté, dépourvu de critique, la norme des émotions un peu fortes au début, mais au bout d’un moment, quand même ça doit être contrôlé.
5 ans ont passés depuis le décès de mon daron et j’ai parfois l’impression de ne pas avoir vraiment réalisé. Les embrouilles dans la mif, elles sont bien là. Fractures ouvertes irréparables. Tant mieux, tant pis. Les deuils ont cette chouette capacité de révéler les désaccords, sans fards.
Et puis ce foutu temps. Ce deuil de ce futur qui ne se réalisera jamais. Le deuil de nos espoirs. Le deuil de ces jours passés qui ne pourront plus jamais se produire à nouveau. Est-ce que faire son deuil c’est accepter ? Accepter toutes ces choses qui ne seront plus. Transformer un présent perpétuel, qui pouvait se reproduire, en un passé, fini, terminé, qui ne retentit plus qu’à travers les marques qu’il a laissé en nous, mais n’existe plus en tant que tel, plus en tant qu’entité ramenable au présent. Passé et deuil comme synonymes.
Ses ami..es, ses proches, sa santé, ses choses aimées, sa jeunesse, ses moments prefs, ses projets foufous, des coins de son quartier favori... Faire son deuil c’est tourner la page, laisser dans le passé.
remarques, avis, propositions, tu peux
écrire à zines(at)disroot.org.
Cette brochure est une première tentative,
y en a eu avant elle, et j’espère que d’autres
brochures et zines fleuriront, ailleurs,
autour, sur le sujet, d’une autre manière
ou pas, comme les mauvaises herbes
poussent dans les cimetières :)
Brochure terminée en avril 2025.
Elle fait partie d’une série de brochures sur la mort et le deuil, comprenant Danse macabre et le Guide mortel, deux brochures facilement trouvables sur internet, notamment les sites Mutu et infokiosques ).
complements article
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