Ces gens ne sont pas comme nous ! Un peuple de sauvages ! Ils l’ont bien cherché ! Ils ne comprennent que la violence ! Peu importe l’âge, leurs enfants ne sont que des assassins en puissance ! De la graine de terroriste ! Si on les ensevelit vivants sous un tapis de bombes, c’est leur faute ! C’est les lois de la guerre ! On n’a pas le choix, c’est une guerre de civilisation !
Depuis le 7 octobre, combien de fois, en tentant d’allumer une radio ou une télé, aurons-nous entendu ce genre de monstruosités qui, pour justifier le bain de sang qui dure sous nos yeux, visent à déshumaniser une partie de l’humanité, à l’instar de toute propagande génocidaire. Le droit de se défendre serait le droit d’exterminer des civils par dizaines de milliers, d’en affamer des millions, de raser systématiquement leurs maisons, leurs hôpitaux. Parce que ces civils n’en seraient pas vraiment, parce que soupçonnés d’être des terroristes par nature, quel que soit leur âge, quelle que soit leur condition, parce que désignés peuple arriéré. Une responsabilité collective les lierait. Elle autoriserait toute forme de punition collective, fût-elle la peine de mort elle aussi collective. Il serait admissible de tuer des enfants dès lors qu’ils seraient nés dans le mauvais peuple, parce qu’ils seraient par essence coupables. Parce que ce ne serait pas vraiment des humains, donc pas vraiment des enfants. Parce qu’ils seraient des « animaux », des boucs émissaires qui peuvent être immolés sur l’autel de la raison d’État ! Il faut bien que quelqu’un paie ! Du moins il y aurait des peuples et certains seraient des élus, une terre leur serait promise par un dieu. D’autres seraient maudits et ingrats. Si peu reconnaissants des quelques miettes qu’on daigne leur laisser de cette même terre dont ils sont chassés, qu’ils mériteraient d’être bombardés sans vergogne. Il existerait des peuples et certains seraient forcément victimes, d’autres forcément fautifs, au minimum comptables des fautes de ceux qui les gouvernent. Ils auraient des droits différenciés et même un niveau d’humanité différencié.
De fait il existe un problème d’humanité ! Ou plutôt de bestialité ! Une idéologie pourrissant la tête de ceux et celles qui finissent par penser que le carnage programmé d’une partie de l’humanité pourrait se justifier. Miroir de ce monde d’États de droit, policés, moralisateurs, qui, avec leurs médias, leurs élus, sont capables de chercher à légitimer une tuerie de masse de dizaines de milliers de civils annoncée, documentée et même revendiquée. Une boucherie en direct fondée sur une division de l’humanité entre peuples, lesquels pourraient être punis selon qu’ils seraient catégorisés bons ou mauvais, tenus ou non pour responsables des exactions de leurs dirigeants.
Et puis pourquoi un gouvernement d’extrême droite radicale limiterait-il l’extermination de civils quand les USA, le plus puissant des États dits de droit lui garantissent un soutien inconditionnel ? Inconditionnel au point où, dès que nécessaire, ils le réapprovisionnent en obus et font usage de leur droit de veto pour bloquer toute pauvre résolution susceptible de limiter un peu le bain de sang ! Pourquoi un pouvoir notoirement raciste refrénerait-il ses opérations de nettoyage ethnique quand tant d’États de droit le cautionnent, critiquant du bout des lèvres ou préférant détourner le regard.
Pourquoi Netanyahou se gênerait-il et ne viserait pas systématiquement les hôpitaux dès lors que la double pensée édictée par la propagande médiatique permet de présenter ces boucheries autrement que comme du terrorisme ? Car pour l’idéologie séparant l’humanité en catégories artificielles concurrentes, ce n’est pas la planification de massacres ciblant des civils plutôt que leurs autorités qui détermine si un acte relève du terrorisme, mais les identités attribuées aux victimes et aux tueurs. Les assassinats de masse commis par un pouvoir peuvent être assimilés par ses soutiens au « droit de la guerre », à des « dégâts collatéraux », voire tout au plus à une « réaction disproportionnée », à l’extrême limite à une « bavure », jamais à du « terrorisme ». En revanche le terme sera souvent associé aux victimes civiles afin de justifier le carnage.
L’éloignement, physique, national, culturel ou politique, devient une faute. La proximité, une vertu. La stratégie de saucissonnage du prolétariat permettant aux États d’occulter les véritables antagonismes liés à l’exploitation sociale a beau être aussi vieille qu’eux, elle reste de mise. L’hypocrisie n’est pas nouvelle, les États dits de droit pratiquant le terrorisme de longue date et à grande échelle ! Preuve, s’il en fallait : Hiroshima et Nagasaki, où, pour affirmer leur toute-puissance atomique, les USA n’hésitèrent pas à sacrifier sous le feu nucléaire plus de 200 000 civils dont le seul tort était d’être nés japonais et qui furent pour cela condamnés à payer de leur vie les exactions de leurs dirigeants. Il est vrai que la vie des populations, quelles qu’elles soient, n’a jamais été une préoccupation majeure des États, quels qu’ils soient. Pas seulement les régimes ultra-autoritaires mais donc également les démocraties de marché, qui, derrière le spectacle de leur universalisme de façade, tordent la réalité pour afficher une indignation unidirectionnelle trahissant des intérêts politiques et économiques.
Le cynisme flagrant de ces États explique en partie pourquoi la question de la Palestine mobilise beaucoup plus que celles divers massacres éloignés comme ceux du Darfour, où les victimes civiles se comptent pourtant en centaines de milliers. Leur hypocrisie n’a rien d’étonnant, mais elle décuple la colère et laisse entrevoir des failles que ne connaissent pas les États ouvertement autoritaires.
Là où on peut être surpris, en revanche, c’est dans les réunions pour Gaza ou sur les réseaux sociaux militants. On constate des réactions laissant entrevoir un parallèle avec ce « double-standardisme » identitaire. On remarque par moments une tendance à tordre les faits dans tous les sens pour éviter de condamner explicitement d’autres massacres de civils, ceux organisés par la direction militaire du Hamas durant lesquels des centaines de personnes ont été abattues uniquement parce que considérées comme juives. Les enfants israéliens ne pouvant en aucune façon être tenus pour responsables, de près ou de loin, des multiples exactions du gouvernement de Netanyahou, le fait même de les cibler que ce soit pour les kidnapper ou les assassiner, constitue la preuve que cet acte visait des humains non pas en raison d’une éventuelle complicité directe avec la politique israélienne d’apartheid mais à cause de l’attribution d’une supposée race.
Là aussi, en fonction d’une ethnie assignée, des enfants et autres civils ont été tués délibérément par une structure étatique dont les calculs politiciens n’ont que faire de la vie des gens, qu’ils soient étrangers ou sous son contrôle. Là encore on nous fait parfois le coup du « ils l’ont bien cherché » avec en prime un amalgame cynique entre dirigés et dirigeants.
On observe dans certaines réflexions de militants « de gôche » comme une indifférence essentialiste, comme une distorsion de l’indignation. A croire que pour eux l’assassinat de masse et la prise en otages de simples individus sur la base d’une différenciation ethniciste pourrait, selon les cas, être interprétés autrement que comme un acte de barbarie fasciste. A se demander si beaucoup de ces « de gôche » ne seraient pas en fait de droite ? C’est à se demander si l’idéologie libérale divisant l’humanité en identités concurrentes n’aurait pas développé une version « de gôche », avec simplement une hiérarchisation différente... une autre déshumanisation raciste... Un autre « il faut bien que quelqu’un paie »...
A se demander si une tendance à penser en termes de « responsabilité collective » puis de « punition collective » à l’instar de l’extrême droite ne gagnerait pas les esprits ?
Pourtant un minimum de cohérence révolutionnaire impose d’afficher une dénonciation énergique du racisme sous toutes ses formes, sans la moindre ambiguïté et sans la moindre exception. Pas seulement parce qu’on ne peut espérer subvertir le monde sans combattre l’idée de races humaines, mais aussi parce que toute manœuvre confusionniste sur la question fait le jeu de la propagande nationaliste, notamment de sa version israélienne, qui n’attend que ça pour amalgamer antisionisme et antisémitisme.
On entrevoit, toujours dans ces réunions, une tendance à considérer que, face à l’ampleur du massacre en cours, celui du 7 octobre ne serait qu’un détail, un « détail de l’histoire »... Certes la multiplication des atrocités planifiées par Tsahal entre dans une logique génocidaire, certes « les rapports sociaux de la région sont le produit de la situation coloniale », mais ça ne légitime pas tout et n’importe quoi, un massacre de civils reste une abomination portant la marque des idéologies fascisantes.
Et un nombre de morts inférieur ne saurait le rendre plus tolérable ! Si on commence à graduer les tueries de populations, ce sera quoi la prochaine étape ? Leur hiérarchisation ? à l’instar de ce que nous impose le spectacle médiatique, qui en fonction de critères forcément absurdes les traite différemment pour en légitimer certaines. Entrer dans le jeu de la compétition entre victimes comme nous le suggère ce cirque pervers ne ferait pourtant que le valider, assurant une victoire idéologique aux tenants d’une division ethnonationaliste de l’humanité.
Il est même arrivé dans certaines discussions militantes qu’on entende avec effarement des discours minorant la question du viol ! Elle semblerait tout d’un coup taboue, pour ne pas dire secondaire. L’agression sexuelle serait-elle devenue une arme de guerre acceptable selon l’origine des violeurs et celles des victimes ? L’auraient-elles bien cherché ? Certains viols pourraient-ils se justifier parce que « les rapports sociaux de la région sont le produit de la situation coloniale » ?
On dénote parfois dans certains propos militants une tendance à s’offusquer qu’on utilise le terme « terrorisme » pour qualifier l’assassinat et la prise en otages de civils, dont de nombreux enfants ! Ces derniers pourraient-ils être considérés comme responsables de la politique génocidaire du gouvernement israélien d’extrême droite radicale ? Y aurait-il des cas où cibler des civils plutôt que leurs dirigeants pour susciter la terreur dans une population pourrait être défini autrement que comme du terrorisme ? En fonction de quels critères... la « race »... le « peuple » ? On voit jusqu’où peut mener l’essentialisme ! Qu’Israël pratique un terrorisme d’État systématisé et à niveau bien supérieur n’y change rien ! A quoi ça rime de reproduire la merde des ultra sionistes, dont le racisme revendiqué se double depuis au moins Deir Yassin d’un terrorisme assumé ayant pour finalité d’imposer une guerre ethnique ne laissant aucune possibilité de coexistence ? Les imiter ou cautionner ceux qui les singent, ce serait se laisser entraîner dans leur stratégie de purification ethnique fondée sur la barbarie, ce serait leur accorder la certitude de l’emporter ?
En fait on ressent parfois dans certaines réunions ou des textes militants une pression moralisatrice visant à interdire toute critique contre la direction du Hamas, au prétexte que ce serait une forme de « trahison » ! Parce que le Hamas serait la résistance... Parce que ceux qui se disent « légitimes pour représenter le peuple palestinien » exigent un « soutien inconditionnel »... Mais à qui ? A un groupe réactionnaire, nationaliste, patriarcal et homophobe, qui réprime les volontés de liberté de la population qu’il contrôle...
Pourtant depuis longtemps a été faite la critique du « soutien inconditionnel », synonyme de chèque en blanc à des formations politiciennes se posant en représentants d’un groupe humain qu’elles prétendent diriger. L’exact opposé de la solidarité de classe, fondée, elle, sur l’idée que, combattant un même système, les luttes sociales se renforcent mutuellement en convergeant dans l’autonomie, à travers le partage sur un pied d’égalité d’analyses et d’expériences.
Dénoncer l’oppression que subissent des personnes est une chose, une chose indispensable. Reprendre aveuglément à son compte les discours, parfois nauséabonds, de ceux qui se veulent leurs chefs en est une autre... qui en plus contribue à entériner cette confiscation de la parole. Si, contrairement à la solidarité, la logique de soutien oblige à valider des opinions que nous ne partageons pas, le contorsionnisme auquel elle nous condamne s’avère d’autant plus intenable qu’il serait « inconditionnel » !
Pourrait-on appuyer le mouvement Femmes, Vie, Liberté qui lutte en Iran contre un pouvoir ultra-réactionnaire sans nous-mêmes mettre en cause celui-ci ? Pourtant s’interdire de critiquer la direction du Hamas, ce serait aussi s’interdire de combattre son parrain iranien !
Ne pas s’autoriser à condamner les pratiques du Hamas reviendrait également à ne pas se permettre de dénoncer le Qatar, qui lui fournit, avec la bénédiction d’Israël, les moyens de son clientélisme via le versement annuel de centaines de millions de dollars. Le Qatar, qui, est-il besoin de le rappeler, est responsable de la mise au travail forcé de dizaines de milliers de travailleurs immigrés, dont près de 6000 seraient morts sur les chantiers de la Coupe du monde de foot 2022. Faudrait-il également détourner le regard quand cette monarchie absolue criminalise l’homosexualité ?
Mêmes délires homophobes chez les alliés idéologiques du Hamas que sont l’AKP en Turquie et les Frères musulmans en Egypte, par ailleurs responsables l’un comme l’autre de répressions sanglantes contre toute forme de contestation. Comment pourrait-on dénoncer ce que subissent les populations du Kurdistan tout en épargnant Erdogan, responsable de tant d’exactions à leur égard ?
Les communicants néofascistes Dieudonné et Soral nous foutent la gerbe depuis trop longtemps, mais on ménagerait le Hamas et l’Iran avec lesquels ils ont toujours entretenu des liens étroits.
Et puis affirmer que le Hamas serait la résistance à Israël, c’est valider l’idée que le Hezbollah le serait également puisqu’il affronte lui aussi l’État sioniste. Avec cette logique il faudrait se taire quand Hassan Nasrallah, son secrétaire général, appelle, à tuer les membres de la communauté LGBT+ libanaise, comme il l’a fait en juillet 2023 ! Il faudrait oublier que dès 2012 cet autre allié du régime sanguinaire iranien s’est engagé militairement auprès de l’État syrien pour écraser la révolte populaire dans un déluge de violence inouï !
Un des arguments invoqués pour récuser tout reproche contre la direction du Hamas est qu’une majorité de Palestiniens soutiendraient cette filiale des Frères musulmans. C’est en tout cas ce qu’affirment les leaders sionistes aussi bien que ceux du Hamas lui-même, les uns comme les autres y trouvant un intérêt évident. Mais s’il était si apprécié par la population qu’il dirige pourquoi le Hamas aurait-il systématiquement besoin de réprimer durement toute contestation sociale comme il l’a fait en mars 2019 contre « La révolte des affamés » ? Pourquoi observe-t-on chez tant de gens qu’il entend contrôler une tendance au dégagisme ?
D’ailleurs, la question n’est pas tant de savoir comment vérifier cette prétendue « popularité » que de s’interroger sur l’interprétation que l’on pourrait en tirer de toute façon. Non seulement la cote d’opinion favorable de politiciens n’a jamais été une garantie révolutionnaire - au contraire -, mais la réalité politique en Palestine est depuis des décennies marquée par de continuelles interventions du pouvoir israélien pour briser tout esprit de résistance. Et la stratégie sioniste, qui a d’abord favorisé l’émergence du Hamas pour concurrencer l’OLP, avant de réussir à corrompre l’Autorité palestinienne, agit pour ne laisser que des options pourries aux Palestiniens, coincés entre deux pouvoirs aussi clientélistes que réactionnaires. Deux boutiques concurrentes mais avec un point commun, un acharnement à fliquer la population et à restreindre toute tentative d’auto-organisation à la base.
Que, face à ce choix impossible, une partie de la population, dépouillée de tout, préfère encore le groupe le mieux organisé, le moins collaborationniste ou assurant le meilleur service clientéliste peut être compréhensible. Mais ce n’est pas une raison pour qu’une critique révolutionnaire s’interdise de dénoncer les directions politique ou militaire d’un parti aussi réactionnaire que religieux. Ce n’est pas une raison pour cautionner par un silence gêné leurs saloperies, risquant par là-même de tomber à pieds joints dans le piège tendu par le régime sioniste. Ce n’est pas une raison pour assimiler l’ensemble des Palestiniens à leurs dirigeants, à l’instar de ce gouvernement d’extrême droite radicale, qui espère ainsi justifier le bain de sang perpétré par Tsahal.
Être solidaire, c’est aussi profiter ici de sa liberté de parole pour émettre des critiques qui sont immédiatement réprimées quand elles sont prononcées sur place par des personnes révoltées. Et comme il n’est pas question de prétendre s’exprimer en leur nom, il faut bien dire ce qui à notre sens ne va pas. S’il n’est pas question de jouer les moralisateurs envers une population qui subit une violence épouvantable, on ne va pas se gêner avec tous les pouvoirs qui veulent la manipuler, au premier rang desquels tous les États qui tentent d’avancer leurs pions dans la région. Et ils sont nombreux, d’Israël à l’Iran en passant par les pays occidentaux, les monarchies du Golfe, la Turquie...
Mais pourquoi ces tendances à tordre les faits ? Pourquoi nombre de « révolutionnaires » choisissent de s’enfermer dans la négation du caractère éminemment réactionnaire du Hamas ? En seraient-ils des soutiens ? par choix ? ou par lâcheté ?
Ou serait-ce lié au mythe prétendant que l’union à tout prix fait forcément la force ? Synonyme d’alignement derrière le parti dominant, quitte à nier ses pratiques fascisantes et à lui servir de tremplin... Serait-ce dû à un aveuglement volontaire ? L’horreur de la situation à Gaza amènerait-elle à préférer le simplisme d’une dérive campiste refusant de voir une moitié de la réalité ? L’aphorisme aussi ridicule que binaire « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » aurait-il encore frappé ?
Après avoir conclu en 1939 un pacte de non-agression avec Hitler, Staline a finalement contribué à la défaite nazie, cela ferait-il de lui un camarade ? un dictateur contre qui il n’aurait jamais fallu émettre le moindre reproche ?... A une époque, c’est ce qu’affirmaient certains milieux soi-disant « révolutionnaires », qui n’hésitaient pas à taxer d’acte de trahison fomenté par la réaction toute critique subversive contre la Nomenklatura prétendument « communiste ».
Ou alors ce déni double-standardiste serait-il dû pour certains au fait de considérer qu’au fond on ne peut pas exiger la même chose des humains en fonction de l’étiquette ethnique qui leur est assignée ? Mais penser qu’on ne peut en attendre autant de certaines personnes ne dénote-t-il pas un profond mépris paternaliste envers celles-ci ? Une condescendance traduisant un racisme non pas anti-juifs mais anti-arabes !
Ou alors existerait-il une peur de dire une partie de la réalité parce que cela pourrait desservir la cause palestinienne ? Sauf que ce serait là un bien mauvais calcul, l’ambiguïté faisant fuir nombre de révolutionnaires et pas seulement ! Il serait quand même utile de se demander si cette absence de volonté d’appeler un chat un chat n’est pas contre-productive et si on n’aurait pas été bien plus nombreux dans les manifs pour Gaza si la condamnation du Hamas avait été plus claire et plus franche.
C’est bien de dénoncer le « deux poids, deux mesures » hypocrite des États de droit qui s’offusquent différemment en fonction de l’identité de victimes civiles, c’est encore mieux si on ne saborde pas cette critique en reproduisant sous une autre forme leur logique de « double standard » ethniciste.
Surtout, on n’a pas besoin de ménager le Hamas pour dénoncer le sionisme, au même titre que tous les nationalismes. Quoi que fasse la direction du Hamas, rien ne justifiera jamais que les civils sous sa coupe se fassent massacrer pour l’exemple. On n’a pas besoin de taire quoi que ce soit pour faire le parallèle entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid, tous deux se comportant, sur des bases racistes, comme une démocratie représentative avec les uns et comme une dictature avec les autres.
Rien n’empêchera de constater que l’État israélien est raciste par essence puisqu’en fonction de l’identité ethnique qu’il attribue aux humains il invite certains à s’installer sur le territoire qu’il contrôle et en expulse d’autres dont les familles y sont présentes depuis des siècles. Rien n’empêchera de rappeler que pour permettre aux partisans du sionisme d’être majoritaires cet État a été originellement fondé sur la planification d’une campagne de nettoyage ethnique basée sur la terreur. Terrorisme d’État depuis systématisé pour invisibiliser et réduire au silence ces humains qu’il juge à jamais indésirables.
Et quand il ne chasse pas, ne torture pas ou ne tue pas ces derniers, il les parque à ses portes dans des mégaprisons à ciel ouvert dont il a en partie confié la gestion domestique à l’Autorité palestinienne et au Hamas. Gardant ainsi à portée de main des travailleurs taillables et corvéables à merci, sans avoir à subvenir aux besoins de ce vivier de serfs de réserve, qui survit en grande partie sous perfusion étrangère. Doublement captive car piégée par un chômage systémique lié au blocus et aux multiples destructions des infrastructures organisées par Tsahal, cette main-d’oeuvre est d’autant plus exploitable que la frontière avec Israël est l’endroit au monde où une séparation physique entre deux territoires limitrophes affiche le plus grand différentiel de PIB par habitant : en moyenne en 2022 un humain de Gaza vivait avec 28 fois moins qu’un humain d’Israël !
Cela n’empêche pas qu’y soient aussi surexploités des sans-papiers venus du monde entier, notamment de Thaïlande, les capitalistes, quels qu’ils soient, utilisant les mêmes techniques de division et de mise en concurrence du prolétariat pour lui imposer toujours plus de pression et accroître leurs profits.
D’ailleurs, en matière de division du prolétariat, le Hamas ne fait pas mieux. N’a-t-il pas tué et pris en otages des sans-papiers thaïlandais ? Mais aussi des Bédouins, notamment des employés agricoles, qui s’ils ont la nationalité israélienne n’en sont pas moins quotidiennement opprimés par l’État hébreu. Mais quelle idée a bien pu motiver, chez les dirigeants du Hamas, l’organisation de l’assassinat comme du kidnapping de précaires thaïlandais et bédouins, eux aussi victimes du régime sioniste ? S’il faut certainement chercher du côté du nationalisme, on peut aussi s’interroger sur son corollaire direct, la xénophobie !
Pour le moins on constatera, une fois de plus, que catégoriser et séparer l’humanité en différentes nations, en différents peuples amène mécaniquement à diviser les exploités et menace leur capacité à s’unir pour résister au capitalisme. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que le 7 octobre n’a rien à voir avec la lutte des classes ni même avec une quelconque forme de résistance sociale.
En fait, il faut certainement revenir sur la notion de résistance comme sur sa mise en scène destinée à légitimer une structure étatique ultraréactionnaire. Qui résiste vraiment à l’heure actuelle ? La direction politique du Hamas planquée à Doha ? Sa direction militaire, qui, à l’abri de ses tunnels, a sciemment programmé le massacre du 7 octobre sans pouvoir ignorer que la réaction israélienne serait terrible pour les Gazaouis ? L’Autorité palestinienne corrompue ? Ou la population de Gaza et de Cisjordanie qui tente de survivre sous une pluie de bombes et de balles israéliennes ! Les véritables résistants ne sont pas ceux qui s’érigent en représentants et veulent s’approprier le terme, ce sont, bien sûr, toutes ces familles plongées dans une misère absolue, qui voient les leurs assassinés, mais qui excluent de baisser la tête ! Ce sont elles qui paient de leurs vies leur refus de céder face à l’entreprise de purification ethnique planifiée par le régime sioniste. Ce sont elles qui subissent, elles qui galèrent, elles qui demain pourront et devront renverser la table. Comme partout c’est à la population de se réapproprier sa vie localement et d’y décider de son sort, pas à nous, pas plus à ceux et celles qui confisquent leur parole en prétendant les gouverner. Ce qui ne doit pas empêcher la solidarité d’exprimer ses idées, dès lors qu’elle évite le paternalisme donneur de leçons. Mais être solidaires avec nos frères et sœurs de là-bas, celles et ceux qui appartiennent à l’immense majorité des humains exploités, celles et ceux qui se rebellent contre tout autoritarisme, implique de ne pas les mettre en danger en soutenant les politiciens qui les écrasent !
Dans ce sens on peut aussi s’interroger sur ce que l’on entend par « révolution » et sur la « résistance » qui va de pair. S’agit-il simplement de contester le pouvoir à une force d’occupation, pour lui substituer un État nationaliste ? S’agit-il de ne s’opposer qu’à une seule et unique source d’oppression quitte à reproduire les autres, qu’elles soient sociales, sexistes, racistes, liberticides... ? S’agit-il de participer à la logique de concurrence identitaire et s’enfermer dans l’idéologie dominante qui cherche à masquer les antagonismes de classe liés à l’exploitation de l’humain par l’humain ? S’agit-il de nier que toutes les nations, tous les peuples ne sont que des parties séparées de l’humanité dont la majorité a en commun de subir une minorité qui a, elle, en commun de détenir le pouvoir économique et politique ? Une élite sociale qui pour mieux nous faire trimer s’acharne à fragmenter le prolétariat mondial en redistribuant les miettes de façon différenciée et en essayant de nous faire gober sa « guerre de civilisation ».
Lutte-t-on pour mettre en place des gouvernements qui à l’arrivée ne valent guère mieux que les puissances dictatoriales qu’ils ont remplacées ? pour des pouvoirs dont la finalité est de s’installer en nouvelle bourgeoisie qui exploitera le reste de la population ? Lutte-t-on pour offrir à une future élite la direction d’un État ? Aurions-nous subitement oublié que le colonialisme est toujours le fait de structures étatiques devenues assez puissantes pour exporter la domination qu’elles exercent sur une partie de l’humanité vers d’autres fragments de celle-ci ?
Ou alors s’agit-il de se battre pour beaucoup plus que ça ? De résister collectivement à toutes les formes de domination, maintenant et partout, sans les hiérarchiser, sans frontières, sans attendre de fumeuses étapes intermédiaires !
Lors de multiples discussions avec des camarades dans les manifs pour Gaza un argument revient en boucle comme un mantra à propos du Hamas : ce ne serait pas le moment de s’attarder à le critiquer face à l’ampleur de la catastrophe actuelle provoquée par la politique génocidaire du régime sioniste. Il faudrait d’abord que ça se calme... Pas franchement convaincu par l’argument au vu des guéguerres de pouvoir orchestrées par certains soutiens peu soucieux d’affaiblir la solidarité, ce texte est quand même resté bloqué quelques mois à attendre au fond d’un ordinateur. Ce qui en soi n’est pas bien grave, pour ne pas dire totalement dérisoire.
Ce qui craint, c’est que ça ne se calme pas, l’horreur ne s’arrête pas, comme si on ne pouvait rien faire contre cette folie, comme si on ne pouvait qu’assister à ce spectacle morbide dont la majorité, lassée, semble se désintéresser, comme si on ne pouvait que devenir fou face au compteur des victimes. Et quand ça se « calme » un peu, c’est sous la menace que ça empire encore !
Pourtant, par-delà les réserves et critiques sur certains discours, il est impensable de rester les bras croisés quand pendant des mois, amalgamant dirigeants et dirigés, une armée massacre délibérément des dizaines de milliers de civils. Impensable de négliger le sort d’humains endurant le terrorisme d’État si on prétend révolutionner le monde. Impensable de ne rien dire, de rester autocentré sur des arguties franco-françaises. D’autant plus que refuser sa solidarité à ces victimes de la violence d’État, au nom de l’absence de clarté de certains groupes, reviendrait à reproduire cet amalgame entre une population qui subit et des politiciens qui n’aspirent qu’à la commander.
Ne pas se sentir concerné serait oublier un peu vite qu’on vit sur le même bateau, que le palier qui vient d’être franchi dans la gestion des populations touche tout le monde. Si par le passé les États dits « de droit » ont déjà donné dans les massacres de milliers de civils, la rareté des images et l’éloignement leur permettaient de différer la prise de conscience de la réalité le temps que le spectacle médiatique détourne suffisamment l’attention. Avec cette guerre génocidaire en live, programmée, organisée, revendiquée, documentée, filmée, tiktokée, pendant des mois, il n’est plus question de masquer le terrorisme d’État à grande échelle. Reste alors à l’afficher pour montrer ce qu’il en coûte à une population de résister. Plus de 2 millions de civils pris en otages, affamés et torturés pour l’exemple, des femmes violées, plus de 35 000 civils assassinés délibérément, en direct, sous les yeux du monde entier... Et les autres États dits de droit qui ne bronchent pas ! Ce n’est pas seulement un chèque en blanc donné à un pouvoir fascisant, c’est un avertissement adressé à l’humanité qui oserait se révolter contre l’ordre établi : pour les États, qu’ils se disent ou non « démocratiques », la répression à un niveau de violence extrême est une option.
Tsahal, qui s’est attribué un droit de vie et de mort sur les Palestiniens, l’a de fait étendu sur quiconque pourrait les aider. Mais quand elle s’est permis de buter délibérément 7 humanitaires occidentaux dont l’ONG lui avait pourtant signalé la position exacte, là ça a commencé à faire beaucoup pour certains commentateurs et politiciens qui sentent bien que ça dérape trop loin. L’histoire risque de retenir qu’eux aussi ont été complices par leur silence de cette horreur. Même Biden fait semblant de s’énerver.
On voit alors nombre de politiciens ressortir de leur chapeau la solution à « deux peuples deux États ». Toujours prompt à se mettre en avant à n’importe quel prix Macron s’est ainsi associé à Abdel-Fattah al-Sissi, dictateur égyptien amateur de Rafale, et à Abdallah II, roi de Jordanie pour proposer leur propre plan à deux États. Il faut dire que, en plus des avions de chasse français, ces trois-là ont en commun d’avoir interdit et réprimé violemment des manifestations de solidarité avec la population gazaouie.
Là où les différents promoteurs de projets à deux États divergent, c’est sur le nom de l’homme « providentiel » qu’ils comptent installer à la tête d’un futur État palestinien, chacun espérant placer son poulain. Grenouillages révélateurs du peu de cas que les États dits démocratiques font de l’avis des gens concernés.
Bien sûr la population palestinienne qui vit aujourd’hui sous les bombes israéliennes pourrait être tentée par la reconnaissance d’un État lui assurant un minimum de sécurité comparé à ce qu’elle subit actuellement. Fût-il étriqué et mis en coupe réglée par une élite locale dont le seul but est de le diriger. Mais comment accepter un plan prévoyant de ne rétrocéder qu’un cinquième de la Palestine à une population qui, en 1947, avant d’en être chassée représentait 70 % de ses habitants, plan validant la confiscation des quatre autres cinquièmes par un État continuant à pratiquer la ségrégation raciale et à nier le droit au retour de tous les réfugiés de la Nakba ? Présenter comme généreux un projet aussi inéquitable et ne pouvant être accepté que le couteau sous la gorge tient-il de l’aveuglement ou du cynisme ?
Face à cette mystification on peut comprendre l’envie de réclamer une solution à « deux peuples un État », qui aurait au moins le mérite de ne plus interdire le droit au retour. Mais pour revenir sur quelles terres quand celles-ci sont occupées depuis des décennies ?
Se pose alors la question de la propriété des terrains et des bâtiments. A qui doivent-ils appartenir ? Aux personnes qui les possèdent maintenant et qui ont pu les acquérir grâce à la Nakba ? Aux précédents propriétaires ? Souvent de grands propriétaires terriens ottomans... Aux personnes qui les habitaient qu’ils en aient ou non été les possesseurs officiels ? Ce qui voudrait dire que ceux qui n’avaient à l’époque droit qu’à une petite masure devraient s’en contenter pendant que l’ancienne bourgeoisie retrouverait ses palaces et que d’autres encore n’auraient rien du tout ? On voit bien que tout ça serait difficilement équitable et menacerait de ne générer qu’injustice et conflits permanents, notamment entre les deux « peuples ». Car on sera toujours confronté à la séparation de l’humanité en deux fragments cohabitant sur un même territoire. Et on peut compter sur les extrêmes droites de chaque camp pour souffler sur les braises et alimenter une double stratégie de la tension visant à imposer une guerre identitaire.
Aidés en cela par les politiciens partisans de la démocratie représentative qui, entrant en concurrence électorale les uns face aux autres, seraient vite tentés de jouer de l’antagonisme communautaire à leur tour, notamment via une course démographique.
Même si comme partout, cette compétition pour le contrôle d’un État n’empêchera pas une entente entre bourgeoisies pour gérer et se partager le gâteau. Un État, dont la finalité, à l’image de tous les autres, sera bien sûr de priver la population de sa capacité de décider afin de garantir son exploitation au bénéfice des classes dominantes.
Alors quoi ? Alors si on s’autorisait à aller plus loin ? Si on s’attaquait aux fondements du colonialisme que sont l’État et le capitalisme ? Si on osait remettre en question l’idée même d’État, l’idée de propriété privée, l’idée de frontières ? Si on essayait d’inventer autre chose que des rapports sociaux fondés sur l’accaparement des biens et sur l’exploitation de l’humain par l’humain ? Si on s’interrogeait sur la notion même de « peuples » et sur sa construction ? Ne procéderait-elle pas de la même logique que celle de « l’État-nation », qui ne peut que dériver en nationalisme et contribuer à atomiser le prolétariat mondial ? Les peuples n’ont-ils pas tendance à se concevoir en entité séparée du reste de l’humanité, participant à la division de celle-ci et à la mise en concurrence de ses fragments par les élites sociales avides de masquer les véritables divergences d’intérêts opposant dirigés et dirigeants, exploités et exploiteurs ? Des antagonismes de classe qui par-delà tous ces cloisonnements artificiels traversent l’humanité !
Alors si on envisageait une solution révolutionnaire : « zéro peuple, zéro État, zéro classe » ! Pour beaucoup une telle idée semblera utopique pour ne pas dire totalement folle ! Evidemment, vu le niveau de haine, ça sera compliqué, mais toujours plus réaliste que les « solutions » qui nous emmènent tout droit vers une logique de guerre ethnique totale. Toujours moins insensé que d’accepter le fatalisme ambiant qui nous pousse à ne plus réagir quand des milliers d’enfants sont assassinés ! Toujours moins débile que ce monde qui, à coups de sentences tant binaires qu’identitaires, légitime des massacres au nom d’une division ethnocentrique de l’humanité !
« Zéro peuple, zéro État, zéro classe » n’est bien sûr qu’une option, à construire collectivement, et ce sera à la population sur place de décider ce qu’elle veut, d’inventer ses solutions en fonction de ses envies et dynamiques sociales.
Reste à espérer qu’elle ait gagné suffisamment d’autonomie face aux différents intérêts qui prétendent la représenter et la diriger.
Reste à espérer qu’ici se développent des dynamiques où la solidarité avec les luttes autonomes de là-bas ferait résonner leur combat pour se libérer des colonialistes, réactionnaires et autres marchands de mort...
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