Toute personne qui suit un peu l’actualité française de ces dernières années a pu observer que face à la montée de la contestation sociale, le gouvernement français a souvent dégainé l’arme de la dissolution avec plus ou moins de succès. Il a eu dans son viseur les mouvements écolos (Soulèvement de la terre), antifascistes (la Gale), antiraciste (le Collectif contre l’islamophobie) ou encore pro-Palestine (Collectif Palestine Vaincra) pour n’en citer que quelques exemples. Une dissolution est l’interdiction d’un groupe sur base d’un décret gouvernemental, cette décision peut par la suite être contestée par les groupes concernés en justice. Ce combat a souvent de lourdes conséquences pour les groupes concernés (financières, etc). Concrètement, la dissolution a pour effet la saisie des biens (locaux, matériels comme les stickers, affiches, journaux, site web, médias sociaux, etc), l’interdiction des membres de se retrouver ou de reformer le groupe sous un autre nom … Cette disposition législative se base sur une loi datant de 1936 qui visait à la base les ligues fascistes qui avait tenté de renverser la république française lors de la manifestation du 6 février 1934 [1]. En Belgique, une loi datant de 1934 visant plus spécifiquement les milices privées [2] et donc la possibilité de l’utiliser comme instrument de répression contre les mouvements de contestation est beaucoup plus limité. C’est là qu’intervient notre apprenti Darmanin local : Denis Ducarme.
Denis Ducarme, membre du MR, a commencé sa carrière politique en 2000, suivant les traces de son papa, Daniel Ducarme. Celui-ci était un influent membre du MR, tombé en disgrâce suite à un « oubli » de 100 000 euros de revenus aux impôts. En 2019, il est le principal challenger pour la présidence du MR face au tonitruant George Louis Bouchez et finit par s’incliner au second tour. On a souvent l’habitude d’attribuer l’extrême droitisation du MR à GLB, pourtant Denis Ducarme a participé depuis les années 2010 a construire une rhétorique islamophobe au sein de la droite. Il a d’ailleurs écrit un livre « Islam de Belgique entre devoir d’intégration et liberté religieuse » portant sur le « problème » de l’Islam [3] en Belgique.
En 2021, il introduit une proposition de loi visant à modifier la loi belge sur les milices pour la rapprocher de la loi française et en faire une arme contre les groupes contestataires. Sa proposition est appelée sobrement : « PROPOSITION DE LOI modifiant la loi du 29 juillet 1934 interdisant les milices privées, afin que les interdictions prévues par cette loi soient élargies pour viser les associations incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence, et permettant leur dissolution par le pouvoir exécutif ». Son objectif ? Doter l’Etat d’un instrument similaire au gouvernement français : « Nous reviendrons ensuite sur le mécanisme français […]Nous conclurons alors en présentant une proposition qui, tout en s’inspirant de ce mécanisme, garantit à nos yeux davantage le nécessaire équilibre entre l’impératif de sécurité et la garantie du respect des libertés » [4],
Les cibles potentielles transparaissent assez clairement dans l’introduction de sa proposition de loi, il fait mention de manière assez classiques aux groupes d’extrême droite mais Denis Ducarme prend aussi la dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie) comme un exemple … Au vu de la droitisation du MR et ses nouvelles obsessions anti « wokistes », il n’y a pas à douter que les mouvements anti-racistes, un peu trop remuants puissent rapidement se retrouver en ligne de mire. Début 2024, il émet avec une proposition amendée, outre des considérations constitutionnelles où il a dû rétrécir le champs de sa proposition de loi. Dans la nouvelle mouture il vise spécifiquement le mouvement propalestinien : « “4° dont les liens structurels avec des organisations terroristes, telles que visées au § 1 er, 3°, ont été établis officiellement par la Belgique.” Suite à l’attentat de masse du 7 octobre 2023, commis par l’organisation terroriste Hamas à l’encontre de civils Israéliens, ayant conduit à la mort de plus de 1.000 civils, et au conflit qui en a résulté, de nombreuses manifestations légitimes se sont déroulées sur notre territoire. S’il est clair que toute manifestation autorisée et garantissant le respect de l’ordre public doit pouvoir se dérouler, dans le respect des libertés de réunion, d’expression et d’association que notre Constitution protège, il faut toutefois impérativement pouvoir se prémunir contre des manifestations appelées et organisées par des groupements radicaux, extré-mistes ou terroristes. Parmi ceux-ci, on pense au groupement Samidoun, lié au groupe terroriste FPLP. Lors de manifestations anti-israéliennes, des messages antisémites ou faisant l’apologie du terrorisme ont été exprimés. Les liens structurels de ces groupements avec des organisations terroristes peuvent être établis au moyen des informations recueillies par les services compétents, comme la Sûreté de l’État. Pour lutter contre cette situation intolérable, il est dès lors plus que temps de doter notre droit des outils indispensables pour pouvoir dissoudre de telles associations qui visent à saper les valeurs essentielles de nos sociétés démocratiques. » [5] .
Où en sommes nous aujourd’hui ? La proposition de loi n’a pas été votée pour cause de nouvelles élections . Notons par ailleurs que malgré le fait que Denis Ducarme, membre du MR qui était au gouvernement a choisi de présenter son idée sous forme d’une proposition de loi et non comme projet de loi (qui est introduit par un ministre) laisse à penser qu’il savait que celle-ci ne ferait pas consensus. Petit détour sur les subtilités des arcanes juridico-parlementaire, les deux manières classiques d’introduire de nouvelles lois en Belgique est soit sous la forme d’une proposition de loi qui est amené au vote par n’importe quel parlementaire soit sous la forme d’un projet de loi donc par le gouvernement. Généralement, lorsque l’on veut être certain de faire passer une loi, on va choisir la seconde option car un projet de loi fait l’objet d’un consensus des membres du gouvernement et donc des partis qui y sont liés et donc la majorité parlementaire qui va avec. Or le Fait que Denis Ducarme ait préféré la première option laisse à penser qu’il savait qu’il ne serait pas suivi par le précédent gouvernement.
Néanmoins, avec le basculement à droite du parlement et le futur probable gouvernement Arizona, il est plus que probable que cette proposition bénéficiera d’oreilles plus attentives de la part de ses partenaires de majorité. Il s’est d’ailleurs fendu d’un tweet le 21 septembre faisant explicitement référence à sa proposition de loi comme faisant partie des négociations.
Un article par ailleurs, paru le 14 novembre dans L’Echo semblait affirmer que la dissolution d’associations faisait parti du futur accord du gouvernement. Georges Louis Bouchez, dans une interview le 9 novembre donnant l’exemple de Samidoun.
Sources :
- secoursrouge.org
- Il est d’ailleurs troublant de noter que les plus de 90 convocations lancées par les autorités suite à l’occupation de l’université face référence à l’appartenance supposée à un groupe prônant la discrimination et la haine raciale. L’intitulé rappelant étrangement celui de sa proposition visant à dissoudre les groupes appelant à la discrimination et à la haine.
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