En uniforme contre la justice : quand la police manifeste pour l’un des siens

En uniforme contre la justice : quand la police manifeste pour l’un des siens

Ce vendredi 13 juin, au pied du Palais de justice de Bruxelles, un spectacle surréaliste s’est déroulé sous les yeux de manifestant·es venu·es réclamer justice pour Sourour Abouda, morte dans un contexte policier. Face à elles et eux, environ 200 policiers, en uniforme pour la plupart, sont venus soutenir l’un des leurs, inculpé pour la mort de Fabian, 11 ans. Une scène qui dit beaucoup de l’impunité policière en Belgique et du deux poids, deux mesures dans la gestion des mobilisations.
Un enfant tué, un agent soutenu en uniforme
Fabian, 11 ans, est mort le 4 juin à Ganshoren, renversé par un véhicule de police lancé dans une course-poursuite. Le policier au volant, âgé de 26 ans, a été inculpé pour entrave méchante à la circulation ayant entraîné la mort et placé en détention provisoire à domicile avec bracelet électronique. Cette décision a été prise car l’individu aurait menti lors de l’écriture de son PV, affirmant avoir les gyrophares et sirènes allumés, éléments démentis par l’analyse du véhicule de police. Il roulait également, toujours d’après les premiers éléments de l’enquête, à une vitesse supérieure à 40km/h dans un parc.
Et pourtant cette décision a déclenché l’ire des syndicats policiers, qui dénoncent un « acharnement » judiciaire et médiatique. Le ton est donné dans l’appel à mobilisation rédigé par les collègues de l’agent, issus du service Trafic de la zone Bruxelles-Ouest :
« Cela aurait pu être n’importe lequel d’entre nous. (…) Allons montrer que nous ne formons qu’un, le corps de police belge. »
C’est donc à 13h, qu’environ 200 agents se sont rassemblés place Poelaert, en plein centre de Bruxelles, en uniforme, en contradiction flagrante avec la circulaire ministérielle GPI 65 de 2009 qui interdit le port de l’équipement fonctionnel lors de toute manifestation.


Venir en uniforme, en tant que force publique, pour protester contre une décision judiciaire, celle d’un juge d’instruction, est un acte politique lourd de sens. Une manière de dire que la police, au-delà des procédures, reste juge de ses propres actes.
« C’est un réel danger pour la démocratie que des policiers contredisent ouvertement une décision de justice, en tenue », s’indigne une manifestante.
Une contre-manifestation… réprimée
En face de cette manifestation en soutien au policier inculpé, quelques dizaines de citoyen·nes, venu·es dénoncer cette posture d’impunité, sont encerclé·es, nassé·es par la police.
Une nasse, pourtant illégale, pratiquée ici à l’encontre de militant·es pacifiques, dont la majorité étaient présents pour soutenir la famille de Sourour.
« C’est une démonstration en direct de ce que nous dénonçons : l’usage arbitraire de la force, le mépris des libertés fondamentales, la répression de toute opposition », témoigne une personne présente sur place.
Une tentative de brouillage de la mobilisation pour Sourour
Mais ce n’est pas tout. Cette manifestation policière, initialement prévue à 9h, devait se tenir exactement au même moment et au même endroit que le rassemblement autorisé depuis un mois par le Comité Justice pour Sourour, en lien avec la comparution en chambre du conseil pour décider du renvoi (ou non) de la zone de police de Bruxelles-Capitale/Ixelles en correctionnelle pour homicide involontaire.
Les médias ont relayé que la police aurait déplacé son rassemblement « par courtoisie » une fois qu’elle aurait découvert l’existence de l’autre mobilisation. Une version démentie avec force par la famille de Sourour.
« Ce n’est pas par bonne volonté que la police a déplacé leur manifestation : c’est la pression des citoyen·nes, de deux élu·es et de nous, la famille, qui les a fait postposer », écrit la sœur de Sourour sur les réseaux.
« Ils nous ont appelés, ils nous ont envoyé des messages pour nous demander de déplacer notre rassemblement.
Des preuves ont été transmises à l’agence de presse Belga, qui a pourtant persisté à écrire que la police « n’était pas au courant ».
« Après avoir vu nos preuves, lire ce genre d’articles est profondément révoltant. Alors non, il ne faut pas s’étonner si les citoyen·nes finissent par scander : « Médias complices ! » »
La double légitimité : celle du deuil et celle de l’arme
Ce vendredi 13 juin, deux formes de mobilisation ont cohabité. L’une, portée par des familles, des proches, des citoyens, endeuillés et en quête de justice. L’autre, menée par une profession en uniforme, refusant que l’un de ses membres réponde de ses actes devant la loi.
La première portait les noms de Fabian, de Mehdi, Adil, Lamine, Sourour et tous les autres.
La seconde, celui d’un policier accusé d’avoir ôté la vie à un enfant.
Ce jour-là, la police belge a montré qu’elle savait se mobiliser non pas contre les violences racistes ou la récidive des morts en cellule mais pour défendre l’un des siens, quoi qu’il ait fait.

Il faudra du courage politique pour dire ce que cela révèle : un corps de métier organisé pour défendre sa propre impunité, un usage sélectif de la loi, et un pouvoir qui ferme les yeux.
Le parquet, lui, s’est empressé de préciser qu’il ne s’agissait pas de faire « le procès de la police dans sa globalité ».
Mais qui, alors, fera ce procès ? Et à quel moment l’État acceptera-t-il de voir que la violence policière n’est pas un accident, mais un système ?
En Bref continuera à relayer la parole des familles, des victimes et des mouvements citoyens. Parce que la vérité n’est pas affaire d’uniforme, mais de justice. Et la justice est une affaire de démocratie.
Voir en ligne : En Bref
Notes
DANS LES MÊMES THÉMATIQUES
[Égypte] Le pouvoir égyptien bloque la marche pour Gaza
La Global March to Gaza (Marche mondiale vers Gaza) a été contrecarrée par les autorités égyptiennes qui ont bloqué le convoi à la sortie du Caire pendant plusieurs heures, procédant à de nombreuses arestations. Plusieurs groupes avaient quitté le Caire en voiture vendredi pour se diriger vers la ville d’Ismaïlia, première étape vers la bande de Gaza, leur destination finale. Ils ont été interceptés et bloqués, passeports confisqués, parfois molestés, avant d’être embarqués de force dans des bus. La Global March comptait traverser en bus le Sinaï, une région désertique sous haute surveillance militaire, pour rallier la ville d’al-Arich, à quelque 350 km à l’ouest du Caire, puis marcher sur les 50 derniers kilomètres jusqu’à la partie égyptienne de Rafah.

Los Angeles contre l’ICE : Un reportage à chaud sur les affrontement du 6 juin
Le 3 juin, une foule chassait des agents fédéraux qui procédaient à une descente dans une taqueria de Minneapolis. Le 4 juin, des affrontements éclataient contre des agents de l’ICE [Immigration and Customs Enforcement] lors de raids à Chicago et à Grand Rapids. Et c’est à Los Angeles deux jours plus tard, que la ville s’est embrasée en réaction à une énième rafle de sans-papiers. Les affrontements, d’abord sporadiques, se sont ensuite étendus au reste de la mégalopole californienne. Ils sont encore en cours . Dans le récit qui suit, des participants racontent comment les habitants se sont organisés pour empêcher autant qu’ils le peuvent la police fédérale de kidnapper des gens de leur communauté. Tom Homan, le « tsar des frontières » de Donald Trump, vient d’annoncer qu’il allait riposter en envoyant la Garde nationale à Los Angeles. Si la situation se propage dans le pays, nous pourrions assister à un mouvement qui s’annonce comme la suite directe du soulèvement suivant la mort de George Floyd en 2020 . En arrêtant David Huerta , président de la section californienne du syndicat des employés de service (SEIU) en marge d’une descente contre les habitants de Los Angeles, l’ICE et les diverses agences fédérales venues en renfort ont fortement attisé les tensions dans la ville au moment même où la révolte s’amorce. Bien que l’administration Trump ait commencé par s’attaquer aux immigrés - avec ou sans papiers – il ne s’agit que d’une première étape vers l’établissement d’une autocratie. Le pouvoir fédéral s’en prend d’abord aux immigrés, les considérant comme la cible la plus vulnérable , mais leur objectif global est d’habituer la population à la passivité face à la violence brutale de l’État, en brisant les liens fondamentaux de solidarité reliant les communautés humaines. Aussi, il doit être clair pour tout le monde, même pour les centristes les plus modérés, que l’issue du conflit qui s’intensifie actuellement déterminera les perspectives de toutes les autres cibles que Trump a alignées dans son programme, de l’université d’Harvard au pouvoir d’achat des américains. Premier Acte, midi Sur les réseaux sociaux, la nouvelle s’est rapidement répandue : l’ICE mène des descentes dans plusieurs endroits du centre-ville de Los Angeles, de Highland Park et de MacArthur Park. Les agents avaient commencé à perquisitionner un bâtiment dans le marché aux fleurs1 lorsqu’une foule les a spontanément piégés à l’intérieur. Toutes les entrées et sorties du bâtiment ont été bloquées par la foule, de manière à ce que les agents ne puissent plus en ressortir. Alors qu’ils avaient déjà interpelé de nombreuses personnes, les agents fédéraux ne s’attendaient pas à ce qu’une horde de 50 à 100 « angelinos » les prenne au piège. Les agents s’imaginaient pouvoir rafler des personnes au hasard en plein milieu de Los Angeles sans que les gens du quartier ne réagissent. De toute évidence, ils se sont trompés. Parmi les six lieux qu’ils ont visé ce (...)
Publiez !
Comment publier sur Stuut ?
Stuut est un média ouvert à la publication.
La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site.
Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions,
n’hésitez pas à nous le faire savoir par e-mail: contact@stuut.info
complements article
Une question ou une remarque à faire passer au Stuut? Un complément d'information qui aurait sa place sous cet article? Clique ci-dessous!
Proposer un complément d'info