L’une des premières choses qui frappent le regard, c’est la hauteur vertigineuse de la tour, autrefois nommée Tour Astro. Elle se dresse comme un monolithe silencieux, enraciné sur la colline tel un géant de pierre en méditation. Son sommet caresse les cieux sans jamais s’y fondre, esquivant les nuages comme un navire contourne les récifs — les masses vaporeuses glissent sans lui prêter attention, indifférentes à sa grandeur.
Autrefois, la Tour Astro n’était qu’une coquille vide, une de ces structures impersonnelles érigées par les promoteurs bruxellois tels que De Pauw ou Blaton. Ces bâtisseurs de béton ont semé, à travers la capitale, des géants muets — posés sans ménagement comme des blocs tombés du ciel, écrasant des quartiers où les rues vibraient encore comme des veines palpitantes d’une vie populaire.
Chaque édifice semblait arracher un morceau de mémoire collective, remplaçant le tissu urbain par une peau froide, figée dans le béton.
Dès que je franchis les portes tournantes monumentales, un garde s’avance. Ses yeux, acérés comme des lames affûtées, semblent me traverser de part en part, comme s’ils cherchaient à dissoudre le moindre secret enfoui sous ma peau. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute : avant même que je n’ouvre la bouche, ma présence est passée au crible. Son regard se faufile sur moi tel un scalpel invisible, découpant mes gestes, mes silences, mes hésitations. On aurait dit un cartographe du soupçon, déployant son œil comme on déploie une carte ancienne — traçant des frontières invisibles, cherchant les reliefs cachés de ma personne.
Le garde prend enfin la parole. Sa voix est grave, taillée dans la pierre comme les murs de cet immense édifice. Il me demande la raison de ma présence, l’objet de ma démarche — d’un ton ni hostile, ni bienveillant, mais empreint d’un devoir scrupuleux. Aussitôt, remontent dans ma mémoire les enseignements de nos vieux cours d’histoire médiévale : à cette époque, les gardes surveillaient tout — l’étoffe d’un vêtement, l’ombre d’une arme, les portes d’un château. Rien ne leur échappait. Et curieusement, ce sbire moderne, pourtant si méticuleux, n’a pas encore exigé que je décline mon identité, ni les motifs exacts de ma venue.
C’est le premier affrontement silencieux, une forme de duel sans épée ni cri. Il me le fait comprendre sans détour : si je n’en sors pas vainqueur, je ne franchirai jamais le cours d’eau qui ceint ce château dressé comme un doigt de pierre griffant les cieux — une forteresse née d’un rêve vertical. Alors, je réponds. Pas par les mots, mais par la posture. Mes yeux rivés aux siens, je plante mon regard comme on plante un étendard sur un territoire étranger. Je garde sa pupille dans ma ligne de mire, comme un archer tenant la cible au centre de sa volonté.
« Je souhaite réaliser tests de niveau en connaissance de langue du Néerlandais chez Actiris »
Le garde grommelle, visiblement peu enclin à comprendre, et tourne son regard vers l’une des quatre femmes dissimulées derrière leurs guichets en plexiglas, tels des îlots transparents dans une mer de mystère administratif.
À quoi peut bien servir cet écran de verre ? me dis-je. Est-il destiné à protéger ces dames enfouies dans leurs registres et parchemins modernes — contre la plèbe qui entre et qui sort de cette tour gigantesque ?
Je laisse mon esprit vagabonder dans cette réflexion quand, au fond du corridor interminable, j’aperçois un second bureau de réception, identique au premier.
Mais que peuvent-ils bien faire avec deux bureaux de réception ?! me dis-je, à nouveau en moi-même.
Je n’ai pas le choix.
Je me dirige donc vers mon interlocutrice. Elle ne porte ni les couleurs ni l’emblème du seigneur, mais elle semble tenir sa place avec autorité silencieuse. Je répète alors ma demande, avec la même détermination qu’un messager à la cour, espérant cette fois une réponse moins énigmatique.
« Un test de niveau en connaissance de langue du Néerlandais »
Le verre est froid, presque glacial, comme une frontière invisible entre le monde des ordres et celui des passants anonymes. Et pourtant, c’est bien là, derrière cette paroi transparente, que je dois recevoir mes instructions. La sentinelle postée dans cette tourelle de verre, digne d’une vigie contemporaine, m’indique d’un geste bref un stand de réception relégué tout au fond du corridor. Mais pourquoi donc deux réceptions ? L’un ne suffirait-il pas à faire le travail de l’autre ? me murmure ma pensée, aussi perplexe qu’agacée. Je m’avance alors dans l’immense hall. Ce n’est pas la Galerie des Glaces de Versailles, non… Mais l’État y a clairement délassé les cordons de sa bourse. Les colonnes brillent, les lustres éclatent, les marbres chuchotent des ambitions architecturales : le faste est là, tapissant chaque recoin, sans la solennité monarchique mais avec une ostentation républicaine bien sentie.
Une fois les murs épais de cette immense bâtisse franchis, tout semble obéir à une logique précise — presque ritualisée. Est-ce une véritable organisation ou une mise en scène savamment orchestrée ? À chacun sa sphère, à chacun son sanctuaire : l’activité s’y distribue comme dans une ruche codifiée. Les serviteurs de l’État belge glissent dans les longs corridors tels des fourmis pressées, disciplinées dans leur trajectoire, pour disparaître ensuite dans une constellation de bureaux — étroits comme des boîtes d’allumettes, mais habités d’intentions méticuleuses. Mes yeux, eux, s’égarent dans une symphonie de lumière et de reflets, où le marbre et le verre s’entrelacent. L’ensemble respire la grandiose maîtrisée, et sans doute, quelques seigneurs modernes rôdent dans ces hauteurs feutrées, invisibles mais bien présents.
Me voici arrivé à la seconde réception. Un comptoir plus accessible, où s’affairent sans doute ceux et celles chargés de la communication directe avec les visiteurs. Mais bon sang… Pourquoi semblent-ils faire exactement le même travail que les réceptionnistes dissimulés derrière leurs parois de plexiglas ? Qu’est-ce qu’ils fichent là, tous ces agents doublonnés ? me dis-je intérieurement, pris entre l’agacement et l’absurde.
Ce ballet administratif tourne en rond, et moi, je navigue au milieu — un simple messager dans le dédale d’une bureaucratie aux airs de château.
Quatre personnages au maintien digne sont en pleine conversation mais alors que j’approche une couverture de silence les ont comme enveloppés, l’œil vif comme une lame tirée au clair, parcourt d’un seul trait ma silhouette. « Ils doivent avoir dans les vingt-trente ans maximum, peut-être se racontaient-ils des blagues, cela ne serait pas étonnant car il n’y a personne d’autre dans les parages… » je médite.
Une femme aux yeux assez doux tente un sourire…
« C’est pour quoi, Monsieur ? »
« Un test de niveau en connaissance de langue du Néerlandais »
« Vous devez vous rendre au deuxième, les ascenseurs sont à votre droite » dit-elle en forçant le sourire. Je réponds avec un hochement et le meilleur sourire que je puisse trouver avant de les quitter à leurs petites discussions.
Deuxième étage. Me voilà planté dans un local désert, Face à moi, une réceptionniste — la troisième depuis mon périple bureaucratique — se tient droite, semblable à une sentinelle, immobile dans sa fonction. Soudain, une collègue fait irruption, tenant entre ses mains ce qui ressemble à un milkshake... ou peut-être un smoothie. Un breuvage aux airs de sortilège gourmand. Et moi, debout, figé j’assiste en spectateur muet à leur échange qui vire à la cérémonie légère et aux rigolades : une conversation animée sur les recettes, les ingrédients secrets, la bonne température — entre éclats de rire et gestes complices — comme si le temps de l’accueil s’était suspendu au profit du rite des saveurs.
Et maintenant ; la salle d’examen. « Mais Bon Dieu de Bon Dieu ! Où sont les personnes censées conduire le test ! » Je me demande. Devant moi, je vois un call centre abandonné, des rangées de tables et d’ordinateurs inoccupés.
« Il n’y aura pas d’interlocuteur physique. Installez-vous devant l’ordinateur. Je vous ai transmis un code d’accès — entrez-le, et vous pourrez débuter l’examen », dit la femme d’une voix douce.
J’entre le code. L’écran clignote. Le test commence. Compléter des phrases, choisir le bon mot, retrouver la syllabe oubliée… « Mais pourquoi diable ne puis-je parler à un Flamand comme je le fais dans mon quartier, au marché, dans la vraie vie ? Où est l’humain dans tout ça ? Où est le regard, la voix, le sourire ? » Je peste en silence. Devant moi, l’écran rayonne d’un bleu tranchant, une lueur glaciale, aussi rigide qu’une lame d’acier. « Merde ! Je ne trouve pas ce foutu synonyme ! Pourtant je le connais, je le sens, il est là — tapi dans ma mémoire — prêt à surgir… mais trop tard. Je peste encore.
La machine me remercie pour ma participation avec une petite image : une récompense digitale aussi "cheap" qu’un bonbon sous cellophane oublié au fond d’un tiroir. Le verdict final tombe « Connaissance élémentaire+ du néerlandais »
Je fais mon chemin vers la sortie de la tour, le regard détourné des fonctionnaires en tunique dernier cri, aussi élégants que lointains. Mon visage reste impassible, figé dans une neutralité choisie — mais à l’intérieur, un feu sourd me ronge les entrailles. Ce brasier n’est pas qu’une douleur : c’est la brûlure de la dévalorisation, la morsure de cette colère ancienne que rien n’a éteint. Ce microcosme féodal, déguisé en modernité administrative, m’a accueilli exactement comme en 2010, lorsque l’institution m’a relégué sans ménagement dans les oubliettes du système, pour la toute première fois. Rien n’a changé — sauf peut-être le vernis sur les murs et le costume des guichetiers. Mais le jugement, lui, est resté intact.
Ai-je réellement été lésé, ou ne suis-je qu’un mauvais perdant refusant d’accepter son sort ? Qui peut dire ce qui est juste ? Il ne me reste qu’à rebrousser chemin, vers ces terres arides, épuisées par le temps, giflées sans répit par le vent.
EPILOGUE
Les tests de niveau en néerlandais proposés par Actiris — bien qu’utiles dans leur intention — suscitent plusieurs critiques, notamment du point de vue de l’expérience vécue par les chercheurs d’emploi.
Une évaluation trop mécanique
Une ambiance froide et stressante
Un verdict sec et peu valorisant
complements article
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