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Islamophobie : l’État veut cartographier les femmes voilées dans le service public

Islamophobie : l’État veut cartographier les femmes voilées dans le service public

Bruxelles | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie
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Ces derniers mois, l’islamophobie s’est banalisée jusque dans les plus hautes sphères politiques en Belgique, alors même que des actes violents d’extrême droite se multiplient. À Bruxelles, une ratonnade menée par des néo-nazis brugeois a failli tourner à l’assassinat raciste. En janvier, un militant d’extrême droite a été condamné pour avoir planifié des attentats contre des mosquées.

Il y a quelques mois, le président du 1er parti francophone, le MR, expliquait que l’islamophobie ne devait pas être un délit, que c’était « comme l’arachnophobie« . Dans la foulée, Valérie Glatigny ( MR), ministre de l’Éducation, relançait une polémique raciste montée de toute pièce autour d’un prétendu « radicalisme islamique » qui infiltrerait l’école, en s’appuyant sur des chiffres complètement biaisés. Ces propos ont été dénoncés par les syndicats enseignant·es et contredits par des enquêtes journalistiques, notamment un long article du Soir qui démonte ce fantasme.

Mais la dernière offensive islamophobe d’État en date franchit un nouveau cap : fin avril, Vanessa Matz, ministre de l’Action et de la Modernisation publiques (Les Engagé·es), a adressé un courrier aux administrations fédérales leur demandant de recenser « les pratiques actuellement en vigueur […] en matière de port d’uniforme ou de code vestimentaire  ». Dans le climat islamophobe actuel, ce langage codé ne trompe personne : il s’agit de cibler, de manière insidieuse, les femmes portant le hijab* dans la fonction publique. Cette démarche s’inscrit dans une logique de fichage, de surveillance, et de mise à l’écart, danger typique d’un racisme institutionnel qui cible les personnes musulmanes ou assimilées comme telles.

Face à cette mesure islamophobe, plusieurs collectifs antiracistes ont pris la parole pour dénoncer fermement cette nouvelle attaque contre les droits et libertés des femmes musulmanes :

« Nous n’avons pas encore repris notre souffle après les récentes actualités concernant les violences islamophobes à Molenbeek, que nous voilà face à une nouvelle qui glace le sang. »

« Une note ministérielle, adressée à différentes instances fédérales, demande de cartographier la présence de femmes musulmanes portant un foulard au sein de la fonction publique. Ce document a été transmis aux hauts fonctionnaires de plusieurs services publics, après plusieurs mois de tentatives pernicieuses mais avortées de mettre les travailleuses concernées à l’écart. »

« Cette information est particulièrement inquiétante et confirme le constat dressé par de nombreux expert.e.s et organisations de défense des droits humains : la haine qui resurgit est alimentée par l’action même de nos autorités. »

« En octobre 1940, une ordonnance similaire, appliquée au service public belge, imposait le fichage des Juifs sous prétexte qu’ils seraient racialement incompatibles avec les intérêts de l’État et l’exercice des fonctions publiques, qu’ils influenceraient négativement la vie publique et troubleraient l’ordre public*. »

«  Nous invitons toutes les personnes et organisations actives dans la défense des droits fondamentaux à se mettre en état d’alerte sans attendre : aujourd’hui sont ciblées les travailleuses portant un foulard, demain le seront les travailleuses militantes, après-demain les musulman·e·s dans leur ensemble… C’est une question de court terme !  »

L’obsession politique et médiatique autour du hijab ne peut être comprise sans revenir à ses racines coloniales et racistes. Dans l’Algérie coloniale, l’administration et l’armée française organisaient par exemple des cérémonies publiques de « dévoilement », considérant le retrait du hijab comme un acte de « libération » des femmes musulmanes, mais surtout comme un signe de soumission à l’ordre colonial. Il s’agissait de « libérer  » la femme indigène, perçue comme soumise à la barbarie de sa culture, tout en asseyant la domination de l’homme blanc, prétendument civilisateur.

Mais ce racisme genré et colonial ne s’arrête pas aux frontières françaises. L’expérience coloniale de la France a profondément marqué l’ensemble de la francophonie, et la Belgique, étroitement liée à cet espace, en a hérité les logiques. Ce qui se joue aujourd’hui autour du hijab en Belgique s’inscrit dans cette continuité : une volonté de contrôler, d’inférioriser, et d’exclure les populations musulmanes.

Cette volonté de contrôler le corps des femmes musulmanes, de le rendre visible et normé, s’inscrit dans une logique de domination à la fois raciste et sexiste. Aujourd’hui encore, cet imaginaire colonial ressurgit dans les politiques contemporaines de « neutralité  » en Belgique ( et de laïcité en France) qui ciblent en réalité exclusivement certaines pratiques religieuses, et toujours les mêmes corps : ceux des femmes musulmanes.

Le hijab, loin d’être un simple vêtement, devient alors le support fantasmatique de projections islamophobes, nourries par un racisme structurel et une misogynie persistante. Cette focalisation constante sur les femmes voilées ne dit rien sur l’égalité ou la laïcité, elle dit tout sur le besoin de contrôle, de hiérarchisation des citoyen·nes, et de reproduction des rapports de pouvoir coloniaux.

En Belgique, cette logique se traduit par une série d’interdictions ciblées dans les écoles, les universités, les emplois publics, et aujourd’hui par cette volonté de « cartographier  » les tenues vestimentaires dans les administrations. Derrière les discours sur la neutralité ou la cohésion sociale, c’est toujours la même cible : la femme musulmane voilée, perçue comme un corps à réguler. Ces politiques produisent une exclusion systématique, un climat d’humiliation permanente, et une stigmatisation qui nie aux femmes leur capacité d’agir et de décider pour elles-mêmes. Elles reproduisent ainsi un double rapport de domination (raciste et sexiste ) hérité des logiques coloniales mais perpétué dans les institutions contemporaines.

Plusieurs collectifs antiracistes, féministes et décoloniaux l’ont rappelé : le voile n’est pas un problème en soi, c’est le regard que l’État et une partie de la société portent sur lui qui pose problème. Ce regard est chargé d’histoire, d’oppression, de violence symbolique et matérielle.


Légende :

*Le hijab désigne un foulard porté par certaines femmes musulmanes pour couvrir leurs cheveux dans le cadre de leur pratique religieuse. C’est un choix qui peut être motivé par la foi, la culture, l’identité ou l’intimité. Il s’agit pour beaucoup d’un choix personnel, d’un rapport intime à la foi, ou encore d’une manière d’exister dans un monde qui les marginalise. Ce vêtement ne dit rien en soi, sinon la volonté d’une femme de vivre sa religion à sa manière.


Sources :

Voir en ligne : BXL Dévie

Notes

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