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L’extrême droite, une menace à prendre également au sérieux en Wallonie

L’extrême droite, une menace à prendre également au sérieux en Wallonie

Une nouvelle étude décortique le parti d’extrême droite wallon « Chez Nous »

Chaque semaine, le Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) publie un dossier qui fourmille d’informations approfondies sur un sujet politique. Le dernier en date concerne le parti « Chez Nous » et a été rédigé par Benjamin Biard. Ces 55 pages résument les semaines de recherche consacrées au parti, dont plusieurs entretiens avec des militants.

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Article de la campagne antifasciste blokbuster.be

Ce dossier part à juste titre du principe que la Wallonie n’est pas à l’abri d’une percée de l’extrême droite. En 2019, les derniers élus du Parti Populaire ont disparu, mais les nombreuses listes d’extrême droite réunies atteignaient déjà 9% des voix. « Chez Nous » a été créé explicitement dans le but d’unir ce potentiel en un parti plus stable, avec le soutien d’autres formations d’extrême droite telles que le Vlaams Belang, le Rassemblement national français, le PVV de Wilders ou l’AfD allemand.

C’est donc un soutien de taille qui est venu au secours d’un petit groupe de militants qui parviennent juste à peine à organiser un rassemblement public. Le Rassemblement national a autorisé « Chez Nous » à utiliser les logos du RN et de son précurseur, le FN. Mais l’assistance de ces partis-amis ne se limite pas à l’autorisation d’être ouvertement associé à eux et à leur réputation. Le soutien est également matériel. Comment expliquer sinon que « Chez Nous » ait pu dépenser plus de 20.000 euros sur les réseaux sociaux comme Facebook ? Le Vlaams Belang a quant à lui conclu un accord avec « Chez Nous » : le VB refusant de présenter à nouveau des « listes fantômes » en Wallonie tandis que « Chez Nous » s’est engagé à ne pas apparaître à Bruxelles. Certaines figures de proue du parti, dont le président Jérôme Munier, sont cependant bruxelloises. L’objectif visé par ce soutien est évident : créer et déployer un partenaire fiable contre les solides traditions antifascistes en Wallonie et à Bruxelles.

Le dossier du CRISP de Benjamin Biard est complet et approfondi, mais nous décririons toutefois la base idéologique de l’extrême droite de façon différente. Son approche part de la propagande (contre l’immigration, contre le « système », contre les partis traditionnels, en faveur d’une réponse autoritaire à l’insécurité) et de la manière dont les formations d’extrême droite traitent la démocratie. Ce sont des éléments qui doivent être pris en compte, mais qui limitent fortement l’analyse à la politique « politicienne ».

L’extrême droite est l’expression d’un rejet des politiques dominantes, elle instrumentalise un sentiment de malaise et d’aliénation face à des politiques qui accroissent les inégalités de même que les tensions sociales qui en découlent. Lorsque le mouvement ouvrier n’offre pas de réponses collectives aux nombreux problèmes sociaux, d’autres forces prennent leur essor, telles que l’extrême droite.

Celle-ci représente une « réponse » frontalement opposée aux intérêts du mouvement des travailleuses et des travailleurs : une amplification du nationalisme, du racisme et de la logique de division, associée à des politiques qui défendent en fin de compte les intérêts des super-riches avec la volonté d’éliminer physiquement et violemment le mouvement ouvrier et sa résistance. Pour Afin de masque ce puissant lien avec les intérêts de la classe dominante, l’extrême droite a besoin d’une rhétorique prétendument anti-système qui vise en fait à détourner la colère vers les réfugiés, les chômeurs, les migrants… qui deviennent des boucs émissaires pour les problèmes sociaux dans le but de protéger le système capitaliste.

Les actions antifascistes portent leurs fruits

Si l’on met de côté la discussion de fond sur le caractère de l’extrême droite, le dossier du CRISP offre un aperçu très intéressant des tenants et aboutissants de « Chez Nous », depuis son lancement en 2021 sur les vestiges de projets d’extrême droite antérieurs qui ont échoué jusqu’à ses préparatifs pour les élections de 2024. Au cœur de « Chez Nous » se trouve une poignée de personnalités au riche passé d’extrême droite. Le président du parti, Jérôme Munier, est issu du Parti Populaire de Modrikamen puis des Listes-Destexhe, formation pour laquelle il a été candidat en 2019. Le parti avait été créé par un dissident de droite du MR, Alain Destexhe. Gregory Vanden Bruel a travaillé comme assistant parlementaire du PP au parlement wallon de 2014 à 2017. Patricia Potigny a siégé au parlement wallon de 2015 à 2019, d’abord au nom du MR avant de passer aux Listes-Destexhe en 2019 (ce qui a fait perdre la majorité au MR-CDH). Anne Maurice était candidate sur les listes bruxelloises des Listes-Destexhe. Munier, Potigny et Maurice ont formé l’asbl La Ruche, créée avec le parti « Chez Nous ». Munier et Vanden Bruel, ainsi que Jordan Bardella (RN) et Tom Van Grieken (VB), étaient les visages publics de la conférence de presse qui a donné naissance à « Chez Nous » en octobre 2021.

Fait remarquable, presque toutes les tentatives de réunions publiques de « Chez Nous » se sont heurtées à la résistance antifasciste. Pour la conférence de fondation à Herstal, il y avait 276 inscriptions, mais l’événement a dû être transformé en catastrophe en simple conférence de presse sans accès public après suite à la mobilisation antifasciste et au retrait de l’autorisation par la commune. Une dynamique similaire a été mise en branle à plusieurs reprises par la suite, à la grande frustration de « Chez Nous ». À partir d’entretiens avec des militants du parti, Benjamin Biard conclut que cette situation a un effet démoralisant et joue un rôle dans l’abandon de certains d’entre eux ou dans la diminution de l’activisme d’autres.

La mobilisation antifasciste, et l’isolement social qu’elle contribue à alimenter, augmentent le seuil à franchir pour devenir actif dans l’extrême droite. Il existe en outre un cordon médiatique du côté francophone selon lequel l’extrême droite n’est pas autorisée à s’exprimer (mais qui a déjà été rompu à une occasion concernant « Chez Nous »). Jérôme Munier est déjà apparu sur les chaînes flamandes VTM et VRT, mais presque pas sur les chaînes francophones. Si les médias traditionnels et le monde politique établi adoptent cette attitude, c’est la conséquence de la pression sociale alimentée par le mouvement ouvrier et les antifascistes. Toutefois, comme on peut le constater du côté néerlandophone, il vaut mieux ne pas trop compter là-dessus. La croissance du VB est rapidement venue à bout de l’intransigeance des médias et même des partis traditionnels. Nous ne pouvons compter que sur notre propre résistance.

C’est pourquoi, à chaque tentative de réunion publique, il y a eu une mobilisation active : du 27 octobre 2021 à Herstal pour la fondation de « Chez Nous » en passant par l’université d’été avec notamment le député VB Filip Brusselmans en juin 2022 à Liège, une université d’hiver début 2023 à Charleroi ou encore un meeting à Charleroi (et ensuite Mons) en mars 2023. Cela rend « Chez Nous » plus discret dans ses annonces et plus en retrait sur les réseaux sociaux, où il investit beaucoup d’argent. « Chez Nous » revendique 250 membres, mais son noyau militant se limite à quelques dizaines de personnes. Parmi celles-ci, on trouve des militants auparavant actifs au sein des Listes-Destexhe et du Parti Populaire ; quelques jeunes qui, dans la tradition de l’extrême droite élitiste en Flandre et ailleurs, se prétendent « distingués » dans leurs costumes sur mesure ; mais aussi des « nazis à bière » plus traditionnels qui proviennent de groupes tels que Nation. Cette combinaison entraîne des tensions internes, comme doit le reconnaître un ex-militant dans une interview accordée à Benjamin Biard.

Pour l’élite ex-libérale, il n’est pas facile de se faire passer pour un ouvrier ou d’employer une rhétorique sociale crédible. De plus, la question nationale reste un sujet brûlant. Il existe un accord avec le VB pour ne pas se marcher sur les pieds à Bruxelles et, le 29 mai de l’année dernière, « Chez Nous » a participé avec une délégation un rassemblement bruxellois du Vlaams Belang. Cependant, une partie importante de « Chez Nous » est belgicaine. Les affiches avec le visage de Marine Le Pen collées dans la ville frontalière de Couvin le 22 janvier, par exemple, comprenaient un drapeau belge.

Qu’en sera-t-il en 2024 ?

Le programme de « Chez Nous » est largement parallèle à celui du Vlaams Belang, à l’exception du thème communautaire, absent du programme du parti wallon. A son cœur se trouve le racisme, avec un accent mis sur l’identité chrétienne et l’opposition à l’immigration. Les tentatives visant à se présenter comme « social » sont très maladroites, la rhétorique sur les lourds impôts qui pèsent sur les travailleurs ordinaires est rapidement associée à des demandes de réduction supplémentaire des impôts sur les sociétés, en particulier sur les entreprises. Le communautaire est absent, bien que l’accent soit mis sur l’opposition aux politiciens établis et aux « élites » (vous savez, ces entrepreneurs qui devraient payer moins d’impôts, selon « Chez Nous »). Une légère différence avec le programme VB concerne l’écologie. « Chez Nous » se présente comme un défenseur de « l’écologie de terroir ». Cette approche sert de tremplin pour dénoncer la mondialisation néolibérale, mais aussi pour mettre l’accent sur la production locale et de proximité. Il s’agit d’une tentative de gagner le soutien des petits producteurs et des commerçants. Cela s’inscrit également dans le courant conservateur « anti-woke » qui considère suspecte chaque opposition à l’oppression.

Pour participer aux élections, « Chez Nous » devra collecter des signatures (ce n’est que pour la Chambre qu’il peut utiliser les signatures des parlementaires du VB). Cela ne sera pas évident, mais la portée des réseaux sociaux ne doit pas être sous-estimée. En outre, l’extrême droite dispose d’un terrain propice pour marquer des points : une accumulation de problèmes sociaux après des années de politiques antisociales qui ont laissé un groupe de plus en plus important de la population à l’écart. Il ne faut pas attendre de réponse des partis traditionnels au pouvoir depuis des années, ni même de ceux qui votent des motions pour déclarer leur commune ou leur ville « ville antifasciste » (Charleroi, Namur, Liège, La Louvière, Mons). Une réponse antifasciste est indissociable d’un programme qui part des besoins de la majorité sociale et des luttes pour réaliser ce programme.

Si l’extrême droite a du mal à s’organiser en Belgique francophone, c’est principalement en raison de la présence d’un mouvement ouvrier puissant qui a systématiquement repoussé toute tentative d’implantation de l’extrême droite. Un autre facteur important, plus récent, est l’existence d’une alternative électorale de gauche sous la forme du PTB, qui permet d’exprimer sa colère contre l’establishment. Cependant, le terrain propice à la croissance de l’extrême droite existe bel et bien. Des formations plus importantes comme celles de Le Pen, Van Grieken et Wilders veulent utiliser leurs ressources pour transformer le potentiel de l’extrême droite en Wallonie en une force électorale.

Le mouvement ouvrier doit prendre ce danger au sérieux. Cela signifie qu’il faut prêter attention à ce qui se passe à l’extrême droite et construire une protestation antifasciste efficace. Un antifascisme cohérent est indissociable d’une opposition farouche aux politiques antisociales et à celles et ceux qui les mettent en œuvre, même s’ils et elles se prétendent « de gauche ». Personne ne compte sur les pyromanes pour éteindre un incendie, et l’antifascisme ne fait pas exception à la règle. Un programme audacieux de transformation social est l’un des piliers de la lutte contre l’extrême droite.

Voir en ligne : socialisme.be

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