Sommaire
- Préface
- Communiqué 1
- Communiqué 2
- La tour en échec
- Occuper la Bourse du travail (ou presque)
- La pré-ouverture
- L’ouverture
- La première AG
- Point Info
- Voyage & exil
- La première soirée
- Frayeurs d’expulsion
- Première fois au tribunal
- Bienvenue chez la MDP !
- Art de faire chier
- Communication politique interrompue
- L’expulsion du 6 juin
- L’après expulsion
- Bilan MDP

Préface
Pour certain.es, l’histoire commence à la gare. Il y a plein de gens qui attendent leur train et entendent parler de l’ouverture du lieu, et qui viennent voir. Certain.es repartent prendre leur train et pour d’autres, il y un gros dilemme : il y a une méga-ambiance ici. Alors ils vont rester avec nous parce qu’ils ont ce sentiment qu’ici il va se passer des dingueries, il est temps de changer ses plans et de vivre ici et maintenant.
On veut pas d’un texte lisse où tout va dans le même sens. Parce que construire ce récit nous fait comprendre, nous rencontrer, revenir sur les moments les plus difficiles et se soutenir, faire perdurer les liens, pour continuer à s’organiser. Parce qu’on ne veut pas oublier.
Communiqué 1
À la suite de la manifestation du 1er mai 2023 [à Toulouse], rien ne s’arrête, une maison du peuple est ouverte 62 boulevard Pierre Semard ! À quelques pas de la gare sur un des sites pressentis pour la Tour Occitanie.
Des infos contradictoires tournent : "suivre le bruit des casseroles !" et des rdv sont donnés pour après la manif. Mais il y a des casseroles de partout et il n’y a pas de fin à la manif. Les affrontements sur le boulevard sont intenses, un camion de police est nassé et chahuté, les flics reçoivent des émulsions joyeuses, cacatovs et autres réjouissances. Le cortège est coupé en deux par la police, les lacrymos ne font pas peur, les gens sont équipés et les renvoient. Une barricade enflammée bloque la direction du bâtiment qu’on veut ouvrir, on est dépassés par la spontanéité, les gens appellent à rester à Jean Jaurès. Des rassemblements annexes à la manif réussissent à se composer et à converger en direction du bâtiment. Par hasard, la manifestation sauvage remonte les allées Jean Jaurès dans la même direction. Un cordon de CRS se retrouve sur le trottoir en face du bâtiment qu’on veut ouvrir, leur but peut être d’empêcher la sauvage de Jean Jau d’atteindre la gare. Mais la 2e sauvage arrive par un autre angle. Les CRS, pris en étau, ne savent plus où gazer parce que toute action peut se retourner contre eux. Et là, un culot de ouf, on avance malgré leur présence, la porte du bâtiment est ouverte de l’intérieur et tout le monde rentre dans l’ancien local des cheminots. Victoire, la maison du peuple est à nous ! Curieux.ses, les manifestant.es visitent un bâtiment labyrinthique et se l’approprient spontanément. Un drapeau rouge est planté sur le toit. Des tags et banderoles ornent déjà les murs du bâtiment : maison du peuple, soutien aux blessé.es de Sainte Soline, etc. Le lieu est inoccupé depuis des années, il y a tout à faire : rétablir l’eau courante, l’élec... Les espaces s’aménagent dans l’euphorie.
Les accessoires des cheminots habillent les personnes comme les salles. Dans un contexte d’inter-ville du zbeul, les signalétiques ferroviaires donnent un nom de ville à chaque pièce. Après le déblayage des gravats arrive celui des idées. La nécessité de prouver la légitimité de l’occupation est vite balayée au profit de l’envie de faire des actions pour continuer le mouvement ensemble : tout le monde est d’accord, on 6 mai sans attendre le 6 juin ! D’autres AG suivront tous les soirs de la semaine. Très vite, il est décidé d’étendre notre présence dans la ville en organisant un point info régulier sur le parvis, à deux pas de la gare. La soirée se termine sur un freestyle de rap. Posé.es sur le toit de ce bâtiment de l’hypercentre, on surplombe les keufs et on savoure ce moment de puissance collective. Les passants s’arrêtent et nous klaxonnent. Par peur de s’éterniser, les flics grillent quant à eux le feu rouge sous les huées.
La bourgeoisie toulousaine veut que ce lieu devienne le cœur du quartier d’affaire toulousain en y construisant la tour Occitanie, retrouvons-nous au 62 Boulevard Pierre Semard pour en faire le cœur de la révolte ! Pour que le premier mai dure toujours ! Aouh aouh !
La MDP de Toulouse
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Communiqué 2
Dès l’ouverture des portes de cette maison du peuple, beaucoup de gens affluent pour y trouver un lieu de lutte comme un lieu de refuge, où sécher des larmes et partager des rires. Mais nous le savons bien, pour en finir avec la misère et que tout le monde vive bien, il faut s’attaquer à la racine des problèmes et à la violence qui nous entourent. Nous partageons et mettons en œuvre une profusion d’idées et d’initiatives pour renverser la machine capitaliste et ses rouages qui nous broient toutes et tous. Nous voulons construire l’unité en faisant une place et en respectant la diversité de chacun.e pour éviter de reproduire des oppressions de ce système car elles nous affaiblissent et nous divisent, faisant le jeu du pouvoir.
Ici et maintenant, dans la maison du peuple, où nous arrivons de trajectoires diverses, ensemble, nous découvrons des perspectives révolutionnaires communes. Nous situons la maison du peuple dans un maillage de lieux de luttes, de refuges et de squats. Nous occupons aujourd’hui l’emplacement du projet de Tour Occitanie, fleuron du projet TESO qui entend construire un quartier de riches et d’affaires à grands coups de bulldozers. Situé.es au cœur de la bête, nous entendons bien nous étendre en multipliant les occupations et les actions contre de tels projets.
Rejoins-nous ! Pour que le 1er Mai dure toujours !
La MDP de Toulouse, jeudi 4 mai
La tour en échec
L’occupation de ce bâtiment fut un assaut de plus contre la tour Occitanie, « 150 mètres de mépris » que Moudenc entend ériger sur les ruines de la maison du peuple pour surplomber les pauvres restes du faubourg Bonnefoy. Deux visions de la ville et de la vie qui n’auront jamais rien de conciliable : d’un côté, le lissage et la destruction de tout élément un tant soit peu chaotique du bouillonnement urbain pour empiler des mètres et des mètres cubes de cubes de bureaux ou d’habitation, de restaurants panoramiques, de bars lounge et d’hôtels Hilton, sillonnés de parcours à gyropodes pour des « mannequins glacés avec un teint d’soleil ». De l’autre, un grand besoin de chaleur et de rompre l’isolement, d’alimenter nos révoltes et d’accueillir les passants, même si le café, on l’avait souvent tout bu. Mais rappelons-nous qu’il y a quelques années, entre 2017 et 2020, les architectes de la future tour et du grand dégagement furent attaqués à trois reprises par des noctambules. L’agence Cardete & Huet, située au 38 rue Alfred Dumeril, vit donc plusieurs fois ses serrures collées, ses vitres brisées et sa façade recouverte, des actions revendiquées aux chants de « Architectes, urbanistes, cassez-vous, bim bam boum » et narguant un maire qui se vantait de « résorber les squats et les bidonvilles ».
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Occuper la Bourse du travail (ou presque)
Les maisons du peuple du 19e et 20e siècle sont des monuments classés historiques qui ont perdu leur histoire. Elles étaient des lieux de rassemblement, d’organisation, de solidarité et de mobilisation politique, jouant un rôle important dans les luttes ; l’organisation autonome des travailleurs représentait un contrepoids à l’autorité municipale. Au fil du temps, la classe ouvrière a été désorganisée, ses maisons ont été fermées et remplacées par des Pôle emploi…
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Poulpe : Le vendredi 14 avril, aux alentours de minuit, on est au bar avec des potes, on discute de la peur que la prochaine grosse manif soit la dernière parce que la rumeur c’est que les syndicats vont arrêter d’appeler à des manifs. Les mouvements ne sont pas faits pour être tués par les bureaucraties syndicales !
Avec un pote on se motive pour faire un tract pour appeler à l’occupation de la bourse du travail, on s’y met direct, à 3h le doc est fini, on imprime le matin avant la manif de 10 heures.
On distribue les 1000 tracts qui appellent à un rdv post-manif pour occuper la bourse. Quelques personnes nous alpaguent avec agressivité en lisant le tract : "C’est quoi ça ? C’est qui ?" Y a pas d’orga qui signe, ça les panique les bibous. Y a un autre appel en parallèle pour une autre action post-manif. Quelques personnes viennent pour l’occup’ mais il y a surtout des gens de la CGT qui guettent et empêchent d’y entrer. Le plan tombe à l’eau. J’ai kiffé écrire ce tract avec mon pote, on a bien rigolé, et les idées, on ne sait jamais, ça s’échange, ça disparaît, ça fait écho, et des fois ça se rencontre et ça crée des trucs. Nik le capitalisme, Nik le pouvoir, Nik le racisme, le sexisme, la LGBTphobie, le validisme, le classisme, et toutes les oppressions, Nik le patriarcat et toutes les hiérarchies !
Et puis en fait, ce n’était pas la dernière manif !
La pré-ouverture
Grenouille : Le conseil constitutionnel venait de rendre sa décision, il validait la réforme des retraites. Donc on s’est retrouvés place du Capitole pour une casserolade, il pleuvait à fond, alors on s’est dit qu’il nous fallait un lieu pour discuter et se rassembler à l’abri.
On était une dizaine de OATT (On arrête tout Toulouse) et vous étiez deux personnes qu’on ne connaissait pas. Avec OATT, on avait l’idée de plusieurs projets : le carton rouge à la finale de la coupe de France de football, et la tentative d’ouverture d’un lieu pour faire une maison du peuple. Vous étiez ultra déter pour participer aux cartons rouges.
Baleineau : Dans le contexte interville du zbeul, le match de foot Toulouse- Nantes ça nous parlait bien. Après l’ouverture de la MDP on a appelé la MDP de Nantes et on s’est foutu de leur gueule, on a dit "non seulement on a gagné le match mais notre MDP est mieux que la vôtre ! Vive l’interville, vive le zbeul !"
Grenouille : Pour la maison du peuple vous étiez encore plus chauds. On vous demande si c’est jouable d’ouvrir une MDP le premier mai, pendant la manif, vous répondez que c’est jouable. Mais où ? On s’est revus plus tard dans un bar, et quelqu’un nous parle d’un bâtiment potentiel.
Baleineau : Un pote me contacte pour me dire qu’il est dans la merde, qu’il va se faire expulser de chez lui. Je suis allé chez lui pour lui dire qu’on allait l’aider, mais j’en profite pour lui demander de l’aide parce qu’il connaît tous les meilleurs plans d’exploration urbaine. Je l’invite à la réunion au bar et effectivement il propose cette super idée de bâtiment en plein centre-ville.
Grenouille : Il s’avère que le lieu fait sens parce qu’il est au cœur d’un projet surdimensionné de gentrification. Bingo. On s’est revus le vendredi soir, on a validé et le soir même il y a des gens qui sont partis faire la préouverture.
Le 1er mai on est à la médiathèque, il est 16h, les gens étaient plutôt d’avis qu’on n’était pas assez préparés, mais le groupe s’est motivé quand même, et on y est allés ! Sauf qu’on avait un problème : il y avait les flics sur le pont, mais ils étaient là pour la manif. On n’y croyait pas mais la déter collective a fait qu’on avançait quand même. Si on avait pris une heure de plus de réflexion on n’y serait jamais allés. Mais ça a pris, parce que les gens en avaient besoin. C’était dans l’air.
Baleineau : Il y a eu ce truc inconscient de décider comment on l’ouvre mais pas comment on y vit. Moi je prenais même le risque de dire qu’il ne faut pas parler de comment on va y vivre parce que sinon ça va nous empêcher de le faire. Maintenant avec le recul je ne referais pas ça, mais je ne regrette pas.
Grenouille : Ça nous a été reproché car des personnes en ont souffert.
Baleineau : Oui, des gens ont été agressé, des gens ont abusé du fait qu’il n’y ait pas de cadre, mais il y a aussi des gens qui ont trouvé un espace pour s’impliquer et le cadre on l’a construit ensemble.
L’ouverture
Zèbre : Le premier mai, nous sommes en manif avec un copain. Il y a quelques affrontements vener avec la police. Les panneaux de pub valdinguent, les murs se couvrent de slogans perçants. Quand tout le monde s’est un peu dispersé, les flics nous chassent en haut de Jean Jau. Soudain, une foule débarque et entre dans un bâtiment, devant les keufs. On hésite, on n’a pas envie de se faire traquenarder dedans. Alors on attend dehors jusqu’à ce que la porte se rouvre. Petite visite express, on assiste à l’euphorie générale. Les gens montent sur les toits, chantent, dressent un drapeau. C’est la fête, ça crie aux voitures et elles klaxonnent en retour. La maison du peuple vient d’ouvrir, au cœur de Toulouse, juste à côté de la gare, devant tout le monde, et personne ne nous vire !
Chenille : Une pote me passe l’info d’un open mic’, c’était le premier mai 2023, je regarde l’adresse : improbable ! C’était ce vieux bât près de la gare ! J’arrive et je vois tout le monde sur le toit, c’était grave cool ! Je rentre et m’égare avec les gens. Quelqu’un dit « Au fond, les gilets SNCF ! » alors ils les mettent et rappent sur une bande son SNCF. Les gens commencent à délirer aussi avec les morceaux de murs. On en fait un jeu : Le gravla. Le but est d’ajouter le plus de gravats possible sans faire tomber
la tour ! Des morceaux vont aussi être mis ironiquement en vente à prix libre sous le nom de « gravla de la révolte ».
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La première AG
Biche : On était blindés dans une petite pièce, les volets étaient fermés, c’était irrespirable. Tous les groupes politiques étaient là, les gens s’affrontaient. C’était caricatural. On sentait qu’il pouvait y avoir prise de pouvoir. Il y avait débat, contradiction, comme tout le monde venait d’horizons différents. Quelle allait être la pensée dominante ? Au final il n’y en a pas vraiment eu. Les personnes qui ont ouvert, et qui sont restées là avaient peut-être un peu plus d’importance politiquement, mais je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu de grosse autorité.
Après, ils ne voulaient pas que n’importe qui se ramène et prenne les devants non plus, normal.
Sanglier : Il y avait un monde fou, mais la majorité des gens ne sont pas restés à
la MDP. Plein d’idées ont fusé, ont été proposées, puis pas poursuivies.
Blob : C’est le bordel, y a masse de gens, c’est toxique dans l’air et dans les propos. Y a un pote qui débarque et voit ça, puis part, j’étais si desolé·e pour lui. Je sais qu’à partir de ce moment j’ai su qu’on n’aurait pas de "communion", mais en vrai, c’est une expérience que je ne regrette en rien.
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Point Info
Au début, on refuse de faire un énième groupe Telegram, Signal ou page Facebook. On est contre recomposer les forces militantes via un canal virtuel. La maison du peuple, ça sera une maison de lutte. Tu veux des infos, tu viens et on s’organise. On a décidé d’organiser un point info à l’extérieur de la maison pour ouvrir l’intérieur de la maison sur la ville, rejoindre les actions interville du zbeul, casserolades, manif a vélos...
Effectivement on installe le point info devant la maison, c’est plus pratique pour guetter l’arrivée d’huissiers ou de flics. En tout cas, ça pose un truc territorial, notre présence est marquée dans la rue, on a peint une place de parking dépose minute sur la 3 voix devant la maison. On est là, la police municipale est trop deg MDR. Quand on sera expulsés 35 jours plus tard après le premier point info, on se recroisera toutes et tous, dans des bars, des points de manche, devant la gare ou dans la rue tout simplement. On en profitera pour s’échanger des infos, se donner des rdv, on se retrouvera à 40 dans les réunions post-MDP, c’est très impressionnant parce que même les gens sans téléphone seront là. Les amis, le réseau, la ville, c’est nous. La maison du peuple existe encore, vive la MDP !
Furet : On se dit, on va faire une manif made in MDP, on se déter, on fait jouer nos réseaux, un groupe dit qu’ils vont venir déter de fou, ça s’anime, ça s’agite. On se retrouve au moment prévu, à trois avec les GJ-antivax, on sait pas quoi faire, mais au compte-gouttes des têtes arrivent. On est presque un groupe de dix !! On se dit qu’on va aller soutenir une autre orga qui avait un event pas loin et pas mal dans nos idées. On se retrouve à faire la manif avec elleux, et des GJ qui ont rien compris, qui scandaient des slogans en rapport avec les retraites alors qu’on était pas là pour. Je pense que c’est là que j’ai compris que la MDP avait un don pour zbeuler partout, tout le temps.
Zèbre : Ici, il y a toujours des situations improbables qui nous rappellent pourquoi on existe. Des petites pépites qu’on partage dans un cadre complètement improbable et fou, littéralement. Des milliers de moments, où les âmes se croisent par hasard et composent ensemble.
Voyage & exil
Kangourou : Début mai 2023, clandestinement j’ai pris mon vélo sur un bateau pour traverser la Méditerranée. Un ami m’a récupéré avec son fourgon dans lequel nous avons dormi et voyagé. J’ai pris le train jusqu’à Portbou et j’ai traversé les Pyrénées. La Catalogne derrière moi, des d’histoires d’exil politique résonnent les allers-retours : Walter Benjamin poursuivi par la Gestapo dans ces chemins, à Argelès, il y avait un grand camp de concentration pour les républicains espagnols, le poète Antonio Machado enterré à Collioure disait, « voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant ». À Perpignan, j’ai passé une nuit avec deux Catalans dans un bar où l’on pouvait fumer ! Le lendemain matin, je me suis faufilé dans un train, la direction que je voulais prendre était la Hollande... mais je me suis arrêté à Toulouse ce 9 mai en espérant trouver une correspondance vers Paris, en cherchant une bibliothèque, j’ai trouvé la Maison du Peuple !
La première soirée
Tout le monde prend part à l’orga, on assure. C’est le seul moment de la MDP où tout le monde est investi dans un rôle décidé collectivement, et où il y a un accueil pour chaque personne avec une présentation du lieu et de ses règles. Il y a aussi un groupe de personnes à qui s’adresser en cas de problème, et qui veille sur le collectif. Quelques heures avant le concert, les chiottes tombent en panne. Mais on réussit à déboucher celles du sous-sol et ça ne pose finalement pas de problème.
Zèbre : On va faire la récup la veille avec deux camarades. On escalade le portail du super U pour chourer tous les fruits et légumes. Le lendemain on passe la journée à préparer, puis le soir les gens déboulent, la musique commence, ça fait trop du bien de se retrouver et de se détendre un peu. Amener des bonnes vibes au lieu. La maison n’a jamais été aussi paisible que pendant ce gros punk hardcore !
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Frayeurs d’expulsion
Zèbre : Il est cinq heures à la maison du peuple. Les voix raisonnent, la guitare fait scintiller ses ondes, Marseille est devenue une piste de patin à roulette, le sous-sol fait rebondir des poèmes. Il y a les keufs, merde. Cinq camions postés devant la maison, il est 5h45. Avec une camarade on décide de monter sur le toit pour les surveiller, on dit à la maison de se réveiller et de barricader les portes. Le ciel est rose, l’air est frais, Toulouse s’éveille doucement. On rampe jusqu’au bout du toit et on observe les keufs à travers un trou. Je reste au téléphone avec un camarade qui est dedans, j’agis avec la peur. A 6h06, ils se barrent, ce n’était pas pour nous. On rentre, il faut qu’on s’organise mieux pour gérer l’expulsion.
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Première fois au tribunal
Les huissiers sont passés, ils nous ont filé des convocs au tribunal pour le lendemain. On passe la journée à s’organiser, rédiger un dossier de défense, réfléchir à des arguments pour contrer les attaques. On réfléchit aussi à ce qu’on peut faire si on se fait expulser, pourquoi pas faire une MDP à la rue, ou déménager direct dans un autre bât ! On réussit à obtenir un report, mais ça a foutu un coup à l’ambiance. Ça nous a rappelé que tout ça aura une fin. On a donné tant d’énergie... pour pas beaucoup de résultats… Finalement la MDP nous laisse un peu cette impression que c’était beaucoup de galère, beaucoup de problèmes, beaucoup de souffrance pour pas beaucoup de changement et d’actions. Ce week-end le lieu est désert, il n’y a plus rien à faire.
Monter une défense ? Mais pour défendre quoi ?
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Zèbre : Medhi 2 ans et demi, ne parle pas français et vit à la maison de peuple.
Un jour je me balade dans la maison quand je le vois tenir un drapeau de la Palestine en criant ses premières paroles françaises : « On est là ! »
Bienvenue chez la MDP !
La maison du peuple doit passer en jugement, et on n’a obtenu que deux semaines de report pour travailler le dossier et se mettre d’accord avec un avocat. On arrive à obtenir un rendez-vous, auquel on décide de venir nombreux : il y a tous ceux, non solvables, qui ont accepté de mettre leur nom sur la procédure, et quelques personnes qui ont élaboré des axes de défense en épluchant le dossier de la partie adverse.
Débordante, délirante comme est la MDP, on se doute bien qu’on ne va pas mettre que 15 minutes à pied pour rejoindre le cabinet, mais qu’il faut plutôt prévoir une heure. Car google maps est loin de se douter d’à qui il s’adresse ! D’ailleurs, à peine parti, notre joyeux convoi s’est déjà transformé en manifestation spontanée, emmenée par le clairon de Koala : « Et oui, mesdames et messieurs, c’est la
Maison du peuple qui déferle sur la ville ! On a du café, des beignets… Il faut venir, c’est chaleureux par chez nous ! N’hésitez pas à soutenir la maison du peu… - Et d’ailleurs, pour nous soutenir matériellement, vous n’auriez pas une clope ? » Embraye naturellement notre plus grand taxeur. Taxeur qui, sur des coups de têtes, décidera deux ou trois fois qu’il ne veut plus venir et rebroussera chemin en maugréant, avant de courir nous retrouver au dernier moment.
Forcément, on croise une classe d’élèves de primaires en sortie piscine, avec leur mini gilet jaune. Et donc, forcément, on se met à les applaudir et à chanter « On est là !! » . Ce qui a l’air de les laisser de marbre. Après avoir presque réussi à se paumer dans notre ville et perdu du temps à gratter des clopes, on arrive enfin chez l’avocat, avec dix minutes d’avance. L’escalier en bois massif de ce bâtiment historique est si beau, si lustré, les plafonds si hauts, avec leurs moulures de plâtre, que les voisins qui ont eu le malheur de descendre quand on montait se prennent quelques réflexions. L’assistant de notre avocat essaye de nous entasser dans une minuscule salle d’attente, on comprend très vite que ça ne va pas être possible et on redescend. Mais on fout tellement de bordel dans cette rue chic qu’il ne tarde pas à nous faire remonter et à nous prendre en avance sur notre rendez-vous.
Le rendez-vous, je pense que les trois stagiaires qui étaient avec notre avocat et lui-même s’en souviendront longtemps. Nous voici à douze entassés autour d’une table ronde, situation déjà peu banale. À peine entré, Caméléon se fraye un chemin vers la fenêtre et commence à l’ouvrir en affirmant « Je peux fumer ». On doit monter d’un ton pour lui faire renoncer à l’idée. On essaye tant bien que mal d’expliquer la situation à l’avocat concernant l’expulsion, et nos potentiels axes de défense, mais Caméléon tient absolument à parler du carnaval organisé le week-end précédent, au cours duquel les flics ont détruit nos cabanes et chars. D’habitude, on est prêts à faire durer les AG des heures voire des journées, pour que tout le monde puisse dire ce qui lui tient à cœur. Caméléon entend bien profiter ici de ce même espace de parole, et on finit par abdiquer devant son insistance. L’avocat essaye d’optimiser son temps en se plongeant dans le dossier pendant le hors-sujet, mais Caméléon ne tardera pas à le rappeler à l’ordre, en tapant du poing sur la table juste devant lui : « Oh, copain ! Tu vas m’écouter quand j’te parle ! » Et voilà l’avocat contraint de l’écouter jusqu’au bout !
On décide d’écourter un peu, de toute façon on a tout écrit ce qu’on pensait pertinent. Quelqu’un demande s’il peut aller aux toilettes, et c’est d’un ton un peu étranglé que l’avocat lui répond « Euh, normalement ce n’est pas pour les clients, mais bon... » Il sent bien que s’il dit non, l’autre risque de pisser sur son tapis ! En partant, Pie ne manque pas de lui demander, avisant un tas de lattes entreposé dans un coin : « Vous en faites quelque chose, de ce parquet ? » Enfin dehors. Un petit café pour débriefer, et c’est reparti. En plus petit comité, on se retrouve dans un magasin de farces et attrape, où Pie en profite pour gauler un bob bière et deux brassards orange « picole nationale ». C’est ainsi accoutrés qu’on fera notre retour tonitruant à la MDP. Quelques minutes plus tard, assise sur un canapé à raconter cet entretien surréaliste, je verrai un berger allemand passer devant la porte, le brassard « picole nationale » autour du cou.
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Art de faire chier
Baleineau : Kangourou est un personnage atypique pour le moins qu’on puisse dire, il s’auto-définit comme poète, parle de post-modernisme, d’anarcho- féminisme et d’anti-impérialisme. À son premier jour il ne parle pas français, il interagit donc avec nous par l’art de faire. Il joue avec l’espace. Il tente de sensibiliser en construisant des sculptures à partir d’objets trouvés. Il tire des rallonges pour alimenter le matériel électrique d’une pièce et tire une rallonge depuis cette pièce pour alimenter une autre pièce. Les deux rallonges se croisent, ça va rester comme ça un moment parce qu’on a tous supposé qu’il y avait un problème de tension ou que l’élec ne fonctionnait pas dans une pièce. Finalement le mystère est dénoué, ça n’a aucun sens. Mais deux rallonges peuvent être libérées.
Les merdes de chien pas ramassées c’est un problème. Ça nous arrive aussi de ramasser des merdes d’humain, il y a quelqu’un qui fait caca à côté des toilettes toutes les nuits mais on ne comprend pas vraiment ni comment ni pourquoi. Mais bref c’est pas le sujet ici, on parle des excréments de chien. Kangourou les ramasse et les dispose dans des coupes. Un jour il pose la coupe pleine de merde à côté de la machine à café, ça fait péter un câble à tout le monde. La coupe, le symbole de la victoire pleine de merde, ne sera pas l’action la plus victorieuse.
J’entreprends de défendre son mode d’expression, peut-être qu’il cherche à nous dire de nous organiser pour sortir les chiens collectivement. On ramasse lesmerdes à la place des maîtres, pourquoi est-ce qu’on ne promènerait pas les chiens aussi. Mais il n’y a aucune perspective organisationnelle, il faut juste mettre la faute sur quelqu’un et là c’est Kangourou qui prend, parce qu’il a trop remué la merde.
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Communication politique interrompue
La retraite on s’en fout on ne veut pas travailler du tout !
Nous, on s’en fout du 49.3 tout ce que nous voulons c’est l’inconnu dans la révolution !
Sans intermédiaire, nous parlons de révolution partout et tout le temps. L’actualité syndicale est la grève de Tisseo, en commission action nous parlons de la gratuité totale des moyens de transports comme perspective de lutte. Le principe de la gratuité met en cause le système capitaliste et les fondements verticaux de la société. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.
Depuis le deuxième communiqué, il y a eu une dégringolade sur la communication externe : chien de garde du pouvoir, Instagram a supprimé notre compte et nous ne prenons plus le temps de publier des textes sur le site internet iataa.info .
Nous développons des formes d’organisation avec et pour ceux qui sont là, en poursuivant la lutte, par des mots et des actes. Pour que le 1er mai dure toujours, nous poursuivons le mouvement dans le sens contraire du capitalisme. Au quotidien, nous parlons de la gentrification du quartier, de la vie et de la ville comme marchandises réservées aux plus fortunés. Repoussés de partout, nous reconnaissons les nôtres, ceux pour qui résister rime avec s’entraider.
Maintenant que nous assiégeons les rêves des promoteurs urbains et du Maire dégueulasse de la ville, du bas de nos fortifications, nous les insultons et nous jurons de les dépersonnaliser une fois les structures du système économique détruites. Nous sommes au début d’une tour qui tombe, mais nous avons conscience qu’elles ne sont pas toutes alignées comme des dominos : le système est complexe à détruire, pour ce il nous faut agir, enquêter, conspirer, vivre, détruire… et continuer !
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L’expulsion du 6 juin
Têtard : Jusqu’au jour où, le 6 juin, en retour de manifestation, les forces de l’ordre sont entrées dans la maison avec une violence extrême. J’étais en train de m’occuper d’un blessé dans la chambre lorsque j’ai entendu que la police essayait de rentrer. Nous avons couru à la porte pour la fermer. Nous avons reçu un jet de gaz lacrymogène en travers de l’embrasure de la porte. Nous ne voyions plus rien et en nous retournant les policiers étaient derrière nous, ils étaient rentrés par le toit.
Chèvre : On commence à sentir du gaz et à entendre boum boum. On était dans la chambre mais on pensait qu’ils ne nous trouveraient pas. T’sais c’était celle derrière les douches. On les entend se rapprocher. On s’est dit qu’on allait faire semblant de dormir. Et là il y en a un qui entre, il était en kiff total. Il nous met du gaz dans la gueule, nous matraque, et nous traite comme des chiens. C’était violent le truc, on pouvait plus respirer, il y a des gens qui ont fait des malaises.
Ils nous ont foutus sur le trottoir, on était encerclés. On pouvait plus bouger sinon on se faisait frapper, et quand tout le monde était dehors, ils ont ouvert les portes, on s’est repris une vague de gaz t’sais. Moi j’avais réussi à montrer le vieux permis d’un pote pour pas donner mon identité, car sinon ils m’auraient embarqué et je ne serais peut-être pas revenu. Mais ce qui fait chier c’est qu’on a perdu toutes les affaires. Moi j’avais 500 balles que je venais de retirer, et plein de gens avaient des affaires de valeur. Et en plus ils ont fait tout ça illégalement, quelques jours avant le procès. Ils ont profité qu’un mec ait tiré des feux d’artifices depuis le toit pour nous défoncer.
Papillon : Rien n’était clair, on savait même pas qu’on se faisait expulser.
Lézard : C’est Tortue qui m’a invité le 3 ou le 4. J’ai fait un mois là-bas. Quand suis-je sorti de la MDP ? J’étais au sous-sol, il y avait du bruit en haut, je me suis demandé ce qu’il se passait. Puis là il y a des gaz qui ont commencé à descendre.
C’est exactement comme ça qu’ils dératisent les égouts à Paris. J’étais avec d’autres personnes. On se fait bloquer par quatre, cinq flics, genre Robocop. Il nous demandent combien on est. Ils nous poussaient en gueulant « plus vite », alors je leur dis « Oh, à mon rythme ». Puis on est sortis. J’ai vu qu’il y avait des goupilles de grenade, j’en ai ramassé une, ça peut être sympa comme porte-clés ! Castor ça a été le dernier à sortir de sa piaule. Il s’était mis derrière la porte. Ils ont cassé la porte, car elle était bien verrouillée, et ils ne le voient pas car il était sur le côté de la porte. C’est plus tard que l’OPJ s’est pointé, qui a regardé et qui s’est dit « oh ! toi t’es un bon ».
Tortue : Quand le camarade a envoyé la fusée, on était cinq sur le toit, la fusée éclate sur la voiture de police. On voit toute la gendarmerie arriver devant la MDP, je dis à tout le monde de fermer la porte. Mais ils ont gazé par le trou de la serrure. Les autres sont descendus mais moi j’étais encore sur le toit. Je vois trois mecs, des flics, monter sur le toit et je me demande vraiment ce qu’ils foutent là. Je ne pensais pas du tout qu’ils monteraient, en principe sur le toit on était tranquilles.
Je vais pour rentrer par la fenêtre et là j’ai eu un retourné acrobatique. Il m’a retourné à l’envers, m’a mis les menottes, la tête dans les graviers, à mon âge ! Ils m’ont fait passer par la fenêtre et traverser toute la MDP. J’avais mal, les menottes étaient serrées à fond. Ils m’ont fait rejoindre les camarades dehors. À chaque fois qu’ils ouvraient la porte il y avait un méga-nuage de lacrymo, c’était horrible. Après j’ai donné ma pièce d’identité donc ils m’ont libéré. Je passe le pont, je voisdes flics qui me connaissent, ils me narguent en me disant qu’on a été virés, que j’ai pas ma 8.6 et tout, alors je vais m’en choper une puis je repasse devant eux avec !
C’est la première fois qu’on voit une intervention comme celle-là. C’était trop le zbeul. Ensuite on est allés au commissariat comme les camarades étaient embarqués. Il
pleuvait des cordes. On était sept ou huit à partir là-bas, on a mis le zbeul, on arrive au comico, il y avait un de ces mondes !
On avait une enceinte alors on a mis du gros mort aux vaches. Et là c’est parti en zbeulage un truc de fou. J’ai adoré ! Mais le problème c’est qu’on s’est fait bien massacrer avec le gaz. Il y avait un embouteillage, et le camion de flics débarque avec deux roues sur le trottoir. On commence à courir avec le camion juste derrière nous, prêt à nous attraper. On est arrivés rue des Minimes, on s’est séparés puis retrouvés dans un autre squat. Arrivés là-bas on était trempés comme des canards. C’était un beau jour quand même.
Parfois je me dis que cette expulsion c’était un mal pour un bien. Vu Vu le zbeul qu’il y avait à la MDP, tous les problèmes, ça n’aurait pas pu durer de toute façon. Il y avait trop de conflits, de clans, on était épuisés. Moi je dormais cent fois mieux dehors qu’à la MDP.
Lézard : Quand ils nous ont ramenés à l’hôtel de police avec le camion cellulaire, il y a Caméléon qui commençait à réclamer du tabac (c’était le plus gros gratteur de la MDP) ! Les flics ils le reprennent direct en lui disant qu’on peut pas fumer ici.
Il nous ont redemandé notre identité, je leur ai dit que je ne savais pas, que les gaz m’avaient fait perdre la mémoire, que je savais plus qui j’étais. Alors ils me disent « sous X ? Vous êtes la dixième ! » donc ils m’ont nommé X10. Le dernier à être sorti c’est Pie. Moi je suis sorti j’étais juste derrière. Il y avait des gens qui accueillaient les manifestants et d’autres pour la MDP.
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Après une journée sous les gaz, et une nuit de gardav pour certain.es, on est une trentaine à se réunir à l’autre squat. Et là, on retrouve une grande complicité, c’était le soulagement de se retrouver. On avait le sentiment d’avoir formé une communauté. Nous sommes la MDP en exil. Il y a une volonté de retrouver un lieu, de faire une soirée de soutien, de faire un atelier écriture, des projections photo/vidéo de cette expérience.
L’après expulsion
Baleineau : Discussions assez hallucinantes avec deux différents avocats, qui nous disent que du point de vue légal, c’est encore notre domicile et qu’on a le droit d’y retourner... Il n’y a pas de trace de nos gardes à vue chez le défenseur des droits, (parce que nos motifs d’arrestation c’était « réunion en vue d’installer un domicile + violation de domicile ». Mais c’est les gendarmes qui ont violé notre domicile donc on pourrait les mettre en GAV pour le même motif). Aucun huissier ne veut être payé pour faire valoir que c’est chez nous et qu’on a le droit d’y retourner, et les avocats du cabinet qu’on a payé pour nous défendre se désengagent de la situation, nous lâchent complètement, prouvant qu’ils font bien partie de l’appareil bourgeois et qu’ils n’ont aucun intérêt à défendre la situation du squat face à l’affront de la préfecture qui outrepasse la séparation des pouvoirs.
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Tortue : On avait trop d’affaires à récupérer à l’intérieur. Des choses qui sont toute notre vie. Des sacs, des papiers importants. Du coup on a fait une réunion pour faire une opération commando, que j’ai adorée ! Pendant au moins une demie-heure on s’est mis d’accord de comment on va rentrer, récup le max de sacs. On arrive devant, on se fait cramer direct car on est beaucoup, mais on a eu une chance de fou. Le maître-chien il était dans la salle Marseille. Quand on est rentrés on a pris le vigile, on l’a mis dehors, en lui expliquant qu’on venait récupérer les affaires, puis on a enfermé le maître-chien avec la porte blindée du couloir, il hurlait, il était vert. On n’a pas pu récupérer toutes les affaires, au bout de cinq minutes on a vu les flics arriver en trombe. Il y en a un qui s’est arrêté à l’angle qui est même pas sorti de la voiture et qui a commencé à gazer un truc de malade, puis la BAC est arrivée en sens inverse de la circulation, truc de fou. Alors on s’est enfuis le plus vite possible. On a quand même pu envoyer des affaires dans des voitures, et en cacher le long du canal. On s’est retrouvés à l’autre squat avec les affaires.
On a tenté de refaire une opération commando le 21 pour la fête de la musique. On a fait une discussion pour s’organiser mais il y avait trop de têtes brûlées qui voulaient absolument proposer n’importe quoi mais sans l’organiser. On est passés par-dessus la rambarde, on a fait sortir le vigile, mais on a vu des flics passer en moto, pas pour nous, mais on a flippé et on s’est barrés. Maintenant la MDP c’est fort locks, ils ont mis des barbelés tout autour, et des plaques sur les fenêtres.
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Un.e camarade passe devant le bâtiment, et constate que des employés de la mairie sont présents avec des camions et le matériel pour effacer les graffs. Alors il décide de filmer et photographier la situation car c’est symbolique, c’est un événement important à garder. Mais petit à petit, les tensions montent. Le personnel ne veut d’abord pas être sur les images, puis ne veut pas qu’il y ait d’images du tout. Il se retrouve intimidé physiquement, poursuivi et menacé.
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Zèbre : Je retourne à la MDP après une semaine. Le bâtiment est vierge. Les banderoles ont été arrachées, la peinture effacée, l’entrée condamnée. On ne croirait pas qu’il s’est passé quelque chose ici. À tel point que c’est comme si tout cela n’avait pas existé, que rien ne s’était passé. Est-ce qu’on a rêvé tout ce temps ?
Les autorités se sont empressées d’effacer tout ça, ça faisait tache, ça ne collait pas avec la pensée dirigeante. Allez on oublie tout, il faut passer à autre chose.
« Révolution » écrit sur le toit le plus visible de Toulouse, c’était insupportable.
Mais quand on regarde par les fenêtres, tout est tel quel. Il y a encore des aliments dans la cuisine, de la vaisselle sale qui traîne, des vêtements sur le porte-manteau. Comme si le monde avait été mis sur pause.
Bilan MDP
Après l’expulsion, beaucoup sont rentré.e.s chez elleux. D’autres ont trouvé de nouveaux refuges, et d’autres n’ont pas eu cette chance et ont été enfermé.es. en prison ou en HP. On s’était dit qu’on pourrait faire un carnet qu’on laisse dans un bar, où les personnes laissent des nouvelles. Les point infos se multiplient, on se croise… et on apprend les mauvaises nouvelles... un jeune camarade, Petit Ours, a perdu la vie, un accident, il est tombé d’un balcon. Putain ça fout trop mal. C’est pas possible qu’on enterre déjà des morts.
Le collectif MDP continue, de manière informelle par les liens que nous avons créés, mais aussi au travers de réunions-bilan, où nous débattons et faisons des tours de table. On établit qu’on ne veut pas vraiment réouvrir la boite de pandore en nous jetant dans une occupation de la même envergure, mais que nous devons continuer d’imaginer notre expérience pour ne pas la perdre, écrire un récit, l’éditer et le distribuer.
Pour certain.es, la MDP nous a insufflé de l’énergie, l’immersion totale dans le mouvement social nous donne la patate. Pour d’autres, l’expérience est dure, ils sortent morcelés de la MDP et affrontent la dépression. L’immersion totale dans le mouvement social, ce mix de victoire et défaite diffuse un nihilisme qui rend un retour à la vie quotidienne difficile. Nous valorisons les bienfaits politiques et personnels de cette expérience, notamment la continuité politique, les liens amicaux formés, et la sortie de la précarité matérielle et immatérielle. Nous avons tissé des réseaux d’entraide dans divers squats et nos activités continuent, c’est une victoire indéniable. En faisant des bilans, nous reconnaissons que, habituellement, nous ne gagnons pas, mais pour nous la révolution reste la seule issue possible. Donc si on continue de penser le rôle et la forme des occupations dans les mouvements sociaux, c’est en vue de continuer de saisir des espaces et de les ouvrir à de nouveaux possibles.
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Ornithorynque : En tout cas on a passé de super moments à la MDP. Il y a eu des joies, il y a eu des colères, des rires, des larmes. J’y ai passé un mois et je me suis senti grandi. On n’était pas forcément sur la même longueur d’onde, pas forcément le même tempérament. J’espère qu’il y aura une autre MDP, mieux organisée. Quand on a débarqué, on ne connaissait personne, ou que des gens qu’on avait croisés mais qu’on n’aurait pas côtoyés d’habitude. On a rencontré plein de monde. On a tissé des liens forts. Ça nous a permis de rencontrer des gens hors de nos réseaux habituels.
Tortue : Et tu vois, les gens de la rue, quand on rentre dans un truc comme ça, on n’a pas l’habitude. Mais tu découvres plein de choses. Tu vois d’autres personnes, tu vois les luttes.
Lézard : Parfois ça faisait un peu accueil de la Croix rouge/du Secours cath. Le matin café, puis le soir ils venaient dans un état… C’était lourd.
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Des débats incitent à réfléchir à un nouveau nom pour la MDP. Certains critiquent l’utilisation du terme "peuple" parce que ça fait populiste, tandis que d’autres s’en fichent. Mais il n’y a pas de proposition miracle, "la Bourse de l’Anti-Travail" soulève la question de l’attachement au mot "Maison" et des valeurs que nous voulons réapproprier et mettre en avant via des connotations historiques. Notre identité est celle d’une MDP qui se pose contre l’Histoire, l’histoire de la gauche, l’histoire de la récupération politique, l’histoire de l’étouffement de la force de notre classe.
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Grenouille : Il y a eu un groupe qui s’est formé, de gens hyper-divers, ce qui est plutôt rare dans les milieux militants. Il y en a qui sont venus parce qu’ils n’avaient nulle part où dormir, et qui ont redécouvert la politique, et des militant.e.s qui découvraient les milieux squat et les galères de la rue. Le noyau qu’on a est hyper-riche. Ça c’est une vraie victoire.
Baleineau : Pas mal de celleux qui vivaient à la maison étaient des compagnons de galère. Beaucoup s’étaient déjà croisé.e.s dans les squats de Toulouse, et ont fait un peu tous les lieux de la ville. Ils forment des petits groupes, binômes ou trinômes, se mettent d’accord pour défendre des prés carrés.
Ces personnes ont vu qu’il y avait un fonctionnement d’assemblée, et qu’en participant et en s’intégrant aux décisions, tout fonctionnait mieux. Ce sont des gens qui ont des expériences de lutte contre la précarité, contre le mal-logement, contre la police, contre la violence du capitalisme, et qui ont plein d’expériences de vie. Et on leur propose une organisation en communauté de lutte. Face à la précarité à Toulouse, face au grand capitalisme, la gentrification, on a trouvé un moyen de lutte au sein du mouvement pour dissoudre les barrières entre militant.e.s précaires et SDF précaires. On s’est retrouvé comme une famille. On n’a plus fait la différence entre les pseudo-bagages socio-culturels des gens, militants ou pas militants, ces catégories étaient dépassées, nous sommes les habitants de la MDP.
A Rennes il y a une MDP avec beaucoup plus de monde, mais sans lieu. Elle fait des réunions dans des lieux de la culture. C’est un truc de reconstitution des forces politiques autour d’un projet. Leur expérience est stylée, ils ont défendu avec férocité deux lieux et étendu la forme du mouvement sur d’autres fronts. Ils ont une expérience qui est particulière, mais je ne pense pas qu’on puisse dire qu’ils ont vécu l’expérience transformatrice de vie qu’on a eue à la MDP.
Zèbre : On a fait l’expérience de questionnements et de problématiques de société. On a éprouvé les nécessités de nos choix et de nos organisations. On s’est réapproprié les choses pour redevenir maîtres de nos vies/actions. Ça nous rend responsable, car on paye les conséquences, on deale avec nous-même.
La maison du peuple, c’était la tentative de créer un espace de lutte et de vie autogéré. Un espace et une temporalité en dehors de tout cadre ou loi imposé par une force extérieure. L’aménagement, l’orga, les décision, l’accueil, la justice, les événements, la santé, la sécurité, les repas, etc. Et on était des amateurs dans beaucoup de domaines, mais on s’est donnés pour tenter de gérer tous ces aspects de façon autonome, sans l’État, sans experts, en étant toustes concerné.e.s et donc responsables. On bricolait avec des modèles et des exemples qui nous inspirent, ou parfois on improvisait tout simplement. La difficulté dans tout ça c’est qu’on était dans un milieu très hostile (violence, misère de la rue, espace peu confortable, risques matériels, agressions, menaces d’expulsion, etc), mais on était libres d’une certaine manière. Ça fait des milliers d’années que les humains s’organisent et inventent des systèmes, et là on a essayé de tout réinventer, en partant de pas grand-chose, c’était très primitif.
Tigre : Ce qui est beau, c’est que des gens invisibilisés et écrasés par la machine du capitalisme, par l’État, par la bourgeoisie, récupèrent les espaces publics, et s’approprient les projets des grands. Et même si iels le font maladroitement, iels détruisent les barrières qui les cloisonnent, se rassemblent et réinventent des possibles.
Tortue : Des vieux comme nous à la MDP c’était une bonne chose. Il y avait pas beaucoup de personnes âgées.
Lezard : Tu verras, dans vingt ans on squattera un EHPAD.
Baleineau : On peut appeler ça, L’EHPAD et la RÉVOLUTION ! La MDP ça m’a ouvert les yeux, qu’est-ce qu’on va faire de nos vieux et qu’est-ce qu’on fait des fous comme nous, faut qu’on trouve les solutions pour qu’aucun pote n’aille en HP, et si tout ça n’était pas éphémère ?
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Le capitalisme et l’Etat érigent la propriété privée en valeur sacrée et intouchable pour pouvoir maintenir une logique absurde : garder des prix compétitifs grâce à des m² vides et des gens à la rue. Mais lutter pour la pérennisation de l’occupation d’un espace non capitalisés ne nous suffit pas. Nous voulons squatter des hôtels, des dépôts, des restaurants, des usines… La MDP ne vise pas à créer un espace alternatif en dehors du système, mais à remettre en cause le système capitaliste en l’attaquant par les espaces où le capital s’organise. Ce qui nous met en mouvement, c’est que nous ne voulons pas quémander les espaces vacants, mais tout partager en faisant la révolution. Le mouvement social donne vie à l’autonomie politique, nous pensons qu’en défendant le squat dans un mouvement social, on renforce la possibilité que le mouvement s’ouvre radicalement et diffuse des pratiques nécessaires au renversement de l’ordre social capitaliste.
(...)

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