Sommaire
- Les prémices
- Le mandat britannique
- Création de l’État d’Israël et conséquences pour les Palestinien·nes
- Résistances palestiniennes
- Le temps des négociations
- Les conditions de vie à Gaza constituent une « urgence humanitaire », prévient une ONG
- En Cisjordanie, l’apartheid israélien déstructure la vie des Palestiniens
- DROIT INTERNATIONAL Peut-on parler de génocide à Gaza ?
Les prémices
1890 : Préoccupé par les pogroms en Russie, le journaliste Theodor Herzl déclare nécessaire la création d’un État juif en Palestine et publie, en 1896, « L’État des Juifs ».
1897 : Le Congrès de Bâle est considéré comme l’événement fondateur du mouvement sioniste. Un fonds national juif est créé, chargé de l’achat de terres en Palestine.
1915 : Accords Hussein-McMahon : les Britanniques promettent aux Arabes la création d’un royaume sur l’ensemble de la péninsule arabique, à l’issue de leur victoire sur l’Empire ottoman.
1916 : Accords secrets Sykes-Picot : le Royaume-Uni et la France conviennent de se partager le Proche-Orient en violation de l’accord Hussein-McMahon. Il est prévu de placer la Palestine, siège des lieux saints, sous statut international.
1917 : Déclaration Balfour : le Royaume-Uni promet au mouvement sioniste de l’aider à créer un foyer national juif en Palestine.
Le mandat britannique
1922 : La Société des Nations attribue le mandat sur la Palestine au Royaume-Uni.
1933 : Hitler est nommé chancelier de la République de Weimar. La politique antisémite du IIIe Reich stimule l’immigration juive en Palestine. L’accord commercial « Haavara » est signé entre les autorités sionistes et le régime nazi.
1936-1939 : Grande révolte palestinienne contre l’occupation britannique et contre la colonisation sioniste ; la répression décime l’élite palestinienne. Les milices sionistes, la Haganah et l’Irgoun, se structurent en véritable armée.
1937 : Plan Peel, premier plan de partage attribuant 30 % de la Palestine au Yishouv (communauté juive).
1938 : Échec de la conférence d’Évian dont l’objectif était de venir en aide aux réfugié·es juif·ves allemand·es et autrichien·nes fuyant le régime nazi.
1939 : Le Livre blanc britannique préconise l’indépendance de la Palestine pour 1947, la soumission de l’immigration juive à l’accord des habitant·es arabes et des mesures limitant l’acquisition de terres par les sionistes.
1941-1945 : Génocide des juif·ves européen·nes.
1942 : Le Programme de Biltmore est adopté à New-York. Les sionistes revendiquent un État juif sur l’ensemble de la Palestine mandataire.
1946 : Affrontements généralisés en Palestine.
Création de l’État d’Israël et conséquences pour les Palestinien·nes
1947 : Les Nations unies votent la résolution 181 qui partage la Palestine en un État juif (56 % du territoire), un État arabe (44 %) et une zone sous tutelle internationale (Jérusalem et Bethléem). Les sionistes acceptent, les Palestinien·nes refusent.
1948 : En mars, Ben Gourion met en œuvre le plan Daleth d’épuration ethnique. La moitié de l’expulsion se produit ainsi avant la première guerre israélo-arabe.
L’État d’Israël est proclamé le 14 mai. Le lendemain éclate la première guerre israélo-arabe à l’initiative des pays arabes voisins. Israël occupe 78 % de la Palestine mandataire. Au total, 400 villages arabes sont détruits, entraînant un exode de 800 000 Palestinien·nes, c’est la Nakba, la catastrophe.
L’Assemblée des Nations unies vote le 11 décembre la résolution 194 qui « décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible. »
1950 : La loi sur le retour est votée. Tout·e juif·ve qui le demande peut immigrer en Israël et en devenir citoyen·ne. Israël devient membre des Nations unies.
1956 : Crise du Canal de Suez impliquant la France et le Royaume-Uni aux côtés d’Israël et deuxième guerre israélo-arabe. Massacre des habitant·es du village palestinien de Kafr’Kassem.
Résistances palestiniennes
1964 : Création à Jérusalem de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sous l’égide de l’Égypte.
1965 : Première opération armée du Fatah en territoire israélien.
1967 : Troisième guerre israélo-arabe déclenchée par Israël, dite « des Six Jours ». Occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza ainsi que du Golan syrien et du Sinaï égyptien. Les Israélien·nes proclament Jérusalem unifiée la capitale d’Israël. Exode de 200 000 Palestinien·nes et de 150 000 Syrien·nes du Golan. Début de la colonisation de la Cisjordanie.
1968 : L’OLP acquiert son indépendance vis-à-vis des États arabes.
1969 : Le Fatah et le Front de libération de la Palestine (FDLP) se déclarent en faveur d’un « État palestinien démocratique et laïque » où juif·ves, chrétien·nes et musulman·es seraient égaux·ales.
1970 : Le conflit dit de « Septembre noir » commence lorsqu’à la demande des États-Unis le roi Hussein de Jordanie liquide les forces palestiniennes dans le pays. Les combattant·es palestinien·nes se réfugient au Liban.
1972 : L’opération du commando « Septembre noir » aux jeux olympiques de Munich entraîne la mort de plusieurs athlètes israéliens.
1973 : Quatrième guerre israélo-arabe dite du « Kippour » initiée par l’Égypte et la Syrie mais remportée par Israël.
1974 : La Ligue arabe et l’ONU reconnaissent la représentativité de l’OLP et les droits légitimes des Palestinien·nes.
1975 : Guerre civile au Liban. Les Palestinien·nes combattent au côté des forces islamo-progressistes contre les Phalanges de la droite chrétienne soutenues par Israël.
La résolution 3379 de l’Assemblée générale de l’ONU assimile le sionisme à une forme de racisme et de discrimination raciale. Cette résolution sera révoquée en décembre 1991 par la résolution 46/86 de l’Assemblée générale des Nations unies.
1976 : Le 30 mars, une nouvelle vague d’expropriation de terres provoque une importante manifestation et une grève générale. Celle-ci est violemment réprimée. En mémoire, la « journée de la Terre » est consacrée chaque année à cette date.
1977 : En Israël, victoire électorale du Likoud (parti national-conservateur présidé par Benyamin Netanyahou). Intensification de la colonisation. Menahem Begin affirme sa volonté de réaliser « Eretz Israël », soit le « Grand Israël ». Visite historique du président égyptien Anouar El Sadate en Israël, premier dirigeant arabe à y poser les pieds. Naissance du mouvement Shalom Akhshav (« La paix maintenant ! »).
1978 : Israël envahit le Liban du Sud. Les accords israélo-égyptiens de Camp David signés à Washington sous l’égide du Président des États-Unis marquent la paix « séparée » entre l’Égypte et Israël.
1980 : Annexion de Jérusalem-Est par Israël.
1981 : Annexion du Golan syrien. Assassinat du président égyptien Anouar El Sadate.
1982 : Israël évacue le Sinaï et envahit le Liban.
1982-1983 : Opération « Paix en Galilée », l’armée israélienne fait le siège de Beyrouth. L’OLP est contrainte de quitter le Liban. Les phalangistes, une milice libanaise, massacrent les Palestinien·nes des camps de Sabra et de Chatila au Liban, avec le soutien des Israélien·nes.
1987-1989 : Première « Intifada » (soulèvement) dite « la révolte des pierres », une résistance populaire qui durera plus de quatre ans. La répression par l’armée israélienne entraîne la mort de plus de 2 000 Palestinien·nes.
1988 : Lors de la 19e session du Conseil national palestinien, l’OLP proclame l’État indépendant de Palestine, déclare souscrire aux résolutions 181, 242, 338 des Nations unies et réaffirme sa condamnation du terrorisme. Yasser Arafat confirme la reconnaissance d’Israël devant l’Assemblée générale des Nations unies.
Le temps des négociations
1991 : Guerre du Golfe. Conférence de paix israélo-arabe à Madrid, initiée par les États-Unis et l’URSS.
1992 : Victoire électorale du parti travailliste. Yitzhak Rabin devient Premier ministre d’Israël.
1993 : Accords dits « d’Oslo », suite à des négociations secrètes entre l’OLP et le gouvernement Rabin. Ils mettent fin à la première Intifada.
1994 : Installation de l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) à Gaza et Jéricho. Massacre par un colon israélien de 29 Palestinien·nes au Caveau des Patriarches à Hébron. Accords de Paris sur des questions économiques. Traité de paix entre Israël et la Jordanie.
1995 : Accord de Taba, « Oslo II ». Les zones A, B et C sont délimitées dans les Territoires occupés. Yitzhak Rabin est assassiné par un ultra-nationaliste israélien.
1996 : Création et élection du Conseil législatif palestinien. Yasser Arafat est élu président de l’Autorité Nationale Palestinienne, qui supprime de la Charte nationale palestinienne les articles mettant en cause l’existence d’Israël. Victoire électorale du parti de Benyamin Netanyahou (Likoud).
1997 : Protocole sur le redéploiement israélien à Hébron. Intensification de la colonisation à Jérusalem-Est.
1998 : Projet israélien de municipalité unique pour Jérusalem qui équivaut à l’annexion des colonies du « Grand Jérusalem ».
1999 : Fin de la période d’autonomie intérimaire durant laquelle les parties devaient trouver une solution définitive aux questions majeures (Jérusalem, réfugié·es, frontières…). Victoire électorale d’Ehud Barak, travailliste et Premier ministre israélien.
2000 : Retrait israélien du Liban. Échec du sommet de Camp David. La provocation d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées conduit à la seconde Intifada. Israël détruit les installations de l’Autorité palestinienne à Gaza. De nombreux attentats suicides ont lieu en Israël. Échec des accords d’Oslo.
2001 : L’intransigeance d’Ehud Barak sur Jérusalem, les frontières et la question des réfugié·es entraîne l’échec des négociations de Taba. Ariel Sharon remporte les élections et devient Premier ministre. Claustration forcée de Yasser Arafat à Ramallah. Attentat du World Trade Center à New-York.
2002 : Ariel Sharon rejette l’initiative de paix arabe adoptée à l’unanimité par les États de la Ligue arabe. Le lendemain, l’opération « Rempart » mène à la réoccupation brutale des zones autonomes palestiniennes. Début de la construction du mur « de séparation ». Georges W. Bush conditionne la création d’un État palestinien à une « direction palestinienne nouvelle et différente ».
2003 : Les États-Unis forcent la nomination de Mahmoud Abbas comme Premier ministre de l’Autorité Nationale Palestinienne. Présentation du Pacte de Genève. L’Union européenne (UE) place la branche politique du Hamas sur la liste des « organisations terroristes ». Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU demandant l’arrêt de la construction du mur. Invasion de l’Irak par les États-Unis.
2004 : Exécutions extra-judiciaires par Israël du cheikh Ahmed Yassine et d’Abdelaziz Al-Rantissi, chefs spirituels du Hamas. Marwan Barghouti, militant palestinien et député, est condamné cinq fois à la prison à vie. La Cour internationale de justice déclare la construction du mur contraire au droit international. Décès de Yasser Arafat.
2005 : Mahmoud Abbas est élu président de l’Autorité Nationale Palestinienne. Israël se retire de la bande de Gaza dont il contrôle néanmoins toutes les issues, la transformant en ghetto. La société civile palestinienne lance l’appel BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions).
2006 : Victoire du Hamas aux élections législatives dans les Territoires occupés. Malgré la reconnaissance de la loyauté du processus électoral, l’UE suspend son aide à l’ANP. Israël suspend la rétrocession des droits de douane à l’ANP. L’armée israélienne lance les opérations « Pluie d’été » contre la bande de Gaza et « Punition adéquate » contre le Liban.
2007 : Malgré un accord sur la formation d’un gouvernement d’union, des affrontements inter-palestiniens à Gaza aboutissent à la prise de contrôle de ce territoire par le Hamas.
Impasse : la colonisation continue en totale impunité
2008 : Après cinq mois de trêve, Israël reprend les assassinats extrajudiciaires de membres du Hamas qui riposte par des tirs de roquettes. Opération « Plomb durci » contre la bande de Gaza.
2009 : L’armée israélienne fait usage d’armes prohibées contre les habitant·es de Gaza. Rapport du juge Goldstone sur l’attaque israélienne contre Gaza. L’ONU cède aux pressions des États-Unis et reporte le vote sur la saisine de la Cour pénale internationale.
2010 : L’armée israélienne attaque la Flottille de la liberté initiée par le mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien en vue de briser le blocus de Gaza ; l’assaut fait au moins neuf morts parmi les passager·ères. Barack Obama force Mahmoud Abbas à reprendre des discussions directes avec Benyamin Netanyahou à Washington, sans résultat.
2011 : Demande d’adhésion de l’État palestinien à l’ONU. Vote d’adhésion de la Palestine à l’UNESCO. Veto des États-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU sur la condamnation de la colonisation.
2012 : La Palestine devient État observateur à l’ONU. Assassinat, par les services israéliens, d’Ahmed Jabari, responsable du Hamas et principal interlocuteur du gouvernement israélien. Opération israélienne « Colonne de nuée » contre la bande de Gaza.
2013 : Reprise des discussions entre les forces israéliennes et palestiniennes à Washington.
2014 : Nouvel échec des négociations de paix Palestine-Israël portées par le Secrétaire d’État des États-Unis, John Kerry. Opération israélienne « Bordure protectrice » contre Gaza. Soulèvement des Palestinien·nes de Jérusalem pour protester contre la colonisation.
2015 : Benyamin Netanyahou remporte les élections sur le programme « Non à un État palestinien ». Rapport de l’organisation « Breaking the silence » sur les crimes de guerre israéliens. Multiplication des attaques de villages palestiniens en Cisjordanie par des groupes de colons. La colonisation israélienne se poursuit.
La Palestine devient le 123e membre de la Cour pénale internationale (CPI). Elle peut désormais agir en qualité d’État au sein de cette organisation internationale et y voter.
2016 : Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 2334 condamnant, comme en 1980, la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens occupés.
Un peuple debout qui résiste
2017 : Le gouvernement israélien, l’armée et les colons accélèrent les violences. Les mobilisations des Palestinien·nes font reculer le pouvoir. Il·elles obtiennent notamment le retrait des portiques de contrôle aux entrées de l’esplanade des Mosquées.
Le Président des États-Unis, Donald Trump, reconnaît Jérusalem capitale d’Israël mais l’Assemblée générale de l’ONU désapprouve, à une large majorité, cette reconnaissance unilatérale.
2018 :
– 30 mars : à l’occasion de la journée de la Terre en Palestine (journée de protestation contre la confiscation des terres palestiniennes par Israël) commencent les « Grandes marches du retour » à Gaza. Ces manifestations organisées chaque vendredi jusqu’en décembre 2019 sont violemment réprimées par l’armée israélienne. 348 Palestinien·nes ont été tué·es par des tirs de l’armée israélienne et 7 800 autres ont été blessé·es par balle, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
– 14 mai : Les États-Unis inaugurent officiellement leur ambassade à Jérusalem.
– 19 juillet : Promulgation par Israël de la loi dite de « l’État-nation du peuple juif » qui fait de la colonisation une valeur nationale à encourager et prend des mesures discriminatoires à l’égard des Arabes israélien·nes qui représentent 20 % de la population. Cette loi accorde le droit à l’autodétermination exclusivement aux juifs, dispose que l’immigration conduisant automatiquement à la citoyenneté est réservée aux juifs exclusivement, promeut la construction de colonies juives et retire à l’arabe son statut de langue officielle.
2019 : La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme que les produits issus des colonies israéliennes des Territoires occupés doivent comporter une indication explicite de leur origine.
2020 :
– Janvier : Le plan de paix du Président des États-Unis, Donald Trump, qui prévoit l’annexion des colonies, est immédiatement rejeté par les Palestinien·nes.
– 17 mai : Le gouvernement d’union de Benyamin Netanyahou et Benny Gantz déclare qu’Israël prévoit d’annexer, en juillet 2021, la vallée du Jourdain et les colonies situées en Cisjordanie.
– 15 septembre : Accords d’Abraham, traités de « paix » signés entre les Émirats arabes unis (EAU), le Soudan, le Bahreïn, le Maroc et Israël, sous la supervision étatsunienne, en vue de « normaliser » les relations entre dirigeants arabes et Israël.
2021 :
– Mai : Agressions israéliennes envers le peuple palestinien : nettoyage ethnique et expulsion de familles palestiniennes à Jérusalem-Est, répression des fidèles de la mosquée d’Al Aqsa, actions violentes de groupes sionistes envers de jeunes Palestinien.nes, offensive israélienne dans la bande de Gaza. Les élections législatives palestiniennes de mai sont reportées sans date par l’Autorité palestinienne tant que la tenue du scrutin n’est pas « garantie » à Jérusalem-Est, annexée par Israël.
Les Palestinien·nes divisé·es par le pouvoir colonial israélien en trois fragments séparés (Gaza, la Cisjordanie et les Palestinien·nes·de l’intérieur d’Israël), revendiquent de combattre ensemble contre la violence dont il·elles sont victimes de la part d’Israël.
– Juin : Investiture du nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennett (extrême-droite, parti Yamina). L’élection présidentielle palestinienne qui devait avoir lieu le 31 juillet 2021 est reportée à une date indéterminée.
Inauguration de la première ambassade en Israël des Émirats arabes unis (EAU).
2022 :
– Février : Rapport d’Amnesty International sur l’apartheid imposé par Israël aux Palestinien·nes en Israël, déjà dénoncé par B’Tselem et Human Rights Watch.
– 12 mai : Shireen Abu Akleh, journaliste de la chaîne arabe Al-Jazeera, est tuée en Cisjordanie, par un tir de l’armée israélienne.
– Novembre : Retour au pouvoir en Israël de B. Netanyahou au poste de 1er ministre à la tête d’une coalition d’extrême droite.
2023 :
Tout au long de l’année, accélération d’installation illégale de colonies en Cisjordanie (26 en 2023, contre 5 en 2022). Entre janvier et octobre 2023, les médias et ONG rendent compte d’une forte pression de l’occupation et de la colonisation sur les Palestiniens dans toutes les zones d’habitations. L’armée comme les colons font des victimes tous les jours.
Mai : Mort dans une prison israélienne de Khader Adnane, membre du Djihad Islamique, des suites d’une grève de la faim entamée pour protester contre sa détention.
5 jours de bombardements israéliens sur la Bande de Gaza faisant une trentaine de mort·es et une centaine de blessé·es.
7 Octobre : l’ensemble des groupes armés présents dans la Bande de Gaza déclenchent une attaque d’ampleur dans un projet d’action de libération de la Palestine, de résistance à la colonisation et de levée du blocus contre Gaza. Le bilan est élevé faisant un millier de morts et 252 otages.
Depuis le 8 octobre : l’État d’Israël considère qu’il doit détruire le Hamas identifié comme responsable de l’attaque du 7 octobre. L’armée met en œuvre des bombardements massifs, progressifs, sans discernement, avec des invasions terrestres sur l’ensemble de la Bande de Gaza qu’il a assiégée.
2024 :
Janvier : La Cour internationale de Justice, saisie par l’Afrique du Sud, s’est prononcée sur le risque de génocide et crimes contre l’humanité commis par Israël dans la Bande de Gaza l’enjoignant d’y remédier.
Mai : La cour pénale internationale, saisie depuis 2021, vient de réquérir un mandat d’arrêt contre B. Netanyahou et 2 de ses ministres ainsi que contre 3 cadres du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Israël a détruit 80% de la Bande de Gaza, mis hors d’état de fonctionnements les réseaux d’assainissement, d’eau, d’électricité, d’accès aux soins et à l’alimentation que le gouvernement colonial contrôlait déjà du fait du blocus.
Il y a au moins 35 500 mort.e.s et plus 80 000 blessé.e.s sans compter le nombre de personnes disparues sous les décombres, les décès de famine, déshydratation ou manque de soin, les personnes torturées dans les prisons israéliennes dont le nombre d’incarcérations a bondi depuis le mois d’octobre 2023.
Les conditions de vie à Gaza constituent une « urgence humanitaire », prévient une ONG
2017
« Sans une aide humanitaire immédiate et des efforts concertés pour mettre fin au blocus, le résultat restera le même : pertes de vies humaines autrement évitables et effondrement ultérieur du secteur de la santé »
Les conditions de vie à Gaza sont à leur plus bas niveau hors période de guerre, a annoncé ce jeudi Medical Aid for Palestinians (MAP), qualifiant la situation dans la bande côtière d’« urgence humanitaire ».
Le blocus israélien qui dure depuis 2007 a entraîné un approvisionnement limité en électricité, endommageant des infrastructures vitales, a indiqué l’ONG dans un communiqué.
Les installations de traitement de l’eau et de dessalement ne peuvent fonctionner efficacement, provoquant une pollution de plus de 73 % du littoral. Un garçon de 5 ans est décédé en juillet après s’être baigné dans la mer, devenant la première victime de la pollution à Gaza.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a récemment mis en garde contre « l’effondrement systémique » imminent des infrastructures et de l’économie à Gaza ainsi qu’une « crise de santé publique et environnementale » dans la bande assiégée.
Les services essentiels de santé sont de plus en plus inaccessibles, y compris la stérilisation et l’entretien. Les taux d’infection ont par conséquent grimpé en flèche. En raison des coupures de courant, les services de diagnostic ne sont pas toujours fonctionnels et des équipements sensibles tels que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont été endommagés.
Les fournitures médicales se font également de plus en plus rares. En juillet, le ministère de la Santé de Gaza a signalé que 40 % des médicaments essentiels et 34 % des articles médicaux jetables étaient « à zéro stock », ce qui signifie moins d’un mois de disponibilité, y compris la moitié de tous les médicaments contre le cancer.
MAP indique que la vie des nouveaux-nés est tout particulièrement menacée en raison des services de santé défaillants.
Les nourrissons sont pris en charge dans des unités de soins intensifs néonataux surpeuplées – une situation aggravée par la détérioration de la nutrition maternelle qui engendre à son tour une augmentation des taux de bébés prématurés ou ayant un faible poids à la naissance.
En août, les infirmières du département néonatal de l’hôpital al-Shifa à Gaza ont été forcées de soigner 71 nourrissons dans une unité de soins conçue pour 43 bébés. Le ratio entre le personnel et les nouveaux-nés était de 1 pour 7, beaucoup plus bas que le niveau européen de 1 pour 1 ou de 1 pour 2 lors de soins intensifs.
Des générateurs de secours défectueux font que les infirmières doivent souvent ventiler les bébés à la main jusqu’à 50 minutes avant que l’alimentation ne soit rétablie.
Les Gazaouis sont contraints, en outre, de se faire soigner à l’extérieur de la bande côtière, mais beaucoup de barrières les empêchent de sortir pour obtenir un traitement vital, ce qui a entraîné 25 décès depuis le début de l’année. Israël n’a approuvé que 49,5 % des demandes de permis de malades ayant besoin de suivre un traitement à Jérusalem-Est, en Cisjordanie ou ailleurs.
« Gaza fait face à une urgence humanitaire mais quand les bombes ne tombent pas, la communauté internationale y accorde peu d’attention »
– Aimee Shalan, présidente de Medical Aid for Palestinians
Aimee Shalan, présidente de MAP, a déclaré que la communauté internationale devait faire davantage pour aider Gaza en période de paix relative.
« Gaza fait face à une urgence humanitaire mais quand les bombes ne tombent pas, la communauté internationale y accorde peu d’attention. Sans une aide humanitaire immédiate et des efforts politiques et diplomatiques concertés pour mettre fin au blocus, le résultat restera le même : pertes de vies humaines autrement évitables et effondrement ultérieur d’un secteur de la santé qui a déjà du mal à fournir le minimum de soins ».
En 2012, l’ONU avait averti que Gaza pourrait devenir inhabitable d’ici à 2020. L’organisation a lancé un appel de fonds d’urgence afin de recueillir 25 millions de dollars pour des soins de santé vitaux, l’eau et l’assainissement ainsi que des interventions de sécurité alimentaire à Gaza. Seulement 24 % du montant requis ont été recueillis auprès des gouvernements donateurs internationaux jusqu’à présent.
Jonathan Feynton-Harvey
Revue Middle East Eye
2017
Traduit de l’anglais de l’article « Gaza living conditions constitute ’humanitarian emergency’, NGO say », middleeasteye.net
En Cisjordanie, l’apartheid israélien déstructure la vie des Palestiniens
Septembre 2023
S’il ne prend pas la même forme partout en Cisjordanie, le système de ségrégation spatiale et temporelle mis en place par Israël de l’autre côté de la Ligne verte permet d’assurer le maillage des territoires occupés au profit de l’armée israélienne et des colons. Avec ce régime d’apartheid, la population palestinienne, quant à elle, se voit reléguée au second rang sur ses propres terres.
Naplouse, nord de la Cisjordanie. La ville s’étend sur une vallée étroite coincée entre deux montagnes, les monts Ebal et Gerizim. Ici, l’urbanisme galopant a transformé la vallée en un défilé étriqué et étouffant d’habitations. Les immeubles s’enchevêtrent, accrochés à flanc de collines, comme si la ville tentait de repousser ses limites. Il faut dire qu’à ses abords, l’armée israélienne a érigé des barrages qui peuvent être encore plus infranchissables que les sommets environnants.
Naplouse est enserrée par des dizaines de colonies, dont celle de Shavei Shomron au nord-ouest de la ville, sur la route de Tulkarem, ou Har Bracha, perchée sur le versant sud du mont Gezirim. Elle est également entourée de nombreux « avant-postes », ces colonies dites « sauvages » établies sans l’autorisation du gouvernement israélien, comme celle de Sneh Ya’akov, construite en 1999 sur des terres agricoles palestiniennes.
Plus jeune que la « colonie sauvage », Firas a grandi à Naplouse. Nous l’interrogeons sur son quotidien alors que le checkpoint israélien d’Huwara, l’un des points de contrôle qui entourent la ville, vient d’être fermé par l’armée jusqu’à nouvel ordre. Situé à l’entrée sud de Naplouse, ce poste militaire porte le nom d’un village adjacent. En février 2023, après le meurtre de deux résidents d’une colonie par un Palestinien, près de 400 colons ont attaqué le village et incendié de nombreuses maisons, mais aussi des véhicules et des commerces. Cette expédition punitive a fait une victime parmi les villageois et des centaines de blessés.
NE JAMAIS FAIRE CONFIANCE À SON GPS
Firas nous livre son sentiment concernant ces entraves au déplacement qui violent le droit fondamental à la liberté de mouvement, et les menaces constantes pesant sur les Palestinien·nes. Pour lui, c’est ce qui symbolise le plus l’apartheid israélien :
« Est-ce que le monde se rend vraiment compte du nombre d’obstacles qu’on doit traverser chaque jour ? Des problèmes de circulation que cela engendre pour aller au travail le matin et pouvoir travailler normalement mais aussi pour mener notre vie de famille ? Il faut que ça s’arrête. »
Tout autour de Naplouse, l’armée israélienne administre plusieurs autres checkpoints. Parmi les principaux, on trouve à l’est celui de Beit Furik, à l’ouest celui d’Al-Tur, qui coupe la ville du mont Gerizim, et au sud, le poste militaire d’Awarta. Ici, face à la multiplication des checkpoints et à un arsenal de dispositifs qui constituent une véritable architecture de contrôle des populations, mieux vaut ne pas faire confiance à son navigateur GPS : il est incapable de s’adapter aux règles complexes instituées par les autorités d’occupation. Et on imagine mal l’application Google Maps indiquer la route la plus adéquate à emprunter selon qu’on est « Palestinien » ou « Israélien ».
Dima a 34 ans et travaille dans une ONG dont les locaux sont installés sur les hauteurs de Naplouse. Elle nous raconte que si elle veut se rendre en voiture pour aller voir des amis à Tulkarem, qui se trouve seulement à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de la ville, elle doit faire deux à trois heures de trajet. S’il n’y avait pas autant de checkpoints et d’obstacles matériels érigés par l’armée, ce même trajet ne lui prendrait que 30 à 45 minutes. En outre, des postes de contrôle sont régulièrement fermés, parfois toute la journée, en raison de manifestations organisées par les colons, ou sous divers prétextes.
« Et pendant ce temps, déplore Dima, nous, les Palestiniens, ne pouvons pas rejoindre notre lieu de travail, les étudiants ne peuvent pas aller à l’université… La vie s’arrête. Ici, 2 km pour nous ou 2 km pour les Israéliens ce n’est pas la même distance. »
Wael, lui, est originaire d’Hébron (Al-Khalil). Il a fait ses études à l’Université Al-Qods d’Abou Dis, une bourgade voisine de Jérusalem. « J’ai raté plusieurs examens à cause du checkpoint du “Container”, et comme beaucoup d’étudiants je suis souvent arrivé en retard en cours. » Ce point de contrôle installé près d’Abou Dis tire son nom du container de stockage situé autrefois à cet emplacement, et qui servait d’échoppe pour vendre des boissons ou des collations aux automobilistes.
DES RÈGLES KAFKAÏENNES
Aujourd’hui, cet imposant checkpoint coupe littéralement la Cisjordanie en deux. Pour les étudiantes et étudiants palestiniens, le stress est d’autant plus grand qu’ils ne savent jamais ce qui peut leur arriver aux points de contrôle : « Le jour où je devais passer mon examen du barreau à Jéricho, poursuit Wael , l’épreuve était à 9 h 30. J’ai pris le taxi à 6 h du matin et à 7 h 40 je suis arrivé au checkpoint. Un soldat m’a demandé de sortir du véhicule, m’a obligé à me déshabiller, et m’a laissé deux heures comme ça. J’ai raté l’examen, et j’ai dû le repasser six mois plus tard… »
Pour tenter d’anticiper, les Palestiniens s’organisent à travers des groupes de discussion sur l’application Telegram pour se partager les informations concernant la situation sur les « routes de l’apartheid ». Les règles sont kafkaïennes : les autorités militaires israéliennes délivrent 101 types de permis différents pour contrôler la circulation des Palestiniens. Une véritable bureaucratie administre ce système de ségrégation.
Uri est un pacifiste israélien qui milite au sein du mouvement Standing Together, dont il est membre de la direction nationale. Il explique qu’il n’est pas confronté aux mêmes contraintes que les Palestiniens :
« Les colons israéliens qui vivent dans les territoires occupés ne sont pas soumis à de tels retards pour passer les points de contrôle, et l’État leur a même ouvert des routes spéciales pour qu’ils puissent se déplacer plus facilement. En tant que citoyen qui vit à l’intérieur de l’État d’Israël et non dans les territoires palestiniens occupés, je ne suis pas non plus soumis à ces restrictions en termes de liberté de mouvement.
Ce réseau de « routes coloniales » constitue l’un des piliers de l’apartheid en Cisjordanie. Les entraves à la circulation et les centaines d’obstacles qui empêchent les Palestiniens et les Palestiniennes de se déplacer normalement créent deux régimes de temps distincts selon la citoyenneté (palestinienne ou israélienne). »
Ce système discriminatoire qui s’accompagne de multiples formes d’humiliation aux checkpoints est le lot quotidien des Palestiniens. Israël les maintient dans un dispositif d’oppression permanente où l’armée détient le rôle de maître du temps et de l’espace.
Assumant pleinement ce régime de ségrégation, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou avait déclaré en 2020 : « C’est nous qui dictons les règles sécuritaires sur l’ensemble du territoire. (…) Eux resteront des sujets palestiniens. »
GESTION DISCRIMINATOIRE DE L’EAU
La ville de Jéricho, située dans la vallée du Jourdain, fournit également un bon exemple du système d’apartheid qui affecte tous les pans de la vie des Palestiniens. Cette cité plurimillénaire, surnommée la « ville des palmiers » dans l’Ancien Testament, était connue autrefois pour ses sources d’eau abondantes. Aujourd’hui, comme dans tout le reste de la Palestine, ses habitants n’ont pas librement accès à l’eau, comme le raconte Anouar, un chauffeur de taxi de Jéricho :
« En quelques années, à force de parcourir la ville et ses alentours, j’ai pu voir l’accélération de la sécheresse qui frappe nos terres agricoles. Ici on va souffrir encore plus du réchauffement climatique, car Israël monopolise l’eau, et nous revend ce qui devrait nous appartenir, tandis que les colons, eux, payent l’eau moins cher que nous parce qu’Israël les aide [financièrement]. L’entreprise qui nous revend l’eau nous en coupe régulièrement l’accès, notamment en période de sécheresse, car notre approvisionnement passe après celui des Israéliens et des colons. On dépend totalement d’Israël, qui nous traite comme des moins que rien. »
En 1995, les « accords de paix » d’Oslo II ont divisé entre Israéliens et Palestiniens les ressources souterraines hydriques de la région, attribuant 80 % aux premiers et 20 % aux seconds. Cet « accord » n’a jamais pu être renégocié et Israël est chargé, par le biais de sa compagnie nationale Mekorot, de gérer l’approvisionnement des territoires occupés en eau, qu’il pompe principalement dans les aquifères de Cisjordanie — une pierre de plus à l’édifice du régime administratif discriminatoire auquel sont soumis les Palestiniens.
Obey est agriculteur dans une bourgade proche de Tulkarem, le long de la Ligne verte. Comme de nombreux paysans, il pâtit des restrictions en eau. Mais s’il veut construire un puits sur son terrain, il doit, au même titre que tous les agriculteurs palestiniens, obtenir l’autorisation d’Israël, qui ne l’accorde que très rarement : « Ici l’État palestinien n’a aucun pouvoir, et quand Israël nous coupe l’eau, on doit acheter celle qui est acheminée par camion, à un prix bien plus élevé. Pendant ce temps, les colonies en usent abondamment, et elles sont même parfois dotées de piscines. »
INÉGALITÉS SANITAIRES
Mais pour Obey, l’injustice ne s’arrête pas à la question de l’eau. En 1984, alors qu’il était encore un jeune agriculteur, un tribunal israélien a fait fermer une usine installée dans un village israélien parce qu’elle polluait l’environnement. Obey nous relate la suite sur un ton rempli d’amertume :
« Et vous savez ce qu’ils ont fait ? Ils ont confisqué une partie de nos terres, fait passer le mur [de séparation] au milieu, et ont déplacé l’usine chimique qui contamine maintenant notre sol, notre air et nos plantations, rendant inutilisable une partie de nos champs… Que sommes-nous à leurs yeux pour qu’ils se permettent ça ? »
Dans un rapport publié en 2017, l’organisation israélienne B’Tselem révélait comment Israël transfère vers la Cisjordanie différents types de déchets : boues d’eaux usées, métaux, solvants, batteries et autres produits dangereux. Cette situation illustre le mécanisme discriminatoire mis en place par Israël pour protéger la santé de ses citoyens aux dépens de celle des Palestiniens.
Firas, le jeune homme originaire de Naplouse, constate également au quotidien ces atteintes au droit à la santé, en tant que volontaire pour le Croissant rouge palestinien :
« L’armée entrave systématiquement nos déplacements et notre travail, et elle nous cible en permanence. Plusieurs de mes collègues ont été arrêtés et agressés malgré leurs uniformes, alors qu’ils faisaient juste leur travail. Des Palestiniens meurent aux checkpoints parce que des ambulances sont bloquées arbitrairement. »
UNE « JUSTICE » ASYMÉTRIQUE
Dans ce contexte où les droits des uns sont garantis aux dépens de ceux des autres, il n’y a rien d’étonnant à ce que tous ne soient pas non plus égaux devant la justice. Firas souligne ainsi que « depuis des mois, la situation est de plus en plus difficile. Il n’y a jamais eu autant de violences de la part de l’armée mais aussi des colons, et ces attaques sont cautionnées par Israël. » L’ONU a ainsi recensé 621 attaques menées par les colons en Cisjordanie contre des Palestiniens et Palestiniennes au cours de l’année 2022.
Obey nous explique qu’« ici même, la justice est une justice d’apartheid. Si un colon est arrêté pour des violences, il sera jugé par un tribunal civil et ne risque quasiment rien. Les colons savent qu’ils peuvent agir en toute impunité. Nous, nous sommes jugés par un tribunal militaire arbitraire qui peut nous condamner sans preuves et infliger des punitions collectives comme la destruction de maisons. »
Le règne de l’impunité, c’est aussi ce qui ressort d’une histoire personnelle vécue par Wael : « Dans le cadre de mon travail, j’ai rencontré une femme druze [d’Israël]. Petit à petit, on a commencé à se fréquenter et à sortir ensemble. Sa famille l’a appris, or tous ses membres travaillent pour l’armée israélienne. Quelques jours plus tard, des soldats sont venus me menacer, m’ont pointé une arme sur la tête et m’ont dit :”On espère que le message est passé”. J’ai cessé ma relation avec cette fille : qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? »
Le désarroi de Wael est à la mesure de l’impuissance de l’Autorité palestinienne : « Moi j’utilise le mot apartheid », nous dit Obey. Et de conclure :
« Bien sûr, la situation n’est pas exactement la même qu’en Afrique du Sud, mais Israël a bel et bien instauré un régime d’apartheid, avec ses propres spécificités. Ici Israël contrôle tous les aspects de notre vie, et il nous a relégués au statut de subalternes. Les Israéliens traitent notre existence et notre territoire comme si on leur appartenait. »
MEHDI BELMECHERI-ROZENTAL
Septembre 2023
Article publié dans la Revue Orient XXI
DROIT INTERNATIONAL Peut-on parler de génocide à Gaza ?
Décembre 2023
L’usage du terme « génocide » reste très limité en France, souvent mis entre guillemets par la presse, présenté comme excessif. En revenant pourtant au droit international, la pertinence du terme pour qualifier le massacre en cours depuis le 7 octobre à Gaza est limpide. Le bureau international de la Fédération internationale pour les droits humains a d’ailleurs adopté une résolution reconnaissant les actions d’Israël contre le peuple palestinien comme étant « un génocide en cours ».
Depuis le début de la guerre israélienne la plus brutale contre les Palestiniens de la bande de Gaza, qui a suivi l’attaque du Hamas contre des militaires et des civils israéliens le 7 octobre 2023, nombre de médias et de gouvernements ont fait du droit international et du droit humanitaire un point de vue, ou une opinion exprimée sur les plateaux par des non-spécialistes.
Ainsi, des termes et des concepts ayant chacun une signification très précise, tels que « crime de guerre », « crime contre l’humanité », « nettoyage ethnique » ou « génocide » sont utilisés de manière indifférenciée pour qualifier certaines situations ou, le plus souvent, pour nier au contraire la pertinence de ces usages. Nous nous attachons ici à rappeler les définitions des crimes en question, afin d’examiner l’applicabilité de ces termes à la guerre israélienne dans la bande de Gaza.
MOBILISATION DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
Le droit international et le droit humanitaire définissent les crimes de guerre de manière très détaillée. Ils les divisent en trois catégories, énumérant toutes les violations possibles des Conventions de Genève signées en 1949 qui peuvent se produire lors d’opérations militaires, qu’il s’agisse de conflits de nature internationale ou nationale.
On peut ainsi dire que sont considérés comme des crimes de guerre tout meurtre intentionnel et tout ciblage de civils en tant que tels, ou toute destruction intentionnelle de leurs biens et de leurs établissements hospitaliers, éducatifs et religieux, ou le fait de les exposer à la famine et de leur refuser l’aide humanitaire ; toute attaque à grande échelle contre des villes ou des villages pour laquelle il n’y a pas de justification militaire, ou tout mauvais traitement ou torture de prisonniers, de détenus, de non-combattants, ou même de combattants s’ils déposent les armes ; tout transfert ou déplacement systématique et forcé de populations, ou toute attaque injustifiée contre des centres et des représentants d’organisations internationales, d’organisations de maintien de la paix, d’organisations humanitaires ; et toute utilisation d’armes internationalement interdites.
Par conséquent, et compte tenu de ce que stipule l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), des organisations de défense des droits humains et des organisations humanitaires internationales telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Médecins sans frontières, Médecins du monde, ou des agences onusiennes telles que l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont ainsi dénoncé directement ou indirectement de possibles crimes de guerre, y compris contre leur personnel.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a exprimé de son côté sa préoccupation concernant les actions et mesures militaires israéliennes interdites par les conventions de Genève et les deux protocoles additionnels. Une prise de position publique rare de la part du CICR, qui pourrait s’expliquer par l’ampleur des violations.
DES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ, DONT L’APARTHEID
Quant aux crimes contre l’humanité, ils peuvent se produire pendant les opérations militaires ou en dehors de celles-ci, c’est-à-dire en dehors du contexte de la guerre. Ils comprennent, selon l’article 7 du Statut de Rome :
a) meurtre ;
b) extermination ;
c) réduction en esclavage ;
d) déportation ou transfert forcé de population ;
e) emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
f) torture ;
g) viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
h) persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
i) disparitions forcées de personnes ;
j) crime d’apartheid ;
k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
Là encore, on peut dire qu’il existe des preuves confirmant la légitimité des allégations selon lesquelles Israël commet et a commis des crimes contre l’humanité, que ce soit lors de l’actuelle guerre contre Gaza — surtout s’agissant d’attaque « généralisée ou systématique lancée contre la population civile et en connaissance de cette attaque » et d’actes inhumains « de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale [des civils] », ou en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, en vertu des clauses qui font référence à l’apartheid.
POLITICIDE, URBICIDE ET DOMICIDE
Entre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité d’une part et le crime de génocide d’autre part, la science politique de son côté a développé des termes construits à partir du suffixe d’origine latine « cide » qui renvoie au meurtre, pour désigner un système criminel pratiqué par un État ou un acteur puissant contre ses ennemis afin de les « exécuter » politiquement ou d’« effacer » leurs sphères publiques et privées.
Ainsi, le terme « politicide » est apparu dans les années 1970 pour désigner la destruction de groupes de personnes partageant une identité politique commune (et pas nécessairement une identité ethnique ou « raciale »). Il a ensuite évolué pour qualifier les actions visant à détruire les éléments matériels qui permettent à une entité politique d’exister. Le terme a été utilisé, par exemple, pour décrire la politique israélienne à l’égard des Palestiniens à la veille et pendant la seconde Intifada en 2000, lorsque l’objectif clair d’Israël était de détruire les conditions de l’existence même d’un État palestinien. Cette politique se poursuit bien entendu aujourd’hui.
Il y a des années, le terme « urbicide » a été largement employé pour désigner le ciblage d’espaces urbains en vue de les détruire ou de les rendre inhabitables pendant de longues périodes. Il a été suggéré pour décrire des attaques russes à Grozny en 2001, lors de la deuxième guerre de Tchétchénie, des attaques israéliennes sur l’un des quartiers de la banlieue sud de Beyrouth en 2006 lors de la guerre avec le Hezbollah, et des attaques du régime de Bachar Al-Assad puis de la Russie à Homs et à l’est d’Alep en Syrie entre 2012 et 2017. Bien entendu, ce terme est aujourd’hui de nouveau évoqué dans la guerre israélienne contre Gaza.
Plus récemment, certains chercheurs ont adopté le terme de « domicide » pour désigner une politique israélienne encore plus dure à l’égard des Palestiniens, qui cible leurs lieux de résidence intimes (domiciles), afin de les empêcher d’avoir une existence stable dans un espace défini par ses caractéristiques géographiques et émotionnelles et ses symboles publics et privés, et de faire du temporaire (en les déplaçant constamment) une partie intégrante de leur vie.
Tout cela, bien sûr, nous amène progressivement à parler de la question la plus controversée parmi les politiques et évitée — par crainte de représailles — parmi une partie des juristes et universitaires, à savoir : est-ce que la définition du crime de génocide, avec toutes ses significations chargées d’histoire et de mémoires, s’applique actuellement à la situation dans la bande de Gaza ?
PROUVER L’INTENTION
Le génocide est défini dans la première convention internationale de lutte contre le génocide, adoptée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies et entrée en vigueur en 1951, puis dans plusieurs textes onusiens et dans le Statut de Rome (article 6) comme tel :
Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Par ailleurs, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ratifiée par 153 États) précise que « le génocide peut être commis contre une partie seulement d’un groupe, pour autant qu’elle soit identifiable (y compris à l’intérieur d’une zone géographiquement limitée) ».
Sur la base de ce qui a été documenté et rapporté, et en revenant à l’ampleur des bombardements destructeurs filmés et du ciblage direct des Palestiniens dans une zone précise par le biais de meurtres, d’assiègements et de tortures collectives physiques, psychologiques et mentales, l’anéantissement des conditions de vie dues à la coupure totale ou partielle de l’eau, de l’électricité, du carburant et des communications ; par le siège et l’empêchement total ou partiel de l’entrée de l’aide humanitaire — alimentaire et médicale — et par les attaques d’hôpitaux et d’ambulances et la mort de patients et d’enfants en raison de l’impossibilité de les soigner, il est possible d’évoquer plusieurs éléments concluant à la mise en place par Israël d’un génocide à Gaza.
D’après le ministère de la santé à Gaza, le bilan des attaques israéliennes fait état au 11 décembre 2023 de 18 205 morts, dont plus de 7 000 enfants et 5 000 femmes, de plus de 7 000 disparus sous les décombres ou isolés ou déplacés sans moyens de contact, et de plus de 49 000 blessés. Selon les estimations du gouvernement gazaoui, 60 % des habitations de la bande sont détruites ou endommagées, 262 mosquées et 3 églises ont été ciblées. Enfin, 27 hôpitaux et 55 structures de soins, de même que 55 ambulances ont été bombardés et souvent mis hors service. Les organisations onusiennes et les organisations humanitaires ont perdu plus de 100 employés, médecins et fonctionnaires, tués sous les bombes israéliennes. Quatre-vingt-six journalistes ont également trouvé la mort, parfois directement ciblés par les tirs israéliens.
Cependant, pour qu’un génocide soit reconnu comme tel, l’intention de le commettre doit être prouvée. C’est souvent cet élément qui est le plus difficile à établir, car il faudra démontrer que les auteurs des actes en question ont eu l’intention de détruire physiquement un groupe ou une partie du groupe (national, ethnique, racial ou religieux). La jurisprudence associe donc cette intention à l’existence d’un plan ou d’une politique voulue par un État ou une entité.
Certains juristes considèrent que les déclarations officielles israéliennes et les appels explicites à la vengeance et aux meurtres contre les Palestiniens — en tant que Palestiniens —, les décisions claires de renforcer le siège de Gaza en listant les matériaux interdits d’entrée, comme l’a fait le ministre israélien de la défense Yoav Gallant le 9 octobre 2023, tout en sachant qu’aucune vie n’est possible sans ces matériaux (eau, électricité, carburant, etc.), ainsi que la mise en œuvre de tout cela par l’armée israélienne, prouvent la volonté d’anéantissement et de passer de la déclaration à l’exécution. On peut ajouter à cela la présence d’une « tendance génocidaire » répétitive dans les discours officiels du gouvernement de Benyamin Nétanyahou et de certains députés de sa majorité — autant de discours filmés et transcrits dans la presse. Par exemple : invoquer une « guerre contre les forces du mal et de la barbarie », déshumaniser les Palestiniens et les qualifier d’animaux, prétendre qu’il n’y a pas de civils dans la bande ou déclarer qu’il n’y a que « les terroristes du Hamas » et les « sympathisants du Hamas », appeler à utiliser des armes nucléaires contre les Gazaouis si nécessaire et à déporter les survivants en Égypte (et dans d’autres pays), détruire Gaza et la transformer en « grand terrain de football », etc.
Rappelant la présence claire de cette intention de commettre un génocide du côté israélien et « le passage à l’acte », l’historien israélien Raz Segev, spécialiste de l’Holocauste, a été le premier à souligner que nous étions face à « un cas d’école de génocide ».
Le directeur du bureau du Haut-Commissariat des droits de l’homme à New York, le juriste Craig Mokhiber, a quant à lui démissionné de ses fonctions pour protester contre le silence vis-à-vis « d’un cas typique de génocide à Gaza ». Dans la même lignée, neuf experts onusiens ont alerté sur le fait que la violence militaire israélienne et les intentions de certains responsables à Tel-Aviv constituent « une menace génocidaire envers la population palestinienne ».
De son côté, l’ancien procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, a confirmé que les crimes commis par Israël pourraient constituer un cas de génocide.
Des dizaines d’universitaires palestiniens et arabes, africains, asiatiques, américains et européens, ont également publié ces dernières semaines des tribunes et des communiqués évoquant des positions similaires. En plus des demandes que certains d’entre eux ont adressées au procureur de la CPI pour enquêter sur ces crimes, cinq États (l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti) ont saisi officiellement la Cour pour « exiger une enquête sur d’éventuels crimes israéliens à Gaza et dans les territoires palestiniens ».
Il faut ajouter que la plupart des États et des responsables politiques préfèrent éviter l’utilisation du terme « génocide », pour ne pas avoir à agir, conformément à la Convention qu’ils ont signée, pour le « prévenir » ou pour « y mettre fin immédiatement ». Ce qui, bien entendu, n’est pas à l’ordre du jour pour eux.
Enfin, il est possible de dire qu’aucun conflit antérieur documenté n’a concentré autant de crimes, de violations et d’atrocités dans une zone géographique aussi restreinte, d’environ 360 km², et sur une période aussi courte. Cela révèle davantage la « nature génocidaire » de cette guerre, et mérite en soi une réflexion approfondie. On peut y voir le signe d’une augmentation des possibilités d’escalade de la brutalité, et des violations à grande échelle du droit international humanitaire dans les guerres à venir. Un risque qui semble contredire ce à quoi on aurait pu s’attendre du fait de l’évolution des législations, mais aussi de « l’abondance » des reportages en direct et de la documentation visuelle des faits.
ZIAD MAJED
(Politiste et chercheur franco-libanais, professeur universitaire.)
Article publié dans Orient XXI
Décembre 2023
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