L’annonce le 9 novembre 2024 d’une alliance entre le PTB, le PS et Ecolo pour constituer une majorité communale dans la ville de Mons fait grand bruit dans le petit monde politique belge ainsi que dans les médias de notre pays. Certains dénoncent le franchissement d’une ligne rouge, une nouvelle donne qui romprait “le cordon sanitaire”. Au-delà des grandes déclarations de certains éditorialistes et figures politiques, qu’en est il réellement ?

Tout d’abord, on peut relativiser la nouveauté de ce fait politique, en effet lors de la mandature précédente à Zelzate, le PTB a été au pouvoir pendant 6 ans en coalition avec Vooruit. On peut noter d’ailleurs que suite aux dernières élections, le PTB y a perdu environ 18% de ses voix et a été renvoyé dans l’opposition par une alliance entre Vooruit et la NVA. Qu’en est-il pour la Wallonie ? Même si le PTB n’a jamais été au pouvoir, le parti communiste belge a eu de nombreux élu·es au niveau local en Wallonie, des élu·es communistes ont siégé dans des majorités communales à Charleroi, Tournai, Courcelles, Manage, Le Rœulx, La Louvière et Trooz. Si on revient encore plus loin en arrière, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le Parti communiste a même participé au gouvernement provisoire en Belgique. Le programme du parti étant, à l’époque, bien plus radical que celui porté aujourd’hui par le PTB à titre de comparaison.

Qu’en est-il de la notion du cordon sanitaire ? Les origines historiques du cordon sanitaire en Belgique remontent principalement à la fin des années 1980, dans un contexte de montée de l’extrême droite en Europe et en réaction aux premières percées électorales du Vlaams Blok, parti nationaliste flamand et ancêtre du Vlaams Belang. À cette époque, l’Europe connaît un regain d’influence de l’extrême droite dans plusieurs pays. En France, par exemple, le Front National de Jean-Marie Le Pen gagne en visibilité. En Belgique, des tensions communautaires entre Flamands et Wallons se renforcent, et les thèmes identitaires commencent à occuper une place de plus en plus centrale dans le débat politique. Le Vlaams Blok capitalise sur ce climat en adoptant un discours axé sur le rejet de l’immigration et sur la défense d’une « identité flamande » menacée, selon eux, par la présence des populations immigrées. Cette rhétorique attire un nombre croissant d’électeurs.

Les élections municipales de 1988 et les élections régionales de 1989 marquent un tournant. Le Vlaams Blok réalise une avancée significative dans plusieurs villes flamandes, remportant un soutien inédit pour un parti d’extrême droite en Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette montée en puissance alarme les partis traditionnels, notamment les partis socialistes (PS), libéraux (PRL, aujourd’hui MR), et chrétiens-démocrates (CVP/CD&V).

En 1989, les principaux partis belges décident donc d’agir et élaborent un accord pour limiter l’influence du Vlaams Blok, qu’ils perçoivent comme une menace pour la démocratie. Cet accord informel est le début du « cordon sanitaire », qui engage les partis démocratiques à ne pas collaborer ou s’allier avec les partis d’extrême droite, et à les isoler politiquement.

Le cordon sanitaire se formalise progressivement par la signature de différentes chartes en 1989, 1999, 2002 et 2022. La dernière mouture de 2022 se nomme sobrement “« Renouvellement de la Charte de la démocratie par les partis se présentant aux élections dans l’espace francophone », celle-ci est signée par Paul Magnette (PS), Georges-Louis Bouchez (MR), Rajae Maouane (Ecolo), Jean-Marc Nollet (Ecolo), Maxime Prévot (LE) et François De Smet (Défi). La charte de 2022 ne fait à aucun moment explicitement référence à l’extrême gauche. Toutefois, on peut constater quelques ambiguïtés nouvelles dans la charte de 2022, celle-ci fait référence à plusieurs fois “ partis d’extrême droite ou de même nature”. (1) Cette ouverture conceptuelle aurait-elle pour but d’un jour englober “l’extrême-gauche” ? S’il est pour le moment difficile d’en être certain, les récentes sorties autour de Mons semblent aller dans ce sens.

Alors si la montée au pouvoir du PTB à Mons n’a rien de nouveau d’un point de vue des faits historiques et n’a rien à voir avec une rupture du “cordon sanitaire”, qu’est ce que ces sorties veulent-elles dire de l’esprit de notre époque ? Il s’agit du recyclage d’une vieille théorie, celle dites du “fer-à-cheval”. La théorie du fer-à-cheval a été popularisée par l’écrivain et philosophe français Jean-Pierre Faye dans les années 1990. La théorie du fer-à-cheval est une conception en science politique qui suggère que les extrêmes politiques, malgré leurs divergences idéologiques, finissent par se ressembler dans leurs approches et leurs méthodes. L’extrême gauche et l’extrême droite se rapprocheraient en quelque sorte, comme les deux extrémités d’un fer-à-cheval, plutôt que d’être complètement opposées comme sur une ligne droite traditionnelle de gauche à droite.

La théorie du fer-à-cheval est critiquée par certains, notamment parce qu’elle simplifie les divergences profondes entre l’extrême gauche et l’extrême droite, qui ne partagent pas les mêmes fondements idéologiques. Ses opposants arguent que l’extrême gauche, par exemple, repose sur des idéaux d’égalité et d’internationalisme, tandis que l’extrême droite s’appuie sur la hiérarchie sociale et le nationalisme. Selon eux, amalgamer les extrêmes sous un même modèle occulte des différences fondamentales dans leurs visions de la société.

Nous vivons une époque où les contradictions de nos sociétés sont de plus en plus grandes et, clairement, de nombreux mécanismes de médiation et de pacification semblent être en bout de course. Les dominants ne reculeront devant aucune malhonnêteté intellectuelle pour maintenir ce système en place.

Sources :

• (1) Renouvellement_Charte_democratie_elections_espace_francophone-8_mai_2022