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Les cantines végétaliennes : un positionnement politique

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Introduction

Au moment où ce texte est écrit, la majorité des cantines dans les espaces de luttes anarchistes ou autonomes en fRance sont végétaliennes. C’est-à-dire qu’ielles ne servent pas de produits d’origines animales (viande, lait, œuf, miel…).

Cette situation pourrait amener à croire qu’il s’agit d’une certaine forme de « victoire » ou en tout cas d’une reconnaissance des théories et des luttes du mouvement antispéciste au sein des espaces anarchistes, autonomes ou de la « gauche radicale ». Ce n’est pourtant pas le cas.

Les cantines végétaliennes sont des outils de lutte historique du mouvement antispéciste (comme le sabotage et les libérations). Elles s’inscrivent dans une stratégie de propagande par l’exemple. Ils s’agit de montrer que l’on peut avoir accès à une alimentation équilibrée, agréable et accessible sans utiliser de produits issus directement de l’exploitation d’animaux non-humains.

Pourquoi cet outil de diffusion ne semble pas fonctionner au sein des espaces radicaux ?

Une dépolitisation du choix de l’alimentation végétale

Cet échec est profondément lié au fait que la mise en place des cantines végétaliennes au sein des espaces radicaux s’est faite par la dépolitisation du contenu théorique et la disparition des idées antispécistes pourtant à l’origine des cantines végétaliennes. Revenons sur quelques pratiques de dépolitisation courantes.

  • Absence de communication sur le sujet

De nombreux lieux ou espaces n’indiquent pas explicitement que les cantines sont végétales dans leur communication. Parfois même en justifiant que le dire explicitement amènerait certaines personnes à ne pas venir. Cette prétendue ouverture envers des personnes imaginaires permet donc de faire disparaître les positionnements et des choix politiques (ou leur absence) dans l’alimentation.

De même, il est exceptionnel de voir des flyers antispécistes sur les tables de ces cantines. Pourtant le choix de l’alimentation végétalienne, comme celui du prix libre ou encore de l’auto-gestion sont des choix politiques. Il s’agit d’essayer de créer ici et maintenant le monde futur.

  • Le faux argument de l’inclusion

Lorsqu’il s’agit de justifier le choix de l’alimentation végétale, un argument qui ressort souvent, c’est qu’il s’agit d’un mode d’alimentation collective qui permet de respecter les contraintes alimentaires les plus courantes des personnes qui viennent se nourrir à la cantine : hallal, casher, vegan…

Cet argument conduit à mettre sur le même pied l’adhésion à des croyances religieuses que des positionnements s’opposant à l’exploitation et au massacre continuel de milliards d’animaux. Pourtant, les arguments antispécistes ne sont pas issus de règles absurdes et contradictoires édictées par des figures d’autorités, mais des choix basés sur des connaissances et analyses scientifiques et émancipatrices.

Si l’inclusion est un faux argument, c’est bien parce que peu d’efforts, sont réellement déployés concernant l’inclusion au-delà du contenu de l’assiette. Alors que les menus sont parfois connu à l’avance, ils ne sont quasiment jamais indiqués ou diffusés. Ce qui serait pourtant important pour les personnes ayant des régimes alimentaires spécifiques (allergies, intolérances, condition médicale autre…). La liste des ingrédients et allergènes est rarement présente, et peu d’attention est portée à éviter les contaminations croisées.

  • La double pratique

La double pratique, c’est d’avoir une cantine végétalienne ET en même temps des aliments issus de l’exploitation animale à proximité. Cette double pratique prend de nombreuses formes. Parfois, il s’agit d’avoir une version végétalienne et une version spéciste d’un même plat, par exemple un stand de crêpes. Lors d’un événement, il peut s’agir d’avoir des cantines végétaliennes le midi et le soir, mais des petits-déjeuners et goûters avec des produits issus de l’exploitation animale.

Cette double pratique est particulièrement vicieuse puisqu’elle permet d’inclure les personnes véganes (qui peuvent en effet se nourrir) tout en disqualifiant leur positionnement politique, réduit à un simple choix personnel et non comme un moyen d’action s’insérant dans une lutte contre une domination structurelle.

Mécanismes de la dépolitisation

Les pratiques de dépolitisations précédemment citées ne viennent pas de nulle part, mais sont la conséquence logique de stratégies et de visions du monde. En retour, ces pratiques influent aussi sur les stratégies et les visions du monde.

Un premier point, c’est de remarquer que les cantines militantes sont rarement composées entièrement ou majoritairement d’antispécistes. Le choix du végétalisme correspond donc non pas à l’expression des positions politiques des cuisinnier·eres mais à un choix lié à un rapport de prestataire à client. Ainsi, l’absence de communication sur le végétalisme s’explique parce que pour la cantine/les organisateurices, ce n’est pas un choix, mais une contrainte inhérente à la présence de végétariens/végétaliens au sein des luttes et des espaces radicaux.

Le second point, c’est une stratégie plus globale d’une partie du mouvement de s’allier avec des structures spécistes. Qu’il s’agisse des Soulèvements de la terre avec la Confédération Paysanne ou des mouvements locaux avec certains éleveureuses, des fédérations de pêche ou des chasseurs. Une alliance qui se fait forcément sur le dos des non-humains et des antispécistes. Aussi bien dans la pratique que dans la théorie. Ainsi, l’analyse des ravages écologiques du spécisme est remplacée par une dichotomie agro-industrie/élevage paysan. Une division fictive du point de vue des non-humains qui finissent à l’abattoir, mais aussi quand il s’agit de s’intéresser aux conséquences environnementales de l’élevage.

Le troisième point, c’est la nécessité du maintien du déni pour l’immense majorité des personnes qui fréquentent ces cantines. La dépolitisation permet d’éviter de les confronter aux conséquences de leurs choix quotidiens en matière d’alimentation ainsi qu’à leurs propres contradictions.

Repolitiser les cantines

S’il paraît important de repolitiser la question des cantines, il ne s’agit pas simplement de défendre une position morale. Oui, arrêter de torturer et de tuer des êtres sensibles pour les manger est évidemment plus juste moralement que de justifier ou d’ignorer leurs souffrances au nom du plaisir gustatif. Mais le spécisme ne se réduit pas à la question de l’exploitation des non-humains, il se combine avec de nombreux autres systèmes de domination.

C’est parce que le système spéciste considère que la vie de la majorité des animaux ne vaut rien et qu’ils peuvent être éliminés en masse sans remords que l’animalisation de groupes humains est un outil au service des génocidaires. La fabrique du spécisme et celle des prétendues races humaines s’entremêle.

La construction de la masculinité se réalise en partie à travers la pratique du contrôle et de la violence sur les non-humains : chasse, consommation de viande, combat de chiens/coqs, dressage, violence contre les animaux dits domestiques.

C’est un exemple parmi d’autres de la société carcérale.

C’est le reflet d’une société anti-écologiste, qui au nom du plaisir de quelques élites condamne le reste des individus à la souffrance et à la mort. Ainsi, environ 10 % des émissions de gaz à effets de serre sont liées à l’élevage.

C’est un exemple de comment la société capitaliste vise à transformer les animaux humains comme non-humains en simple outil au service du pouvoir des possédants : chiens policiers/militaires, animaux de traits, cobayes de laboratoire…

Faire le choix d’une cantine végétalienne, c’est donc une manière de se positionner clairement dans la lutte contre le pouvoir et le ravage écologique. C’est participer à créer et à renforcer des liens entre les individus et entre les luttes. C’est ne pas séparer les actions individuelles des luttes globales, le quotidien de l’horizon révolutionnaire.

Repolitiser les cantines, c’est ne plus les considérer comme simplement un moyen de s’alimenter, mais comme un morceau d’un projet plus vaste de bouleversement du monde.

Plusieurs propositions :

  • Une communication claire en amont et sur place
  • Un texte de positionnement politique expliquant ce choix et/ou un infokiosque antispéciste sur place
  • La sensibilisation des participant·es à ces questions, par exemple lors d’un point avant la cuisine elle-même
  • Un refus de la « double pratique »
  • Le refus de participer à des événements qui refusent de prendre en compte les réflexions antispécistes ou qui ont des discours/pratiques spécistes
  • Lier l’antispécisme de la cantine au sujet abordé lors de l’évènement.

Quelques ressources :

Audios :

Sites internets :

Brochures :

Livres :

  • Animal Radical de Jérôme Segal
  • Un éternel Treblinka de Charles Patterso
  • La politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams

Texte mis en page pour impression :

Brochure :

cantinepolitique_brochure.pdf

Page par page :

cantinepolitique-1.pdf

Notes

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