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Maxi-prison d’Haren : Le récit d’une histoire d’intérêts politiques et économiques

Maxi-prison d’Haren : Le récit d’une histoire d’intérêts politiques et économiques

Le projet de création d’un centre pénitentiaire de très grande envergure a vu le jour ce vendredi 30 septembre 2022 à Haren en périphérie bruxelloise. La maxi prison a une capacité de 1200 détenu.es et couvre une superficie de 17 hectares, ce qui représente le plus vaste complexe pénitentiaire du pays. La création de ce nouveau site carcéral occasionnera les fermetures des prisons de Saint-Gilles (d’ici 2025) et Forest (d’ici 2023). Leurs détenu.es seront alors transféré.es en direction d’Haren.

Belgique | sur https://stuut.info | Collectif : Bruxelles Dévie

Les sites des prisons de Saint-Gilles et Forest vidés verront alors leur affectation changer au profit de nouveaux logements en vue de l’importante attractivité immobilière présente dans ces quartiers. Ceux-ci seront battis à des fins lucrativesalors qu’aucun logement social ne devrait être construit. Ce projet soulève de nombreuses questions tant politiques qu‘éthiques dans un Bruxelles où les promoteurs privés n’ont jamais autant fonctionné main dans la main avec les Pouvoirs Publics.

Récap historique : la maxi prison ne répond pas aux problèmes soulevés

Le projet est annoncé en 2010, en réaction aux critiques que portent les pays européens envers les conditions de vie des détenu.es dans les prisons belges et particulièrement dans celles de Saint-Gilles et Forest. Les politiques carcérales sont pointées du doigt. On déplore alors une surpopulation des lieux, une insalubrité déplorable ainsi qu’une insécurité constante. L’état belge est alors condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour traitement inhumain des détenu.es.

Pourtant, en 2008, le gouvernement Leterme II rédigeait un « Masterplan » orchestrant la rénovation des prisons de Saint-Gilles et Forest ainsi que la création de petits complexes pénitenciers pour répondre aux mêmes critiques. Celui-ci permettrait une soi-disant meilleure répartition des prisonier.ères face aux problèmes de surpopulation des prisons. En réalité ce projet ne verra pas le jour et sera remplacé en 2010 par celui de la maxi prison d’Haren. Ce projet de maxi prison semble alors absurde face aux problèmes de conditions de vie qui avaient été relevés au sein des prisons bruxelloises par les associations de soutien ainsi que les magistrats.

En effet, les maxis prisons ne sont en aucun cas une solution à ces problèmes, au contraire les conditions au sein de ce type d’établissements sont déplorables. Un tel nombre de détenu.es ne peut en aucun cas être correctement encadré que ce soit de manière psychologique ou en termes de qualité de contrôle de la salubrité des espaces de vie. De plus, la situation géographique du complexe poussera d’avantage les détenu.es vers des situations d’isolement vis-à-vis de leurs familles ainsi que des tissus associatifs que quand ils et elles se trouvaient dans des quartiers plus centraux (Haren se situant à la limite de la frontière bruxelloise).

En bref, le projet de maxi prison à Haren n’est en aucun cas une solution directe aux problèmes carcéraux mais plutôt un prétexte permettant d’augmenter les recettes publiques des quartiers de Saint Gilles et Forest via la transformations de leurs sites carcéraux en logements. En effet, dès lors que le transfert des prisonnier.es sera effectué, les complexes carcéraux saint-gillois et forestois présenteront une aubaine aux yeux des promoteurs en vue de la taille colossale de ces sites et des prix courants de l’immobilier qui y sont parmi les plus élevés de la région bruxelloise.

Au moment où la décision de bâtir une maxi prison à Haren a été prise, il était nécessaire de trouver un accord entre la Région Bruxelloise et les Pouvoirs Fédéraux. Le pouvoir fédéral se tourna vers la Région bruxelloise afin d’acquérir les permis nécessaires à la construction du site pénitencier. La région y vit un intérêt tout particulier et accepta la proposition en échange de pouvoir acquérir les sites couvrant les prisons de Saint-Gilles et Forest dans l’optique d’en tirer du profit par la suite. Cette dynamique s’inscrit bien dans celles des politiques d’« attractivité » de la ville menées par les Pouvoir Publics. Elles poussent les logements à devenir des lieux où les enjeux économiques priment sur les enjeux sociaux, c’est-à-dire à gentrifier la ville.

Il est d’autant plus inquiétant de constater que Charles Picqué (PS), ancien bourgmestre saint-gillois est un des protagonistes de l’affaire concernant la création de la maxi prison à Haren alors qu‘il était à l’époque à la fois Ministre-Président du gouvernement bruxellois (2004-2013) et bourgmestre de la commune de Saint-Gilles (de 1985 jusqu’à septembre 2022). Il pouvait alors simultanément jouer sur les deux côtés du tableau et s’assurer de mener le projet selon ses propres intérêts politiques. Il voyait dans le déménagement des prisons une double opportunité pour la Région de faire construire un nouveau quartier de logements et pour la commune de se débarrasser des problèmes liés à la prison tout en contribuant à augmenter l’assiette fiscale communale et régionale via des populations aisées s’intéressant à la création de nouveaux logements dans la zone.

Ceci n’est pas étonnant quand nous voyons tout ce qui a été fait par le PS de Charles Picqué ces dernières années à Saint-Gilles. Celui-ci a par exemple orchestré la destruction du Quartier Midi 25 ans plus tôt en distribuant toute une série de passe-droits urbanistiques dirigés aux promoteurs immobiliers au moment de raser des milliers de mètres carré de logements au profit de bureaux (sans construire le moindre mètre carré de logement social).

Tous les éléments cités nous montrent bien à quel point il est important de continuer à s‘opposer au projet de la maxi prison ainsi qu’au modèle carcéral actuel dans sa généralité tant les accords politiques qui le dirigent sont gangrenés par l’envie de continuer de transformer l’espace urbain en marchandise et certainement pas de créer des espaces carcéraux « viables » ou même des logements sociaux. De plus le site couvrant le chantier de la maxi prison d’Haren occasionna la destruction du Kelbeek (18 hecatres), anciennement un des rares espaces verts de la commune harenoise et de Bruxelles-Nord où l’on pouvait encore trouver une importante diversité au sein de sa faune et sa flore. Une ZAD y avait d’ailleurs vu le jour en opposition au projet : la ZAD d’Haren.

D’un autre côté, il est nécessaire de mettre en lumière le fait que la maxi prison d’Haren sera une prison semi–privée. Ceci a été prononcé au moment où le gouvernement fédéral belge (Régie des Bâtiments) a décidé de faire un partenariat privé public appelé « PPP ». Celui-ci permettra au gouvernement d’étaler sa dette sur le long terme auprès d’une entreprise privée appelée « Cafasso SA » qui tirera un bénéfice certain de cet investissement après s’être chargé de la conception, de la construction ainsi que du financement du projet.

Ce modèle pose énormément de questions sur la tournure que prend la maxi prison d’Haren dès lors que celle-ci devient un projet lucratif pour une entreprise privée et non un bien totalement public. On se demande alors si les détenu.es seront duement pris.es en charge ou si l’objectif sera simplement de remplir la prison à son maximum afin d’éviter le plus possible les pertes dûes aux infrastructures auprès de l’entreprise privée.

Au sujet de la lutte anti-carcérale

Au-delà des enjeux urbanistiques et politiques de la création de cette maxiprison, il est important de rappeler en quoi la prison comme institution et d’autant plus les maxicomplexes pénitenciers ne sont pas des solutions viables socialement à la criminalité. Elles font partie du problème.

Nous apportons une critique du système pénal et carcéral dans leur ensemble étant donné qu’ils sont les représentations même de la machine étatique qui écrase systématiquement les groupes sociaux les plus précaires et racisés. Le système pénal est lui-même totalement dissocié des réalités qui recouvrent l’ensemble de la société puisque celui-ci est composé, en grande partie, de personnes blanches issues de groupes sociaux favorisés.

En Belgique, le système pénal ne permet pas de penser autrement les infractions qui ne sont que les symptômes de problèmes sociétaux. En aucun cas une sanction quelle qu’elle soit ne sera la solution à l’origine de l’acte qui a provoqué le délit. Au contraire, celle-ci aura d’autant plus tendance à amplifier le fonctionnement qui a mené à cet acte, tant le système carcéro-pénal tend à briser et isoler les personnes emprisonnées. Il est certain que l’enfermement empêchera une personne de commettre une exaction mais il ne permettra en aucun cas de diminuer la violence de son fonctionnement par des logiques d’incarcération inhumaines basées sur l’anéantissement des liens sociaux ainsi que la suppression de nos sens les plus propres. De plus, en ce qui concerne les sortants de prison, certaines études estiment autour 59 % le taux de re-condamnation dans les cinq années suivant la libération.

L’enfermement de masse est un choix politique qu’il faut refuser en tant que tel. Aucune amélioration de détention n’est possible tant que le système carcéral ne sera pas tombé. Il ne relève pas simplement de problématiques humanitaires qui pourraient être résolues par des apports matériels mais bien de défaillances politiques plus profondes. Enfermer inéluctablement les groupes sociaux les plus précaires, racisés et marginaux est à la fois la base et le reflet d’un système inégalitaire basé sur l’exploitation et le racisme.


La prison est un problème et non une solution !

– [1] Belgique : les prisons en 2021 (prison-insider.com)
– [2] Les peines de moins de trois ans vont maintenant être exécutées en Fédération Wallonie-Bruxelles | Belgique | 7sur7.be
– Visite guidée ARAU : « derrière les murs : la prison »
https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2017-1-page-169.htm


Livres :
– « La prison est-elle obsolète » de Angela Devis
– « Pour elles toutes, femmes contre prison », de Gwenola Ricordeau
– « L’urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle » de Gwenael Brees
Pourquoi faut-il en finir avec les prisons ? (brochure) – La CLAC


Vidéos :
– « Prison de Haren : multinationales et scandale d’état » de Tout va bien.
The 13th – Netflix
Qui est Qui ? – Gevangenis Haren Prison

Voir en ligne : Bruxelles Devie

Notes

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