
Dans la nuit de dimanche à lundi 12 mai, Christophe Amine Chollet est mort à Bruxelles, dans les Marolles, après avoir été percuté par une camionnette de police. Les secours sont arrivés mais n’ont pas pu le réanimer. Un autre passager a été blessé.
Dès le lendemain, la plupart des médias ont publié plusieurs articles en reprenant principalement les informations du parquet. On y lit que le » scooter » aurait « refusé la priorité de droite » et que le véhicule de police ne roulait « pas à une vitesse excessive« . Le mot « malencontreusement » est utilisé pour qualifier la collision. On précise aussi que le scooter pourrait avoir été « volé » et « débridé« . On parle de « scootériste » pour désigner la victime, on ne cite pas son nom …
Le vendredi 23 mai, on apprend que le conducteur de la camionnette de police roulait sans permis depuis deux ans. Malgré cela, la majorité des articles continue d’orienter le récit vers une mise en cause de la victime, insistant sur le supposé caractère « suspect » du véhicule, et minimisant la responsabilité policière. Le fait qu’un agent de l’État, au volant sans permis, ait percuté un homme qui ne représentait aucun danger, est relégué à l’arrière-plan.
La victime est déjà désignée responsable, avant même que l’enquête ne soit menée à son terme.
Qui raconte les morts que l’État provoque ?
La manière dont les médias ont repris quasiment mot pour mot le communiqué du parquet, sans aucune distance critique avec le narratif policier, sans même essayer de donner une voix aux proches, aux témoins, aux habitant·es du quartier est frappante … Dans ces médias, l’homme décédé n’a pas de nom, pas de visage, pas d’histoire. Il est réduit à un engin motorisé. Le fait qu’il ait été tué par un véhicule de police, qui plus est conduit par un agent sans permis, est omis ou relégué au second plan, présenté comme un détail technique. Et pourtant, on parle ici d’un drame, de la mort de Christophe Amine Chollet, père de famille, percuté par un véhicule de l’État.
D’après les médias et pour le parquet : il n’y avait pas de poursuite, pas d’excès de vitesse, juste une « collision malheureuse« . Pourtant, des riverain·es habitant la rue ou s’est produit l’accident témoignent d’une voiture qui roulait à grande vitesse sans sirène au moment des faits. Comment, alors, a-t-il été possible pour les médias de ne pas évoquer la responsabilité policière dans ce drame ?
Ce n’est pas la première fois que cela se produit. À chaque mort impliquant la police, un récit politico-médiatique se mets systématiquement en place. On commence par parler de la responsabilité de la victime : délinquance potentielle, véhicule suspect, comportement dangereux. La victime n’est jamais totalement victime, surtout quand elle est racisée, issue d’un quartier populaire.
Ce type de traitement médiatique n’est pas seulement froid et déshumanisant, il est aussi complice des crimes commis par la police. Il participe à une culture de l’impunité policière, à une hiérarchisation des morts, à une invisibilisation des violences structurelles. Les crimes policiers ne sont pas des faits divers, ce sont des faits politiques.
Qui peut mourir sans faire scandale ?
Ce drame renvoie également à une gestion différenciée des territoires et des vies, dans laquelle certain·es peuvent être mis en danger sans que cela ne provoque de scandale. Dans cette mécanique, on retrouve une gestion différenciée des vies, où certains corps, souvent racisés, souvent pauvres, souvent précaires, peuvent être exposés à la mort sans que cela ne trouble l’ordre établi, où certaines populations sont traitées comme sacrifiables, et où la violence( policière, administrative, institutionnelle) devient un outil de gestion ordinaire. C’est cette logique nécropolitique, concept développé par le philosophe Achille Mbembe, qui désigne le pouvoir de décider qui peut vivre et qui peut mourir.
La gestion policière de certains quartiers est en effet structurée par la violence sur les corps non-blancs : contrôles au faciès, présence policière accrue, impunité meurtrière. Ce ne sont pas des dérives individuelles, mais bien des pratiques ancrées dans une structuration raciale et spatiale du pouvoir. La gestion des corps et des espaces étrangers est la fonction historique de l’institution policière. Dans certains quartiers, les policiers se comportent en cowboys ; dans d’autres, ils assurent la tranquillité des classes dominantes comme des agents de sécurité privée
Pourquoi, dans ce quartier-là, à cette heure-là, les policiers roulent-ils ainsi ? Qui fréquente ces rues à ce moment-là, tard le soir ? Qui est concerné par ce type de violence ?
Légende :
Logique nécropolitique : Concept développé par le philosophe Achille Mbembe, qui désigne la manière dont le pouvoir décide quelles vies méritent d’être protégées et lesquelles peuvent être exposées à la mort, à la violence ou à l’abandon. Cette gestion différenciée des vies touche particulièrement les populations racisées, pauvres ou marginalisées, considérées comme moins dignes d’attention, de justice ou de deuil.
Sources :
- Achille Mbembe. Necropolitics. Public Culture. https://doi.org/10.1215/08992363-15-1-11
- La Libre. Grave accident dans les Marolles : un scootériste meurt percuté par une camionnette de police. .lalibre.be/.../grave-accident-dans-les-marolles-un-scooteriste-meurt-percute-par-une-camionnette-de-police-
- RTL. Une camionnette de la police percute un scooter dans le centre de Bruxelles : les secours n’ont rien pu faire pour le conducteur. [rtl.be/.../une-camionnette-de-la-police-percute-un-scooter-dans-le-centre-de-bruxellestps ://www.rtl.be/actu/regions/bruxelles/une-camionnette-de-la-police-percute-un-scooter-dans-le-centre-de-bruxelles-les/2025-05-12/article/749454]
- 7sur7. Un policier impliqué dans un accident mortel à Bruxelles conduisait sans permis depuis deux ans. 7sur7.be/.../un-policier-implique-dans-un-accident-mortel-a-bruxelles-conduisait-sans-permis-depuis-deux-ans
- RTL Info. « Il ne respirait plus » : un policier sans permis percute mortellement un motard. rtl.be/.../il-ne-respirait-plus-un-policier-sans-permis-percute-mortellement-un-motard
- L’Avenir. Drame dans les Marolles : percuté par le conducteur d’une camionnette de police, un scootériste meurt sur le coup. lavenir.net/.../drame-dans-les-marolles-percute-par-le-conducteur-dune-camionnette-de-police-un-scooteriste-meurt-sur-le-coup-
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