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Palestine : un cri étouffé jusque dans le monde associatif et médiatique bruxellois

Palestine : un cri étouffé jusque dans le monde associatif et médiatique bruxellois

Est-il acceptable que la tenue d’une conférence portant sur la résistance palestinienne entraîne la descente d’une brigade anti-terroriste dans un lieu culturel et dans la rédaction d’un média ?

Belgique | sur https://stuut.info

Analyser les enjeux fondateurs qui sous-tendent la situation actuelle en Palestine est une entreprise d’intérêt général. Il est évident que le débat public est actuellement influencé par certains effets de cadrage et des mécanismes de légitimation/délégitimation qui doivent être mis en perspective. ZIN TV travaille depuis de longues années sur ces mécanismes de propagande. Nous sommes même subsidiés pour accomplir ce travail et pour le promouvoir. La nécessité d’entendre d’autres récits que celui proposé par la diplomatie israélienne est pour le moins légitime. Pourtant, les propositions d’analyses qui s’écartent du récit imposé depuis le 7 octobre 2023, sont silenciées, criminalisées, accusées de faire l’apologie du terrorisme ou de l’antisémitisme.

Face à ce manque de pluralité médiatique, il nous semblait important de soutenir l’expression de voix qui ne s’inscrivent pas dans ce « bruit médiatique ».

En ce sens, dans le cadre de la Per­ma­nence Vidéo des Luttes Sociales, nous avons docu­men­té depuis les pre­mières mobi­li­sa­tions la soli­da­ri­té popu­laire exem­plaire qui s’exprime en sou­tien à la Pales­tine. Afin de rendre compte de la situa­tion avec plus de pro­fon­deur et de sen­si­bi­li­té, nous avons éga­le­ment mis en place un cycle de pro­jec­tions de films docu­men­taires autour de cette ques­tion. Nous avons aus­si réa­li­sé une émis­sion qui per­met­tra de décons­truire les biais majeurs et récur­rents du trai­te­ment média­tique israé­lien, en essayant d’as­su­mer au mieux ce rôle délais­sé de contre-pou­voir (bien­tôt en publi­ca­tion sur notre site).

Entre­temps, le col­lec­tif Sami­doun, un réseau inter­na­tio­nal de soli­da­ri­té avec les mil­liers pri­son­niers poli­tiques pales­ti­niens déte­nus dans les geôles israé­liennes, nous a deman­dé d’ac­cueillir un de leurs évé­ne­ments dans nos locaux au CBO à Jette (il s’agit d’une occu­pa­tion tem­po­raire qui regroupe une dizaine de col­lec­tifs et associations).

L’é­vé­ne­ment en ques­tion por­tait sur la cri­mi­na­li­sa­tion crois­sante des orga­ni­sa­tions (pro-)palestiniennes en Europe. En tant que média d’action col­lec­tive, culti­vant une proxi­mi­té avec le ter­rain asso­cia­tif et mili­tant, nous esti­mions que cela entrait en adé­qua­tion avec nos mis­sions et qu’il s’a­gis­sait d’un sujet d’in­té­rêt géné­ral. Nous avons donc accep­té la demande.

A peine Sami­doun a‑t-il publié une annonce fai­sant la pro­mo­tion de cet évè­ne­ment, que nous rece­vions un appel de la com­mune de Jette disant avoir été infor­mée par l’ambassade israé­lienne qu’un évè­ne­ment “pro­blé­ma­tique” avait été pro­gram­mé au CBO. Nous appre­nions qu’une enquête de police et de l’OCAM avait été dili­gen­tée pour déter­mi­ner si cette confé­rence repré­sen­tait un dan­ger quel­conque. Nous com­pre­nions aus­si par des sous-enten­dus à peine voi­lés que nous aurions inté­rêt à annu­ler cet évè­ne­ment. Étant finan­cés par la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles pour faire usage de la liber­té d’expression dans une pers­pec­tive d’é­man­ci­pa­tion indi­vi­duelle et col­lec­tive, nous avons évi­dem­ment déci­dé de res­ter imper­méables aux pres­sions politiques.

La veille de l’événement, nous appre­nions que l’enquête de l’OCAM concluait qu’on ne pou­vait pas inter­dire la confé­rence. Nous appre­nions éga­le­ment que des agents de police en civil assis­te­raient à la ren­contre pour rele­ver d’é­ven­tuels pro­pos tom­bant sous le coup de la loi. La soi­rée fut un franc suc­cès et aucun désordre ne se produisit.

Pour­tant quelques jours plus tard, nous étions convo­qués par la com­mune de Jette pour nous voir repro­cher d’a­voir main­te­nu l’é­vé­ne­ment. Nous com­pre­nions que le sou­tien com­mu­nal accor­dé au CBO ris­quait d’être remis en ques­tion et que cet évè­ne­ment aurait fait des remous bien au-delà de la com­mune de Jette, sous-enten­dant que ZIN TV ris­quait peut-être de perdre ses subsides.

Nous appre­nions éga­le­ment qu’une inter­pel­la­tion citoyenne inti­tu­lée « Non à la sub­ven­tion publique de la com­mune de Jette d’évènements qui véhi­culent la haine et font l’apologie du ter­ro­risme » aurait lieu le 29 novembre 2023. Nous avons assis­té à cette inter­pel­la­tion, stu­pé­fait·e·s par son conte­nu extrê­me­ment dif­fa­ma­toire et men­son­ger. D’au­tant plus que d’a­près les dires de cette per­sonne qui s’est expri­mée sur le réseau social X (ex-Twit­ter) le 22 octobre 2023, elle ne serait res­tée que 10 minutes à cette confé­rence. Selon elle : « Mani­fes­te­ment, ce soir-là, la résis­tance col­lec­tive por­tait aus­si sur l’usage du déodo­rant, du savon et de la les­sive ; l’odeur pes­ti­len­tielle de des­sous de bras aro­ma­ti­sé à l’oignon rance conju­guée au conte­nu de la pre­mière inter­ven­tion eurent sur moi un effet émé­tique radi­cal. Je suis venue, j’ai tenue (10 minutes), j’ai vomi, je suis par­tie (chez moi, snif­fer de la sauge dans mon jar­din » (sic).

Suite à la lec­ture de l’interpellation, sans en avoir deman­dé aucun élé­ment de preuve, un conseiller com­mu­nal demande un contrôle de la pro­gram­ma­tion du CBO et de toutes les asso­cia­tions sub­si­diées par la com­mune. Un autre réclame des sanc­tions envers le CBO. D’autres encore déplorent une erreur de pro­gram­ma­tion et qua­li­fient d’inacceptables des pro­pos qui se seraient tenus durant la confé­rence. Pour­tant aucun de ces conseillers com­mu­naux n’était pré­sent à cette confé­rence, aucun d’entre eux n’a contac­té les orga­ni­sa­teurs ou les ser­vices de police pré­sents ce jour-là pour véri­fier ces propos.

La com­mune a le devoir de res­pec­ter la liber­té d’ex­pres­sion des asso­cia­tions qu’elle sub­si­die. Elle ne peut en aucun cas choi­sir les acti­vi­tés et encore moins choi­sir le dis­cours qui est tenu lors d’un débat. Seuls les pro­pos inter­dits par la loi peuvent être repro­chés (nous rap­pe­lons encore que les ser­vices de police étaient pré­sents à cette confé­rence). En aucun cas la com­mune ne peut inter­ve­nir dans le conte­nu d’un débat orga­ni­sé et ne peut mena­cer de cou­per les sub­sides à une asso­cia­tion qui accueille un évé­ne­ment, même si cet évé­ne­ment déplait ou choque. C’est le prin­cipe de la liber­té d’expression.

Mais pour cer­tains de nos élus, ces droits fon­da­men­taux peuvent être balayés d’un revers de la main, sur la seule base d’un texte ano­nyme ou presque !

Suite à cet épi­sode, natu­rel­le­ment, la peur et le doute s’installent. La peur de perdre des sub­sides pré­cieux au vu de la pré­ca­ri­té struc­tu­relle du grand nombre d’ASBL qui occupent le CBO ; la peur d’organiser quelque évé­ne­ment que ce soit autour de la situa­tion en Pales­tine ; la peur de subir la vin­dicte des orga­ni­sa­tions et indi­vi­dus ayant des sym­pa­thies sio­nistes sur les réseaux sociaux ; la peur de dénon­cer, trop fort, le géno­cide en cours…

La menace pèse sur notre tra­vail et sur notre san­té. Cela ins­tille le doute, nous fait perdre du temps pré­cieux. Le sen­ti­ment d’injustice est pré­gnant, certain·e·s ont envie d’interpeller la com­mune pour lui faire part de leur inquié­tude face à l’attitude très peu démo­cra­tique de nos élu·e·s. Mais nous y renon­çons pour ne pas mettre en dan­ger nos membres les plus pré­caires. C’est très dif­fi­cile à accep­ter et pour certain·e·s, cela pro­voque une grande dés­illu­sion quant au fonc­tion­ne­ment sup­po­sé démo­cra­tique de notre socié­té. Les membres du CBO res­tent mal­gré tout soudé·e·s et uni·e·s.

Puis, le same­di 2 mars, 15 per­sonnes, des agents de police en uni­forme et en civil, des agents du SPF jus­tice et du SPF éco­no­mie ain­si qu’un ins­pec­teur ONSS arrivent au CBO en début d’après-midi. Ils pré­textent une ins­pec­tion sociale. Nous ne pou­vons donc pas refu­ser l’accès. Nous devons éga­le­ment leur four­nir une série de docu­ments ain­si que les numé­ros de télé­phone de tous les membres du CBO. Un ins­pec­teur explique qu’ils sont là à cause de l’évènement de Sami­doun accueilli en octobre. Il s’agissait là d’une per­qui­si­tion dégui­sée. Nous com­pre­nons que nous venons de rece­voir “la visite” des bri­gades BELFI. L’a­cro­nyme de Bel­gian Figh­ter : un pro­jet mis en place pen­dant les atten­tats de 2015, asso­ciant la police judi­ciaire, les polices locales et dif­fé­rents ser­vices d’ins­pec­tion (fis­cale, sociale, etc.). Les opé­ra­tions menées par BELFI ont pour objec­tif de lut­ter contre les sources de finan­ce­ment du ter­ro­risme. Cette opé­ra­tion très intru­sive et déli­bé­ré­ment floue ne lais­se­ra per­sonne indemne.

Nous sommes inquièt·e·s de cette uti­li­sa­tion dis­pro­por­tion­née de mesures d’ex­cep­tion éta­blies pour faire face aux atten­tats ter­ro­ristes sur le sol belge. Est-ce qu’il est accep­table qu’une acti­vi­té por­tant sur la résis­tance pales­ti­nienne auto­rise une cel­lule comme BELFI à s’introduire impu­né­ment dans un lieu cultu­rel, et inter­rompre un stage de vacances ou une acti­vi­té de cui­sine col­lec­tive sous pré­texte d’un contrôle social ? Com­ment de tels moyens peuvent être mis en œuvre sans en connaître les commanditaires ?

Nous ana­ly­sons cette « enquête » comme une ten­ta­tive d’intimidation et la suite logique des dif­fé­rentes pres­sions subies depuis le mois d’octobre. Tout cela favo­rise un cli­mat fas­ci­sant qui mène à l’autocensure. La plu­ra­li­té des opi­nions poli­tiques et média­tiques devrait être pro­té­gée par nos institutions.

Nous tenons aus­si à rap­pe­ler que ZIN TV est aus­si un média d’in­for­ma­tion. À ce titre, trois membres de l’é­quipe de ZIN TV pos­sèdent une carte de presse, ce qui fait des locaux de ZIN TV une rédac­tion jour­na­lis­tique, sou­mise à la pro­tec­tion des sources. Un espace qui ne peut être visi­té par la police sans pré­cau­tions préalables.

Enfin, nous nous inter­ro­geons sur l’in­gé­rence d’un État étran­ger dans les affaires asso­cia­tives bruxel­loises. Car la cri­mi­na­li­sa­tion de Sami­doun est impul­sée par Israël. C’est bien l’am­bas­sade d’Is­raël qui a contac­té la com­mune de Jette pour ten­ter d’empêcher la tenue de la ren­contre orga­ni­sée par Sami­doun. C’est un ministre israé­lien, Ami­chai Chik­li (Likoud), qui a écrit 2 fois à notre ministre de l’In­té­rieur pour deman­der l’interdiction de Sami­doun en Belgique.

L’extrême-droite en Bel­gique a ensuite pris le relais. Michael Frei­lich (NVA) a inter­ro­gé la ministre Ver­lin­den par voie par­le­men­taire pour savoir pour­quoi elle n’a­vait pas encore répon­du à ces lettres et si une enquête sera ouverte. La Ministre de l’Intérieur a répli­qué en sou­li­gnant qu’il n’y avait pas de rai­son d’interdire ce col­lec­tif. Depuis, Théo Fran­cken (NVA) s’exprime régu­liè­re­ment sur cette ques­tion sur les réseaux sociaux…

Ce com­mu­ni­qué vise à rendre publique cette situa­tion mais aus­si à lan­cer un appel à toutes autres asso­cia­tions ou médias qui auraient éga­le­ment subis des ten­ta­tives d’intimidation simi­laires. En dépit des pres­sions mul­tiples et de l’au­to­cen­sure qui se géné­ra­lise, nous res­tons persuadé·e·s que face à ce géno­cide en cours, il est impor­tant de nous unir et de conti­nuer à prendre posi­tion pour faire exis­ter et entendre d’autres voix.

Voir en ligne : Zin TV

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