Le plan de réaménagement de la circulation urbaine se fait par étapes. A chaque étape, de nouveaux quartiers appelés « mailles », sont ajoutés au plan. A ce jour, dix « mailles » sont en cours de réaménagement pour finalement devenir des « quartier apaisés » selon la Région Bruxelles-Capitale. Le but étant d’étendre le plan à cinq mailles chaque année afin de canaliser le trafic automobile sur les axes structurant avec une limitation drastique du trafic de transit ainsi que sur la vitesse automobile réduite à 30km/h dans de nombreuses mailles.
Quels enjeux ?
Le plan « Good Move » inquiète tant le chantier semble colossal dans une ville comme Bruxelles qui s’est historiquement construite autour de la voiture. Ilsemble tout autant renforcer les inégalités sociales via des restrictions sur les voitures plus anciennes et une suppression considérable du nombre de places de parking dans les rues de la capitale. Ce qui privilégie les classes sociales favorisées ayant la possibilité financière de se payer un garage/une place de parking ou d’autres équipements comme une voiture convenant aux nouvelles normes écologiques.
Le plan a pour vocation de réduire les inégalités environnementales liées à la qualité de l’air inquiétante des quartiers de première couronne par rapport aux quartiers plus périphériques (deuxième couronne). Bien que ce ne soit originellement pas de mauvaise volonté, il pénalise malgré tout, les groupes sociaux les plus précaires. Ces inégalités liées à des dynamiques de polarisation des classes sociales en liens avec l’utilisation de la voiture passent avant tout par des aspects économiques et tendent à êtres accentuées avec la mise en vigeur de ce plan.
Dans un premier temps, il est certain que ce sont les groupes sociaux les plus favorisés qui, en moyenne, ont le plus de voitures par ménage à Bruxelles. Ce qui en fait les principaux responsables de la polution urbaine liée à l’automobile. D’un autre côté, il est tout aussi certain que ce sont les personnes issues des classes populaires qui sont les plus impactées par les nuisances liées à l’utilisation de l’automobile en vue des positions socio-géographiques qu’elles occupent au sein de Bruxelles. Les quartiers où elles habitent ont une qualité de l’air déplorable dûe à une importante densité de population et à des axes routiers considérables.
Il n’est donc pas possible que ça soit une nouvelle fois ces mêmes classes populaires qui payent les frais de ces rénovations urbaines. D’autant plus quand on sait que la part des personnes motorisées au sein des classes populaires a beaucoup moins l’occasion de se passer de l’usage de la voiture que les personnes motorisées issues de la classe moyenne ou supérieur.
Quels sont les groupes sociaux les plus impactés et dans quels quartiers se trouvent-ils ?
Ces classes populaires se trouvent dans des quartiers plus denses de première couronne et non dans les quartiers de deuxième couronnes étant moins densément peuplés et par la même occasion plus privilégiés (avec une distinction socio-économique « Nord-Ouest / Sud-Est » à prendre en compte à Bruxelles).
A noter que les quartiers de première couronnne du Nord et de l’Ouest sont des quartiers historiquement plus précaires que l’on nomme le « croissant pauvre ».
Ce plan est l’incarnation d’une forme d’écologie urbaine bourgeoise, en ce qu’il oublie entièrement la dimension sociale de l’écologie. Celui-ci ne prend pas en compte la situation des habitant.es des quartiers visés par ces changements, ni même du fait que la plupart des particules fines ne sont pas dûes à l’usage de la voiture par les habitant.es, mais plutôt à cause des navetteurs ou encore de l’industrie lourde. Ce plan ne propose simplement pas de solutions structurelles concrètes pour réduire la pollution urbaine. Il peut alors être considéré comme une nouvelle offensive urbanistique contre les quartiers populaires et ses habitant.es.
À aucun moment donc, il n’a été question d’avoir une concertation rapprochée avec les habitant.es des quartiers ou même de les prévenir avant le début des travaux. Certains groupes sociaux se sont alors retrouvés du jour au lendemain impactés par un changement drastique des infrastructures automobiles qu’iels utilisent quotidiennement.
Il aurait été préférable de trouver des solutions plus progressives aux problèmes liés à la mobilité et non d’imposer une certaine manière de se déplacer qui pénalise les groupes sociaux étant dans l’impossibilité de se déplacer autrement qu’en voiture pour des raisons souvent familiales ou économiques.
A Cureghem par exemple, durant l’été passé, l’adoption de la phase test du plan Good Move ainsi que sa mise en place s’est faite avec une absence totale de concertation, sans prise en compte des réalités sociales du quartier.
Dans ce même quartier ou dans d’autres communes du croissant pauvre comme Schaerbeek, la question de la mobilité est d’emblée sociale et collective. Les habitant.es y sont très inquiets de l’impact de l’immobilité produit par le plan Good Move sur la vie commerçante du quartier. Sans commerces de proximité (forts liés à l’utilisation de la voiture), il n’y a plus de vie possible. Tout autant que les habitant.es des ces quartiers organisent leur vie et avant tout leur travail autour de l’utilisation de la voiture.
En effet, dès lors que le plan est habilité dans de nouvelles « mailles » la circulation en voiture y devient un réel casse-tête. Celui-ci implique des changements de sens de circulation, de nombreux passages à sens unique et la création de zones piétonnes impliquant la destruction de voiries de communication.
De plus, celui-ci conduit à d’importants phénomènes de gentrification via la rénovation des quartiers impactés. La mobilité « verte » via des moyens de mobilité, comme le vélo, a d’évidents avantages en termes de lutte contre le réchauffement climatique mais attire encore aujourd’hui davantage les personnes issues de la classe moyenne plutôt que des groupes sociaux plus populaires.
Durable, Reigner [2015, p. 183] cite : « la mobilisation des arguments de la durabilité et de la lutte contre le tout-automobile se traduit par un déploiement d’aménagements, prioritairement dans la ville-centre dense, visant la qualité urbaine qui alimente la gentrification de certains quartiers. Cela profite à des groupes sociaux favorisés pouvant par ailleurs se parer des vertus du citadin éco-responsable ».
D’éventuelles solutions ?
Ce n’est pas en canalisant l’activité automobile des quartiers densément peuplés que le taux de popullation changera réellement. Il faut avant tout repenser la structure des déplacements automobiles péri-urbains qui sont une source bien plus importante de pollution. Un développement important du nombre de RER comme en île de france (réseau express régional) serait par exemple une solution plausible aux problèmes de pollution urbaine. Une autre solution face aux enjeux de qualité de l’air à Bruxelles serait de contrebalancer la situation par une totale gratuité des transports en commun qui sont majoritairement utilisés par les classes populaires. Il n’est pas normal de la part des politiques bruxelloises de ne pas faire drastiquement baisser les prix des transports en commun (utilisés en majeure partie par les classes populaires) tout en mettant en place un plan qui est certes écologique mais anti-social.
Il est normal de s’opposer à l’utilisation de la voiture pour des raisons environnementales tant que cela passe par une grande attention sociale en vue des inégalités chroniques présentent dans notre ville dans un contexte de crise économique et post sanitaire.
Révoltes au sein des quartiers populaire :
Ce manque d’attention sociale se répète continuellement sur les mêmes groupes sociaux : ceux qui payent les frais d’une qualité de l’air déplorable, de quartiers trop densément peuplés que pour être viables, d’une crise économique majeure, sont aussi les premiers à être impactés par les remaniements politico-écologiques dont ils ne sont pas les premiers responsables.
Il n’est plus possible pour eux de se laisser faire et ils l’ont démontré à Cureghem cet été ou bien lors des affrontements entre forces de l’ordres et habitant.es des quartiers la semaine 24 octobre à Schaerbeek :
A Schaerbeek, la phase trois du plan Good Move a commencé. Elle a pour but de rendre piéton certaines rues avec comme exemple le tronçon entre la place Pavillon et la Cage Aux Ours qui font partie des quartiers les plus densément peuplés de la capitale.
Lundi 24 octobre 2022 un appel a été fait au sein de la commune schaerbeekoise afin de lutter face à ces nouveaux travaux très contraignants. De nombreuses personnes se sont rendues non loin des rues concernées par ces travaux afin d’y retirer l’ensemble des nouveaux panneaux de signalisation fraichement installés. Les manifestant.es se sont ensuite rendus vers la Maison communale et y ont posé l’ensemble des panneaux subtilisés.
À la suite de ces faits, un important dispositif policier a été mis en place dans l’ensemble du quartier.
Le lendemain, alors que la police était encore présente sur place, un autre appel a été fait demandant aux manifestant.es de se rendre devant la Maison communale à 18h30 depuis la place Stephenson et la place Pavillon alors qu’un Conseil communal au sujet du plan Good Move avait lieu. À la suite de cet appel, 200 à 300 personnes se sont rendues sur place pour interpeler le conseil.
Une fois sur place, le Conseil communal a accepté d’échanger avec une délégation de manifestant.es. Ceci a duré plusieurs heures durant lesquelles, dehors une partie des manifestant.es se sont confronté.es aux forces de l’ordre notamment à la place Pavillon. Après qu’iels aient tenté de mettre feu à différents véhicules, une auto pompe est arrivée et de nombreuses arrestations et violences policières ont eu lieu.
Plus tard dans la soirée, la délégation de manifestant.es est sortie de la commune accompagnée de l’échevine schaerbeekoise de la mobilité qui a ensuite déclaré que le plan Good Move était dorénavant « gelé » par les pouvoir communaux en attente d’une meilleure décision. La foule ne s’est pas laissé convaincre si facilement supposant que cette décision se faisait uniquement afin de calmer la situation suite aux importantes révoltes dans le quartier mais dès lors que la situation se calmerait, les travaux reprendraient à nouveau leur court.
Nous ne condamnons pas les confrontations musclées entre habitant.es des quartiers et forces de l’ordres.Au contraire, il est normal de se révolter face à de telles politiques qui comme dit précédemment ne prennent jamais en compte les voix des habitant.es des quartiers populaires qui sont les premier.es concerné.es par ces mesures ainsi que par la crise économique en général.
La crise écologique est un problème prioritaire mais la situation ne pourra jamais avancer sans justice sociale. C’est face aux profiteurs du désastre qu’il faut faire front et non contre les premier.es concerné.es.
Image :
- ©D.R.,La DH/Les Sports+ (dhnet.be)
Sources :
- Bad Move à Bruxelles : l’ « apaisement » c’est la guerre de classes | Le Club (mediapart.fr)
- Une politique antivoiture pour la ville – ARAU
- Good Move | Bruxelles Mobilité (mobilite-mobiliteit.brussels)
- L’asymptomatique : NOTRE DOSSIER
- GoodMove (1030.be)
- Moins de voitures en ville. Pour des politiques sociales et environnementales – YouTube
Livres :
- « Sociologie de l’automobile » par Pierre Lannoy et Yoann Demoli.
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